ARTICLE ORIGINAL HISTOIRE DE LA CHIRURGIE DU RACHIS JEAN-MARC FUENTES L’héritage gréco-égyptien nous donne, grâce à Hérophile (325 ou 340-255 av J-C) et Erasistrate (310 ou 330-250 av J-C), le siège de la pensée dans le cerveau et la notion que les nerfs (dissociés des tendons) sont conducteurs de l’influx moteur et de la sensibilité. Les dissections reprendront de manière ponctuelle (Montpellier : 1342), puis surtout avec Vésale, 1800 ans plus tard. C’est la deuxième grande amnésie. Dans la Bible, dans la lutte de Job contre l’Ange, il est clair que le rôle moteur du nerf sciatique est connu (Genèse 32 :25-32). En résumé le rôle du cerveau, de la moelle épinière contenue dans le rachis et des nerfs est bien identifié dés le 2ème siècle avant J-C. i l’histoire moderne de la chirurgie du rachis ne démarre réellement qu’avec l’invention de la radiologie par Konrad Röntgen (1895) et les travaux de Semmelweis (1847) et Lister avec l’emploi des antiseptiques (1867), on trouve dans les siècles précédant le 20ème siècle une série d’observations pertinentes sur la pathologie rachidienne. La première allusion à une fracture du rachis cervical avec troubles neurologiques se trouve dans le papyrus Smith. S LE PAPYRUS SMITH Le papyrus Smith (du nom de son acquéreur) est une copie de documents plus anciens effectuée vers 1650 avant Jésus Christ sous le règne du pharaon Hyksos Auserré au milieu du XVIII ème siècle av. JC. Il est constitué de 22 colonnes. Les 17 colonnes du verso sont un traité de chirurgie traumatologique et les observations 31, 32 et 33 traitent des fractures du rachis cervical. La tétraplégie y est décrite avec son pronostic sombre : “Instructions concernant une luxation dans une vertèbre du cou. Si tu examines un homme ayant une luxation dans une vertèbre de son cou, et si tu trouves qu’il n’a plus le contrôle de ses deux bras et de ses deux jambes à cause de cela, alors que sa verge est en érection à cause de cela, et que l’urine tombe de son membre sans qu’il en ait conscience ; sa chair par ailleurs a reçu de l’air et ses yeux sont remplis de sang ; c’est une luxation d’une vertèbre de son cou, s’étendant jusqu’à sa colonne vertébrale, qui est cause qu’il n’a plus le contrôle de ses deux bras et de ses deux jambes. Et si c’est la vertèbre du milieu de son cou qui est luxée, c’est une émission de sperme qui survient à son membre. Tu diras à son sujet : un homme qui Jean-Marc Fuentes - Montpellier Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007 a une luxation dans une vertèbre de son cou, tandis qu’il n’a plus le contrôle de ses deux jambes et de ses deux bras et que son urine s’échappe goutte à goutte, c’est une maladie pour laquelle on ne peut rien faire”. Dans les autres cas le repos allongé est conseillé ainsi que le traitement des plaies par bandages enduits de gomme ou de résine. Les vertus hémostatiques de la viande fraîche sont maintes fois signalées en application locale sur les plaies récentes. Rappelons que Harvey Cushing emploiera des muscles de pigeons dans ses interventions crâniennes et que cette pratique se maintiendra jusqu’en 1960. Les soins étaient pratiqués par des médecins spécialistes issus d’une formation familiale et de la fréquentation de Maisons de Vie (regroupant différents intervenants réputés), et parfois des prêtres (comme les prêtres de Sekhmet) s’il faut en croire Strabon. A noter que nombre de momies de nos musées et du British Museum sont porteuses d’une atteinte par tuberculose vertébrale (qui sera décrit par Percival Pott, 1714-1788) et rénale avec lithiases calicielles. De même on constate chez elles des fractures rachidiennes par chute de char ou de cheval