LES FRACTURES DE LA CHARNIERE

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LES FRACTURES DE LA CHARNIERE LOMBOSACREE
ET DU SACRUM
Les problèmes diagnostiques et thérapeutiques
Revue de la littérature et rapport de 7 cas sur 10 ans
Lombosacral fracture-dislocation
Diagnosis and treatment of the report of 7 cases
and review of literature
J. Godard
Service de Neurochirurgie (Pr Czorny) - CHU - Hôpital Jean Minjoz - Boulevard Fleming
25030 Besançon cedex.
Résumé
Summary
es fractures dislocations de la charnière lombosacrée et du sacrum sont rares. Ces lésions traumatiques peuvent poser parfois des problèmes
diagnostiques et thérapeutiques.
Les publications font état souvent de cas isolés et les
auteurs rapportent leur traitement. Dans quelques
publications, un essai de synthèse et de classification
est tenté. Watson-Jones (34) a été l’un des premiers
auteurs en 1940, à décrire ce type de lésion. Nous ajoutons 7 nouveaux cas à ceux de la littérature pour discuter le diagnostic et le traitement de ces fractures rares.
Le diagnostic est actuellement favorisé par l’utilisation
d’une étude au scanner de la fracture. Il s’agit le plus
souvent de fractures instables. L’orientation thérapeutique moderne est en faveur d’une réduction et fixation
chirurgicale de la plupart de ces fractures afin d’éviter
la survenue de douleurs chroniques secondaires à des
déplacements de L5 sur S1. Seuls quelques cas peuvent
bénéficier d’un traitement conservateur.
L
he lumbosacral fracture-dislocation or subluxation are very rare injury. They can be
associated with sacral and pelvic fractures.
About one hundred cases are reported, often one case
by the authors. The lombosacral dislocation must be
characterized by computed tomography. A preoperative MRI study appears mandatory in order to evaluate
the integrity of the disc L5-S1 and the nervous roots
L5, S1, S2 specialy. We report seven new cases for the
discussion of the diagnosis and treatment. The management of the fractures is open reduction and internal
fixation with lombosacral fusion. Only somes cases
can be treated without surgery.
Mots-clefs : Spondylolisthésis post-traumatique - Fracture de la charnière lombosacrée - Fracture du sacrum et du pelvis - Thérapeutique.
Key-words : Lombosacral fracture - Dislocation of lombosacral
junction - Sacrum fracture - Pelvic trauma - Spine treatment.
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
T
191
DOSSIER
Article original
J. Godard
es fractures de la charnière lombosacrée sont
rares ; elles sont souvent associées à d’autres
lésions fracturaires de la ceinture pelvienne et
du sacrum. Dans la littérature, les cas rapportés sont
souvent sporadiques. Seuls quelques auteurs (19, 26)
ont essayé de proposer une classification soit des fractures sacrées, soit des fractures lombosacrées à partir
de recueil de séries.
S1-S2 passe par les articles sacro-iliaques et donne l’angle de rétroversion pelvienne. Ainsi, lors de fracture touchant le couple charnière lombosacrée, il existe brutalement une rupture d’équilibre antéropostérieur, voire latéralement si un côté est plus atteint que l’autre.
L’absence ou la mauvaise consolidation de ces fractures va être responsable d’un trouble pouvant engendrer
des douleurs lombaires basses chroniques souvent difficiles à traiter.
La fracture isolée du sacrum a un retentissement sur la
statique selon le trait de fracture vertical ou horizontal.
Une fracture en-dessous de S2 aura en général peu
d’effet si la mobilité du couple charnière lombosacrée
et du couple sacro-iliaque est respectée.
Ces fractures sacrées peuvent être parfois responsables
d’avulsion radiculaire d’où une étude neurologique
précise lors de leur présence. Les traits de fractures
verticaux du sacrum sont souvent instables avec également un risque neurologique accru ; il faut alors bien
chercher l’atteinte de l’article L5-S1. A partir de la littérature un essai de classification peut être proposé.
L
Nous avons revu de 1994 à 2003, notre série de fractures du rachis secondaires et du sacrum pour isoler
seulement 7 dossiers présentant de telles lésions. Ces
dossiers vont servir à alimenter la discussion sur le
diagnostic et le traitement de ces lésions spécifiques.
