Article original
LES FRACTURES DE LA CHARNIERE LOMBOSACREE
ET DU SACRUM
Les problèmes diagnostiques et thérapeutiques
Revue de la littérature et rapport de 7 cas sur 10 ans
Lombosacral fracture-dislocation
Diagnosis and treatment of the report of 7 cases
and review of literature
J. Godard
Service de Neurochirurgie (Pr Czorny) - CHU - Hôpital Jean Minjoz - Boulevard Fleming
25030 Besançon cedex.
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DOSSIER
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
Key-words : Lombosacral fracture - Dislocation of lombosacral
junction - Sacrum fracture - Pelvic trauma - Spine treatment.
Mots-clefs : Spondylolisthésis post-traumatique - Fracture de la char-
nière lombosacrée - Fracture du sacrum et du pelvis - Thérapeutique.
Les fractures dislocations de la charnière lombo-
sacrée et du sacrum sont rares. Ces lésions trau-
matiques peuvent poser parfois des problèmes
diagnostiques et thérapeutiques.
Les publications font état souvent de cas isolés et les
auteurs rapportent leur traitement. Dans quelques
publications, un essai de synthèse et de classification
est tenté. Watson-Jones (34) a été l’un des premiers
auteurs en 1940, à décrire ce type de lésion. Nous ajou-
tons 7 nouveaux cas à ceux de la littérature pour discu-
ter le diagnostic et le traitement de ces fractures rares.
Le diagnostic est actuellement favorisé par l’utilisation
d’une étude au scanner de la fracture. Il s’agit le plus
souvent de fractures instables. L’orientation thérapeu-
tique moderne est en faveur d’une réduction et fixation
chirurgicale de la plupart de ces fractures afin d’éviter
la survenue de douleurs chroniques secondaires à des
déplacements de L5 sur S1. Seuls quelques cas peuvent
bénéficier d’un traitement conservateur.
The lumbosacral fracture-dislocation or sub-
luxation are very rare injury. They can be
associated with sacral and pelvic fractures.
About one hundred cases are reported, often one case
by the authors. The lombosacral dislocation must be
characterized by computed tomography. A preoperati-
ve MRI study appears mandatory in order to evaluate
the integrity of the disc L5-S1 and the nervous roots
L5, S1, S2 specialy. We report seven new cases for the
discussion of the diagnosis and treatment. The mana-
gement of the fractures is open reduction and internal
fixation with lombosacral fusion. Only somes cases
can be treated without surgery.
Résumé Summary
Les fractures de la charnière lombosacrée sont
rares ; elles sont souvent associées à d’autres
lésions fracturaires de la ceinture pelvienne et
du sacrum. Dans la littérature, les cas rapportés sont
souvent sporadiques. Seuls quelques auteurs (19, 26)
ont essayé de proposer une classification soit des frac-
tures sacrées, soit des fractures lombosacrées à partir
de recueil de séries.
Nous avons revu de 1994 à 2003, notre série de frac-
tures du rachis secondaires et du sacrum pour isoler
seulement 7 dossiers présentant de telles lésions. Ces
dossiers vont servir à alimenter la discussion sur le
diagnostic et le traitement de ces lésions spécifiques.
Avant d’aborder ces lésions de la charnière lombosa-
crée, il nous a paru intéressant de faire un rappel ana-
tomophysiologique de cette région.
Rappel
anatomophysiologique
Les travaux de Kapandji (15), de Vidal et Marnay (33)
permettent de mieux comprendre et analyser l’impor-
tance de cette charnière lombosacrée. Le sacrum appa-
raît comme un os plat ayant la forme d’un chapeau
pointu terminant la colonne vertébrale. Il vient s’arti-
culer avec les deux membres inférieurs par l’intermé-
diaire du pelvis et en particulier des articulations
sacro-iliaques et des articulations coxo-fémorales. Le
positionnement de l’une ou l’autre des articulations va
retentir sur la statique rachidienne avec la notion d’hy-
perlordose, de sacrum plus ou moins horizontalisé.