ou d’accidents de chantiers, et des déformations scoliotiques. Du fait que ces manuscrits ont été copiés sur plusieurs siècles, on va observer comme pour notre Moyen-âge, une sclérose lente de la pensée médicale en Egypte car il était hors de question pour les médecins de l’époque de s’écarter de ces recommandations. La renaissance Hérophile viendra avec d’Alexandrie 1300 ans plus tard. Première grande amnésie, au fil du temps nous en verrons d’autres cas. HIPPOCRATE 460-377(ou 356) av. J-C Il fit un long séjour en Egypte (Memphis). Ses connaissances anatomiques et son expérience thérapeutique proviennent de l’observation de cadavres de guerriers tués au combat dans les nombreux conflits de l’époque (fin des guerres médiques, conflits entre cités : guerre du Péloponnèse), et probablement de dissections animales. Il s’intéressa aux fractures sans troubles neurologiques mais avec cyphose évolutive. Le patient était étendu sur le ventre et placé en traction par le jeu de deux rouleaux crantés. Le praticien s’asseyait sur le dos du patient ou lui transmettait la force de son propre poids par l’intermédiaire d’une planche. En décubitus dorsal il était conseillé de placer une outre pleine d’eau sous le sommet de la cyphose. Cette même idée sera reprise par Rauchfuss (1835-1915) et Bohler (1885-1973) en utilisant un cadre pour réduction posturale. Cette technique connue sous le nom de la planche d’Hippocrate est relayée par celle dite de l’échelle dans laquelle le sujet attaché sur une échelle est suspendu par les pieds. Outre la description des cyphoses post-traumatiques le traité des articulations du Corpus Hippocraticum (72 livres dont 6 consacrés à la chirurgie) fait état des scolioses, des fractures d’épineuses, des sidérations médullaires (concussion) et des dislocations vertébrales, de la douleur sciatique. ALEXANDRIE Par la pratique des autopsies de criminels, autorisées par Ptolémée I Soter (dit le sauveur, 323-283 av J-C), cette ville fut durant 40 ans le berceau des pères de l’anatomie (Hérophile) et de la physiologie (Erasistrate). Ptolémée II Philadelphe groupa tout le savoir d’alors dans une bibliothèque de 500 000 volumes. 14 L’HÉRITAGE GRECO-ROMAIN Les compilations de Celse (De re medica) écrites pendant le règne de Tibère (14-37 ap.J-C) n’amènent rien de plus sur le rachis GALIEN (129 ? [130 ou 138]-200 [ou 201] après J-C) Né à Pergame, il décrivit correctement la colonne vertébrale avec 24 vertèbres. Mais son décompte de 58 nerfs rachidiens est faux (29 paires, alors qu’il y en a 31). Sa connaissance de la pathologie traumatique lui viendrait de ses fonctions de médecin des gladiateurs et surtout de ses vivisections animales. En effectuant des sections étagées de la moelle chez le singe et le cochon il évalua le type de déficit d’autant plus sévère que la lésion est plus haut située. Il isole les cyphoses, les lordoses, les scolioses et comme Hippocrate rattache certaines cyphoses à la présence de “tubercules” dans les poumons. Le pronostic étant meilleur dans les localisations sous-diaphragmatiques en raison de la possibilité d’évacuation spontanée d’abcès ossifluents dans le pli de l’aine. Il fit un voyage d’étude à Alexandrie qui lui permit de connaître les travaux d’Hérophile. Mais comme les dissections de corps humains étaient interdites, beaucoup de ses extrapolations de l’animal à l’humain sont entachées d’erreur. Ainsi, concernant le sacrum, il décrit 3 ou 4 pièces sacrées et 3 vertèbres coccygiennes. Au 4ème siècle, Aurelianus Caelius décrit la douleur sciatique et ses traitements empiriques. APRÈS LA CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN D’OCCIDENT, En 476, (invasions des 3ème, 4ème, 5ème et 6ème siècles dénommées à présent Grandes Migrations), le refuge de la pensée médicale fut pour un temps l’empire d’Orient (395-1453) et le médecin byzantin Paul d’Egine (VII ème siècle) dans son sixième livre consacré à la chirurgie guidera les opérateurs médiévaux. La connaissance médicale va donc se trouver concentrée jusqu’à la Renaissance dans les travaux d’Hippocrate et de Galien diffusés par Celse (25 av-JC-50 apJC) et Paul d’Egine. Ces compilations gréco-latines seront traduites en arabe quand les partisans de Mahomet (Hégire, 622) déferleront sur le bassin méditerranéen. Dès 830 les Aphorismes d’Hippocrate et les œuvres de Galien font l’objet de traductions et d’apports personnels par Rhazès, Avicenne, Ali Abbas, Abulcasis, Avenzoar, Averroès. L’ouvrage de techniques chirurgicales le plus complet est le Kitab al-Tasrif d’Abulcasis (Abu’l Qasim Khalaf ibn Abbas Az-Zahrawi, né à Cordoue en 926) avec le traitement des fractures et luxations vertébrales ainsi que celui des caries rachidiennes. Les médecins arabes vont sauvegarder les enseignements grecs et latins, qui parviendront en Europe par les traductions des arabisants. LE MOYEN-ÂGE (987-1460 pour Georges Duby) En 1150 Gérard de Crémone donne une version latine de la Chirurgie d’Abulcasis. Vers 1235, le catalan Arnold de Villeneuve traduit les textes d’Avicenne et d’Avenzoar. La chirurgie en générale était faite par des barbiers chirurgiens dont l’enseignement était assuré par compagnonnage. L’enseignement de l’Anatomie était mené par de rares dissections (Montpellier, Padoue, Salerne, Paris, Bologne : 4 à 5 par an, en hiver, sur des criminels suppliciés) commentée du haut d’une chaire par un enseignant qui lisait des passages de Galien en donnant quelques indications à un démonstrateur d’anatomie qui effectuait la dissection. Les auteurs d’ouvrage consacré à la chirurgie de l’époque : Henri de Mondeville (1260-1320 : Cyrurgia) et Guy de Chauliac (1300-1368 : La Grande Chirurgie ou Guidon (1363) ne traitent pas de la pathologie vertébrale de manière originale. XVI ÈME SIÈCLE ET RENAISSANCE VESALE André (1514-1564) Dans sa description de la colonne (De Humani Corpori Fabrica, 1543) et les illustrations de Van Calcar, on retient l’identification du couple atlas-axis dans la rotation de la tête sur le cou ; par contre il retient 34 vertèbres puisque, pour lui, le sacrum est formé de 6 pièces (5 pièces pour Léonard de Vinci) et le coccyx par 4 osselets cartilagineux. La colonne vertébrale (dorsum) est représentée sans courbures. Les trous de conjugaison sont dénommés foramina nervi emittendis parata. La moelle épinière est décrite jusqu’au canal sacré (elle s’arrête en L1-L2), les paires de racines rachidiennes sont au nombre de 30 et dessinées horizontales (elles sont obliques), le canal épendymaire est omis (redécouvert par J-B Sénac en 1724), les sillons antérieur et postérieur et surtout les renflements cervicaux et lombaires sont négligés. La même année, Copernic (1543) sort la compréhension du monde céleste de l’interprétation d’Aristote avec son ouvrage De Revolutionibus Orbium Celestium. PARÉ AMBROISE (1517 ou 1510 -1590) Pourfour du Petit, chirurgien de l’armée des Flandres, décrit en 1727, soit 125 ans avant Claude Bernard et 142 ans avant Horner, les conséquences oculaires de la section du nerf sympathique cervical. En 1728, Pierre Chirac crée le diplôme de Médecin-Chirurgien scellant la scission complète entre barbier-chirurgien et chirurgien. Le collège Royal de Chirurgie fut fondé en 1741. En 1745, William Cheselden obtien- dra le même résultat en Angleterre. Dans son travail consacré à l‘ostéologie (Osteologia) il