Avant d’aborder ces lésions de la charnière lombosacrée, il nous a paru intéressant de faire un rappel anatomophysiologique de cette région.
Rappel
anatomophysiologique
Les travaux de Kapandji (15), de Vidal et Marnay (33)
permettent de mieux comprendre et analyser l’importance de cette charnière lombosacrée. Le sacrum apparaît comme un os plat ayant la forme d’un chapeau
pointu terminant la colonne vertébrale. Il vient s’articuler avec les deux membres inférieurs par l’intermédiaire du pelvis et en particulier des articulations
sacro-iliaques et des articulations coxo-fémorales. Le
positionnement de l’une ou l’autre des articulations va
retentir sur la statique rachidienne avec la notion d’hyperlordose, de sacrum plus ou moins horizontalisé.
L’axe rachidien mobile utilise le couple charnière L5S1 pour compléter le mouvement antéro-postérieur du
tronc. Aussi, il semble démontré que le poids du tronc
s’applique sur le plateau supérieur de S1, et que la
rotation passe par le centre de la 2ème pièce sacrée. Les
différentes articulations, renforcées par le puissant
ligament sacro-iliaque, agissent comme de véritables
haubanages et permettent une certaine suspension de
la région sans oublier dans ce rôle les muscles lombosacrés s’insérant en partie sur les apophyses transverses.
Le bon fonctionnement de ces éléments permet à l’homo-sapiens de se maintenir debout avec un équilibre
sagittal du rachis. L’inclinaison de la pente sacrée dépend
du glissement L5-S1 et de la lordose lombaire selon le
morphotype individuel homme ou femme. La rotation
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
Mécanisme et
classification
Dans tous les travaux et les cas rapportés de fracture
de la charnière lombosacrée, le mécanisme rapporté
est violent. En raison de la mobilité et de l’importance
musculaire fessière, la charnière est souvent bien protégée, d’où la rareté des fractures touchant la vertèbre
L5 et S1, et le sacrum. Il s’agit habituellement d’un
traumatisme violent avec une haute énergie associant
hyperflexion et compression. Il peut exister des
contraintes en rotation donnant souvent des phénomènes de luxation unilatérale L5-S1, et des fractures pelviennes unilatérales.
Isler en 1990 (16) propose une classification en 3 types :
Type 1 Fracture extra-articulaire L5-S1+ fracture du
sacrum
Type 2 Fracture articulaire L5-S1 + fracture sacrée
verticale ;
avec 3 sous groupes : 2a : dislocations
2b : subluxation
2c : complète dislocation
Type 3 Complexe fracture L5-S1 + fracture du
sacrum.
192
Les fractures de la charnière lombosacrée et du sacrum...
En 1992, Pohlemann et al. (26) ont revu 377 fractures
du sacrum, sans tenir compte du retentissement sur la
charnière lombosacrée (schéma 1). Il est noté la fréquence des fractures unilatérales verticales du sacrum
à partir de cette étude.
En 1998, Aihara et al. (1) ont fait l’analyse surtout des
fractures dislocations touchant la vertèbre L5 et son
retentissement sur le couple charnière lombosacrée
(schéma 2) :
Type 1a :
luxation d’une facette plus ou moins
fracture unilatérale
Type 2b :
luxation (ou dislocation) des facettes
bilatérales
Type 3c :
luxation unilatérale et fracture facette
articulaire controlatérale
Type 4d :
glissement du corps de L5 et fracture
isthmique bilatérale (spondylolisthésis
post-traumatique)
Type 5e :
luxation du corps de L5 avec fracture
bipédiculaire ou corporéale
È Schéma 1.
ÍSchéma 2.
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
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J. Godard
Schéma 3 : Fracture verticale du sacrum passant par la partie médiale de l’articulaire de S1. b : Fracture extra-articulaire L5-S1 et fracture articulaire de S1
(Isler 1). c : Fracture dislocation (Isler 2a). d : Fracture subluxation L5-S1 (Isler 2b).
Enfin, en 1997, Leone et al (19) ont proposé une classification proche de celle d’Isler mettant en relation
les fonctions de la charnière lombosacrée et du sacrum
(schéma 3).
