13
INTRODUCTION
L'observation des données de PIB par tête sur le XXème siècle témoigne d'évolutions
relativement divergentes entre pays. Le siècle passé a vu, simultanément, le développement
économique quasi constant et sans précédent des pays européens et nord américains, le
collage extraordinaire du Japon et l'essoufflement des pays d'Amérique Latine, alors même
que certains d'entre eux présentaient des niveaux de revenu par tête supérieurs à ceux de
l'Europe du Sud en début de période. Cette hétérogénéité de comportements pose de façon
cruciale la question des déterminants de la croissance sur le long terme. Comment, en effet,
justifier une telle divergence de comportements entre des pays autrefois relativement
homogènes en termes de performances économiques (Europe d'un côté et Amérique Latine de
l'autre) alors que se met en place, au même moment, un processus de convergence avec le
Japon, économie considérée comme sous développée jusqu'à la seconde guerre mondiale ?
C'est à la question des déterminants du dynamisme des économies ainsi qu'aux formes de
veloppement adoptées que cette thèse est consacrée et qu'elle tente de répondre au moyen
d'une étude empirique de la croissance de long terme. De nombreux travaux ont déjà été
menés sur le sujet. Notre travail s'en distingue en remettant en cause lhypothèse de linéarité
des phénomènes et en soulignant le rôle des interactions entre les facteurs de croissance. Son
agencement, ainsi que les thèmes abordés, découlent toutefois largement du développement
de la pensée économique au cours des soixante-dix dernières années. Il nous a donc semblé
important de rappeler au sein de cette introduction l'héritage théorique auquel une thèse sur la
croissance se trouve naturellement confrontée. En outre, un rapide survey de la littérature nous
permet de souligner le cheminement logique qui a mené à un enrichissement progressif de la
théorie de la croissance et nous conduit finalement à nous pencher plus particulièrement sur
les phénomènes d'interaction.
Plusieurs facteurs sont traditionnellement invoqués pour expliquer le processus de croissance.
Leur recours et la justification liée à leur utilisation ont suivi le développement de la pensée
économique. Les premiers économistes s'intéressaient principalement à l'accumulation de
capital physique pour expliquer les variations de production. Cependant, très vite, l'échec de
certaines politiques de développement, alors même que des économies ayant opté pour des
14
choix économiques différents prenaient leur essor, a remis en cause la relation absolue entre
croissance et investissement.
De l'investissement, moteur unique des performances économiques, aux variables de
capital humain et d'ouverture économique
Le modèle de Solow (1956), modèle de croissance dominant jusqu'aux années 1980, limitait
l'explication de la croissance aux phénomènes démographiques et technologiques - du moins,
dans la situation de steady state - et mettait en avant le rôle de l'investissement et donc de
l'accumulation du capital dans la phase de rattrapage des pays industrialisés par les pays en
voie de développement. Concernant cette dernière prédiction, il ne dépareillait pas avec les
modèles d’obédience keynésienne - dont le modèle Harrod-Domar (1946) et le schéma de
veloppement de Rostow (1956) - selon lesquels le secteur productif des économies était tiré
par laccumulation de capital physique. Cette conclusion a longtemps conforté la confiance en
l’aide internationale selon le principe quune dose massive de capitaux extérieurs devait
pouvoir suppléer à la carence interne et permettre aux économies de se développer.
Cependant, alors que les modèles keynésiens mettent au centre de leur analyse la nécessité
d’une intervention étatique pour "entraîner" le développement économique, et permettre la
"grande poussée"1 à lorigine du décollage économique, le modèle néoclassique prône la non-
intervention, arguant du caractère harmonieux de la croissance permis par la loi des
rendements décroissants. Moins le capital physique est développé, plus le rendement marginal
de linvestissement est important. Les investisseurs sont alors naturellement incités à
accumuler du capital physique. Réciproquement, dans un pays déjà fortement capitaliste,
l’incitation à investir est réduite, les investisseurs se détournent alors de l'activité
d'accumulation de capital physique. Il s'ensuit un phénomène de convergence économique, les
pays les moins capitalistes profitant du report d'investissement qui se détourne des économies
les plus développées par manque de rentabilité.
