PAGE 18. indicEs | | Mars 2015 | Gestion institutionnelle
Les stratégies de faible volatilité: anomalie
éphémère ou source pérenne d’alpha?
L’environnement macro économi-
que des années qui ont suivies la
crise de 2008 est assez atypique
lorsqu’on prend en considération
les influences exercées par les
banques centrales sur les marchés
actions, crédit, changes et taux. Cette ingérence
est double: on observe tout d’abord une déter-
mination sans précédent des banques centrales
pour éviter via une politique d’augmentation
de la masse monétaire, une baisse durable de la
consommation des ménages et des entreprises.
Celle-ci se donne pour principal objectif la reprise
graduelle de l’activité économique à long terme.
Après la baisse des taux directeurs, les banques
centrales ont très vite eu recours à des politiques
non conventionnelles: l’assouplissement quanti-
tatif ou QE. Espérant ainsi créer de l’inflation,
ces politiques cherchent également à réduire le
rendement des produits obligataires afin de pous-
ser les investisseurs à investir dans des actifs plus
risqués, d’encourager les investissements dans
l’économie réelle de la part des entreprises et de
favoriser la création d’emplois.
L’autre forme de distorsion qui a marqué cette
période a été une réglementation accrue pour les
institutions financières. Banques et assureurs ont
dû augmenter leurs ratios de capitalisation et in-
directement leur détention de titres obligataires
souverains afin de respecter les nouvelles direc-
tives de ratios d’endettement et de liquidité. En
dépit de toutes ces mesures, l’inflation mondiale
a continué à diminuer et ce, même en tenant
compte de la baisse de plus de 50% du prix du
pétrole sur les 6 derniers mois.
La dernière des mesures a été la mise en place
de taux négatifs, notamment par la BCE et la
BNS. Cela a conduit à un effondrement des ren-
dements obligataires nominaux (en dessous du
seuil jusque-là perçu comme infranchissable de
zéro) pour une part de plus en plus importante
des obligations d’État (par exemple en Allema-
gne sur des maturités inférieures à 2021). Nous
assistons ainsi à une période inédite de raréfac-
tion des actifs dits «sans risque». Aux actifs consi-
dérés comme les plus sûrs sont également adossés
des taux de rendement négatifs impliquant une
perte de capital pour l’investisseur.
Contrairement aux principes fondamentaux
du MEDAF ou modèle d’évaluation des actifs
financiers (voir l’encadré), le risque et l’espérance
de rendement sont censés évoluer de pair et en
parallèle. Cependant, nous assistons depuis plu-
sieurs années à une performance aussi étonnante
que récurrente d’une part des stratégies d’achats
systématiques d’actions à faible volatilité et éga-
lement des stratégies de «Quality Income». Ces
dernières sélectionnent les actions d’entreprises
de bonne qualité et qui ont une politique de divi-
dendes généreuse selon un filtre de ratios fonda-
mentaux. Ces ratios permettent en effet de me-
surer la stabilité des revenus, les dispositions de
financement à court terme, la solidité des marges
opérationnelles ainsi que la capacité de l’entrepri-
se à non seulement servir les intérêts de sa dette
mais aussi à payer des dividendes.
Le graphique montre la surperformance de ces
deux stratégies par rapport aux indices des mar-
chés actions globaux (MSCI World) et européens
(Stoxx 600). Comment expliquer cette perfor-
mance et peut-on raisonnablement s’attendre
à une autre année de surperformance pour ces
stratégies dites systématiques? Même si ces stra-
tégies semblent défier les principes du MEDAF
et paraissent au premier abord être une anoma-
lie ou même une forme de dissonance cognitive
des investisseurs, les stratégies de «faible volati-
lité» sont paradoxalement devenues en quelque
sorte les seuls véritables substituts aux produits
obligataires. En effet, ces stratégies réduisent au
minimum le risque de volatilité de marché par
un rééquilibrage mensuel du portefeuille qui
s’effectue en fonction de la volatilité des rende-
ments quotidiens réalisés sur six mois et génère
des paiements de dividendes réguliers historique-
ment très fiables.
Force est de constater que l’essentiel des obliga-
tions d’État sont actuellement détenues par les
banques centrales et que le phénomène va se ren-
forcer avec les achats à venir de la BCE dans le
cadre du QE. Les fonds de pension et assureurs se
retrouvent ainsi obligés de diversifier leurs por-
tefeuilles vers des actifs à rendements non seule-
ment positifs mais également les moins volatils
possibles.
Nous considérons ainsi les stratégies de «faible
volatilité» et de «Quality Income» comme des
stratégies d’investissement de prime de risque
intéressantes pour les investisseurs, particuliè-
rement dans un environnement où les lois tra-
ditionnelles qui régissent les marchés financiers
semblent avoir été déformées à moyen terme.