L’axe rachidien mobile utilise le couple charnière L5-
S1 pour compléter le mouvement antéro-postérieur du
tronc. Aussi, il semble démontré que le poids du tronc
s’applique sur le plateau supérieur de S1, et que la
rotation passe par le centre de la 2ème pièce sacrée. Les
différentes articulations, renforcées par le puissant
ligament sacro-iliaque, agissent comme de véritables
haubanages et permettent une certaine suspension de
la région sans oublier dans ce rôle les muscles lombo-
sacrés s’insérant en partie sur les apophyses transver-
ses.
Le bon fonctionnement de ces éléments permet à l’ho-
mo-sapiens de se maintenir debout avec un équilibre
sagittal du rachis. L’inclinaison de la pente sacrée dépend
du glissement L5-S1 et de la lordose lombaire selon le
morphotype individuel homme ou femme. La rotation
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S1-S2 passe par les articles sacro-iliaques et donne l’an-
gle de rétroversion pelvienne. Ainsi, lors de fracture tou-
chant le couple charnière lombosacrée, il existe brutale-
ment une rupture d’équilibre antéropostérieur, voire laté-
ralement si un côté est plus atteint que l’autre.
L’absence ou la mauvaise consolidation de ces fractu-
res va être responsable d’un trouble pouvant engendrer
des douleurs lombaires basses chroniques souvent dif-
ficiles à traiter.
La fracture isolée du sacrum a un retentissement sur la
statique selon le trait de fracture vertical ou horizontal.
Une fracture en-dessous de S2 aura en général peu
d’effet si la mobilité du couple charnière lombosacrée
et du couple sacro-iliaque est respectée.
Ces fractures sacrées peuvent être parfois responsables
d’avulsion radiculaire d’où une étude neurologique
précise lors de leur présence. Les traits de fractures
verticaux du sacrum sont souvent instables avec égale-
ment un risque neurologique accru ; il faut alors bien
chercher l’atteinte de l’article L5-S1. A partir de la lit-
térature un essai de classification peut être proposé.
Mécanisme et
classification
Dans tous les travaux et les cas rapportés de fracture
de la charnière lombosacrée, le mécanisme rappor
est violent. En raison de la mobilité et de l’importance
musculaire fessière, la charnière est souvent bien pro-
tégée, d’où la rareté des fractures touchant la vertèbre
L5 et S1, et le sacrum. Il s’agit habituellement d’un
traumatisme violent avec une haute énergie associant
hyperflexion et compression. Il peut exister des
contraintes en rotation donnant souvent des phénomè-
nes de luxation unilatérale L5-S1, et des fractures pel-
viennes unilatérales.
Isler en 1990 (16) propose une classification en 3 types :
Type 1 Fracture extra-articulaire L5-S1+ fracture du
sacrum
Type 2 Fracture articulaire L5-S1 + fracture sacrée
verticale ;
avec 3 sous groupes : 2a : dislocations
2b : subluxation
2c : complète dislocation
Type 3 Complexe fracture L5-S1 + fracture du
sacrum.
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ÈSchéma 1.
ÍSchéma 2.
En 1992, Pohlemann et al. (26) ont revu 377 fractures
du sacrum, sans tenir compte du retentissement sur la
charnière lombosacrée (schéma 1). Il est noté la fré-
quence des fractures unilatérales verticales du sacrum
àpartir de cette étude.
En 1998, Aihara et al. (1) ont fait l’analyse surtout des
fractures dislocations touchant la vertèbre L5 et son
retentissement sur le couple charnière lombosacrée
(schéma 2) :
Type 1a : luxation d’une facette plus ou moins
fracture unilatérale
Type 2b : luxation (ou dislocation) des facettes
bilatérales
Type 3c : luxation unilatérale et fracture facette
articulaire controlatérale
Type 4d : glissement du corps de L5 et fracture
isthmique bilatérale (spondylolisthésis
post-traumatique)
Type 5e : luxation du corps de L5 avec fracture
bipédiculaire ou corporéale
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Enfin, en 1997, Leone et al (19) ont proposé une clas-
sification proche de celle d’Isler mettant en relation
les fonctions de la charnière lombosacrée et du sacrum
(schéma 3).
