tard),
le commerce a toujours été une activité centrée sur la
demande, ce qui lui a conféré une capacité inégalée
d'adaptation
et
d'innovation. Or cette tendance séculaire connaît aujourd'hui
une évolution inverse. Alors que l'industrie a relativisé l'impor-
tance
de l'offre et découvert la primauté du marché, le commerce
devenu distribution attache de plus en plus d'importance à sa
fonction
d'offre, ce qui risque de lui faire reléguer au second plan
la
primauté du consommateur. Il est en
effet
frappant de consta-
ter, en lisant les déclarations des dirigeants de grandes entreprises
commerciales,
à
quel point l'optimisation de l'activité de distribu-
tion prend le pas sur la relation avec le consommateur : la
recherche
des gains de productivité est évoquée beaucoup plus
systématiquement que l'amélioration de la satisfaction du con-
sommateur, ce qui a inévitablement conduit à des réactions de
rejet
de la clientèle Rappelons quelques exemples :
-
la lecture optique aux caisses de sortie est une extraordi-
naire source de gains de productivité.
Elle
permet l'élimination du
marquage individuel des produits, accélère le passage aux caisses
et
rend possible l'optimisation de la gestion des stocks et des
approvisionnements. Mais son introduction massive dans les
magasins a souvent suscité des réactions de méfiance de la
part
de
la
clientèle
en raison
d'une
absence d'information sur le fonction-
nement de cette technique. A l'heure où l'édition du ticket de
caisse
par le client lui-même est à l'ordre du jour (technique de
selfscanning),
une très grande prudence est souhaitable pour éviter
une réaction de rejet de la
part
de la clientèle.
-
La démarque inconnue est un fléau pour la distribution
en
libre-service.
Sa réduction permet un accroissement immédiat
de la rentabilité. Il est donc légitime que les magasins se dotent de
procédures les plus
efficaces
possibles. Mais aucune procédure
n'est infaillible, et
trop
de clients peuvent relater la désastreuse
expérience
que constitue une interpellation sans ménagement par
un vigile à la sortie du magasin lorsque la caissière a simplement
oublié
de désactiver une protection magnétique. L'impact de ces
incidents est tout simplement catastrophique pour l'image de
l'enseigne,
et même du commerce en général.
-
Le commerçant risque enfin d'oublier ce principe fonda-
mental qui a gouverné la dynamique commerciale : toute nou-
velle
forme de vente doit correspondre à une attente de
la
clientèle.
Si
la recherche de gains de productivité prend le pas sur cette
approche, le distributeur risque de lancer des innovations inadap-
tées
au marché. Les spécialistes du secteur se souviennent de cet
hypermarché lyonnais qui avait adopté un système de double
encaissement
à la sortie et un plan révolutionnaire d'implantation
des rayons, pour abandonner, quelques mois après l'ouverture,
ces
expériences rejetées par la clientèle.
L'échec
en France de la
formule des centres de magasins
d'usine
est une autre illustration
des risques auxquels est exposée une offre inadaptée à la demande
du marché.
Une
conséquence importante de cette évolution est l'aug-
mentation de l'intensité capitalistique de la distribution. Si les
premiers hypermarchés étaient de simples hangars, les grandes
surfaces
modernes exigent des investissements considérables, non
seulement au niveau du bâtiment et de la surface de vente, mais
surtout dans le domaine technique : l'éclairage, la climatisation,
les
laboratoires, les systèmes d'encaissement et de traitement de
l'information exigent l'engagement de ressources importantes qui
élèvent
le seuil de rentabilité du magasin et rendent primordiale
la
recherche de productivité. Les contraintes financières qui
pèsent sur le distributeur sont de plus en plus comparables à
celles
que connaît l'industriel. Il n'est donc pas surprenant que le mode
de raisonnement du distributeur et, en particulier, ses critères de
décision
s'éloignent de ceux du marchand pour se rapprocher de
ceux
du producteur. La théorie des organisations nous a enseigné
qu'il est toujours
difficile
dans de telles circonstances de faire
évoluer la culture de l'organisation de telle sorte qu'elle préserve
ses
valeurs traditionnelles tout en adoptant de nouveaux
objectifs.
LA MATURITÉ DE LA FORMULE DE VENTE
DOMINANTE
La
distribution française est aussi confrontée au danger qui
menace
souvent l'innovateur qui a
trop
bien réussi : la sous-
estimation de la capacité de riposte de la concurrence. La
crois-
sance
du secteur s'est en
effet
principalement appuyée sur cette
innovation exceptionnellement réussie qu'a été l'hypermarché en
France.
Cette combinaison originale d'assortiments alimentaires
et
non alimentaires sous un même toit convenait parfaitement à
la
modernisation d'un appareil commercial inadapté à l'évolution
de la consommation. Le
«
produit
»
hypermarché a été constam-
ment adapté, et il constitue aujourd'hui une forme de vente très
performante. Mais l'homogénéité de cette forme de vente laissait
peu de moyens aux enseignes pour se différencier les unes par
rapport
aux autres. En conséquence, la guerre des prix est rapide-
ment devenue le principal argument de différenciation. Mais la
pression sur les prix doit s'accompagner de réductions parallèles
des coûts si l'on veut limiter l'érosion des marges 2. On connaît la
conséquence
de ce scénario : pressions accrues sur les marges des
fournisseurs, concentration des achats, disparition des enseignes
trop
faibles.
Il est symptomatique d'observer que les distributeurs
ont cherché à améliorer leur performance financière en rationa-
lisant l'amont de leurs points de vente, plutôt qu'en tentant de
diversifier
la politique commerciale de leurs magasins
:
la mise en
place
de circuits logistiques de mieux en mieux contrôlés a
mobilisé
des moyens considérables, mais l'offre à la clientèle
connaissait
assez peu d'évolutions en général (à l'exception de
deux enseignes traditionnellement très innovantes : Carrefour et
Auchan).
Les distributeurs français constatent à présent la dété-
rioration de leur rentabilité et surtout la faible différenciation de
leurs enseignes dans l'esprit de la clientèle. Les exemples ne
manquent
pourtant
pas pour rappeler qu'une logistique amont
très performante n'est en aucun
cas
un gage de
succès
de
la
stratégie
du distributeur : la chaîne américaine de supermarchés A&P s'est
effondrée
à la fin des années soixante-dix, en dépit de la
sophistication de son appareil logistique, parce que son offre était
moins bien perçue par la clientèle que
celle
de ses concurrents.
Or
au même moment
d'autres
distributeurs attaquent la
position des hypermarchés en adoptant une autre stratégie :
plutôt que de concurrencer des hypermarchés très productifs, ils
innovent en introduisant de nouvelles formes de vente qui visent
des segments plus étroits du marché. Les grandes surfaces spécia-
lisées
et les
hard
discounters
deviennent ainsi de redoutables con-
currents qui tirent parti de la faiblesse structurelle de l'hypermar-
ché
: son absence de positionnement fort.
L'hypermarché français occupe en
effet
aujourd'hui une
position, dans l'esprit du consommateur, qui n'est pas très
différente de
celle
des grands magasins des années
soixante-dix.
La
caractéristique de l'hypermarché, c'est la largeur de son assorti-
ment, et parfois, pour certaines enseignes comme Auchan, sa
profondeur. Mais la taille même de l'hypermarché le contraint à