Malgré l’importance du traumatisme les troubles
neurologiques sont souvent peu importants voire minimes, prédominant à un côté (11), touchant les racines
L5 et S1.
Ces classifications ont pour intérêt de bien mettre en
évidence la notion d’instabilité de ces fractures, tout
en identifiant un nombre important de fractures minimes stables, non rapportées dans la littérature car ne
posant pas ou peu de problème diagnostique.
Les récupérations neurologiques sont fréquentes (9,
12, 17, 27) montrant la bonne tolérance aux traumatismes des éléments radiculaires. Cependant la présence
d’un syndrome de la queue de cheval est de récupération plus aléatoire, avec souvent la persistance de
séquelles neurologiques (11).
De 1992 à 2003, nous avons été amenés à prendre en
charge 7 patients avec une fracture lombosacrée dont 4
cas avaient une dislocation importante. Dans 1 cas la
fracture de la charnière lombosacrée était peu déplacée
associée à une fracture du sacrum. Un spondylolisthésis L5-S1 a été découvert quelques mois après le traitement, et dans 1 cas une fracture tassement S1-S2
déplacée ne présentait aucun trouble neurologique.
Aspects cliniques et
nos observations
Ces fractures se rencontrent le plus souvent chez l’adulte, jeune, mais elles peuvent se voir également chez
l’enfant, un cas âgé de 5 ans est rapporté (4) et chez
l’adolescent (24, 29, 32).
Les douleurs sont très intenses, localisées au niveau de
la ceinture pelvienne et de la base du rachis lombaire.
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
1er cas : Mme GRO..., Marie, née en 1956 était prise en
charge à la suite d’une tentative d’autolyse par défe194
Les fractures de la charnière lombosacrée et du sacrum...
nestration (chute de 2 étages). Elle présentait un syndrome de la queue de cheval avec paralysie des releveurs bilatérale. Le bilan radiologique mettait en évidence une fracture de L1 et une fracture de L5 avec listhésis L5-S1 (Figures 1 et 2). Elle fut opérée en urgence avec libération du canal rachidien en L1 et recalibrage puis ostéosynthèse D12-L2, et recalibrageostéosynthèse de L4 à S1, associé à une arthrodèse
postérolatérale (Figure 3). Un corset fut laissé en place
pour trois mois. Un an après, la patiente marche, elle a
gardé un déficit moteur des releveurs du pied droit et
une hypoesthésie dans le territoire L5 droit. Elle est
suivi en milieu psychiatrique.
2ème cas : Mr PAG... Valéri, né en 1965, reçoit pour protéger sa fille, une cheminée sur le dos alors qu’il est en
hyperflexion, en octobre 1991. Il est paraplégique à
son arrivée aux urgences. Le bilan radiologique montre une double luxation T12-L1 et L1-L2. Il est opéré
en urgence. Une réduction est faite par ostéosynthèse
étendue de T10 à L3. Il a une récupération sensitive
des membres inférieurs mais aucune récupération
motrice. Quelques mois plus tard, sur les radiographies
de contrôle il existe un glissement de L5 sur S1 non
visible sur les premières radiographies. Ce spondylolisthésis est progressivement responsable de douleurs
lombaires basses et le patient accepte en Janvier 1992
Figure 2 : CT Scan - Cas n°1 - Fracture de l’apophyse transverse de L5
droite.
Figure 3 : Radiographie de contrôle - Cas n°1 - Cliché de face avec ostéosynthèse plus arthrodèse postérolatérale.
une opération avec réduction et fixation L5-S1 par
plaque vissée et arthrodèse postérolatérale. Ses douleurs lombaires basses vont alors disparaître dans les
suites opératoires.
Figure 1 : CT scan - Cas n°1 - Fracture de la facette articulaire de S1 droite.
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J. Godard
3ème cas : Mr LEV... Sébastien, né en 1979, est victime
d’un accident de voiture en Juin 2000. Après quelques
jours, alors que le patient n’avait pas été hospitalisé, il
apparaît une lombosciatique droite hyperalgique. Le
patient ne peut plus marcher. Le bilan radiologique, le
scanner et l’IRM montrent une fracture éclatement de
L5 avec plusieurs fragments dans le canal rachidien en
particulier à droite expliquant la sciatique et l’hypoesthésie dans le territoire S1. Il existe également une
fracture de la facette articulaire de S1 droite se prolongeant dans l’aileron sacré droit. Le patient est opéré
le 13 Juin 2000, un recalibrage du canal rachidien, une
réduction et ostéosynthèse L5-S1 avec arthrodèse postérolatérale sont faits. Quatre mois après, le patient
reprend son travail. En 2002, le matériel d’ostéosynthèse est enlevé à sa demande. Le patient n’a aucun
trouble neurologique, ni douleur.
