Psychiatrie - L’ERREUR DE DIAGNOSTIC N’EST PAS NECESSAIREMENT FAUTIVE
04 /2010
Jean VILANOVA – Juriste
L’erreur de diagnostic n’apparaît pas nécessairement comme fautive pour autant que le médecin soit intervenu « sans retard » et en
ayant mis en œuvre « tous les moyens et précautions nécessaires pour parvenir à un bon diagnostic ».» D’une remarquable
constance, cette jurisprudence est rappelée fort à propos par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le
25 /06 /2009 (Epoux X – Pourvoi n° 08 -15.560).
1. Faits et décisions
Des troubles psychiatriques se déclarent chez une jeune femme juste après son accouchement. Elle tient des propos incohérents et délirants,
imagine qu’un second enfant a été oublié dans son ventre, manifeste des idées noires. En alerte, le personnel soignant sollicite alors un
psychiatre à son chevet. Celui-ci constate un état de forte anxiété mais il ne perçoit pas d’idées suicidaires sous-jacentes aux idées noires. S’il
ne prescrit pas de traitement dans l’immédiat, il demande néanmoins que la patiente soit placée sous surveillance.
Rappelé le lendemain du fait de la persistance de l’état d’anxiété, il diagnostique une dépression post-puerpérale et décide d’un traitement par
perfusion de cette dépression. Las, avant même que ledit traitement ait pu être administré, prise d’un délire paroxystique la patiente défenestre
son enfant. Celui-ci en restera lourdement handicapé.
La jeune femme est conduite aux urgences psychiatriques où le bon diagnostic est posé : une psychose puerpérale, affection mentale
complexe, liée à la grossesse, rare (2 cas sur 1 000) et de diagnostic difficile à établir.
Les parents intentent à l’encontre du gynécologue-obstétricien, de l’établissement de soins et du psychiatre une action en réparation du
préjudice subi par l’enfant et de leur propre préjudice moral.
L’obstétricien est mis hors de cause, d’abord par le Tribunal de grande instance puis par la Cour d’appel. Rien ne saurait lui être reproché au
titre des gestes propres à son domaine d’intervention. A fortiori, en requérant lui-même la présence d’un psychiatre au vu du constat de l’état
mental de la patiente, il a organisé au mieux le suivi de cette dernière dans le strict respect de la déontologie médicale.
Même décision pour l’établissement dont le personnel soignant a très vite alerté l’obstétricien ce qui a permis de diligenter le médecin
psychiatre.
Ces décisions n’appellent pas de commentaires particuliers.
Ce qui pose ici question est la responsabilité civile du seul médecin psychiatre. Il n’a pas diagnostiqué la maladie mentale dont
souffrait la patiente et les conséquences de cette maladie sont extrêmement lourdes. L’erreur de diagnostic caractérise-t-elle une
faute patente dont il convient de répondre ?
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La Cour d’appel répond par la négative.
2. L’arrêt de la Cour d’appel
Les magistrats de la Cour d’appel (les juges du fond) estiment qu’en dépit de son erreur de diagnostic, le psychiatre ne peut être jugé
responsable des divers préjudices. Au vu des éléments rapportés devant eux, il ressort que ce médecin a en effet consacré « tout son temps et
toute son attention à sa patiente et son entourage ».
De plus, en ce qui concerne l’erreur de diagnostic « rien ne permettait de déterminer si les symptômes présentés par la patiente permettaient
de privilégier l’hypothèse d’une psychose puerpérale plutôt qu’une dépression post-puerpérale. »
Et les juges du fond :
- de rappeler les difficultés de pose de diagnostic de cette grave maladie, difficultés ici encore amplifiées par le tableau clinique propre à
la malade ;
- de constater le complet respect par le médecin de son obligation de moyens ;
- d’en conclure que son erreur de diagnostic n’étant pas ici fautive, la responsabilité du médecin psychiatre ne peut alors être retenue.
La famille décide de former un pourvoi devant la Cour de cassation contre cet arrêt. Les demandeurs au pourvoi, reprochent au médecin
psychiatre « de ne pas avoir su interpréter conformément aux données acquises de la science, les symptômes traduisant l’état du malade. » Il
n’a en effet pas accordé « une attention suffisante aux symptômes alarmants qui pouvaient caractériser une psychose puerpérale. » Dès lors,
en ne jugeant pas la responsabilité du médecin engagée, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil.
3. Cour de cassation – 1ère ch. civ. ; arrêt du 25 /06 /2009. Epoux X – Pourvoi n° 08-15.560
La Haute juridiction rappelle tout d’abord le constant principe jurisprudentiel selon lequel l’erreur de diagnostic d’un médecin ne devient fautive
que lorsqu’elle dénote une insuffisance de moyens mis en œuvre ou une grave méconnaissance des préceptes de l’art.
Puis, suivant en cela les juges du fond, elle réfute tout manquement en ce sens du médecin psychiatre. De façon répétée, il a porté toute
l’attention nécessaire à la patiente sans négliger aucun moyen pour parvenir à poser le diagnostic exact. Mais cela n’a pas été possible eu
égard aux spécificités de la pathologie.
Nous nous trouvons donc en présence d’une erreur de diagnostic non fautive. Cette erreur a fait que le médecin n’a pas jugé utile d’organiser la
surveillance « serrée » dont la jeune femme avait besoin, ni d’informer son entourage familial des maux dont elle soufrait. Et puisque l’erreur de
diagnostic n’est pas fautive, le défaut de surveillance et le manquement en matière d’information ne peuvent l’être non plus.
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La Cour de cassation rejette le pourvoi formé devant elle par la famille.
4. Commentaires
La médecine n’est pas une science exacte mais un art aux contours incertains. Tout attendre du médecin constitue une aspiration légitime pour
chaque patient. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Le « tout attendre » n’est pas sans limite. Il couvre des domaines sériés :
- l’accompagnement, l’écoute et la surveillance du patient ;
- l’humanisme du praticien ;
- son plus haut degré de connaissance et d’investissement permettant l’action la mieux appropriée en matière de diagnostic puis de
stratégie thérapeutique.
Il s’agit donc de réunir les conditions qui donneront à ce patient les chances les plus grandes de guérison ou d’atténuation de sa souffrance. Le
« tout attendre » dont il est question ne saurait en aucun cas signifier une garantie de guérison dans la mesure où l’art est humble et la science
limitée.
Le législateur du 4 /03 /2002 (loi relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé) définit l’obligation régalienne de moyens
dévolue au médecin comme la nécessité de délivrer « les soins les plus appropriés… au regard des connaissances médicales avérées... ».
Cela correspond à la définition jurisprudentielle des soins « consciencieux, attentifs et conformes aux données actuelles de la science. »
On ne sanctionne pas l’échec mais les conditions ayant conduit à celui-ci. Dans l’affaire qui nous occupe, l’échec est là, patent, lourd de
conséquences. Néanmoins pour les juges, il est le résultat d’une inconnue scientifique ; résultat inévitable en dépit du comportement
irréprochable du médecin.
Qui plus est, cette affaire touche à la psychiatrie, domaine où la pose d’un diagnostic peut s’avérer encore plus aléatoire que pour d’autres
spécialités tant la part d’inconnue propre au psychisme reste étendue, a fortiori face à une pathologie éminemment difficile à révéler.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation se situe dans le prolongement des décisions antérieures en matière de distinction entre erreur et faute.
La stabilité de la jurisprudence en la matière crée les conditions d’une meilleure adhésion à ce fragile équilibre.
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