Les investisseurs sont plus
que jamais à la recherche de
stratégies offrant des rendements
positifs et une faible volatilité.
kokou aGbo-bLoua
Responsable mondial ingénierie
et stratégie pour les activités flux actions
Société Générale
Source: Société générale
50%
45%
40%
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0%
Jan13 Juil13 Jan14 Juil14 Jan15
SURPERFORMANCE DE DEUX STRATÉGIES
Strategie "Vol Basse" (SXLABR)
SG Quality Income
Stoxx 600 Europe TR
MSCI World TR
PrinciPEs du MEdAF
Le Modèle d’évaluation
des actifs financiers ou
Capital assets pricing model
(CAPM) permet de valoriser
les actions dans un marché
en équilibre. L’hypothèse
principale est que le risque
de marché, ou risque non
diversifiable, est le seul
risque rémunéré par les
investisseurs. La rentabilité
exigée (espérance de gain)
est donc égale au taux de
l’argent sans risque majoré
d’une prime liée au risque
de marché de l’actif.
C’est-à-dire le produit
du beta de l’actif et de la
prime de risque de marché
(equity risk premium):
R = rf + beta x ERP
Au Japon, le financement controversé du déficit par
la BoJ, couplé à la réforme de la politique d’investis-
sement des fonds de pension, a provoqué une onde
de choc politique, mais aussi perpétué la reflation.
Il a permis au yen de rester faible, malgré le défi
brutal d’un euro qui s’effondre. Les entreprises
japonaises livrent d’excellents résultats, ouvrant la
voie à des concessions salariales. L’amélioration des
salaires réels pourrait, enfin, alimenter la demande
intérieure. Le processus de transmission longtemps
désiré par les décideurs semble émerger. En effet,
les investisseurs nationaux participent maintenant
de plus en plus activement à la relance des prix des
actifs. La sous-performance des emprunts gouver-
nementaux nippons en est un symptôme. Jusqu’à
présent, il n’a pas été suffisant pour déstabiliser le
financement du gouvernement. Pourtant, il faudra
surveiller cela de près. La reflation vertueuse des
prix des actifs est apparemment en cours au Japon.
C’est la condition nécessaire d’une relance victo-
rieuse de la Banque du Japon. Néanmoins, elle ne
garantit pas une amélioration – durable – de la
conjoncture du pays.
En Europe, un triple mérite s’installe, malgré peu
de restructuration. L’Europe profite finalement de
la baisse synchronisée du pétrole, des taux d’inté-
rêt et de l’euro. Les projets d’infrastructure sont
discutés, tout comme la perspective d’une… armée
commune! La psychologie est vraiment meilleure,
notamment en Allemagne où les chiffres du ZEW
(indicateur de confiance) ont augmenté à 53 en
février, sa quatrième hausse consécutive, atteignant
son plus haut niveau depuis février 2014. De même,
les perspectives économiques d’Europe centrale et
orientale s’améliorent de 14,2 points!
Les conditions financières ont considérablement
progressé, grâce à Mario Draghi. Elles resteront très
favorables jusqu’à 2016 au moins. Le risque résiduel
est la contagion politique. La question grecque,
intelligemment reportée jusqu’ici, pourrait fina-
lement alimenter les tensions similaires plus tard
cette année. Mais l’émergence d’un mieux économi-
que, couplé à une meilleure coopération franco-
allemande, pourraient empêcher une crise.
La croissance économique dans la zone euro va
mieux, mais à partir d’une base faible. Ce rebond
cyclique permettra d’éviter une dangereuse spirale
dans la déflation, à court terme.
Les Etats-Unis, eux, risquent désormais de faire
face à un «syndrome Rubin». La période récente,
où l’indice du dollar a augmenté de 80 à 97 en
moins de trois trimestres, rappelle deux précédents
historiques. Elle ressemble à la progression du billet
vert entre 1981 et 1985, lorsque l’administration
Reagan a mis en œuvre une politique monétaire très
restrictive, mais budgétaires laxiste. Deuxièmement,
elle rappelle la politique de Robert Rubin. L’ancien
secrétaire au Trésor (administration Clinton) a arti-
culé une politique du dollar fort. Elle a pris forme
à partir de 1995 à 2001, et alimenté une hausse de
l’indice de dollar d’environ 50% (82 à 120) en six
ans... Jusqu’à présent, un dollar plus fort n’avait pas
nui aux États-Unis.
Mais la vitesse et l’ampleur du dernier mouvement
sont à l’origine de préoccupations. Les États-Unis
importent activement la déflation des «dumpers
monétaires» et des pays émergents. C’est malheu-
reux, car l’inflation américaine reste trop faible et
l’économie convalescente. À plus long terme, les
risques existent de perdre une compétitivité externe
durement gagnée, donc de mettre la renaissance
industrielle en péril. Une trop forte appréciation du
dollar exacerbe les tensions dans les pays émer-
gents, où les États-Unis ont des intérêts commer-
ciaux et financiers importants. La stigmatisation des
déficits chroniques des comptes courants, ajoute de
la pression.
Le statu quo n’est plus une option valable pour les
décideurs américains, qui devront répondre rapide-
ment à la pression des marchés sur le dollar. Une
hausse trop rapide de la devise américaine compli-
quera le refinancement des investisseurs étrangers,
déstabilisant les spéculateurs. Cela nuira également
aux marchés financiers américains.
MarChés
La revanche des perdants
phiLippE schindLEr
CIO, Blue Lakes Advisors
L’ingénierie financière
permet à l’Europe
et au Japon de garder
espoir pour l’instant.