Figure 5 : CT Scan - Cas n°5 - Luxation rotatoire L5-S1 gauche.
4ème cas : Mr PAN... Patrick, né en 1979, est victime
d’un grave accident de voiture, le 12 Décembre 2000.
Il est coincé en hyperflexion et une désincarcération
est nécessaire. A son arrivée aux urgences, il n’a aucun
trouble neurologique. Le bilan radiologique montre
une fracture de l’apophyse transverse de L5 gauche,
une fracture articulaire de S1 droite avec latérolisthésis de L5. A noter une lombalisation de S1. Il a par
Figure 6 : CT Scan - Cas n° 4 - Fracture disjonction du sacrum droit.
ailleurs, une disjonction pubienne et sacro-iliaque gauche. Le scanner montre une fracture-luxation rotatoire
L5-S1 avec fracture de la facette S1 droite se prolongeant dans l’aileron sacré droit. La disjonction sacroiliaque gauche et de la symphyse pubienne sont confirmées (Figures 3, 4, 5, 6 et 7). Il est opéré, en urgence,
le 12 Décembre 2000, par voie postérieure avec laminectomie de S1, ostéosynthèse L4-S1 et arthrodèse
L5-S1 postérolatérale. La réduction n’a été que partielle, et un temps antérieur complémentaire, 8 jours
plus tard, est effectué avec mise en place de cages
intersomatiques vissées + de l’os en L5-S1 (Figure 8).
Figure 4 : Cas n°4 - Radiographie de face - Fracture dislocation rotatoire
L5-S1 gauche, fracture de l’apophyse transverse L5 droite, fracture disjonction du sacrum droit. A noter une lombalisation.
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Les fractures de la charnière lombosacrée et du sacrum...
È Figure 7 : CT Scan - Cas n° 4 - Extension latérale droite de la fracture du sacrum
sur plusieurs coupes.
Figure 8 : Cas n° 4 - Radiographie de contrôle de profil post-opératoire
après les temps postérieur et antérieur. Ë
En Janvier 2003, le matériel d’ostéosynthèse postérieur est enlevé pour
récupérer le disque L4-S1 sain. Le patient va bien, a repris des activités professionnelles.
5ème cas : Mr AMB... Franck, né en 1978, est victime en 1998, d’un accident
du travail. Il reçoit un objet lourd dans le dos alors qu’il est en hyperflexion.
Il n’a pas de troubles neurologiques mais le bilan radiologique montre un
spondylolisthésis L5-S1 post-traumatique et des fractures des apophyses
transverses L3, L4 et L5 gauches. Il est opéré en urgence avec réduction et
fixation L5-S1. En 2000, il se plaint de douleurs lombaires basses ; le bilan
radiologique montre l’aggravation d’une scoliose lombaire au-dessus du
spondylolisthésis opéré . Début 2001, il est réopéré pour une fixation étendue jusqu’en L1. Actuellement, il va bien malgré la raideur rachidienne.
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J. Godard
6ème cas : Mr AUT... Florian, né en 1980, est victime
d’un accident de circulation, moto contre bus, le 13
Septembre 2000. Il est polytraumatisé : luxation de la
hanche gauche, disjonction symphyse postérieure,
fracture des apophyses transverses L3, L4 et L5 gauches, fracture du promontoire sacré et un listhésis L5S1, fracture de l’omoplate et clavicule gauches, fractures de côtes, hémothorax gauche, fracture de la rate.
