la traduction de son œuvre par Charles Baudelaire (Le Corbeau et les Histoires extraordinaires
en 1856, les Nouvelles histoires extraordinaires en 1857) et Stéphane Mallarmé (Le Corbeau,
publié avec cinq illustrations d’Édouard Manet en 1875).
La postérité s’empare de l’œuvre de Poe dans de nombreuses réutilisations. En musique,
Claude Debussy ébauche deux projets inachevés d’opéras sur des contes de Poe (Le diable
dans le beffroi en 1903, La chute de la maison Usher de 1908 à 1917). Au cinéma, Roger
Corman réalise entre 1961 et 1965 un cycle de huit films sur des nouvelles de Poe (dont La
chute de la maison Usher, Le masque de la Mort rouge et Le puits et le pendule). Raul Garcia
en donne également sa vision dans ses Extraordinary tales (2015) dont les quatre courts
métrages de ce ciné-concert sont extraits.
On peut distinguer plusieurs thèmes récurrents dans les contes de Poe, plus ou moins
développés par le cinéaste et les compositeurs de ce soir.
Le huis-clos
Chacun de ces quatre contes se déroule dans un espace fermé. L’action se déroule en huis-
clos, dans des édifices imposants et impénétrables tels que l’abbaye fortifiée du Masque de la
Mort rouge : « C’était un vaste et magnifique bâtiment, une création du prince, d’un goût
excentrique et cependant grandiose. Un mur épais et haut lui faisait une ceinture. Ce mur avait
des portes de fer ». La présence récurrente de matières lourdes (pierre, fer) enferme les
protagonistes dans un intérieur qui est déjà leur tombeau. La peste guette les hôtes de
l’abbaye du Masque de la Mort rouge s’ils s’avisent de sortir, et Roderick Usher est terrorisé
par la seule idée de sortir de la maison.
Ces bâtisses sont infranchissables pour leurs hôtes, et pour cause : elles sont bien souvent une
allégorie de leur esprit. Le bâtiment représente la construction mentale de son habitant : ainsi la
maison Usher s’effondre-t-elle en même temps que la raison de son maître. De même, dans Le
puits et le pendule, « l’abîme » dans lequel le narrateur ne veut tomber à aucun prix peut se
comprendre comme celui de la folie.
Cette personnification des bâtiments rappellera aux cinéphiles d’autres grands « personnages »
tels que le manoir de Norman Bates dans Psychose (A. Hitchcock, 1960) ou encore l’Overlook
Hotel de Shining (S. Kubrick, 1980).
L’univers sonore
La dégénérescence mentale des personnages se traduit souvent par une acuité morbide des
sens, notamment de l’ouïe. Dans La chute de la maison Usher, Roderick ne peut plus supporter
aucune lumière ni aucune odeur. Il ne tolère plus que quelques timbres d’instruments à cordes,
et improvise à la guitare « une certaine paraphrase singulière, une perversion de l'air, déjà fort
étrange, de la dernière valse de von Weber ». Conscient de son handicap, il le fait remarquer à
son ami : « Ne vous ai-je pas dit que mes sens étaient très fins ? », « Est-ce que je ne distingue
pas l'horrible et lourd battement de son cœur [celui de sa sœur Madeline] ? ». Le tambourinement
du cœur est également au centre de l’intrigue du Cœur révélateur, à la fois élément
déclencheur du dénouement et « preuve » donnée au lecteur que le narrateur – lui aussi victime
de sur-sensibilité auditive – a définitivement basculé dans la folie. L’importance de l’ouïe est
encore mise en avant dans Le Puits et le pendule, où le narrateur se retrouve enfermé dans le
noir total ; désormais aveugle, c’est à ses autres sens et notamment à son audition qu’il fait
confiance, ce qui lui permet d’éviter le puits. Enfin, l’orchestre et sa musique sont
omniprésents dans Le masque de la Mort rouge et suggèrent une atmosphère de brouhaha
3 / 4