Ecole des HEC Université de Lausanne FINANCE EMPIRIQUE Eric Jondeau FINANCE EMPIRIQUE La prévisibilité des rendements Eric Jondeau L’hypothèse d’efficience des marchés Motivation L’idée de base de l’hypothèse d’efficience des marchés est que les prix observés sur les marchés financiers reflètent à tout moment toute l’information disponible. Les intervenants sur les marchés ne peuvent donc pas espérer dégager un rendement « anormal » en se lançant dans une activité de prévision des prix d’actif. Pour pouvoir tester cette capacité à dégager un rendement anormal, il faut au préalable définir ce qu’est un rendement normal. On peut admettre par exemple que le rendement normal est celui qui est cohérent avec le MEDAF. Les objectifs de ce chapitre sont les suivants : - définir précisément la notion d’efficience des marchés - déterminer les implications de l’efficience - présenter les principaux tests de l’efficience - proposer des résultats empiriques concernant l’efficience selon différentes approches L’hypothèse d’efficience des marchés Implications de l’hypothèse d’efficience des marchés Si l’efficience des marchés est vraie, - le rôle des analystes financiers et des gestionnaires de fonds est extrêmement réduit. Pour l’essentiel, il consiste à constituer un portefeuille imitant le portefeuille de marché au coût le moins élevé possible ; - le rôle des trésoriers d’entreprise est également très limité, puisque la structure de financement de l’entreprise est indifférente quand les marchés sont efficients ; - enfin, si les fluctuations qu’on trouve souvent excessives des prix des actions proviennent d’un fonctionnement efficient des marchés, l’intervention publique (comme par exemple, fermer le marché lors d’un crash boursier) est inutile. L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : anticipations, martingale et fair game Il existe un grand nombre de définitions possibles de l’efficience des marchés. La plus naturelle consiste à dire que les marchés sont efficients si les rendements futurs sont imprévisibles compte tenu de l’information disponible. Cette définition fait référence directement à la notion d’espérance conditionnelle. Supposons ainsi que les agents connaissent la valeur prise par certaines variables jusqu’à aujourd’hui. L’ensemble d’information est noté I t = {Y1,t , Y2,t ,...} où Yi ,t est connu par l’agent à la date t. En général, cet ensemble d’information inclut les réalisations passées de la variable à prévoir, mais il peut aussi être beaucoup plus vaste. On note cette espérance conditionnelle Et [ X t +1 ] = E[ X t +1 | I t ] = ∫ ∞ −∞ xt +1 f ( xt +1 | I t )dxt +1 où f ( xt +1 | I t ) est la distribution conditionnelle. L’espérance conditionnelle est la prévision optimale de la variable X t +1 en fonction de toute l’information disponible I t . L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : anticipations, martingale et fair game L’espérance conditionnelle a certaines propriétés intéressantes : 1. La prévision est sans biais : l’erreur de prévision ε t +1 = X t +1 − Et [ X t +1 ] est d’espérance nulle car Et [ε t +1 ] = Et [ X t +1 ] − Et [ X t +1 ] = 0 . On a donc X t +1 = Et [ X t +1 ] + ε t +1 . 2. L’erreur n’est corrélée avec aucune information connue à la date t ou avant. Autrement dit, on a Covt [ε t +1 , Yi ,t ] = 0 pour tout Yi ,t ⊂ I t . Cette propriété traduit le fait que les agents utilisent au mieux l’information dont ils disposent et, en particulier, qu’ils ne pourraient utiliser aucune information accessible pour améliorer leur prévision. L’erreur de prévision est donc de variance minimale. 3. L’erreur de prévision est imprévisible. Si on cherche à connaître à la date t l’erreur de prévision qu’on fera à la date t+1 pour la variable X t + 2 , la meilleure prévision qu’on peut faire est Et [ X t + 2 − Et +1[ X t + 2 ]] = 0 . (loi des espérances itérées). Remarque : l’erreur de prévision ε t +1 peut être très large, mais elle ne peut pas être réduite compte tenu de l’information disponible. L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : anticipations, martingale et fair game Supposons maintenant que le processus aléatoire Xt soit tel que Et [ X t +1 ] = X t Un tel processus est appelé une martingale. La meilleure prévision de toutes les valeurs futures X t +i (i ≥ 1) est la valeur actuelle X t . Donc aucune information supplémentaire dans I t n’est