décrivit les courbures normales de la colonne vertébrale et les cypho-scolioses. En 1747, Lapeyronie légua au Collège, l’hôtel Saint Côme avec un amphithéâtre d’anatomie à Montpellier. Cotugno [Domenico Felice Antonio (1736-1822)] en 1764 décrit la névralgie sciatique et la cruralgie (De Ischialde Nervosa Commentarus), Suivant les armées des guerres d’Italie, il eut à traiter des lésions traumatiques rachidiennes et décrivit une méthode de réduction en suspendant le patient par la partie supérieure de son corps, les membres inférieurs pendants dans le vide. On lui devrait le terme de trou de conjugaison (les nerfs sortent de la colonne par paires qui se conjuguent de chaque côté). Relevons encore une fois la conjonction fertile de la guerre et de la chirurgie Cela se vérifiera dans le dernier conflit européen de 1939-1945 avec Seddon et Gutman. Relevons aussi la probité de Maître Amboise Paré de Laval qui répondit à Henri II, qui l’exhortait à s’occuper de lui mieux que de ses autres patients, que c’était impossible car il les soignait tous comme des rois. XVII ÈME SIÈCLE Borelli Giovanni Alfonso (16081679) Dans De Motu Animalium étudie les articulations du rachis et reconnaît le rôle essentiel des disques. Il montre que le centre de gravité est situé en avant de la première vertèbre sacrée (en 1990, White et Panjabi le placeront 4 centimètres en avant de S1). En 1695, A.M. Vasalva, décrit le liquide céphalo-rachidien. Dans ce siècle William Harvey (1578-1657) découvre la circulation sanguine, Marcello Malpighi (16281694) la circulation capillaire, Antonie van Leeuwenhoek (16321723) le microscope, Thomas Willis (1621-1675) la vascularisation cérébrale. XVIII ÈME SIÈCLE Le siècle des Lumières Dionis dans sa Cinquième démonstration au jardin royal (cours “à portes ouvertes et gratuits” donnés entre 1673 et 1706) (Cours d’opérations de chirurgie démontrées au Jardin Royal) évoque le traitement des gibbosités par des corsets ingénieux. Il compte 30 vertèbres et sépare les déformations rachidiennes de causes externes (traumatismes, activités pénibles) des causes internes (relâchements des ligaments). Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007 15 avec une interprétation erronée sur leurs origines (irritation des gaines par des agents nocifs). En 1779, Pott fait la description restée classique, des paralysies consécutives à la tuberculose rachidienne. Herbineaux en 1782 reconnaît le spondylolisthésis comme facteur d’obstacle aux accouchements. Sir Percival Pott (1713-1788) et Clyne préconisent le drainage des abcès tuberculeux para-vertébraux, mais les infections post-opératoires constituent un obstacle considérable au début de la chirurgie rachidienne puisque le malade de Clyne, qui effectua la première laminectomie en 1814, décéda d’infection. Ne quittons pas le 18ème siècle sans rappeler que Nicholas André, en 1741, forge le terme orthopédie (orthos : droit et paideiaterme provenant du mot pais, enfant) qui va désigner cette partie de l’art médical dédié à la correction des déforma- ARTICLE ORIGINAL tions du corps. Le frontispice de son traité L’orthopédie (1741, Paris) qui représentait un échalas redressant un jeune plant tordu, deviendra le logo de nombreuses sociétés d’orthopédie et de groupe d’étude de la scoliose. XIX ÈME SIÈCLE En 1804, Rousset cité par Dubarry note les troubles sensitifs apparaissant lors des douleurs sciatiques. Charles Bell (1774-1842) distingue la paraplégie flasque de la paraplégie spastique, la phase du choc spinal est identifiée avec ses conséquences urinaires et rectales. En 1816, il dénoncera et condamnera la laminectomie en raison de ses mauvais résultats. En 