Les travaux sur la croissance ont connu un regain dintérêt au moment où les prédictions du
modèle de Solow (1956) se sont trouvées infirmées par l'absence, sur le plan empirique, de
convergence entre pays en voie de développement et pays industrialisés. Les économistes se
1 Notion développée par Rosenstein-Rodan (1943)
15
sont alors tournés vers des modèles de divergence susceptibles de justifier la persistance
d'écarts entre les taux de croissance et les niveaux de revenu par tête des pays.
La principale voie de renouvellement, celle de la croissance endogène, a consisté à remettre
en cause le principe de décroissance de la productivité marginale du facteur accumulable
comme hypothèse de base de lactivité de production. A cette fin, deux phénomènes ont été
mis en avant:
l’existence de facteurs de production qui ne connaissent pas de bornes à leur accumulation
et sont alors considérés comme des moteurs potentiels de la croissance ;
l’existence deffets externes au cours du processus de production liés à une
interdépendance non maîtrisée entre les individus - cest à dire, générée par une certaine
incapacité des individus pris séparément à se représenter les conséquences de leurs actes
au niveau global.
Cette remise à jour de thèmes, déjà développés par Rosenstein-Rodan (1961) et Arrow (1962)
après guerre, a aussi coïncidé avec le désir de retourner aux déterminants fondamentaux de
l’activité économique. Si le travail et le capital semblent être des éléments essentiels à la
production, ils ne sont que la partie émergeante de liceberg et leur qualité, les conditions de
leur mise en œuvre apparaissent aussi importantes pour justifier les performances dun pays.
D'après Berthélemy et Varoudakis (1996), si linvestissement est le vecteur essentiel du
rattrapage et de la convergence dans le modèle néoclassique, il doit lui aussi être considéré
comme endogène car il est déterminé par son prix et sa rentabilité. Mais, lanalyse ne doit pas
s’arrêter là, car, à leur tour, le prix et la rentabilité de linvestissement dépendent de sa
productivité et donc de variables telles que lenvironnement politico-économique, louverture
économique... Les canaux dinfluence sont, dans ce cas, la confiance des investisseurs et
l’existence dune concurrence via le marché international de capitaux.
La même réflexion peut être menée à propos du facteur travail. La capacité du travail à être
productif dépend en effet de sa disponibilité dans l’économie et donc de la croissance
mographique, mais aussi de sa qualité et donc, finalement, de variables telles que
l’éducation et plus largement les variables de capital humain. Quant à linteraction productive
entre le travail et le capital, elle dépend largement des conditions de production vécues par les
entreprises et donc de l’état des infrastructures, de la taille du marché, de la stabilité politique
du pays.
16
Cette conjonction d’études a incité les économistes à se tourner vers de nouveaux facteurs
explicatifs de la croissance et justifie l'importance des travaux à ce sujet. Ainsi, au cours des
dernières années, plus de 50 facteurs différents ont été identifiés comme significatifs au sein
des régressions de croissance2. Cependant, Levine et Renelt (1992) soulignent que bien peu de
ces variables sont robustes, la plupart n'apparaissant significatives que sous certaines
conditions et seulement lorsqu'elles sont testées au sein de combinaisons linéaires spécifiques.
Lorsque passées au crible d'un test de robustesse - que ce soit celui proposé par Levine et
Renelt (1992) ou Sala-I-Martin (1997) - bien peu de ces variables restent pertinentes.
Quelques indicateurs s'avèrent cependant valides quelques soient les spécifications adoptées.
Il faut souligner, à ce propos, la robustesse de la variable d'ouverture économique au sein de
ces deux études ainsi que celle des variables politiques chez Sala-I-Martin (1997). Notons que
les auteurs de ces deux articles prennent le parti de conserver le capital humain dans
l'équation de base, ne remettant donc pas en cause l'influence de ce facteur sur la croissance.