nécessaire si l’agent connaît déjà X t . Un processus aléatoire yt est appelé fair game si Et [ yt +1 ] = 0 Un fair game est imprévisible compte tenu de I t . Donc si X t est une martingale alors la différence y t +1 = X t +1 − X t est un fair game. Un fair game est aussi appelé une différence de martingale. L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : anticipations, martingale et fair game On peut maintenant caractériser l’efficience de la façon suivante : les rendements anormaux y t +1 = rt +1 − rt*+1 vérifient la propriété de fair game, avec rt*+1 le rendement normal (ou d’équilibre). Le rendement anormal obtenu par la détention d’un actif risqué doit être nul en moyenne. Supposons maintenant que le rendement normal est une constante k. Alors la propriété de fair game implique que le rendement anormal anticipé s’écrit Et [rt +1 − k ] = 0 Comme le rendement rt +1 est défini comme rt +1 = ln( Pt +1 + Dt +1 ) − ln( Pt ) , on a aussi Et [ln( Pt +1 + Dt +1 ) − ln( Pt )] = k L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : anticipations, martingale et fair game Comme les dividendes varient dans le temps, le log des prix ne peut pas être une martingale. En revanche, l’efficience implique que les prix incluant les dividendes sont une martingale. ~ En effet, si on définit Pt le prix incluant les dividendes, alors on a ~ ~ ln( Pt +1 ) − ln( Pt ) = rt +1 ou ~ ~ Et [ln( Pt +1 )] = ln( Pt ) + k . L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : les notions d’efficience Selon l’information incluse dans I t , on peut définir trois formes d’efficience : 1. Selon l’efficience faible, les rendements reflètent pleinement l’information contenue dans l'historique des rendements. L'analyse du comportement des rendements passés (« analyse technique ») ne permet donc pas d’améliorer la prévision des rendements. 2. L’efficience semi-forte stipule que les rendements courants reflètent l’ensemble de l’information disponible à tous utile pour prévoir l’évolution des marchés. Elle implique notamment que l’« analyse fondamentale » fondée sur l’information disponible ne permet pas d’améliorer la prévision des rendements. 3. Enfin l’efficience forte établit que toute l’information connue de l’un des participants au marché est pleinement reflétée dans les rendements. Dans ce cas, même ceux qui disposent d’informations privilégiées (ou privées) ne peuvent pas mieux prévoir les rendements futurs. L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : les notions d’efficience Une première approche du test de l’efficience des marchés repose donc sur la capacité à prévoir les rendements futurs. Il existe une autre implication intéressante de l’efficience : Si le marché est efficient, on ne peut pas dégager de rendement anormal sur la base d’une information. Ainsi, il est peut-être possible de prévoir l'évolution des prix futurs de façon plus précise que ne le font les autres investisseurs, mais le rendement dégagé (net des frais) doit rester nul. Les frais associés à l'activité de prévision sont nombreux : collecte et achat d'information, construction de modèles, maintien d'une présence sur le marché. Finalement, l'activité de prévision est rémunérée, mais son exercice ne permet pas de dégager un rendement anormal. Ce résultat est très intéressant, car il permet une confrontation aux données : - Performances des professionnels du marché (gestionnaires de fonds, analystes). Mise en place d’une stratégie de placement hypothétique. L’hypothèse d’efficience des marchés Définitions : les notions d’efficience L’efficience des marchés n’implique pas que les rendements doivent être nuls, mais qu’il ne doit pas y avoir de profit au-delà du rendement normal. Le rendement normal peut être supposé constant au cours du temps, mais il peut aussi être déterminé selon le MEDAF. Ce point est important, car le fait que le rendement soit prévisible peut venir du fait que le rendement normal est lui-même prévisible pour un ensemble d’information donné. Le rendement anormal est déterminé comme la différence entre le rendement observé et le rendement normal. Les prévisions des rendements anormaux sont construites à partir de l’ensemble d’information choisi. Si les rendements anormaux sont prévisibles, l’efficience des marchés est rejetée. Les tests d’efficience sont donc des tests joints : (1) de l’efficience et (2) du modèle pour les rendements normaux. Donc si l’hypothèse nulle est rejetée, cela peut-être dû au rejet du modèle d’équilibre ou de l’efficience. Test d’efficience faible Caractérisation du fair game Il y a plusieurs façons de décrire l’hypothèse de fair game. 1) Le processus iid (indépendamment et identiquement distribué) Un processus iid ε t +1 vérifie E[ε t +1 ] = 0 V [ε t +1 ] = σ 2 et Cov[ε s , ε m ] = 0 ∀s ≠ m Cette hypothèse est plus restrictive que le fair game. Il interdit notamment toute dépendance entre ε s et ε m , alors que le fair game suppose seulement qu’il n’existe pas de relation linéaire entre ε s et ε m . 