1829, Alban Gilpin Smith (1788-1869) réalise, avec succès, la première laminectomie lombaire en Amérique du Nord pour fracture avec aggravation secondaire. En 1841, Valleix note que la douleur sciatique peut-être réveillée par pression sur le trajet du nerf. Entre 1846 et 1848, BrownSéquard (1817-1894), décrit le tableau clinique de l’hémi-section de la moelle cervicale qui porte son nom. En 1864, Lasègue précise une manœuvre permettant de diagnostiquer la souffrance du nerf sciatique. Malgaigne (1806-1865) préconise la trépanation du canal rachidien pour enlever les séquestres osseux compressifs ouvrant la voie à William Mac Ewen (1848-1924) qui guérit son malade porteur d’une compression médullaire (probablement une épidurite tuberculeuse) par laminectomie en 1883. En 1853, Desormenaux considéré comme le père de l’endoscopie, perfectionne le matériel de l’époque en utilisant des lentilles et un liquide alcoolique pour améliorer la luminosité. En 1856 Chassaignac recommande le drainage des voies d’abord. Les travaux de Semmelweis (18181865) et de Pasteur (1822-1895) sur l’asepsie, de Lister (18821912) sur l’antisepsie (1867) vont permettre le développement de la chirurgie. En 1882, Robert Koch isole le bacille tuberculeux mais l’antibiothérapie ne sera disponible que 60 ans plus tard. En 1891, Hadra (1842-1903), réalise probablement la première ostéosynthèse du rachis cervical en effectuant un laçage au fil d’argent entre C6 et C7. Victor Horsley (1857-1916) en 1887 réussit l’ablation d’une lésion d’origine méningée sur les indications de sa localisation proposées par William Gowers, chez un patient de 42 ans. Entre 1893 et 1895 il opèrera 3 patients pour des pachyméningites tuberculeuses et 4 autres patients pour traumatismes cervicaux par laminectomies. En 1891, Abbe ponctionne un kyste médullaire syringomyélique. En 1893, Chipault précise la topographie vertébro-médullaire à partir des processus épineux comme repères. Il décrira une voie d’abord trans-orale qui ne sera utilisée Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007 qu’en 1918 par Lefort puis par Fang et Ong en 1962. En 1895, Wilhelm Konrad Röentgen, décrit les rayons X. En juin de la même année Harvey William Cushing (1869-1939), le fondateur de la neurochirurgie moderne, décroche son diplôme de médecin. Ménard V., toujours en 1895, réalise les premières costo-transversectomies dans les paraplégies pottiques avec drainage latéral. En 1897, il indique qu’une aréflexie achilléenne peut accompagner certaines douleurs sciatiques. XX ÈME SIÈCLE Bohler (1885-1973) précise les règles de la réduction orthopédique des fractures et planifie un programme de rééducation en lordose. L’invention des Rayons X par Röntgen en 1895 sera pleinement exploité par Sudeck,un élève de Bohler, (1866-1945) et surtout par Davis qui demandera systématiquement un cliché de face et de profil dans l’inventaire des fractures rachidiennes (premier cliché de profil de la colonne en 1925 ! Auparavant, les radiographies étaient prises de face uniquement). En 1904, Déjerine, Lortat-Jacob décrivent la “sciatique radiculaire”. En 1911, Albee, réalise des fusions postérieures inter-épineuses avec des greffons autologues tibiaux. La même année Hibbs Russel met au 16 point sa technique de greffe postero-latérale avec décortication, pour le traitement de la scoliose et du mal de Pott. Elsberg en 1916 codifie la laminectomie bilatérale et insiste sur la fermeture étanche de la dure-mère en cas d’exploration intra-thécale. Toujours en 1916 QueckenstedtStookey décrivent une méthode manométrique permettant de mesurer la pression du liquide céphalorachidien et de déceler un blocage