alors ébranler les investisseurs, les fonds d’investissement
en particulier qui réclamaient des rendements toujours plus
élevés : les valeurs technologiques augmentaient de
manière spectaculaire, des gains extraordinaires étaient
réalisés en bourse et les entreprises, fortes de leur
valorisation boursière, investissaient massivement dans des
stratégies coûteuses de croissance à long terme. En quelque
sorte, la croissance, au départ réelle, était entretenue, de
plus en plus artificiellement, par la spéculation et les
anticipations qui, en s’autoréalisant, poussaient aux
investissements, et donc à la croissance. Le tout
conformément au schéma bien connu du cycle
schumpeterien. Parallèlement, les entreprises ont multiplié
les grandes manœuvres. Les fusions et acquisitions ont
atteint durant ces années des niveaux records et, bien que
les positions dominantes se soient renforcées, l’attitude
générale était à la tolérance2. Les entreprises de la nouvelle
économie ont acheté à prix élevés leurs concurrents, pour se
retrouver finalement devant un marché moins lucratif que
prévu, le tout accompagné d’un niveau d’endettement
spectaculaire et de capacités excédentaires.
C’est en mars 2001, que la bulle spéculative finit par
éclater. Néanmoins, depuis 1997, les profits des entreprises
étaient nettement en perte de vitesse par rapport à la valeur
boursière des entreprises. La croissance et la rentabilité
n’étaient pas assez fortes et la volatilité des marchés,
amplifiée par les incertitudes technologiques, allait révéler
avec force que la nouvelle économie n’était pas à l’abri des
déséquilibres économiques. Qu’à cela ne tienne, les
grandes entreprises ont continué à annoncer une croissance
des profits afin de rassurer les investisseurs, tirant toutes les
ficelles de ce qu’on appelait alors la comptabilité
« créatrice » ou « agressive accounting »3, quitte à
manipuler les comptes et à tromper sciemment les
actionnaires.
Il apparaît de plus en plus évident que la plupart des
entreprises ont, à différents degrés, utilisé toute la marge de
manœuvre dans la présentation de leurs comptes, une marge
de manœuvre d’autant plus grande que la SEC faisait
preuve de beaucoup de laxisme à l’égard de pratiques
2 L’une des seules exceptions, la grande poursuite contre
Microsoft s’est finalement soldée par une victoire de ce géant de
l’informatique qui est parvenu à faire renverser le jugement du juge
Jackson et à négocier avec les autorités fédérales un compromis
tout à fait à son avantage. Cette affaire pourrait cependant resurgir
alors que des concurrents de Microsoft et certains États, notamment
le Massachusetts cherchent maintenant à faire appel. Selon la
CCIA (Computer & Communications Industry Association) et la
SIIA (Software & Information Industry Association) qui
rassemblent la plupart des concurrents de Microsoft (AOL Time
Warner, Sun Microsystems, Yahoo, Corel, Oracle...), plusieurs
compagnies font actuellement campagne pour des sanctions plus
sévères et cherchent à ce que la cour d'appel du District de
Washington examine la décision de la juge Kollar-Kotelly.
3 À cet égard, mentionnons la pratique qui consistait à utiliser les
« stock options » pour réduire les dépenses et améliorer la situation
financière de l’entreprise (il est à noter que les dirigeants avaient
tout avantage à manipuler les comptes afin de faire monter la
valeur des options qu’ils détenaient sur les actifs de l’entreprise),
ou encore celles qui consistaient à multiplier les transactions hors-
bilan ou à introduire plus de flexibilité dans la valorisation des
actifs intangibles.
frôlant fréquemment l’illégalité, lorsqu’elles n’étaient pas
carrément frauduleuses. Certains dirigeants, tirant partie
d’informations de première main, ont profité de la situation
pour s’enrichir au détriment des investisseurs, que ce soit en
manipulant les comptes4 ou en réalisant de juteux profits
sur leurs titres quand il était encore temps. Le tout sans
oublier les analystes financiers, ceux des médias comme
ceux des agences, et les vérificateurs et compagnies d’audit
qui ont failli à leur tâche. Au mieux, ils ont contribué par
leurs analyses optimistes à endormir la confiance des
investisseurs, les assurant de rendements dépassant
l’imagination. Au pire, ils n’ont pas hésité à diffuser de
fausses informations comptables, voire à se retrouver au
centre de pratiques frauduleuses et de montages financiers
douteux dont ils tiraient de juteux profits. Plusieurs cas
illustrent l’ampleur et l’importance des malversations qui
ont miné l’économie américaine. Mentionnons-en
simplement quelques-uns : Enron, WorldCom, Tico, Arthur
Andersen, Adelphia, Global Crossing, etc.…
Ce qui ne manque pas d’étonner aujourd’hui, c’est
qu’à l’exception de quelques Cassandre, personne, à
commencer par Alan Greenspan, n’a vraiment cherché à
contrer ou à réduire l’exubérance irrationnelle des marchés.
Au motif, répète aujourd’hui Greenspan pour sa défense,
que d’une part, on ne sait jamais si bulle spéculative il y a et
que, d’autre part, si bulle il y a, le marché finira bien par la
résorber de lui-même. Plus fondamentalement, personne
n’osait prendre le risque de casser la croissance, encore
moins de regarder ce qu’il y avait derrière la croissance.
Après tout on n’investit pas sans risque. Comme au casino,
on sait qu’il y aura beaucoup de perdants, mais il y a aussi
des gagnants ; et comme chacun croit qu’il peut gagner, le
jeu continue, et en attendant, l’argent roule. C’est en somme
ce qui s’est passé, jusqu’à ce qu’on finisse par se rendre
compte non seulement que l’on était bel et bien dans ce que
Susan Strange avait qualifié d’économie de casino, mais
pire, que le jeu était truqué.
La loi Sarbanes-Oxley
Le débat public fut amorcé quelque temps après les
attaques terroristes de septembre 2001 avec l’affaire
Enron5. Toutefois, ce n’est que durant l’année 2002 qu’il
prendra véritablement forme suite au scandale de
WorldCom6. En effet, ce n’est que suite au dévoilement
des pratiques frauduleuses de cette entreprise et devant ce
qui prenait l’allure d’une crise de confiance majeure, que la
classe politique a finalement dû se résoudre à réagir. Avant
que l’affaire n’éclate au grand jour, personne, entendons par
4 Un débat important porte actuellement sur les fortunes
accumulées par les dirigeants des entreprises américaines.
5 En octobre 2001, Enron révélait des pertes qui allaient se
transformer en scandale. Plusieurs membres de la direction font
l’objet de poursuites. Récemment, près d’un an après le début de
cette affaire, le gouvernement fédéral a retenu 78 chefs
d'accusation contre l'ancien directeur financier d'Enron, Andrew
Fastow. Celui-ci est entre autres inculpé de fraude, de blanchiment
d'argent et de complot.
6 L’affaire WorldCom représente le plus grand scandale de
l’histoire américaine. Depuis juin dernier, le montant des fraudes
ne cesse d’augmenter. Il atteint désormais environ 10 milliards de
dollars.