Ciné-concert
Contes fantastiques
Classe de composition pour l'image
de Gilles Alonzo et Serge Vella
Département de musique de chambre
Agnès Sulem & Dana Ciocarlie, responsables du département
Avec la participation de
Emma Gibout & Romance Leroy, violon
Axelle Tahiri, alto
Justine Pierre, violoncelle
Kanami Nishimoto, piano
En résonance avec le Festival Quais du Polar
4 films de Raul Garcia d'après Edgar Allan Poe
Sur une musique de Hadrien Bonardo
La chute de la maison Usher
Le cœur révélateur
Sur une musique de Louis Chenu
Le Puits et le Pendule
Le Masque de la Mort Rouge
Ces courts métrages, adaptés de célèbres nouvelles d'Edgar Allan Poe, donnent l'occasion de
découvrir un habile faiseur d'images, l'animateur espagnol Raul Garcia. Ses univers graphiques
variés illustrent à merveille le monde gothique et torturé du célèbre écrivain américain. Une
curiosité qui vaut le détour, surtout pour les amateurs de fantastique, amplifiée par la création
musicale des étudiants de la classe de musique pour l'image du CNSMD de Lyon, qui assurent
une forme d'identité sonore aux quatre films et maintiennent le spectateur en alerte.
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La chute de la maison Usher ouvre le bal. Probablement le plus classique de tous, il est animé
en 3D, et les personnages, de par leurs formes caricaturales rappellent l’univers de Tim Burton
Le cœur révélateur est la pépite de cette anthologie car son univers graphique détonne au
milieu de toutes les relectures gothiques. Transposition animée de l’adaptation dessinée
d’Alberto Breccia, l’image composée exclusivement d’aplat noir et blanc présente un univers
contemporain du nôtre. L’angoisse des personnages est palpable via les images et la
dimension claustrophobe du huis-clos est très efficace.
Autre grand classique, Le puits et le pendule marque surtout pour sa qualité graphique, avec un
travail saisissant sur les textures de l’eau et des matières qui donnent à l’ensemble une
dimension tactile impressionnante
Pour finir, Raul Garcia adapte Le Masque de la Mort Rouge, court-métrage quasi muet, le
réalisateur préférant développer une ambiance plutôt que de s’assujettir au texte original.
S'inspirant des tableaux des peintres Goya et Egon Shiele, il donne une ambiance onirique
réussie.
Mieux vaut prévenir, ce ciné-concert est réservé à un public averti. Il a remporté le Prix
Jeunesse au Luxembourg City Film Festival en mars dernier et constitue pour les adolescents
une excellente introduction à l'univers d'Edgar Allan Poe. Frissons garantis !
Note de programme
Elisabeth Hochard, étudiante du département de culture musicale du CNSMD de Lyon
Edgar Allan Poe (1809-1849) est une des grandes figures du romantisme américain. Il est
l’auteur de nombreux contes, dont le recueil des Nouvelles histoires extraordinaires
(1835-1849) qui sont à l’origine des films de ce soir. Cette forme courte répond à son idéal
littéraire d’une histoire menant à un effet unique. Sa première publication est un recueil en vers
intitulé Tamerlan et autres poèmes, qu’il publie anonymement en 1827. La complexité de son
histoire familiale – ses parents, comédiens, meurent quand il est tout petit, son père et son frère
sont réputés alcooliques, sa jeune sœur est handicapée mentale – lui valut une réputation
d’alcoolique et d’artiste maudit jusqu’au milieu du xxe siècle. Il connut cependant un grand
succès en France, qui lui réserva un accueil plus chaleureux que les États-Unis. Preuve en est
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la traduction de son œuvre par Charles Baudelaire (Le Corbeau et les Histoires extraordinaires
en 1856, les Nouvelles histoires extraordinaires en 1857) et Stéphane Mallarmé (Le Corbeau,
publié avec cinq illustrations d’Édouard Manet en 1875).
La postérité s’empare de l’œuvre de Poe dans de nombreuses réutilisations. En musique,
Claude Debussy ébauche deux projets inachevés d’opéras sur des contes de Poe (Le diable
dans le beffroi en 1903, La chute de la maison Usher de 1908 à 1917). Au cinéma, Roger
Corman réalise entre 1961 et 1965 un cycle de huit films sur des nouvelles de Poe (dont La
chute de la maison Usher, Le masque de la Mort rouge et Le puits et le pendule). Raul Garcia
en donne également sa vision dans ses Extraordinary tales (2015) dont les quatre courts
métrages de ce ciné-concert sont extraits.
On peut distinguer plusieurs thèmes récurrents dans les contes de Poe, plus ou moins
développés par le cinéaste et les compositeurs de ce soir.