Ce sont donc à ces trois facteurs et plus précisément au capital humain et à l'ouverture
économique que cette thèse s'intéresse. Non seulement leur impact sur la croissance s'avère
robuste aux changements de spécifications, mais ils correspondent tous deux à un
enrichissement de la fonction de production classique et à un approfondissement de la notion
de capital physique rendus nécessaires par l'évolution de la théorie économique. Le capital
humain correspond (sans lui être réduit) à un élargissement de la notion de capital aux aspects
humains et qualitatifs tandis que l'ouverture économique en repousse les limites spatiales en
permettant aux apports étrangers de s'ajouter aux investissements domestiques (même si, là
encore, le processus d'ouverture économique a d'autres caractéristiques que cette relation à la
notion de capital). Quant à l'environnement politique, il semble particulièrement pertinent
pour déterminer l'interaction entre facteurs. Tous trois sont aussi susceptibles de jouer sur le
très long terme et sont, de ce fait, particulièrement intéressants à analyser dans le cadre de
cette thèse.
2 Parmi ceux-ci, citons le système institutionnel (Mauro, 1995), l'ouverture économique (Lee, 1993, Sachs et
Warner, 1995, Edwards, 1995), l'investissement public (Easterly et Rebelo, 1993), les dépenses publiques de
consommation (Barro et Sala-I-Martin, 1995)
17
Le capital humain, un moteur de croissance aux qualités diverses
Le capital humain a semblé réunir les qualités requises à un moteur de la croissance parce
qu’il est susceptible à la fois de connaître une accumulation à rendements au moins constants
mais aussi de justifier lexistence dexternalités. Il se présente également comme un
terminant primaire de la productivité du travail et du capital.
La connaissance ne semble pas être régie par une décroissance des rendements au fur et à
mesure de son accumulation. Au contraire, un certain niveau de connaissance peut paraître
indispensable à lacquisition de nouveaux savoirs et à leur mise en œuvre au sein de
l’entreprise. En ce sens, le capital humain est sujet à des phénomènes dapprentissage et donc
à des rendements au moins constants. Cette qualité de la connaissance serait, en revanche,
inopérante si les propriétaires de ce capital humain étaient incapables de transmettre leur
savoir dune génération à lautre. Pour pallier à ce problème, les économistes ont dabord
supposé des individus à durée de vie infinie. Moins sommaire que lidée dun agent
économique vivant éternellement, il est possible daboutir aux mêmes conclusions en
adoptant, à la suite de Lucas (1988) et Azariadis et Drazen (1990), une vision dynastique du
patrimoine culturel. Ceci revient à mettre en avant le caractère social des individus en
soulignant leur appartenance à un contexte familial et le rôle de ce tissu familial dans la
transmission du savoir. Ce legs agit comme une externalité positive dans la mesure où bien
qu’étant involontaire de la part des parents, il influe positivement sur le salaire des
générations futures et donc sur leur bien-être.
Dans son modèle de learning or doing, Lucas (1988) propose un cadre analytique alternatif à
celui de Solow (1956) dans lequel l'accumulation du capital à rendements constants permet de
justifier l'existence d'une croissance auto-entretenue. Sur le sentier de croissance équilibrée, le
taux de croissance des variables par tête est "tiré" par le taux daccumulation du capital
humain. En dautres termes, le capital humain est, de par la constance de ses rendements,
générateur de croissance endogène. De plus, et cela constitue la démarcation majeure de ce
courant avec la théorie solowienne, les différences dans les rendements du capital humain ou
dans le temps alloué à la scolarité entre les pays peuvent justifier une divergence persistante
entre les taux de croissance économique.
Une hypothèse dexternalité lors du développement économique permettrait, elle aussi, de
justifier lendogénéité de la croissance. Romer (1986) et Lucas (1988) montrent, à ce propos,
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !