IDEAUX DE FONCTIONS DIFFERENTIABLES

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Actes, Congrès intern. Math., 1970. Tome 2, p. 267 à 271.
IDEAUX DE FONCTIONS DIFFERENTIABLES
par Jean-Claude
TOUGERON
Soit S„ (resp. 6p) l'anneau des germes à l'origine des fonctions numériques,
définies et indéfiniment dérivables (resp. analytiques) au voisinage de l'origine
de Rn (resp. R p ). Notons C°°(n ,p) l'ensemble des germes à l'origine de R" des
applications 3>, indéfiniment dérivables de R" dans Rp, et telles que <ï>(0) = 0.
11 est bien connu que l'anneau &n n'est pas noethérien ; en outre, tout germe
de fermé à l'origine de R" est le germe des zéros Vfö) d'un idéal de type fini
3 de ê M . Il est donc sans intérêt d'étudier tous les idéaux de ê„. Aussi, avons
nous considéré une famille très particulière d'idéaux :
Soit / un idéal de 6p engendré par des germes fx,. . . , fq ; nous étudions
l'idéal de ê w , noté $ * /, engendré par les / , o <ï>, 1 < / <q. Bien entendu, si
$ est quelconque, on ne peut rien dire ; mais nous montrons que, sous des hypothèses de transversalité sur $ , vérifiées "en général" (nous préciserons ultérieurement cette expression), l'image réciproque $ * / possède des propriétés analogues à celles de /.
Ce travail s'inspire d'une part, de la théorie des singularités des applications
différentiables, développée d'abord par H. Whitney et R. Thom (R. Thom étudie
les germes d'ensembles 3>-1 (V(I)), où V(I) désigne le germe des zéros de /, d'un
point de vue topologique, en particulier leur stabilité topologique) ; d'autre part,
de résultats de L. Hörmander, S. ±ojasiewicz et B. Malgrange, concernant les
idéaux de l'anneau &„, engendrés par des fonctions analytiques (c'est le cas particulier : n = p ; $ = identité, de notre problème).
1. Propriétés généralement vraies (J. Cl. Tougeron, [6]).
Soit 3f (n , p) l'ensemble des séries de Taylor à l'origine de R" de tous les
$EC°°(n ,p) ; de même, si q E N * , soit ïï<q(n ,p) l'ensemble des polynômes de
Taylor d'ordre q à l'origine de R", de tous les ^E:C°°(n ,p). On a des projections évidentes : T : C°°(n ,p)-+ïï< (n ,p) ;
irq : ®(n,p)^®q(n,p)
;
*qtq.
: ®q' (n ,p) -*®q(n ,p),
siq'>q.
Pour tout # G N * , soit Vq une sous-variété algébrique réelle de Bq(n ,p)
supposons que : . . . D TT"1 (V^DTT'^
(Vq+1) D . . .
Nous dirons que V =
n
et
n~l (V ) est une sous-variété algébrique de Sï (n ,p)
qeN*
et par définition, sa codimension sera égale à lim c o d i m ^ ^
j Vq. La variété V
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est de codimension infinie, si et seulement si la condition suivante est satisfaite :
V # E N * et V / g E K q , il existe un entier q' > q Qt fq> ^Kq\> (fq), tels que
Vn*'}(fq)
= 0.
DEFINITION. - Une propriété (P) relative aux éléments de (f(n ,p) est vraie
en général si pour tout £ E B1 (n , p) il existe une sous-variété algébrique de
codimension infinie V% de &>(n , p) telle que tout $ appartenant à T^orfUji) "" V{)
satisfasse à (P).
On ne doit pas confondre cette notion avec celle de "propriété générique"
au sens où l'entend Thom. Par exemple, dans le cas p = 1, on sait que génériquement <Ê est une "fonction de Morse", i.e. l'idéal engendré dans ê„ par les
dérivées partielles 9<Ê/9:x:1,. . . , d$/dxn contient l'idéal maximal mn de ê„. Mais
cette propriété n'est pas générale : on peut simplement affirmer qu'en général
l'idéal engendré par les 9$/9xl- contient une puissance de mn.
Soit / un idéal propre de 6p : dans les paragraphes suivants, nous énonçons
quelques propriétés vérifiées en général par <î>* /, lorsque 4? décrit C°°(n , p).