Ces classifications ont pour intérêt de bien mettre en
évidence la notion d’instabilité de ces fractures, tout
en identifiant un nombre important de fractures mini-
mes stables, non rapportées dans la littérature car ne
posant pas ou peu de problème diagnostique.
Aspects cliniques et
nos observations
Ces fractures se rencontrent le plus souvent chez l’a-
dulte, jeune, mais elles peuvent se voir également chez
l’enfant, un cas âgé de 5 ans est rapporté (4) et chez
l’adolescent (24, 29, 32).
Les douleurs sont très intenses, localisées au niveau de
la ceinture pelvienne et de la base du rachis lombaire.
Malgré l’importance du traumatisme les troubles
neurologiques sont souvent peu importants voire mini-
mes, prédominant à un côté (11), touchant les racines
L5 et S1.
Les récupérations neurologiques sont fréquentes (9,
12, 17, 27) montrant la bonne tolérance aux traumatis-
mes des éléments radiculaires. Cependant la présence
d’un syndrome de la queue de cheval est de récupéra-
tion plus aléatoire, avec souvent la persistance de
séquelles neurologiques (11).
De 1992 à 2003, nous avons été amenés à prendre en
charge 7 patients avec une fracture lombosacrée dont 4
cas avaient une dislocation importante. Dans 1 cas la
fracture de la charnière lombosacrée était peu déplacée
associée à une fracture du sacrum. Un spondylolisthé-
sis L5-S1 a été découvertquelques mois après le trai-
tement, et dans 1 cas une fracture tassement S1-S2
déplacée ne présentait aucun trouble neurologique.
1er cas : Mme GRO..., Marie, née en 1956 était prise en
charge à la suite d’une tentative d’autolyse par défe-
Schéma 3 : Fracture verticale du sacrum passant par la partie médiale de l’articulaire de S1. b : Fracture extra-articulaire L5-S1 et fracture articulaire de S1
(Isler 1). c : Fracturedislocation (Isler 2a). d : Fracturesubluxation L5-S1 (Isler 2b).
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nestration (chute de 2 étages). Elle présentait un syn-
drome de la queue de cheval avec paralysie des rele-
veurs bilatérale. Le bilan radiologique mettait en évi-
dence une fracture de L1 et une fracture de L5 avec lis-
thésis L5-S1 (Figures 1 et 2). Elle fut opérée en urgen-
ce avec libération du canal rachidien en L1 et recali-
brage puis ostéosynthèse D12-L2, et recalibrage-
ostéosynthèse de L4 à S1, associé à une arthrodèse
postérolatérale (Figure 3). Un corset fut laissé en place
pour trois mois. Un an après, la patiente marche, elle a
gardé un déficit moteur des releveurs du pied droit et
une hypoesthésie dans le territoire L5 droit. Elle est
suivi en milieu psychiatrique.
2ème cas : Mr PAG... Valéri, né en 1965, reçoit pour pro-
téger sa fille, une cheminée sur le dos alors qu’il est en
hyperflexion, en octobre 1991. Il est paraplégique à
son arrivée aux urgences. Le bilan radiologique mont-
re une double luxation T12-L1 et L1-L2. Il est opéré
en urgence. Une réduction est faite par ostéosynthèse
étendue de T10 à L3. Il a une récupération sensitive
des membres inférieurs mais aucune récupération
motrice. Quelques mois plus tard, sur les radiographies
de contrôle il existe un glissement de L5 sur S1 non
visible sur les premières radiographies. Ce spondylo-
listhésis est progressivement responsable de douleurs
lombaires basses et le patient accepte en Janvier 1992
une opération avec réduction et fixation L5-S1 par
plaque vissée et arthrodèse postérolatérale. Ses dou-
leurs lombaires basses vont alors disparaître dans les
suites opératoires.
Figure 1 : CT scan - Cas n°1 - Fracture de la facette articulaire de S1 droite.
Figure 2 : CT Scan - Cas n°1 - Fracture de l’apophyse transverse de L5
droite.
Figure 3 : Radiographie de contrôle - Cas n°1 - Cliché de face avec ostéo-
synthèse plus arthrodèse postérolatérale.
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