des espaces sous-arachnoïdiens. En 1921 Sicard et Forestier utilisent la bascule d’une bille de lipiodol pour localiser les compressions médullaires. Cette technique sera utilisée jusqu’en 1965 pour être supplantée par la myélogra- phie gazeuse et les hydrosolubles iodés en 1970 (Pantopaque, Dimer X). Ces deux techniques co-habiteront jusqu’en 1975. C’est à partir de la 3ème décade du XXème siècle que l’histoire moderne de la chirurgie du rachis va démarrer et imploser dans des directions couvrant toute la pathologie de la colonne vertébrale. HISTOIRES DES DYNASTIES (1932 à nos jours) La Dynastie du Disque Intervertébral 1932 : Le disque lombaire Mixter (William Jason Mixter, 1880-1958) opère un malade de 27 ans porteur d’une hernie discale L5-S1 gauche en 1932 et “référé” par Joseph S. Barr. En 1934, Mixter et Barr présentent une série d’observations similaires et reconnaissent l’origine discale des enchondromes, nodules de Schmorl et autres dénominations de l’époque, dans un papier resté célèbre de la New England Surgical Society. Ralph B. Cloward (1908-2000), présent lors de l’attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941, eut à traiter les “low-back pain” des reconstructeurs de la base ; dès 1943 il développa les PLIF (arthrodèse intersomatique par voie postérieure), publiées en 1953 dans le Journal of Neurosurgery. Son intérêt pour le rachis cervical lui fit développer une instrumentation originale pour les arthrodèses par voie antérieure (1958). Sans modestie il se surnommait luimême “le Michel-Ange” de la neurochirurgie. En 1975 Shealy, puis Mac Culloch (1980) et Bogduk (1987) popularisent la thermocoagulation facettaire par radio-fréquence. Les prothèses discales lombaires apparaissent en 1980, imaginées par Schellnac et Buttner (ex-RDA) et implantées pour la première fois par Zippel en 1984. Le disque cervical La chirurgie par voie antérieure du disque cervical débute aux USA en 1955 avec Robinson et Smith et en Europe avec Dereymaker et Munier en 1956. En 1957, Cauchoix, Binet et Evrard proposent l’abord antérieur de la jonction cervico-dorsale par cervico-sternotomie. En 1970, Orosco et Lovet imaginent l’ostéosynthèse par plaque antérieure vissée des lésions traumatiques du rachis cervical. Jacques Sénégas en 1972, P. Galibert et P. Grunewald et W. Caspar perfectionnent la technique. Les cages de fusion apparaissent en 1993 (G. Robert, P. Kehr, Weidner), rapidement déclinées en titane (Bagby et Kuslich, Harms, J. Benézech, 1997) ou en carbone (Ray) puis en peek avec des masselottes de substituts osseux. La recherche sur les protéines ostéo-inductrices (BMP) et leurs applications cliniques permettent de diminuer les risques de pseudarthroses. Après les années arthrodèses, en 1989, Brian Cummings imagine une prothèse métal-métal (Bristol disk), idée reprise en 1990 par Vincent Bryan. Les sténoses rachidiennes 1949. Henk Verbiest dans son Hommage à Clovis Vincent précise le rôle du canal lombaire étroit dans la claudication neurologique intermittente et José Aboulker en 1965 fait une revue des causes des myélopathies cervicales d’origine rachidienne. La Dynastie du vissage pédiculaire Raymond Roy-Camille (1927-1994) En 1963 il introduisit le vissage Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007 pédiculaire “droit devant”, à un moment où les plaques de Wilson et de Meurig-Williams posées sur les épineuses étaient plus qu’insuffisantes. Le principe du droit devant fut peu à peu modifié (René Louis, Argenson, JM Fuentès, Magerl, Dick, Kluger, Weinstein) pour être actuellement plus oblique en dedans avec une porte d’entrée plus haute et plus externe. Initialement les montages