Année académique 1999-2000 Année académique 1999-2000
SOCIETE DE L’INFORMATION SOCIETE DE L’INFORMATION
ET
MISSION PUBLIQUE D’INFORMATION
Thèse présentée en vue de
l'obtention du titre de docteur en droit
aux Facultés universitaires
Notre-Dame de la Paix
par Cécile de TERWANGNE
Namur, mars 2000
Membres du Jury :
Prof. Yves POULLET (FUNDP), Promoteur
Prof. François RIGAUX (UCL), Co-Promoteur
Prof. René ROBAYE (FUNDP), Président
Prof. Jacques FIERENS (FUNDP)
Prof. Stefano RODOTA (Università "La Sapienza" di Roma)
Prof. Dirk VOORHOOF (RUG)
Prof. Hendrik VUYE (FUNDP)
INTRODUCTION
« A popular government without popular
information or the means of acquiring it, is
but a prologue to a farce or a tragedy, or
perhaps both. Knowledge will forever govern
ignorance; and a people who mean to be their
own governors must arm themselves with the
power which knowledge gives. »
James MADISON
« ... l’on conviendra sans peine qu’au delà de
l’enflure terminologique dont sont affectés les
substantifs servant à désigner les diverses
prérogatives juridiques et dont l’expression
« droit à l’information » compte parmi les
meilleures illustrations, le recours à ce référent
est à coup sûr la marque d’un changement
significatif qui s’est effectivement produit, ou
que l’on désire voir se produire, dans le régime
juridique de l’information. »
Pierre TRUDEL
Introduction
1. – Pour ne pas être précipité dans la comédie du pouvoir ou verser
dans la tragédie de l'arbitraire, il s’imposait déjà aux yeux de Madison,
quatrième Président des Etats-Unis, de reconnaître au citoyen le droit de
savoir1.
Il fallut tout de même plus d’un siècle et demi pour qu’un tel principe
démocratique soit traduit en véritable droit subjectif, processus qui prit
quelques décennies de plus encore pour être généralisé de ce côté de
l’Atlantique. L’invitation à franchir un tel pas, contenue dans
1 J. MADISON, Lettre du 4 août 1822. Sur les pas de Madison, le « right to know » a
fait l’objet de diverses théories, notamment concernant le lien qui peut être établi
entre ce « right » et la liberté d’expression consacrée dans le Premier
Amendement de la Constitution américaine : voy. par exemple W. PARKS, « The
Open Government Principle : Applying the Right to Know under the
Constitution », George Washington Law Review, 1957/26, 9 et s. ; Th. EMERSON,
« Legal Foundations of the Right to Know », Washington Univ. Law Qu., 1976/1,
13 : « The public, as sovereign, must have all information available in order to
instruct its servants, the governement. As a general position if democracy is to
work, there can be no holding back of information ; otherwise ultimate
decisionmaking by the people, to whom that function is committed, becomes
impossible. Wether or not such a guarantee of the right to know is the sole
purpose of the first amendment, it is surely a main element of that provision and
should be recognized as such ». Il est intéressant de confronter l’argument de
fond soulevé par Emerson avec la position d’E. Jorion qui soutient que l’ancien
article 25 de la Constitution belge stipulant que tous les pouvoirs émanent de la
Nation (l’actuel article 33) « implies that every citizen, in order to be able to
exercise his ‘sovereign’ prerogatives, should be informed of everything affecting
the interests of the nation ». L’auteur ajoute « any principle or general regulation
whose effect would be to deprive Belgian citizens of any access to information,
even if the data were held by the government authorities themselves, would
therefore be contrary to the spirit of the Constitution » (E. JORION, « Belgium »,
in Administrative Secrecy in Developed Countries, Paris, I.I.S.A., 1977, pp. 127-128).
C’est donc aussi du principe de souveraineté du peuple qu’E. Jorion dérive un
droit d’accès à l’information pour les citoyens (même si ce droit n’est ni organisé
ni contrôlé). Dans la vision de l’auteur, le principe de liberté de la presse vient
soutenir l’interdiction de restriction systématique à l’accès. L’approche plus
répandue consiste à faire découler directement de la liberté de presse et de la
liberté d’expression et d’information le principe du libre accès aux informations
publiques (voy. infra, Chapitre 2 de la première Partie). Voy. par ailleurs les
théories sur le « droit à l’information », notamment P. TRUDEL et alii, Le droit à
l’information : émergence, reconnaissance, mise en œuvre, Montréal, Presses de l’Université
de Montréal, 1981 ; B. VOYENNE, Le droit à l’information, Paris, Aubier-
Montargne, 1970 ; J.-M. AUBY, R. DUCOSADER, Droit de l’information, Paris,
Dalloz, 1976, spéc. p. 6 ; PINTO, La liberté d'information et d'opinion en droit
international, Paris, Economica, 1984 ; E. MACKAAY, « The Public’s Right to
Information », in W.F. KORTHALS ALTES, E.J. DOMMERING, P.B.
HUGENHOLTZ, J.J.C. KABEL (ed.), Information Law towards the 21st Century,
Deventer, Boston, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1992, pp. 167 et s. ; P.
TRUDEL, « Réflexion pour une approche critique de la notion de droit à
l’information en droit international », Les Cahiers de Droit, décembre 1982, Vol.
23, n° 4, pp. 847-871.
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Introduction
l’expression même de « droit de savoir » ou « droit à l’information »,
d’après P. Trudel2, fut peu à peu honorée.
Le droit de savoir fut ainsi consacré dans son aspect d’accès de tous à
l’information publique. Depuis le début des années septante, des
législations de transparence administrative fleurissent sur le continent
européen. Ces législations instaurent un droit d’accès général (mais non
absolu) du public aux documents détenus par l’administration. A l’instar
d’autres constitutions, la Constitution belge elle-même consacre ce droit
essentiel depuis 1993. Elle édicte en effet en son article 32 : « chacun a le
droit de consulter chaque document administratif et de s’en faire
remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou
la règle visée à l’article 1343 ».
2. – Si la mise à disposition de l’information publique est assurément un
instrument de transparence, elle est également facteur de développement
économique et social. Pierre Trudel et son équipe québécoise l’avaient
observé à propos de l’information en général : « [...] on a pris conscience
que l’information constituait un outil privilégié de développement
économique et de progrès social » 4.
Par leur extraordinaire richesse, les ressources informationnelles
publiques représentent pour la société un véritable enjeu de
développement. Statistiques diverses, données météorologiques,
annuaires téléphoniques, cartes géographiques, informations routières,
informations relatives à la santé publique, données sur les acteurs
économiques, informations liées à l’état de l’environnement, etc., toutes
ces informations sont détenues par les autorités publiques. En avoir
connaissance peut signifier pour les acteurs de la société la clef de
l’épanouissement et des choix à réaliser.
La mise à disposition du public de l’information administrative assume
donc deux fonctions qui, en certaines circonstances, se rejoignent ou
même se confondent. Ainsi, à titre d’illustration, connaître les projets
des autorités publiques relatifs au tracé de la ligne du T.G.V. à travers le
pays et le calendrier prévu des chantiers à ouvrir présente assurément un
intérêt pour l’individu en tant que citoyen car cela dévoile les enjeux des
2 P. TRUDEL et alii, op. cit., p. xxii.
3 Il s’agit de l’ordonnance.
4 P. TRUDEL et alii, op. cit., p. 14. Voy. également F. BALLE, Médias et Sociétés, Précis
Domat, Paris, Ed. Montchrestien, 1973, p. 191 : « Les techniques de diffusion
prirent place (...) au premier rang parmi les instruments du développement et du
progrès ».
3
Introduction
négociations intervenant aux différents niveaux de pouvoir. Mais la
même information représente pour l’acteur économique la clef
d’investissements potentiels en termes d’activités de service ou de
développement d’infrastructures, par exemple, dans les zones desservies
par le T.G.V. Pour l’association défendant des intérêts sociaux (liés au
cadre de vie, par exemple), environnementaux, historiques ou culturels,
l’information peut être le déclenchement de la mobilisation et de l’action.
En cela, la mise à disposition publique d’informations administratives
s’inscrit dans la « mission principale dont l’Etat est investi, qui est de
créer les conditions dans lesquelles les acteurs économiques et la société
civile peuvent se développer et s’épanouir dans l’intérêt général de la
population »5.
3. – Jusqu’il y a peu, l’exigence de transparence générale n’était guère
reconnue, tandis que l’enjeu de développement de la société par la mise à
disposition de l’information publique n’était perçu que par quelques
initiés.
Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC) a mis en lumière un rapport nouveau de la
société à l’information publique. L’information à portée du citoyen n’est
plus consignée dans des registres aux pages cornées, consultables dans
des locaux aux horaires d’ouverture étriqués. L’informatisation des
administrations a d’abord conduit à la constitution de banques de
données automatisées, ce qui a permis des consultations rationalisées,
notamment par le biais de fonctions de recherche systématisée
d’information. L’informatique a également induit la distance : une
banque de données peut être « visitée » par la voie des
télécommunications (via un modem) ou être transmise intégrée dans un
CD-ROM. Aujourd’hui, les banques de données peuvent être rendues
accessibles par le biais de réseaux tels le réseau mondial Internet. La
réalisation des autoroutes de l’information, c’est-à-dire la construction
d’une infrastructure permettant l’échange d’informations et la mise en
place d’un réseau de « voies électroniquement navigables » qui, se
croisant et s’entrecroisant, forment l’Hypertoile (alias Internet) et créent
le « cybermonde », bouleverse finitivement les perspectives
traditionnelles de mise en circulation de l’information publique.
5 J.-P. SOISSON, Ministre français de la Fonction publique et de la Modernisation
de l’administration, discours d’ouverture du colloque « L’avenir de l’Etat dans
une économie de marché » organisé par l’Institut international d’administration
publique, 21 et 22 novembre 1991, Rev. fr. adm. publ., 1992, n°61, p. 18.
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