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Correspondances en médecine - n° 2, vol. II - avril/mai/juin 2001
des juges n’était pas de créer la tempête, mais
de susciter une inflexion et une réflexion sur la
relation médicale. Loin des apparences, la
constance l’emporte sur le bouleversement :
les fondements de la relation médicale résis-
tent au temps.
L
EPIEUX MENSONGE
La jurisprudence vient, dans un domaine
proche, de confirmer ce constat. Il ne s’agit plus
de l’information préalable à l’acte médical, la
fameuse recherche du consentement éclairé,
mais de l’attitude du médecin confronté à l’an-
nonce d’un diagnostic ou d’un pronostic grave.
Comme souvent, la solution puise dans le bon
sens. Bien sûr, le médecin doit dire la vérité sur
la maladie, mais il doit par dessus tout respec-
ter le malade. L’annonce d’un diagnostic grave,
qui correspondrait à une recherche de la vérité,
peut devenir antinomique du respect du
malade : l’affirmation de la vérité ne peut
répondre à aucun automatisme. Cette vérité est
parfois salutaire, parfois destructrice ; parfois
souhaitée, parfois redoutée ; souvent affirmée,
souhaitée, alors qu’elle est en fait redoutée.
Tout est très simple quand une personne en
bonne santé se prononce sur des principes qui
lui sont étrangers. La situation est bien diffé-
rente quand la même personne, confrontée à la
maladie, placée devant la perspective de la
souffrance ou de la mort, cherche à maintenir
les fils de la cohérence et de l’espoir.
C’est la règle du “pieux mensonge” : l’intérêt
réel du patient n’est pas d’être confronté bruta-
lement à une vérité, mais d’être armé le mieux
possible pour lutter contre la maladie. Le Code
de déontologie médicale a toujours retenu
cette option. Le texte actuel, qui résulte du
décret du 6 septembre 1995, rappelle que le
médecin est tenu de donner à son patient une
information loyale, claire et appropriée sur son
état, à propos des investigations et soins qu’il
lui propose, avant d’ajouter en son article 35 :
Pour des raisons légitimes que le praticien
apprécie en conscience, un malade peut être
laissé dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un
pronostic grave.
L’
ARRÊT DU
23
MAI
2000
La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mai
2000, confirme la règle et en souligne toute la
portée. L’affaire jugée concerne la psychiatrie,
mais les règles posées sont transposables à
toute l’activité médicale.
En février 1986, un homme vient consulter un
médecin psychiatre pour un accès dépressif
consécutif au dépôt de bilan de l’entreprise
qu’il dirigeait. Le médecin psychiatre entre-
prend une prise en charge et, dès le mois d’avril
1987, analyse qu’il ne s’agit pas d’un phéno-
mène dépressif banal, mais d’une psychose
maniaco-dépressive. ll n’en informe pas le
patient dans la mesure où l’état semble se sta-
biliser. De fait, à partir de septembre 1987, le
patient va mieux et vivra normalement pendant
deux ans, ne rencontrant qu’épisodiquement le
médecin psychiatre. En septembre 1989 appa-
raît un état d’excitation maniaque suivi très
rapidement d’une phase d’effondrement de
type mélancolique.
Le praticien annonce alors au patient le dia-
gnostic de psychose maniaco-dépressive et éta-
blit, au mois d’octobre 1990, un certificat médi-
cal d’invalidité à 90 %, permettant au patient de
faire valoir ses droits auprès des organismes
sociaux dont il relève et de bénéficier, dans le
cadre des contrats d’assurance qu’il avait sous-
crits, de la prise en charge de crédits bancaires.
Le médecin psychiatre explique que, dès avril
1987, il avait établi le diagnostic de psychose
maniaco-dépressive mais que, compte tenu de
l’évolution favorable, il avait préféré différer
l’annonce de ce diagnostic. Ce faisant, le prati-
cien reconnaît qu’il a bien menti par omission
pendant près de trois ans ; mais il estime ce
mensonge légitime, au regard de l’intérêt supé-
rieur qu’est la prise en charge thérapeutique et,
en définitive, le respect du patient.
Le patient ne se satisfait pas de cette explica-
tion et engage une procédure contre le méde-
cin psychiatre. Il s’agit non d’une plainte
pénale, aucune infraction ne pouvant être invo-
quée, mais d’un recours en responsabilité,
géré par l’assureur du médecin. Les demandes
formées sont doubles : l’une, relativement
marginale, est l’indemnisation d’un dommage
moral ; l’autre, qui constitue le cœur du pro-
cès, est une demande indemnitaire consé-
quente, le patient estimant que, du fait de ce
retard de près de trois ans, il n’a pu faire valoir
ses droits à une pension d’invalidité, à un com-
plément de pension de retraite et à la prise en
charge par sa compagnie d’assurances des
prêts qu’il avait souscrits. Le montant des dom-
mages réclamés dépasse les deux millions
de francs.
Comme dans toute affaire médicale, une exper-
tise est ordonnée. Les experts confirment le