Le huis-clos
Chacun de ces quatre contes se déroule dans un espace fermé. L’action se déroule en huis-
clos, dans des édifices imposants et impénétrables tels que l’abbaye fortifiée du Masque de la
Mort rouge : « C’était un vaste et magnifique bâtiment, une création du prince, d’un goût
excentrique et cependant grandiose. Un mur épais et haut lui faisait une ceinture. Ce mur avait
des portes de fer ». La présence récurrente de matières lourdes (pierre, fer) enferme les
protagonistes dans un intérieur qui est déjà leur tombeau. La peste guette les hôtes de
l’abbaye du Masque de la Mort rouge s’ils s’avisent de sortir, et Roderick Usher est terrorisé
par la seule idée de sortir de la maison.
Ces bâtisses sont infranchissables pour leurs hôtes, et pour cause : elles sont bien souvent une
allégorie de leur esprit. Le bâtiment représente la construction mentale de son habitant : ainsi la
maison Usher s’effondre-t-elle en même temps que la raison de son maître. De même, dans Le
puits et le pendule, « l’abîme » dans lequel le narrateur ne veut tomber à aucun prix peut se
comprendre comme celui de la folie.
Cette personnification des bâtiments rappellera aux cinéphiles d’autres grands « personnages »
tels que le manoir de Norman Bates dans Psychose (A. Hitchcock, 1960) ou encore l’Overlook
Hotel de Shining (S. Kubrick, 1980).
L’univers sonore
La dégénérescence mentale des personnages se traduit souvent par une acuité morbide des
sens, notamment de l’ouïe. Dans La chute de la maison Usher, Roderick ne peut plus supporter
aucune lumière ni aucune odeur. Il ne tolère plus que quelques timbres d’instruments à cordes,
et improvise à la guitare « une certaine paraphrase singulière, une perversion de l'air, déjà fort
étrange, de la dernière valse de von Weber ». Conscient de son handicap, il le fait remarquer à
son ami : « Ne vous ai-je pas dit que mes sens étaient très fins ? », « Est-ce que je ne distingue
pas l'horrible et lourd battement de son cœur [celui de sa sœur Madeline] ? ». Le tambourinement
du cœur est également au centre de l’intrigue du Cœur révélateur, à la fois élément
déclencheur du dénouement et « preuve » donnée au lecteur que le narrateur – lui aussi victime
de sur-sensibilité auditive – a définitivement basculé dans la folie. L’importance de l’ouïe est
encore mise en avant dans Le Puits et le pendule, où le narrateur se retrouve enfermé dans le
noir total ; désormais aveugle, c’est à ses autres sens et notamment à son audition qu’il fait
confiance, ce qui lui permet d’éviter le puits. Enfin, l’orchestre et sa musique sont
omniprésents dans Le masque de la Mort rouge et suggèrent une atmosphère de brouhaha
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incessant. L’irruption du silence en est d’autant plus dramatique : l’orchestre ne se tait que
pour écouter sonner l’horloge.
Poe dépeint un univers sonore d’une grande vitalité, que le réalisateur Raul Garcia ne
développe pas entièrement dans ses courts métrages. Cet élément reste cependant source
d’inspiration pour les compositeurs et plante un décor qui fait partie intégrante de l’œuvre de
l’auteur.
Le conte
Poe fait également appel à de nombreux ressorts caractéristiques du conte. La présence d’un
champ lexical peuplé de nombreux oxymores – comme « une nuit d'orage affreusement belle,
une nuit unique et étrange dans son horreur et sa beauté » qui tient lieu de décor au
dénouement de La chute de la maison Usher – plonge le lecteur dans un univers fantastique et
sublime.
La symbolique du chiffre 7, omniprésente dans le conte populaire, est ici utilisée comme balise
temporelle. Dans La Chute le fantôme de Madeline revient sept nuits après sa mort ; le
narrateur du Cœur révélateur passe sept nuits à observer le vieil homme avant de passer à
l’acte. Certains objets sont également présents par sept : dans Le Puits et le pendule, sur la
table des juges de l’Inquisition sont posés sept flambeaux. Enfin, le bal donné dans le Masque
de la mort rouge se tient dans sept salles de sept couleurs différentes qui rappellent les sept
chambres de Barbe-Bleue.
Le temps comme bourreau
Le thème du temps qui passe est un fil conducteur indissociable de chacun des contes.
L’heure de minuit correspond à la visite du narrateur du Cœur révélateur dans la chambre du
vieillard, mais aussi à l’arrivée de l’étranger masqué dans Le Masque de la mort rouge. Le
battement de cœur, si important dans le Cœur révélateur, est comparé à « une montre
enveloppée dans du coton ». Dans Le masque, l’écoulement du temps se concrétise par la
présence de la « gigantesque horloge d’ébène » de la salle noire, dont l’égrènement des
heures plonge l’assistance dans une terreur indicible. Une allégorie du Temps est représentée
sur le plafond de la cellule dans Le Puits et le pendule, et c’est ce pendule, objet du temps, qui
est aussi objet de la mort.
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