MAPAR 2003
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HYPERTENSION ARTÉRIELLE PULMONAIRE EN
ANESTHÉSIE-RÉANIMATION
F. Kerbaul, F. Gouin.
Département d’Anesthésie-Réanimation - Hôpital Timone adultes - 264 rue Saint-Pierre,
13005 Marseille.
1. DÉFINITION
L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est dénie classiquement comme une
élévation de la pression artérielle pulmonaire moyenne supérieure à 20 mmHg au repos,
et 30 mmHg à l’effort [1]. Elle marque un tournant évolutif dans certaines cardiopathies
congénitales et dans la plupart des cardiopathies gauches acquises et des insufsances
respiratoires chroniques. Chez le sujet sain, la PAP moyenne est généralement comprise
entre 10 et 15 mmHg ; il existe une élévation très discrète de la PAP avec le vieillissement
de l’ordre de 1 mmHg par tranche de 10 ans.
2. EPIDÉMIOLOGIE
La seule prévalence bien connue est celle de l’hypertension artérielle pulmonaire
primitive (HTAPP), elle est estimée à 1 ou 2 cas par million d’habitants. De diagnostic
difcile, et de symptomatologie peu spécique initialement, l’HTAPP est souvent diagnos-
tiquée de façon tardive. Cette pathologie de la femme jeune (30 à 50 ans) est idiopathique.
Il existe pourtant un certain nombre de facteurs médicamenteux (anorexigènes, cocaïne)
ou d’affections (hypertension portale, infection VIH, affection auto-immunes, parasitoses)
dont l’incidence augmente en présence d’une HTAP dite «primitive». Certaines formes
familiales à transmission autosomique dominante à pénétrance variable ont été décrites,
ainsi que des formes infantiles [2].
Concernant les HTAP secondaires, l’atteinte vasculaire pulmonaire est une compli-
cation fréquente et grave des BPCO, 50 % des patients BPCO ont des signes d’hyper-
trophie ventriculaire droite à l’autopsie, 50 % des patients BPCO âgés de plus de 50 ans
vont développer une HTAP.
3. MÉCANISMES
La PAP représente la somme de la pression motrice à travers la circulation pulmo-
naire et de la pression de «sortie» du système qui est la pression capillaire (PCP). La
pression motrice qui représente la différence PAP-PCP est égale par dénition au produit
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du débit sanguin pulmonaire (Q) et des résistances vasculaires pulmonaires (RVP). On
peut donc écrire :
PAP = PCP + Q x RVP
Cette équation permet de montrer clairement que l’hypertension artérielle pulmonaire
peut résulter de trois causes principales suivantes.
3.1. HTAP POST-CAPILLAIRE
Elle résulte d’une élévation de la pression capillaire pulmonaire, elle-même consé-
cutive à une élévation de la pression veineuse pulmonaire secondaire à une insufsance
cardiaque gauche (ischémique), ou à un rétrécissement mitral.
Ce type d’hypertension résulte d’une transmission passive de l’augmentation des
pressions des veines pulmonaires vers les capillaires et le secteur artériel pulmonaire.
A la longue, par exemple dans le rétrécissement mitral, surviennent des modications
anatomiques des vaisseaux pulmonaires (épaississement de la média, brose de l’intima).
On parle d’artériolite oblitérante. Cette artériolite est responsable d’une élévation des
RVP et du gradient de pression trans-pulmonaire : l’HTAP devient alors mixte (pré et
post-capillaire). La composante pré-capillaire est à l’origine de la non-réversibilité des
PAP lors des tests pharmacologiques. On parle alors d’HTAP xée.
3.2. HTAP PAR ÉLÉVATION DU DÉBIT SANGUIN PULMONAIRE
C’est le cas de certaines cardiopathies congénitales avec shunt de type gauche-droit. Il
s’agit de communications interauriculaires et ventriculaires, canal artériel, canal atrio-
ventriculaire complet. L’élévation du débit sanguin pulmonaire peut être considérable
allant jusqu’à 200 à 300 %. Dans certaines communications interauriculaires, le débit
pulmonaire peut doubler alors que les PAP restent normales par réduction secondaire des
RVP. Au cours de l’évolution, ces RVP vont s’élever du fait de modications structurelles
secondaires des artères pulmonaires (épaississement de la média, brose de l’intima).
La conjonction d’un hyper débit pulmonaire à l’élévation des RVP consécutive à une
artériolite oblitérante conduit alors à une HTAP sévère, avec possibilité d’inversion du
shunt (passage à un shunt droit-gauche) à ce stade avancé (syndrome d'Eisenmenger).
3.3. HTAP PRÉ-CAPILLAIRE PAR ÉLÉVATION DES RÉSISTANCES VASCULAI-
RES PULMONAIRES
Elle caractérise essentiellement les affections respiratoires chroniques. Les résistances
à l’écoulement sanguin se localisent au niveau des artères pré-capillaires. Ces vaisseaux
résistifs à paroi musculaire sont le siège d’un rétrécissement de leur lumière, qu’il soit
à des facteurs anatomiques (maladie thrombo-embolique, bilharziose, brose pulmonaire
interstitielle), ou à des causes plus fonctionnelles (vasoconstriction pulmonaire hypoxi-
que). Ce rétrécissement est à l’origine d’une augmentation des RVP.