2) Le processus non autocorrélé Le processus ε t +1 est supposé non autocorrélé ( Cov[ε t , ε t −k ] = 0 pour tout k ≠ 0), mais le carré des ε t +1 peut être autocorrélé ( Cov[ε t2 , ε t2−k ] ≠ 0 pour un k ≠ 0). Test d’efficience faible Test d’absence d’autocorrélation Si on admet la stationnarité des rendements, le coefficient d’autocorrélation s’écrit ρk = Cov[rt , rt − k ] Cov[ rt , rt − k ] = V [rt ] V [ rt ]V [rt − k ] Pour un échantillon de rendements donné {rt }, on a (r − r )(rt −k − r ) ∑ t = k +1 t ρˆ k = T ∑t =1(rt − r ) 2 T ∀0 ≤ k ≤ T − 1 Sous l’hypothèse iid, ρ̂ k a la distribution asymptotique suivante a T ρˆ k ~ N (0,1) . Test d’efficience faible Test d’absence d’autocorrélation Ljung et Box (1978) ont propose la statistique Portmanteau pour l’hypothèse nulle H 0 : ρ1 = ... = ρ K = 0 , contre l’hypothèse alternative H 0 : ρ i ≠ 0 pour un i ∈ {1,..., K }: K QK = T (T + 2) 1 ρˆ k2 T −k k =1 ∑ a Sous l’hypothèse nulle, si {rt } est iid, on a QK ~ χ 2 ( K ) . Le choix du nombre de retards K peut être guidé par des considérations théoriques, mais il est sage en général de tester différentes valeurs de K. Remarque : Quand on s’intéresse à des rendements quotidiens, on s’attend à ce que le rendement normal varie peu au cours du temps. Les rendements quotidiens fournissent donc une bonne approximation du rendement anormal (à un terme constant près). Test d’efficience faible Test de prévisibilité Même s’il semble naturel de tester l’efficience faible à partir d’un simple test d’autocorrélation, l’efficience faible présente un caractère plus général. Par exemple, les termes d’erreur passés sur le rendement ou des effets saisonniers peuvent affecter l’évolution des rendements. Exemple : Etude de Fortune (1991) sur les rendements quotidiens du S&P 500 entre janvier 1980 et septembre 1990. Il obtient la régression : rt = 0,0007 + 0,054 ε t −1 − 0,037 ε t −2 − 0,019 ε t −3 − 0,054 ε t −4 + 0,051ε t −5 ( 2 ,8 ) ( 2 ,8 ) (1, 9 ) (1, 0 ) ( 2 ,8 ) ( 2,7 ) − 0,0017WEt + 0,0006 HOLt + 0,0006 JAN t + ε t ( 3, 2 ) ( 0, 2 ) ( 0 ,82 ) où R 2 = 0,0119 , σ ε = 1,08% et (.) = t stat. WEt = 1 si le jour de la date t est un lundi et 0 sinon, HOLt = 1 si la date t est précédent d’un jour férié et 0 sinon et JAN t = 1 pour les jours du mois de janvier. Test d’efficience faible Test de prévisibilité Comment interpréter ces résultats : - même si l’efficience faible est globalement valide pour des fréquences hebdomadaires ou mensuelles, elle est souvent rejetée à la fréquence quotidienne. - la meilleure représentation de la dynamique des rendements n’est pas un processus autorégressif où le rendement dépend des rendements passés, mais un processus moyenne mobile où le rendement dépend des erreurs passées. Il s’agit bien d’un rejet de l’efficience faible. - il existe un effet week-end marqué, qui implique que les rendements ont tendance à être plus faibles le lundi que les autres jours de la semaine. La raison est que les mauvaises nouvelles sont plutôt annoncées le week-end. Ces résultats suggèrent que les marchés ne sont pas efficients, puisqu’on peut prévoir, dans une certaine mesure, les rendements futurs. Test d’efficience faible Test de prévisibilité Est-ce suffisant toutefois pour conclure qu’il est possible de dégager des rendements anormaux sur la base de cette information ? Pas nécessairement. Le R 2 indique que le modèle n’est capable d’expliquer que 1% de la variabilité du rendement. Le gain par rapport à une situation de fair game sera sans doute très limité. Ainsi, si on cherche à profiter de l’effet week-end, l’idée serait de vendre à découvert l’indice le vendredi et de le racheter le lundi. Toutefois, le gain moyen serait de 0,17% seulement. Comme le portefeuille de marché (l’indice S&P 500) est composé d’un grand nombre de titres, les frais de transaction compenseraient très largement le faible gain lié à cette stratégie. La leçon de cet exemple est que (1) on peut être amené à rejeter l’hypothèse d’efficience des marchés au sens strict de « non prévisibilité » des rendements, mais (2) sans être en mesure pour autant réaliser des gains anormaux. Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) Un test plus adapté de l’incapacité à réaliser des rendements anormaux devrait porter sur des stratégies réalistes : il s’agit de considérer des stratégies portant sur des titres (et non des indices) et de prendre en compte l’ensemble des coûts de transaction, ainsi que les coûts de collecte et de traitement de l’information. Le principe est de tester si les rendements anormaux ri ,t +1 − Et [ri ,t +1 ] sont indépendants des variables Λ t appartenant à l’ensemble d’information, à partir de la régression ri ,t +1 = Et [ri ,t +1 ] + γ ' Λ t + ε i ,t +1 où Et [ri ,t +1 ] est le rendement normal. Si Λ t a un pouvoir explicatif additionnel, alors le rendement anormal ri ,t +1 − Et [ri ,t +1 ] est prévisible. L’hypothèse d’efficience porte alors sur le test de l’hypothèse H 0 : γ = 0 . Remarque : Dans ces tests, ε t +1 doit être non autocorrélé, mais il pourrait être hétéroscédastique sans pour autant violer l’hypothèse d’efficience informationnelle. Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) Exemple 1 : Goetzmann et Jorion (1993) étudient le lien entre le rendement des actions sur différents horizons et le dividend yield (D/P) E[rt , t + T ] = α T + βT ( Dt / Pt ) + ε t , t + T où rt ,t +T est le rendement moyen du titre entre les dates t+1 et t+T. Le rendement normal est supposé constant au cours du temps (et intégré dans la constante α ). Ils estiment cette relation pour le rendement mensuel et les rendements sur 1 à 4 ans, pour l’indice S&P500 de New York. Les principaux résultats sont les suivants : - pour les rendements mensuels, le dividend yield a un coefficient significatif et positif ( βT > 0 ) mais moins de 1% de la variance du rendement est expliquée par le modèle. - pour des horizons plus éloignés, le pouvoir explicatif augmente. Par exemple, sur 1927-90, le R 2 pour les horizons 1, 2, 3 et 4 ans est de 12, 18, 24 et 39%. Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) Horizon 1 12 24 36 48 1 12 24 36 48 1927-90 βT t-stat 0,386 2,80 5,108 9,97 9,071 12,73 12,939 15,38 21,392 21,42 R2 0,010 0,116 0,179 0,244 0,390 1927-58 βT t-stat 0,415 1,89 5,846 6,97 10,778 8,97 16,167 11,30 28,987 18,06 R2 0,009 0,116 0,186 0,269 0,493 1959-90 βT t-stat 0,668 2,76 8,757 11,04 14,401 14,29 19,740 17,15 27,911 20,26 R2 0,020 0,247 0,363 0,459 0,551 Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) Une limite de ce type d’approche où le rendement d’équilibre (normal) est supposé constant est qu’on ne sait pas si une augmentation du dividend yield reflète un changement du rendement d’équilibre (rejet du modèle d’équilibre) ou la prévisibilité des rendements anormaux (rejet de l’efficience des marchés). Exemple 2 : Pesaran et Timmermann (1992) étudient de façon très complète l’ensemble des problèmes économétriques posés par les tests d’efficience. Ils s’intéressent aux excès de rendement (à un mois, un trimestre et un an) pour l’indice S&P 500 entre 1954 et 1971. Ils trouvent qu’un petit ensemble de variables expliquent l’évolution des rendements : - pour l’horizon annuel, l’inflation, la variation du taux à 3 mois et la prime de terme (taux long – taux court) expliquent 60% de la variance de l’excès de rendement. - pour les horizons mensuels et trimestriels, le pouvoir explicatif est de 10 et 20% Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) - ils vérifient que les estimations ne souffrent d’aucune mauvaise spécification (autocorrélation des erreurs, hétéroscédasticité, normalité, etc.). - ils étudient la capacité de leur modèle à prévoir les rendements futurs. Ils montrent que 70-80% des rendements annuels prévus et 65% des rendements trimestriels prévus ont le bon signe. Les excès de rendement peuvent donc être relativement bien prévus, à partir d’un petit nombre de variables explicatives. - ils considèrent alors la stratégie de placement suivante (stratégie active) : Si l’excès de rendement prévu est positif, alors achète le portefeuille d’actions, sinon achète des obligations gouvernementales de maturité égale à l’horizon du placement (annuel, trimestriel ou mensuel). Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) Cette stratégie active ne présente pas de risque de faillite, puisqu’il n’y a aucune vente à découvert. Elle est comparée à une stratégie de référence qui consiste à détenir le portefeuille d’actions tout le temps (stratégie passive). La profitabilité de la stratégie active par rapport à la stratégie passive est mesurée pour différents niveaux des coûts de transaction. Les principaux résultats sont les suivants : - la stratégie active dégage toujours un rendement anormal par rapport à la stratégie passive pour un horizon de placement annuel, quel que soit le niveau des coûts de transaction considérés. - en revanche, pour les horizons trimestriels et mensuels, la stratégie active n’est gagnante que pour des coûts de transaction bas. - la volatilité de la stratégie active est inférieure à celle de la stratégie passive pour les horizons annuels et trimestriels, mais pas pour l’horizon mensuel. Test d’efficience semi-forte Test de prévisibilité (ou d’efficience informationnelle) Coûts de transaction Stratégie passive (ptf de marché) aucun élevés Stratégie active aucun élevés Bons du Trésor (actif sans risque) aucun élevés Rendement moyen (en %) Ecart-type (en %) 10,8 13,1 10,7 13,1 12,7 7,24 12,21 7,16 6,75 2,82 6,64 2,82 Indice de Sharpe Indice de Treynor Indice de Jensen 0,31 0,040 − 0,30 0,039 − 0,82 0,089 0,045 0,76 0,081 0,041 − − − − − − Richesse de fin de période (=100$ en janvier 1960) 1913 1855 3833 3346 749 726 Anomalies Sur un marché efficient, tous les investisseurs ont accès à la même information, ils utilisent cette information de la même manière, et ils ont les mêmes opportunités d'emprunt ou de placement. Dans le monde réel, ces conditions ne sont en général pas remplies : - les investisseurs n'ont pas les mêmes anticipations concernant les revenus futurs ou les conditions économiques futures ; - ils peuvent faire face à des coûts de transaction différents, des taux d'imposition différents ; - ils ne disposent pas des mêmes ressources (en temps et en argent) dans la collecte et l'utilisation de l'information. Si ces éléments d'hétérogénéité des investisseurs sont importants pour la détermination des prix et des rendements, ils peuvent affecter substantiellement et de façon persistante les valeurs fondamentales des actifs. Ces hétérogénéités conduisent à ce qu'on appelle des anomalies sur les marchés financiers. Anomalies L'effet week-end L'effet week-end fait référence au fait que le taux de rendement quotidien de certains titres ou indices boursiers est systématiquement plus bas entre le cours de clôture du vendredi et le cours d'ouverture du lundi par rapport aux autres jours de la semaine. Une explication qui a été souvent avancée de l'effet week-end est que les entreprises et le gouvernement distribuent les bonnes nouvelles entre le lundi et le vendredi, mais attendent le week-end pour annoncer les mauvaises nouvelles. Une mauvaise nouvelle annoncée le week-end est donc reflétée dans une baisse du prix le lundi matin. Dans un marché efficient, certains investisseurs devraient mettre en œuvre une stratégie d'investissement permettant de profiter de cette anomalie. Par exemple, ils devraient vendre le titre le vendredi (quand le prix est haut) et le racheter le lundi (quand le prix est bas). Pour que les investisseurs dégagent un rendement anormal, il faut supposer que le profit anticipé dépasse les coûts de transaction et la rémunération du risque. Un tel comportement devrait conduire à une élimination de l'anomalie, puisque le prix devrait baisser le vendredi et augmenter le lundi. Anomalies L'effet week-end Estimation menée à partir des rendements quotidiens pour l’indice CRSP (Etats-Unis) entre janvier 1963 et décembre 1998. La semaine du Black Monday (19 octobre 1987, environ -23% pour l’indice américain) a été supprimée. 1963-1998 Rendement t-stat 1963-1987 Rendement t-stat 1988-1998 Rendement t-stat Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi -0,056 1,745 0,061 1,853 0,105 1,838 0,036 1,821 0,093 1,808 -0,123 -4,129 0,038 1,718 0,118 5,029 0,062 2,844 0,107 5,193 0,096 2,560 0,114 3,680 0,077 2,780 -0,019 -0,059 0,063 1,790 Source : Brusa, Liu, Schulman (2004), « Weekend Effect, "Reverse" Weekend Effect, and Investor Trading Activities » Anomalies L'effet week-end Que se passe-t-il ? - L’effet week-end (rendement négatif le lundi) existe sur toute la période et sur la période avant le crash de 1987, mais s’inverse après le crash de 1987. - Parallèlement, on a observé un basculement du comportement des investisseurs. La part des investisseurs individuels a diminué sensiblement (90% dans les années 50 à moins de 50% dans les années 90). La part des investisseurs institutionnels a augmenté de 8% à plus de 40% dans le même temps. - Les investisseurs institutionnels ont tendance à investir plus naturellement dans les titres les plus liquides. Or l’effet « week-end inversé » est nettement plus marqué pour les firmes les plus liquides, mais on n’a pas d’effet inversé pour les petites firmes. Il semble donc que cette inversion soit liée au changement de composition dans l’actionnariat des grandes firmes et à un comportement différent des investisseurs individuels et institutionnels. Anomalies L'effet janvier L’effet janvier est un phénomène similaire à l'effet week-end. Le taux de rendement quotidien apparaît inhabituellement élevé lors des premiers jours de janvier. Une explication du phénomène repose sur les ventes d'actions en fin d'année. Ces ventes ont pour objectif de réaliser les pertes en capital sur certains titres, afin de compenser les gains en capital obtenus sur d'autres titres au cours de l'année (window dressing). L'intérêt est alors de réduire le montant de l'impôt sur les plus-values. En janvier, les investisseurs reconstituent leur portefeuille d'équilibre et rachètent les titres qu'ils ont vendus en décembre. Si l'hypothèse d'efficience est valide, cet effet janvier devrait conduire les investisseurs qui ne paient pas d'impôts (comme les fonds de pension) à acheter en décembre quand les prix sont bas et à vendre en janvier quand les prix remontent, de façon à éliminer des opportunités d'arbitrage. L'effet janvier semble se produire au cours des cinq premiers jours de janvier et se concentrer plus surtout sur les petites entreprises. Anomalies L'effet janvier Estimation menée à partir des rendements quotidiens pour l’indice CRSP (Etats-Unis) entre janvier 1963 et décembre 1982. Ratio de Sharpe t-stat de la différence par rapport à janvier Janvier 0,259 Février -0,014 6,54 Mars 0,026 5,87 Avril 0,038 5,25 Mai -0,072 8,41 Juin -0,055 7,98 Juillet -0,008 6,74 Août -0,005 6,73 Septembre 0,012 6,13 Octobre -0,041 7,63 Novembre 0,031 5,81 Décembre 0,022 6,07 Source : Rathinasamy, Mantripragada (1996), “The January size effect revisited: Is it a case of risk mismeasurement?” Anomalies L'effet taille De nombreuses études ont montré que le rendement est inversement lié à la capitalisation boursière des actions. Les entreprises de petite capitalisation ont en moyenne un rendement supérieur à la moyenne. Selon les modèles d'équilibre usuels (comme le MEDAF), comme les petites entreprises sont plus risquées, elles devraient rapporter un rendement supérieur aux grandes entreprises de façon à rémunérer le risque lié à la détention de leurs actions. Or, même une fois ajusté du risque, le rendement des petites entreprises reste excessif. Pour l’essentiel, l’effet taille joue surtout au mois de janvier. De ce fait, les deux effets janvier et taille sont largement liés. En fait, les petites firmes ont un ensemble de caractéristiques qui rendent difficiles d’identifier la source de cette anomalie : - les petites firmes font l’objet de peu de recherche et communication, ce qui les rend plus risquées pour les investisseurs. - elles sont aussi moins liquides, donc le risque de ne pas pouvoir revendre les titres des petites firmes est plus élevé. Anomalies L'effet taille Estimation menée à partir des rendements quotidiens pour l’indice CRSP (Etats-Unis) entre janvier 1986 et décembre 1990. Portefeuilles classés selon la taille 1 (plus grandes entreprises) 2 3 4 5 6 7 8 9 10 (plus petites entreprises) Excès de rendement moyen ( µ p − rf ) -2,59 -1,78 -1,70 -0,97 -0,82 -0,67 -1,06 -0,73 -0,64 -0,65 Risque total (σ ) 14,65 14,01 13,52 12,05 11,45 11,11 11,16 10,14 10,17 10,45 Source : Elfakhani et Zeher (1998), “Differential information hypothesis, firm neglect and the small firm size effect”. Anomalies Les fonds d'investissement à capital fermé Les fonds d'investissement à capital fermé émettent un nombre fixe d'actions lors de leur création et ces actions peuvent faire l'objet d'échanges sur le marché boursier. Or la principale activité des fonds à capital est de détenir des titres, eux-mêmes généralement cotés sur le marché. La valeur du fonds devrait donc être égal à la valeur de marchés des titres détenus par le fonds. On observe en général que les actions des fonds à capital fermé s'échangent à un prix moindre que leur valeur de marché. Cette anomalie est contraire à l'efficience des marchés. Un investisseur pourrait en effet acheter des actions du fonds à un prix faible et, dans le même temps, vendre un portefeuille contenant les titres dans les mêmes proportions que le fonds. L'investisseur s'assurerait ainsi un gain sans risque égal à la sous-évaluation du fonds. Anomalies Les fonds d'investissement à capital fermé Toutefois, plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer une telle sousévaluation des fonds à capital fermé. Tout d'abord, les membres du fond devraient payer des impôts (sous forme d'impôts sur les plus-values), si le fonds vendait les titres après qu'ils se soient appréciés. Cet impôt potentiel justifie que le fonds se paie un prix moindre que la valeur de marché des actifs sous-jacents. De plus, certains des actifs des fonds à capital fermé ne sont pas échangeables sur le marché (ou ont des capitalisations très étroites). En outre, la rémunération des gestionnaires du fonds justifie une sous-évaluation du fonds. Il n'en reste pas moins que ces explications sont sans doute insuffisantes pour expliquer la forte sous-évaluation observée des fonds à capital fermé. Anomalies The Winner's Curse Il existe une autocorrélation négative forte pour les rendements des titres qui ont connu des mouvements de prix extrêmes (en particulier, ceux qui ont connu une forte baisse). Ainsi, pour certains titres, il existe un retour à la moyenne du prix. Les rendements sont donc partiellement prévisibles. La question, du point de vue de l'efficience, est « une telle prévisibilité peut-elle conduire à des profits nets des coûts de transaction et du risque positifs? ». De Bondt et Thaler (1985) ont pris 35 des titres ayant le plus progressé (winners) et 35 des titres ayant le plus chuté (losers) au cours des cinq années de janvier 1928 à décembre 1932 (à partir des rendements mensuels du NYSE). Ils ont formé deux portefeuilles distincts de ces titres. Ils suivent ces sociétés au cours des cinq années suivantes (période de test). Ils répètent l'exercice 46 fois, en avançant la date de départ d'une année à chaque fois. Finalement, ils calculent la performance moyenne sur la période de test (en écart au rendement du NYSE), en affectant un poids égal à chacun des 35 titres. Anomalies The Winner's Curse Les principaux résultats sont les suivants : - le retour à la moyenne sur cinq ans du prix du portefeuille perdant (excès de rendement d'environ 30%) est supérieur à celui du portefeuille gagnant (−10%). - l’excès de rendement du portefeuille perdant est obtenu surtout en janvier. - le rendement des portefeuilles retourne vers sa moyenne. Remarque : le portefeuille perdant (dont les prix ont chuté fortement dans le passé) est en fait celui qui réalise le plus grand gain dans le futur. Une stratégie d'arbitrage consistant à vendre le portefeuille gagnant et à acheter le portefeuille perdant conduit à un profit annuel supplémentaire de l'ordre de 5 à 8% (De Bondt et Thaler, 1989). Une explication de ce résultat est que le risque perçu diffère beaucoup du risque réel. Le risque perçu du portefeuille perdant est jugé élevé, ce qui nécessite un excès de rendement important dans le futur, pour qu'un investisseur accepte de le détenir. Anomalies Interprétation La plupart de ces anomalies mettent en évidence le résultat suivant : - les anomalies se produisent essentiellement pour les petites firmes, c’est-à-dire les firmes dans lesquelles les investisseurs institutionnels investissent très peu. - cela suggère qu’il existe deux types d’agents : * les investisseurs institutionnels (fonds de pension, fonds d’investissement) ont un comportement rationnel, donc les grandes firmes dans lesquelles ils investissent ont de bonnes chances de vérifier l’hypothèse d’efficience ; * les investisseurs individuels ont un comportement qui peut s’éloigner de la rationalité (noise traders). Les petites firmes dans lesquelles ils sont susceptibles d’investir ont un comportement peu compatible avec l’efficience. Noise traders L'hypothèse d'efficience n'impose pas que tous les intervenants sur le marché soient parfaitement rationnels. Ce qui est nécessaire, c'est que la proportion d'investisseurs rationnels soit suffisante pour assurer que la valeur fondamentale d'un actif est effectivement le niveau d'équilibre du prix. Supposons que certains investisseurs irrationnels (noise traders) fixent comme prix d'un actif Pt < Vt . Les investisseurs rationnels vont alors chercher à éliminer toutes les opportunités d'arbitrage présentes sur le marché en prenant des positions sans risque. Ils vont donc investir dans cet actif de telle sorte que le prix Pt augmentera vers sa valeur fondamentale Vt . Cependant, si la proportion des noise traders est importante sur un marché, il se peut que le prix diverge durablement de la valeur fondamentale. Supposons maintenant que des arbitragistes vendent à terme des actions qui apparaissent trop chères par rapport aux fondamentaux ( Pt > Vt ). Ils anticipent donc qu'ils pourront racheter le titre plus tard, quand son prix aura baissé, lors de son retour vers sa valeur fondamentale. Comme tous les arbitragistes agissent de cette façon, le prix doit baisser compte tenu de l'excès de ventes. Noise traders Les arbitragistes font en fait face à deux types de risque. - les dividendes pourraient être « meilleurs que prévus » et donc le prix de l'action pourrait encore monter. C'est ce qu'on appelle le risque fondamental. - des noise traders peuvent, par leur comportement irrationnel, accroître encore le prix de l'action, de sorte que les arbitragistes font également face à un risque de perte en capital : le risque de noise traders. Le risque encouru en prenant une position d'arbitrage n'existe que parce que les arbitragistes ont un horizon fini. En effet, les prix finiront bien par retourner vers leur valeur fondamentale et donc les arbitragistes feront in fine un profit. Toutefois, les prises de position des arbitragistes ont un coût (coût des emprunts) qui rend de moins en moins profitables ces prises de position. Donc, l’existence d’agents non rationnels n’est pas suffisante en elle-même pour rendre les marchés inefficients, car les agents rationnels (arbitragistes) devraient tirer avantage de ces opportunités de profit et faire en sorte que le prix revienne vers sa valeur fondamentale. C’est en fait la capacité d’action limitée des arbitragistes qui rend les marchés inefficients. Noise traders La finance comportementale (behavioral finance) a cherché à identifier les principales caractéristiques d’un comportement non rationnel. - la confiance excessive : les investisseurs tendent à surestimer la précision de leurs prévisions. Par exemple, 90% des conducteurs se jugent meilleurs que la moyenne. Cette confiance excessive entraîne que les investisseurs ont tendance à privilégier la gestion active plutôt que la gestion passive. Exemple : comparaison du mode de gestion des hommes et des femmes (étude de Barber et Odean, 2001) : les hommes (notamment célibataires) ont tendance à avoir une gestion plus active que celle des femmes. Or, une forte activité est en général annonciatrice de piètres performances. Ainsi les 20% de comptes les plus actifs ont dégagé un rendement moyen de 7 points de moins que les 20% de comptes les moins actifs. Leur conclusion : « Trading is hazardous to your wealth ». - le conservatisme : les investisseurs sont trop lents à mettre à jour leurs croyances ou leurs prévisions en réponse à des informations nouvelles. Ils sousréagissent en général aux nouvelles. Noise traders - le mimétisme : intuitivement, un investisseur agit par mimétisme quand il est prêt à effectuer un placement donné en ignorant les décisions des autres investisseurs, mais qu’il change d’avis lorsqu’il constate que les autres investisseurs ont renoncé à ce placement. Exemple : certains investisseurs détiennent une information privée sur le rendement du placement envisagé. On choisit donc délibérément d’agir comme eux, de façon à bénéficier de leur information privée. Remarque : La finance comportementale permet d’expliquer certaines des anomalies observées sur les marchés financiers. Elles proviennent essentiellement du comportement non-rationnel des investisseurs. Toutefois, cette théorie est peu utile pour comprendre comment exploiter les opportunités de profit.