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Scandale dans nos institutions et marchés : peut-on
encore avoir confiance?
Conférence parrainée par le Centre d’éthique de
l’Université Saint-Paul
Le 10 octobre 2002
Par Denis Desautels, OC, FCA
Centre d’études en gouvernance
Université d’Ottawa
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Scandale dans nos institutions et marchés : peut-on encore avoir confiance?
Le 10 octobre 2002
Introduction
Je désire remercier très sincèrement le Professeur Noël Simard et le Centre
d’éthique de l’Université Saint-Paul de m’avoir invité à participer à cette première
journée d’activité de la saison 2002-2003. Je suis très heureux de pouvoir participer aux
activités du Centre d’éthique car je partage entièrement les objectifs que vous poursuivez.
J’espère aussi que nous pourrons continuer cette collaboration entre nos organismes
respectifs au cours des mois et des années qui vont suivre, car nous avons des défis
importants devant nous et nous saurons mieux les rencontrer en conjuguant nos efforts.
J’ai eu l’occasion, lorsque j’étais Vérificateur général du Canada, de produire des
rapports qui traitaient de façon assez exhaustive des questions d’éthique dans
l’administration publique et qui faisaient des recommandations au gouvernement fédéral
sur les façons de promouvoir un comportement éthique chez nos élus et nos
administrateurs publics. Je n’avais pas l’intention de revenir sur ce sujet aujourd’hui,
mais plutôt d’analyser la série de scandales qui ont secoué le secteur privé et nos marchés
financiers depuis quelque temps.
L’ampleur de la crise amorcée par la descente aux enfers d’Enron, joyau de la
nouvelle économie et modèle mondial, dépasse l’entendement et donne le vertige. Je n’ai
donc pas d’autre prétention ni d’autre ambition que celles d’effectuer un survol de ce qui
me semble être les principaux éléments de la crise et de son dénouement. Je souhaite, en
survolant quelques têtes de chapitre ou quelques angles d’approche de la crise,
m’interroger à voix haute avec vous sur ce qui s’est passé; je souhaite examiner
sommairement les faits, les causes, les conséquences et les mesures correctrices et
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préventives nécessaires afin de mettre fin à cette série noire et de rétablir, un tant soit
peu, la confiance du public dans nos marchés financiers.
Malgré ma profession, je vais essayer de ne pas trop m’attarder sur des
considérations techniques ou sur les pratiques et les normes comptables. Je ne me
hasarderai pas trop non plus sur le terrain des économistes, des politicoloques et des
autres professionnels interpellés par cette crise majeure qui ébranle plusieurs de nos
certitudes. Même si tous les éléments de la crise sont interdépendants, j’ai essayé de
structurer ma présentation autour d’un certain nombre de pôles ou de pistes de réflexion,
avec les inévitables risques de chevauchement et de répétition que vous voudrez sans
doute me pardonner. Vous me pardonnerez sans doute aussi de terminer sur une note
d’espoir malgré tout ce que j’ai vu, entendu ou lu de décourageant ou de déprimant sur la
gouvernance autant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Le festival des scandales : de Enron à WorldCom en passant par Tyco
Tous les observateurs s’accordaient pour dire qu’Enron, alors la plus grande
faillite de l’histoire, allait être un événement réellement marquant. Depuis, nous avons
vu WoldCom Inc. se mettre sous la loi américaine de la protection des faillite avec des
dettes encore plus importantes. Entre les deux, on peut nommer facilement une trentaine
d’entreprises américaines dont le nom est associé d’une façon quelconque à des incidents
mettant en doute l’intégrité de leurs rapports financiers et de leurs dirigeants. Dans
certains cas, les dirigeants sont soupçonnés de gestes allant beaucoup plus loin que celui,
déjà très grave, de fausser leurs états financiers. Le cas de Tyco est particulièrement
révélateur – on parle d’états financiers trompeurs, d’achat de propriétés et d’œuvres d’art
avec l’argent de la compagnie, à l’insu du FISC et des actionnaires. On parle aussi de
destruction de preuves de ces différentes malversations. Il sera intéressant de voir
comment le PDG de cette firme, Monsieur Kozlowski, réussira à se défendre avec tous
ses avocats contre les accusations portées contre lui.