En urgence, il est opéré dans l’Hôpital qui le reçoit,
d’une rupture de rate (splénectomie) et subit une
réduction de la luxation de hanche. Au 17ème jour il sort
de Réanimation et il est adressé rapidement en rééducation du fait d’un déficit du membre inférieur gauche
avec paralysie des releveurs du pied gauche. Il récupère de son déficit du membre inférieur gauche mais
garde une paralysie des releveurs du pied gauche avec
des douleurs. Un EMG du 5 Février 2003 confirme
une souffrance de L5 gauche ; le patient marche sans
canne. Il est vu seulement dans notre Service, en
Juillet 2003, avec une consolidation de sa fracture-dislocation L5-S1. Le myéloscanner montre un étirement
des racines L5 sans compression évidente. Le patient
ne souhaite pas d’opération, la poursuite du traitement
antalgique est proposé, avec suivi radiologique en raison du risque de déviation scoliotique secondaire en
rapport avec l’absence de prise en charge de cette fracture de façon précoce.
Figure 9 : CT Scan - Cas n°7 - De profil, fracture déplacement S1-S2 du
sacrum.
transverses de L4, L5 et, si c’est le cas, de rechercher
une fracture de la charnière lombosacrée avec un examen tomodensitométrique. En effet, l’association est
fréquente tant dans nos observations que dans les cas
rapportés.
Le scanner de la charnière lombosacrée et du sacrum
en coupes coronale et sagittale apparaît l’examen
essentiel pour bien analyser les traits de fractures,
traits pouvant passer par les facettes articulaires, les
trous de conjugaison, d’où sortent les racines. Il permet aussi d’apprécier la verticalité ou l’horizontalité
de ces traits de fractures. La présence d’un fragment
osseux comprimant une racine est importante à reconnaître pour décider d’une décompression. Plus les
traits de fractures sont verticaux au niveau du sacrum
et des facettes articulaires, plus l’instabilité de la charnière risque d’être importante.
7ème cas : Mme ERA... née en 1966 fait une chute d’un
étage dans des circonstances mal définies, le 24 Mars
2002. La patiente n’a aucun trouble neurologique. Le
bilan radiologique montre la présence d’une fracture
de T12, du sacrum en S1-S2 (Figure 9) et une fracture
de l’astragale. Seule la fracture de T12 est opérée par
voie antérieure. En Juillet 2003, la patiente a repris son
activité et se plaint surtout de la fracture du calcanéum. La fracture du sacrum est consolidée.
L’utilisation des classifications de ces fractures peut
permettre d’établir une conduite thérapeutique.
Discussion
La description des fractures de la charnière lombosacrée est récente (34). Peu de cas sont publiés et chaque
fois les auteurs rapportent leur propre expérience (5, 6,
7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 20, 22, 23, 25, 27, 28, 30,
31). Le diagnostic n’est pas toujours facile à faire en
urgence, en raison de la mauvaise qualité fréquente
des clichés radiographiques de cette région. Il est
important de rechercher une fracture des apophyses
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
En dehors des fractures de type I, habituellement stables, les autres types de fractures ont en effet un fort
potentiel d’instabilité.
L’IRM est surtout utile pour faire l’analyse des parties
molles et des plexus lombosacrés (3, 20) en particulier
lors de l’association à des fractures pelviennes et la
présence de troubles neurologiques ; il peut s’agir d’un
198
Les fractures de la charnière lombosacrée et du sacrum...
rieure complémentaire peut être proposée avec une
arthrodèse L5-S1 soit avec de l’os (péroné ou os iliaque)
plus ostéosynthèse (17), soit avec de l’os seul ou une
cage intersomatique comme dans l’un de nos cas.
simple étirement des plexus lombaires ou d’une rupture rachidienne, ou plus souvent d’une compression par
hématome.
Sur l’IRM, la présence d’une pseudoméningocèle est
le signe pathognomonique d’un arrachement plexique.
La radiculographie n’est actuellement plus utilisée
mais elle peut être utile en cas de doute sur un arrachement plexique.
Cette approche antérieure nous semble indispensable
lors d’une réduction incomplète, pour renforcer le
nouveau bloc charnière lombosacrée et essayer d’améliorer la réduction.
Les fractures isolées du sacrum sont rarement responsables de troubles neurologiques ; sur une analyse de
377 cas, Pohlemann T et al. (26) montre que la plupart
des troubles neurologiques sont dus à l’instabilité pelvienne associée, surtout sacro-iliaque, plutôt qu’à la
fracture spécifique du sacrum.