3.3.1. RÔLE DE LA VASOCONSTRICTION PULMONAIRE HYPOXIQUE (VPH)
La nalité couramment admise de la VPH dans le poumon adulte est l’ajustement de
la perfusion capillaire pulmonaire à la ventilation alvéolaire. En cas d’hétérogénéité des
rapports ventilation/perfusion (atélectasie, pneumopathie, œdème pulmonaire…), la VPH
permet une réduction de la perfusion des zones mal ventilées, et améliore donc de fait
l’hématose pulmonaire. Il semble cependant exister une relation inverse entre l’étendue
des territoires pulmonaires hypoxiques et l’efcacité de la VPH. Le stimulus essentiel
de la VPH est la baisse de la PO2 du gaz alvéolaire, le seuil semblant se situer autour de
60 mmHg. La diminution de la PvO2 renforce aussi le mécanisme de la VPH (d’environ
20 %) lorsque la PO2 du gaz alvéolaire est inférieure à 60 mmHg [3].
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La VPH survient moins de 7 secondes après le déclenchement de l’hypoxie alvéolaire.
Elle s’observe dans le cas de poumons isolés perfusés, en l’absence d’endothélium, ainsi
qu’au sein des cellules musculaires lisses artérielles pulmonaires. Elle semble décroître
avec l’âge. Son intensité est variable selon les espèces animales (porc > homme > chien),
il existe même des différences fortes inter-individuelles au sein d’une même espèce.
La VPH intéresse essentiellement les muscles lisses des artérioles pulmonaires pré-
capillaires, mais les petites veines pulmonaires semblent aussi se contracter en réponse
à l’hypoxie. Une veinoconstriction exagérée en réponse à l’hypoxie pourrait expliquer
certaines formes d’œdèmes pulmonaires tels que l’œdème pulmonaire de haute altitude
initialement causé par une majoration des pressions capillaires pulmonaires.
3.1.3.1. Mécanisme cellulaire de la VPH
De nombreuses études ont été dévolues à la recherche des mécanismes responsables
de la vasomotricité pulmonaire hypoxique. Une série de vasoconstricteurs incluant
l’histamine, la sérotonine, l’angiotensine, les prostaglandines et les leucotriènes ont été
exclus, et ne peuvent être retenus comme médiateurs potentiels de la vasoconstriction
hypoxique.
L’un des mécanismes principaux de la VPH serait l’inhibition de l’activation des
canaux potassiques causant une dépolarisation membranaire par afux intra-cellulaire de
calcium à travers les canaux calciques voltage-dépendants. La modication des potentiels
redox de ces canaux potassiques serait à l’origine de ce mécanisme.
4. ÉTIOLOGIES
4.1. CLASSIFICATION ÉTIOLOGIQUE : (TABLEAU I)
Depuis 1998, une nouvelle classication a vu le jour. Elle reète les récentes avancées
dans la compréhension des pathologies pulmonaires hypertensives, et la reconnaissance
d’une similarité entre l’hypertension artérielle pulmonaire primitive (HTAPP) (ini-
tialement cataloguée comme sans étiologie) et l’hypertension artérielle pulmonaire
secondaire à certaines étiologies connues [2].
5. CONSÉQUENCES DE L’HTAP
5.1. RETENTISSEMENT DE L’HTAP SUR LA PERFORMANCE VD
Le ventricule droit (VD) sain est une structure compliante, à paroi mince dont la
dilatation est rapide en présence d’une augmentation de sa post-charge. L’HTAP aboutit
plus ou moins rapidement à l’hypertrophie ventriculaire droite, mais le délai d’apparition
de l’insufsance cardiaque droite est variable. Même, si l’on ignore en grande partie les
mécanismes de constitution de la défaillance ventriculaire droite, il existe indiscutable-
ment une relation entre la sévérité de l’HTAP et la rapidité d’apparition de l’insufsance
cardiaque droite.
A un stade avancé de l’affection, la limitation du débit cardiaque au repos est due à
une augmentation importante de la post-charge du VD. Cette réduction du débit cardiaque
est majorée par une altération du remplissage ventriculaire gauche dont la compliance
diastolique est réduite par la dilatation ventriculaire droite et par le bombement paradoxal
du septum inter-ventriculaire vers le VG. Cette altération du débit cardiaque favorise
la survenue d’ une hypotension artérielle systémique à l’origine d’une réduction de la
perfusion coronaire droite et d’une dysfonction VD d’origine ischémique sur-ajoutée
(Figure 1).