rigides (toujours d’actualité dans le traitement des tumeurs et en traumatologie) se sont complétés par les ostéosynthèses semi-rigides (B. Lasalle, G. Perrin, R. Cavagna, Ch. Mazel), puis dynamiques (Gilles Dubois, 1994). En même temps Jacques Sénégas développe l’implant inter-épineux flottant dans les sténoses lombaires (1986), idée qui verra une seconde naissance avec le X-Stop en 2004, 18 ans plus tard. La dynastie des déformations rachidiennes En 1958, Harrington, développe un matériel de réduction par voie postérieure des scolioses. Eduardo Luque (1982) propose des laçages sous-lamaires pour réduire de manière poly-segmentaires les déformations rachidiennes. Un développement avec le Hartshill System sera abandonné en raison d’une incidence élevée de troubles neurologiques. La même année, Cotrel et Dubousset, généralisent la dérotation avec un matériel original qui rendra également d’énormes services en traumatologie pour les réductions difficiles. En 1964, Dwyer, propose la correction des scolioses par voie antérieure, suivi par Zielke en 1975 et Kaneda en 1991 (dérotation ventrale). L’abord antérieur thoracolombaire avait été prôné dès 1955 par Hogdson. Les travaux de Passuti, Chopin, Stagnara, Guillaumat, Nachemson, Weinstein, Kostuik, Lonstein ont permis une meilleure compréhension des problèmes sans oublier la contribution de Roussouly et Duval-Beaupère sur les troubles de l’équilibre sagittal. La cimentoplastie voit le jour en 1984 avec Galibert et Deramond. La kyphoplastie apparaîtra quelques 12 ans plus tard (1996). Primitivement destinée au traitement des hémangiomes vertébraux, les indications de la vertébroplastie furent élargies au traitement percutané des métastases et des tassements ostéoporotiques. LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU XXÈME SIÈCLE des lésions du rachis thoracique (hernie discale dorsale, métastases) et lombaire par Regan (1994), Rosenthal, Mario Brock, Zdeblik (1995) et Le Huec (1996). LE FUTUR 1970-1973 : Début de l’utilisation du scanner (Godfrey N Hounsfield, AM Cormack et Ambrose James) en utilisant les travaux d’Oldendorf (1961). 1980 : l’angiographie médullaire (René Djindjian) et la phlébographie complètent l’approche diagnostique et thérapeutique (embolisation des tumeurs très vascularisées et des malformations vasculaires). 1983-1986: l’IRM rachis-médullaire. Le principe en est définit en 1946 par Bloch et Purcel, puis développé par Damadian en 1971 et les premières images utilisables en 1974 par Lauterbur. Outre les services rendus en pathologie tumorale, infectieuse, elle est devenue indispensable en pathologie dégénérative (Modic M, 1991). La neuronavigation rachidienne, la radiothérapie guidée par ordinateur sont les acquis les plus récents, ainsi que la fluoro-navigation. La chirurgie du rachis est en passe de devenir une sur-spécialité. Exercée par deux corporations issues de la neurochirurgie et de l’orthopédie, elle sera bientôt une spécialité en soi. Les ateliers de formation générés par la Société Francophone de Neurochirurgie du Rachis et par la Société Française de Chirurgie du Rachis, l’enseignement d’un DIU, sont autant de garanties pour assurer l’avenir de cette spécialité à hauts risques. Il n’était pas inutile de rappeler ses origines et les hommes-phares qui ont été ses pères. Les rapports de la médecine avec l’argent, la gloire, les responsabilités civiles ou pénales, la formation et les guerres ont toujours été depuis le début des zones d’ombres. L’argent était déjà un problème pour Mondeville qui exigeait d’être payé sitôt le soin prodigué. Les implications entre l’industrie des matériels et les concepteurs laissent à penser qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. La gloire de soigner les grands de son temps (Vésale fut médecin de Charles Quint, Guy de Chauliac des Papes d’Avignon) une tentation forte mais dangereuse en cas d’échec. Hippocrate refusa de soigner Xerxès car en cas de nonrésultat la mort du médecin pouvait s’en suivre. Pétrarque traita Guy de Chauliac de “vieillard prétentieux et impuissant” quand sa divine Laure fut emportée dans une épidémie de peste alors qu’il avait trépané avec succès le pape Clément VI pour des céphalées. On a vu des morts professionnelles dans certains procès récents. Les progrès de la chirurgie suivent les guerres, faut-il continuer les conflits armés de par le monde pour pouvoir sauver d’autres vies ? Amboise Paré fut écarté de la Faculté de Paris car il ne parlait pas latin. Certaines carrières de notre époque rappellent cet ostracisme car il faut apprendre un nouveau latin. Combien d’idées fécondes ont été redécouvertes plusieurs siècles plus tard. Et si on faisait le compte de celles qui ont été définitivement perdues dans l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie et les grands holocaustes modernes ? ■ L’ANTIBIOTHÉRAPIE ET LA RÉÉDUCATION RÉFÉRENCES Associée aux techniques et voies d’abord mini-invasives avec Mayer (1996) et Onimus (1996) elle a donné un nouvel essor à la chirurgie rachidienne de la dernière décade du 20ème siècle avec le développement également de la chirurgie per-cutanée (ostéosynthèses et arthrodèses intersomatiques percutanées). HISTOIRES PARALLELLES Il n’est guère possible de dissocier l’histoire de la Chirurgie en général et celle de la Chirurgie du Rachis en particulier, sans y associer l’essor de l’anesthésie et de l’imagerie. L’ANESTHÉSIE Les progrès de l’anesthésie générale d’abord par inhalation (éther, chloroforme), puis par voie veineuse, la pratique de l’intubation endo-trachéale (1914-1918) finiront par supplanter l’anesthésie locale qui perdurera quelque temps en neurochirurgie crânienne (un assistant de Bohler, Schneck, l’utilisait dans les réductions de fractures rachidiennes). L’emploi des curares se généralisant permettra également un plus grand confort opératoire. L’IMAGERIE RACHIDIENNE Elles complètent l’arsenal thérapeutique du chirurgien du rachis. LA CHIRURGIE MÉDULLAIRE La chirurgie endoscopique rachidienne Elle débute en 1983 (Forst et Haussmann) par la nucléotomie par voie postérieure interlamaire (J. Destandau) ou par voie transforaminale (Mathews, 1996). Avec le perfectionnement des endoscopes elle sera élargie aux traitements (1911), Eiselberg (1913), Horrax (1939), Sloof (1964). Elle va devenir une technique sûre avec le microscope opératoire (vulgarisé par Yasargil), la coagulation bipolaire (Greenwood 1940, Malis), le laser (Hermann, 1988), le bistouri ultra-sonique, l’échographie peropératoire. Les grands pionniers furent Cushing (1905) Elsberg 17 Aboulker J, Metzger J, David M, Engel Ph, Ballivet J. Les myélopathies cervicales d’origine rachidienne. Neurochir, 1965,11 :89-198. Aminoff MJ. Brown-Séquard and his work on the spinal cord. Spine, 1996,21: 113-140. Argenson C, Lovet J, Peretti F (de),Vidal H, Frehel M, D’Hondt. Evolution de la fixation chirurgicale des arthrodèses lombo-sacrées. Rev Chir Orthop 1990;S1:103 Benini A. Historical Perspective: Andreas Vesalius. Spine, 1996,21:1388-93. Boni Th, Benini A., Dvorak J. Domenico Felice Antonio Cotugno. Spine, 1994;19:1767-1770. Calot JF. Sur les moyens de corriger la bosse du mal de Pott, d’après 37 opérations et sur les moyens de la prévenir. Archives Provinciales de Chirurgie. Paris 1897 ;6 :65-79. 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