Au début de cette série noire, on pouvait parler de cas isolés, de quelques pommes
pourries, mais maintenant on est en droit de se demander si l’on fait face à un problème.
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Au niveau des systèmes, pour ma part, je crois que nous faisons face à quelque chose de
beaucoup plus grave que quelques cas isolés; c’est pourquoi à mon avis les autorités
gouvernementales et financières, surtout aux États-Unis, réagissent de façon aussi
vigoureuse aux problèmes identifiés jusqu’ici. Le Congrès américain, la Securities and
Exchange Commission (SEC), le Financial Accounting Standards Board (FASB) et les
bourses ont tous compris qu’ils doivent réagir rapidement et vigoureusement pour mettre
fin à cette épidémie et rétablir la confiance du public envers nos marchés financiers.
Il faut non seulement arrêter cette glissade mais aussi redonner confiance aux
investisseurs, petits et grands, sinon les conséquences peuvent être catastrophiques, que
ce soit sur la capacité de nos entreprises de se financer sur les marchés publics ou sur la
performance de nos régimes de retraite.
Autopsie d’Enron
Mais avant de tirer des conclusions sur l’ampleur de la crise et de passer aux
actions correctives, je crois qu’il serait utile de résumer les facteurs qui ont contribué à la
tragédie d’Enron et, ensuite, faire un survol des autres cas que nous avons observés au
cours des six derniers mois. Il devient de plus en plus clair que les déboires que nous
avons observés sont attribuables à un certain nombre de facteurs communs dont il faut
saisir le sens et toute la complexité.
Si je devais donner une réponse à la question : “Que s’est-il vraiment passé dans
le cas Enron?”, elle se lirait comme suit :
“Un groupe de dirigeants et de gestionnaires peu scrupuleux, poussés par la convoitise et
par la poursuite d’un plan d’affaires très agressif, ont pris avantages de faiblesses dans la
régie de leur entreprise et dans les normes de comptabilité et de vérification. Ils ont pris
des risques tout à fait exagérés, fait de fausses représentations et posé des gestes
frauduleux, provoquant une crise de confiance qui a mené l’entreprise à la faillite plus
rapidement que leur capacité de contrer sa débâcle.”
1 William Bratton, The George Washington University Law School
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Quels étaient donc les principaux facteurs qui ont contribué à cette catastrophe? Je crois
qu’on peut les résumer de la façon suivante :
1. Une culture de cupidité et de victoire à tout prix.
Les dirigeants d’Enron étaient sans doute animés par le désir et la possibilité
de devenir excessivement riches, mais il y avait plus que cela. Selon l’analyse
de William Bratton1, “Enron est tombée parce que ses dirigeants étaient
obsédés par le désir de vaincre (pursued winning to excess).” Et vaincre
voulait dire victoire sur ses concurrents, changer le secteur de l’énergie selon
leur vision, un bénéfice par action en croissance exponentielle, etc. Ils sont
devenus prisonniers de leur propre culture, poussaient les limites toujours plus
loin et devaient inventer de nouveaux stratagèmes pour rencontrer leurs
objectifs.
2. Une absence sérieuse d’éthique et de valeurs morales.
Cette culture de victoire à tout prix peut facilement entraîner un groupe de
gestionnaires au delà des limites de ce qui est acceptable comme pratiques
d’affaires ou de reddition de comptes, à moins que l’entreprise ait des valeurs
claires et des règlements qui établissent les limites de ce qui est acceptable.
Enron avait ce qui semblait être un bon code d’éthique mais ce n’était de toute
évidence pas suffisant. Le code n’était pas ancré dans une culture d’éthique et
de valeurs morales, il était souvent ignoré par des membres de la haute
direction et il est donc devenu un objet de dérision.
3. Un régime de rémunération encourageant les abus et la manipulation des
résultats.
Les régimes d’options d’achat d’actions sont devenus de plus en plus
controversés. À part la controverse sur la façon de les comptabiliser, ces
régimes peuvent encourager un comportement de leurs bénéficiaires qui n’est
pas dans le meilleur intérêt des actionnaires – ils peuvent encourager les
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