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6. EVALUATION DE L’HTAP
L’évaluation pré-anesthésique doit comporter un examen des antécédents (poussée
d’insufsance ventriculaire droite, syncopes), un examen clinique (hépatomégalie, œdè-
mes des membres inférieurs, reux hépato-jugulaire), et des investigations cardiologiques
permettant de cerner l’importance de l’HTAP et de son éventuel retentissement sur le
cœur droit. En cas de cardiopathie congénitale, on devra s’attacher à la connaissance de
son type et de ses répercussions physiopathologiques. Enn, une décision chirurgicale
chez de tels patients ne doit être prise qu’à la condition d’une indication opératoire
formelle, dont les conséquences éventuelles sont à discuter entre chirurgien, cardiologue et
anesthésiste-réanimateur.
Tableau I
Classication anatomique et étiologique des HTAP
L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE PULMONAIRE
Hypertension artérielle pulmonaire primitive (HTAPP) : formes sporadiques et familiales
En relation avec : collagénoses, hypertension portale, drogues (anorexigènes), in-
fection VIH, nouveau-né, autres…)
L’HYPERTENSION VEINEUSE PULMONAIRE
Les cardiomyopathies ventriculaires gauches (ischémiques ou autres). La cardio-
myopathie hypertensive
Les valvulopathies aortiques
Les valvulopathies mitrales
La tumeur ou thrombose de l’oreillette gauche
Compression extrinsèque des veines pulmonaires : brose médiastinale, adénopa-
thies, tumeurs
Maladie pulmonaire veino-occlusive
Autres
L’HYPERTENSION PULMONAIRE ASSOCIÉE À DES PATHOLOGIES RESPI-
RATOIRES ET/OU UNE HYPOXÉMIE
La broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO)
La brose pulmonaire avancée
La brose interstitielle diffuse
Le syndrome de détresse respiratoire de l’adulte (SDRA)
Les apnées du sommeil
L’exposition chronique à l’altitude (>3000 m)
Autres
L’HYPERTENSION PULMONAIRE CONSÉCUTIVE AUX PATHOLOGIES EM-
BOLIQUES OU THROMBOEMBOLIQUES CHRONIQUES
Obstruction thromboembolique des artères pulmonaires proximales
Obstruction des artères pulmonaires distales
- L’embolie pulmonaire
- Thrombose in situ
- Drépanocytose
L’HYPERTENSION PULMONAIRE CONSÉCUTIVE AUX PATHOLOGIES
INTÉRESSANT LA VASCULARISATION PULMONAIRE
Inammatoire
- Schistosomiase, sarcoïdose
Hémangiomatose capillaire pulmonaire
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6.1. CRITÈRES CLINIQUES
L’évaluation repose cliniquement sur l’appréciation de la dyspnée. La dyspnée
d’effort constitue la plainte la plus habituelle. Elle est présente chez la quasi-totalité des
patients au moment du diagnostic. L’hépatalgie d’effort secondaire à une distension de
la capsule de Glisson associée à des œdèmes des chevilles évoque la décompensation
cardiaque droite associée. Les hémoptysies d’effort ou liées à une sur-infection broncho-
pulmonaire sont rares.
Lorsque l’HTAP devient sévère, des syncopes au moindre effort par chute brutale
du débit sanguin cérébral associées à des précordialgies typiques évocatrices d’angor
fonctionnel sont présentes. Une dysphonie tardive, consécutive à une compression du
nerf récurrent gauche par dilatation excessive de l’artère pulmonaire reste exceptionnelle
(syndrome d’Ortner).
La classication fonctionnelle NYHA de la dyspnée est souvent insufsante. En
effet, cette dernière ne semble pas toujours liée à la sévérité de l’HTAP, sauf dans le
cas exceptionnel des HTAP primitives ou elle semble inversement corrélée à la survie
médiane des patients.
6.2. EVALUATION PARACLINIQUE
Certains examens paracliniques comme l’échographie-Doppler trans-thoracique sont
indispensables à l’évaluation de la gravité de l’HTAP, et à l’analyse de son retentis-
sement ventriculaire droit. Le cathétérisme cardiaque droit garde toute sa place dans le
diagnostic initial de l’HTAP et de son éventuelle réversibilité, et dans le suivi thérapeu-
tique notamment de l’HTAPP. Mais il n’est pas sans danger. Certains auteurs rapportent
des mortalités de 5 à 10 % notamment au cours de cathétérismes prolongés avec tests
pharmacologiques pour essai de médicaments vasodilatateurs. D’autres examens tels que
les tests sanguins (gazométrie artérielle à la recherche d’une majoration de l’hypoxémie,
ou d’une hypercapnie, numération formule sanguine à la recherche d’une polyglo-
bulie), ou l’électrocardiogramme (hypertrophie auriculaire droite ou gauche, hypertrophie
Figure 1 : Physiopathologie de l’insufsance ventriculaire droite dans l’hypertension
artérielle pulmonaire (primitive, ou post-embolique). VD : Ventricule droit ; VTD :
Volume télédiastolique ; VG : Ventricule gauche ; VES : Volume d’éjection systolique ;
VO2 : Consommation d’oxygène.
Impédance vasculaire pulmonaire
VO2 VD VTD VD VES
Interaction
diastolique
Interaction
systolique
VTD VG
Débit cardiaque
Tension artérielle
Perfusion coronaire
Ischémie VD
Contractilité VD
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