2. Le théorème de quasi-transversalité (J. Cl. Tougeron, [6])
Si Si est un idéal de &n, on note 3 l'idéal de l'anneau des séries formelles
&'„ = R[[xlf...,
xn]], formé par les séries de Taylor, à l'origine de Rn, des
éléments de 3. On a d'abord le résultat suivant (conservation de la hauteur) :
l. -En général : ht$*I=
inf (n, htj)^
En particulier, si ht I> n, en général $ * / est un idéal de définition de ê n ,
i.e. 4>* / contient une puissance de mn. Par exemple, si n < p , l'idéal (<&) engendré
dans &n par les composantes $ l 9 . . . , $ p de $ est, en général un idéal de définition de ên.
Venons en au théorème de quasi-transversalité. Si 3 est un idéal de ê n et si
k E N*, notons Jjçip) l'idéal engendré dans ê„ par 3 et tous les jacobiens
THEOREME
D(apx , . . . ,
{pk )
—:
r o u ^is • • • 9 Vk appartiennent à 3 et 1 < U9.. ., ik < n. Cet
D(xh,...,
xik)
idéal ne dépend pas du système de coordonnées locales choisi et Jk(3) =3 si
k> n. Désignons par ak(3) l'idéal de S„ engendré par les £ tels que £ .3 soit
contenu dans un sous-idéal de 3 engendré par k éléments, et posons :
Rk(3)=y/7k^)ny/Tk~W).
Si / est un idéal de 6p (ou de l'anneau 6(U) des fonctions analytiques sur un
ouvert U de R p ), on définit pareillement des idéaux Jk(I), ok(I), Rk(I).
L'interprétation de l'idéal Rk(I) est facile. Par exemple, si / est un idéal de
S(U), l'ensemble V(I) — V(Rk(I)) est exactement l'ensemble des points x de V(I)
tels que 6X \ Ix soit un anneau local régulier de dimension p — k. En particulier,
V(I) — V(Rk(I)) est une sous-variété analytique de codimension k de l'ouvert U.
DEFINITION. — Une fc-strate de ê„ est un couple (3 ,3') de deux idéaux de
type fini de S n tels que 3 C^/U' C Rk(3). Visiblement, si (3,3') est une fc-strate,
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le germe d'ensemble V(3) - V(3') est un germe de variété C°°, de codimension k,
à l'origine de R".
On définirait de même une fc-strate de 6p. Ceci dit, on a le résultat suivant :
THEOREME 2. - Soit (/,/') une k-strate de ep :
(1) si I' ¥= Bp, en général ( $ * / , $*/') est une k-strate de &n
(2) si J' = 0 p , en général ( $ * / , mn) est une k-strate de &n
Le théorème précédent est une version algébrique et locale du théorème de transversalité de Thom [5] : si (/, /') est unefc-stratede Op, on en déduit qu'en général <ï>
est transverse sur le germe de variété analytique V(I) — V(I'\ sauf peut-être à
l'origine de R" (mais en fait le théorème 2 est beaucoup plus précis que cette
conséquence).
3. Idéaux fermés (J. Cl. Tougeron et J. Merrien, [7]).
Soient 12 un ouvert de R" ; ê(12) la R-algèbre des fonctions numériques définies et de classe C°° sur 12. Munissons ê(12) de sa structure habituelle d'espace
de Fréchet (convergence uniforme des fonctions et de leurs dérivées sur tout
compact). Si a E 12, l'application Ta : ê(12) -> R[[xl9. . . , xn]] qui à toute fonction / associe sa série de Taylor en a est surjective (théorème de Borei généralisé).
Si3 (12) est un idéal de ê(12), on pose #(12) = {/E g(12) | V a E 12, Ta / E Ta #(12)}:
un théorème de Whitney affirme que l'adhérence de 3 (12) dans & (12) est égale
à 3 (12). La notion d'idéal fermé se localise : un idéal 3 de ê„ sera dit "fermé"
s'il existe un voisinage ouvert 12 de l'origine de R" est un idéal fermé 3 (12)
de ê(12) tels que #(12) engendre 3 sur S„.
On a le résultat suivant, dû à B. Malgrange [3], et démontré d'abord dans le
cas d'un polynôme par L. Hörmander [1], et dans le cas d'une fonction analytique par S.-Lojasiewicz [2] :
Un idéal de &n engendré par un nombre fini de germes de fonctions analytiques est fermé.
Le théorème suivant généralise le théorème précédent (la démonstration utilise
les théorèmes 1 et 2 et aussi les techniques développées pas S.-Lojasiewicz et
B. Malgrange) :
THEOREME 3. - Soit I un idéal de ®p. Si ^E:C°°(n ,p), en général l'idéal 4>*/
est fermé.