La méconnaissance d’une fracture articulaire lombosacrée peut entraîner une consolidation en mauvaise
position et le risque d’évolution vers des douleurs
chroniques, et une modification de la statique rachidienne comme pour notre observation n°6.
Le traitement de ces fractures a été longtemps conservateur, avec alitement prolongé (6 semaines environ) ; parfois essai de réduction orthopédique sous anesthésie
générale, avec risque d’aggravation neurologique, ensuite traction avec genou et hanche fléchis à 90° pendant 45
jours, puis corset pendant deux mois. Chez l’enfant et
l’adulte jeune, néanmoins, ce traitement peut être proposé avec de bons résultats (4, 24). Chez l’adulte, malgré
quelques bons résultats (22) il apparaît assez rapidement
des douleurs chroniques lombosacrées, d’approche thérapeutique difficile. En l’absence de troubles neurologiques, du fait de fractures complexes, la consolidation
peut être obtenue spontanément par traitement conservateur malgré des contrôles radiologiques très imparfaits
(22) avec persistance du glissement L5-S1.
Lors d’une disjonction sacro-iliaque importante (2)
associée, une fixation transversale iliaque doit être
envisagée afin de renforcer la stabilité lombosacrée
(29). Les disjonctions de la symphyse pubienne ne doivent pas être négligées si elles sont importantes et là
aussi une réduction et fixation de l’anneau pelvien doit
être faite (9). L’utilisation d’un fixateur externe pelvien
peut parfois être nécessaire après fixation postérieure
L5-S1 (31) lors de fracture pelvienne associée.
Les fractures du sacrum sont souvent négligées en dessous de S1-S2. Si une compression radiculaire par
fragment osseux, est mise en évidence, une laminectomie sacrée peut être faite (9).
Dans la série de Pohlemann (26) seulement 10 fractures du sacrum (sur 377) ont nécessité un geste chirurgical postérieur sans précision de celui-ci.
Avant 1976, les patients opérés bénéficiaient essentiellement d’une libération radiculaire suivie d’une
arthrodèse et d’un alitement prolongé.
Actuellement, le geste chirurgical consiste en une
ostéosynthèse après réduction et libération suivie
d’une arthrodèse. L’alitement reste souvent long de 4 à
6 semaines en raison d’autres problèmes fracturaires
du bassin plus ou moins déplacé. Tous les patients
bénéficiait ensuite d’un corset pendant une durée
moyenne de deux mois.
L’amélioration du matériel d’ostéosynthèse et les progrès
techniques conduisent pour la plupart des auteurs à un
abord chirurgical de ces fractures. Un abord classique
par voie postérieure simple pour un spondylolisthésis
post-traumatique est réalisé, avec ostéosynthèse lombosacrée et greffe postérolatérale. Cependant, dans ce type
de fracture une arthrodèse intersomatique par cages
complémentaires L5-S1 peut être discutée si cela est
possible en l’absence de fracture corporéale associée.
Conclusion
Il faut retenir la rareté des fractures de la charnière
lombosacrée. Il faut cependant y penser, en particulier
en présence d’une fracture des apophyses transverses ;
dans ce cas, ne pas hésiter à faire un scanner centré sur
Du fait de fractures complexes, la fixation réduction du
listhésis n’est pas toujours aussi simple, il faut parfois
se contenter d’une fixation en place avec une arthrodèse postérolatérale. Dans quelques cas, une voie antéRACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
199
J. Godard
retardé de quelques jours voire un mois, en particulier
chez les polytraumatisés, afin d’éviter une consolidation en mauvaise position et la persistante de compression et d’étirement radiculaire.
Un seul cas de reprise chirurgicale (13), 200 jours
après le traitement, a été rapporté, de façon efficace
mais il s’agissait d’un spondylolisthésis post-traumatique simple (comme notre cas n°2).
■
la charnière lombosacrée. Chez l’enfant, un traitement
orthopédique peut être tenté avec succès, mais en cas
d’échec, il ne faut pas hésiter à proposer une intervention chirurgicale. Chez l’adulte, en présence d’une
instabilité suite à une fracture de la charnière lombosacrée, le traitement chirurgical doit être proposé afin
d’éviter une évolution des lésions instables et la survenue de douleurs chroniques. Le traitement peut être
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