l’intervention de facteurs supplémentaires, et en particulier celui des luttes populaires, par "", en
faveur de l’élargissement des droits démocratiques. Comme le dit le politiste Adam Przeworski,
Ils n’ont été accordés par les élites que lorsqu’elles y furent contraintes. Le tarissement de ces luttes,
la difficulté des mouvements sociaux à revendiquer des droits nouveaux expliquent a contrario la dé-
vitalisation actuelle de la démocratie.
L’histoire globale du suffrage universel permet de mettre en évidence les déterminants de la démo-
cratisation. Le Liberia (1839) et la Grèce (1844) sont les premiers pays à avoir instauré un suffrage
universel masculin 2, alors que la Nouvelle-Zélande (1893), l’Australie (1901), la Finlande (1907) et la
Norvège (1913) font figure de pionnières du suffrage universel intégral. Il s’agit de pays relativement
"" sur le plan géopolitique et économique. En 1900, dix-sept Etats avaient instauré un
suffrage universel masculin ; un seul avait adopté le suffrage universel intégral.
Un droit de vote à géométrie variable
Après la première guerre mondiale survient une percée. En moins de quinze ans, le nombre de dé-
mocraties représentatives intégrales passe de quatre à dix. Puis ce chiffre diminue au cours des an-
nées 1930, avec la montée des fascismes. En Allemagne par exemple, la république de Weimar
avait instauré le suffrage universel pour les deux sexes en 1919 ; il fut aboli de fait par Adolf Hitler à
partir de 1933. Ainsi la véritable révolution du suffrage universel n’intervient-elle qu’après le second
conflit mondial. Pour ne citer que quelques exemples, la France l’instaure en 1944, le Japon en
1945, l’Italie en 1946, la Belgique en 1948, les Etats-Unis en 1965 (avec le Voting Rights Act, qui
permet aux Noirs du sud du pays de voter), etc. Proclamés à la fin du XVIIIe siècle, les principes de
la démocratie moderne ont mis plus de cent cinquante ans à devenir pleinement une réalité. Car,
dans l’esprit de nombre de ses "", réels ou supposés, le droit de vote était réservé aux
hommes blancs et fortunés.
L’extension de ce droit suit rarement un processus linéaire. Après la Révolution, qui avait connu qua-
tre modes de suffrage, la France est encore passée du suffrage censitaire (réinstauré en 1815) au
suffrage universel masculin (adopté par décret le 5 mars 1848), avant de revenir brièvement au suf-
frage censitaire (par une loi du 3 mars 1850 qui priva du droit de vote deux millions et demi d’élec-
teurs masculins), puis encore au suffrage universel masculin (sous le Second Empire et la IIIe Répu-
blique). Le suffrage universel intégral ne fut finalement instauré qu’en 1944 3. De tels revirements
sont fréquents dans l’histoire, et il n’y a pas de raison de penser qu’ils sont définitivement derrière
nous.
Trois principaux critères d’exclusion du vote ont été utilisés dans l’histoire contemporaine : la classe,
le sexe et la "race". Le critère social est le plus fréquent. Il inclut, et combine souvent, des conditions
de propriété privée, de revenu, d’imposition ou encore d’alphabétisation. Quoique moins récurrents,
les critères sexuel et racial se sont avérés plus persistants. Les Etats-Unis, qui n’ont aboli leurs lois
électorales racistes qu’en 1965, et la Suisse, qui a mis fin à son système de vote sexiste au niveau
fédéral en 1971 (certains cantons l’avaient fait dès les années 1950), ont longtemps été des démo-
craties inachevées. La loi électorale américaine connaît d’ailleurs de récents reculs, avec le retour de
4
1 Adam Przeworski, "Conquered or granted ? A history of suffrage extensions" (PDF), British Journal of Political Science, vol. 39, n° 2, Cambridge,
avril 2009.
2 Fondé par une entreprise américaine de colonisation pour les esclaves affranchis, le Liberia bénéficia d’une Constitution qui prévoyait en 1839 le
droit pour tous les hommes d’élire le lieutenant-gouverneur.Le pays devint indépendant en 1847 et adopta alors le suffrage censitaire.
3 Lire Alain Garrigou, "Le suffrage universel, “invention” française", Le Monde diplomatique, avril 1998.