Enfin, il résulte facilement du théorème de B. Malgrange que l'anneau Sn est
plat sur l'anneau ®n des germes des fonctions numériques, analytiques à l'origine
de R". L'analogue de ce résultat dans le présent contexte est le suivant :
THEOREME 4. - Soit I un idéal de ep. Si $ E C°°(n , p), en général TOR*(epH &n)
est un R-espace vectoriel de dimension finie (et même, en général
TOR*(*plt.*n)=0>
si la dimension homologique dh(6p/I) de ®p/I sur 6p est < n).
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lUn germe d'application <I> E C°°(n , p) munit êM d'une structure de 0p-module :
le module TORxep(®p/I, ê„) est alors noté TOR*(ep/I, &n) ; la condition
TOR*(®p/I, ë„) = 0 signifie simplement ceci : si / est engendré sur ®p par
fx9 • • • 9 fq-> *e module des relations entre les ft o <ï> à coefficients dans %n est
engendré sur ê n par les relations entre les ft à coefficients dans 6p].
On déduit des théorèmes précédents de nombreux renseignements sur l'idéal
$ * / : par exemple, si 0p/I est réduit (i.e. sans nilpotents) et si dh(6pll)<n,
en général Sw/**7 est réduit ; si 6p/I est normal et si dh(6p/I) < n — 1, en
général & J&* I est normal.
4. Stabilité locale des idéaux (J.C1. Tougeron, [6]).
Désignons par Dif(«) le groupe des germes ^> (à l'origine de R") des difféomorphismes C°° d'un voisinage de l'origine de Rn sur un voisinage de l'origine
de R", tels que %(0) = 0.
DEFINITION. - Un germe d'application &GC°°(n ,p) est I-déterminant s'il existe
un entier q tel que la condition suivante soit satisfaite :
Pour tout $' E C°°(n , p) tel que $ — $' soit fl-plat à l'origine
(i.e.
irq oT(Q) = irqo T ($')),
il existe un élément d.e Dif(«) qui transforme l'idéal <!>*/ en l'idéal <&'*/.
En particulier, sous cette dernière hypothèse, et si $q désigne le polynôme
de Taylor de degré q de $ à l'origine, il existe un élément de Dif(«) qui transforme l'idéal <I>* / en l'idéal $* / : donc, à difféomorphisme C°° près, l'idéal $* /
est engendré par des germes de fonctions analytiques.
Nous dirons que l'idéal / est rigide, si en général un élément de C°°(n , p) est
/-déterminant. On a le résultat suivant :
THEOREME 5. - Soit I un idéal de hauteur k de 0 p , tel que
I = y/J
et
ht (Rk(I)) > inf (n, p - l).
L'idéal T est rigide.
Soit / un idéal de 6p tel que / = y/7 et ht (I) > inf (n - 1, p — 2) : l'hypothèse du théorème précédent est alors satisfaite (l'hypothèse J = y/7 entraine en
effet : ht (Rk(I)) > k = ht (I)) et donc / est rigide. En particulier, si n < 2 ou
si p < 3, tout idéal premier de 6p est rigide (par contre si n > 3 et si p > 4, il
existe dans 6p des idéaux non rigides).
Signalons enfin la conséquence suivante. Soit yl9.. ., yp un système de coordonnées locales à l'origine de Rp. L'idéal / engendré par y19... 9 yp dans &p est
évidemment rigide et <&* / est égal à l'idéal (<&) engendré dans &n par les composantes de <É>. Ainsi, en général il existe un entier q > 0 et un élément de Dif(n)
qui transforme l'idéal ($) en l'idéal (<£>q) engendré dans &n par les polynômes
de Taylor d'ordre q des composantes de $ (en fait, on a des résultats beaucoup
plus précis : nous renvoyons le lecteur à [6], ch. II).
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BIBLIOGRAPHIE
[1] HöRMANDER L, — On the division of distributions by polynomials, Arkiv för
Mathematik, 3, 1958, p. 555-568.
[2] LojASiEWicz S. — Sur le problème de la division, Studia Math, 18, 1959, p. 87-136,
[3] MALGRANGE B. — Ideals of differentiable functions. Oxford Uni-Press, 1966.
[4] SERRE J.P. — Algèbre locale, Multiplicités, lecture notes, in Mathematics, 11, 1965.
[5] THOM R. — Un lemme sur les applications différentiables, Bol. Soc. Mat. Mexicana,
1956, p. 59-71.
[6] TOUGERON J. Cl. — Idéaux de fonctions différentiables I, Annales de l'institut
Fourier, Tome XVIIL
[7] TOUGERON J. Cl. et MERRIEN J. — Idéaux de fonctions différentiables II, Annales
de l'institut Fourier, Tome XX.
Faculté des Sciences de Rennes Beaulieu
Dept. de Mathématique
35 - Rennes
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