Sébastien Marlier
Plan détaillé : le rôle de l’Etat dans la croissance
« Le pays va mal, sa croissance stagne. » Cette phrase est un stéréotype de ce qu’on entend
quotidiennement dire par de nombreux journalistes, économistes ou hommes politiques.
Plusieurs questions se posent alors : Qu’est-ce que cette croissance qu’il faut stimuler ?
Pourquoi veut-on qu’elle soit forte ? Comment la promouvoir ?
La croissance peut se définir comme l’augmentation soutenue de la production d’un pays au
cours d’une longue période (contrairement à l’expansion qui se situe dans le court ou moyen
terme). Elle se traduit par une augmentation du Produit Intérieur Brut du pays. Elle est donc
principalement quantitative. Elle se distingue de ce fait du développement ; terme qui met
plutôt l’accent sur les transformations qualitatives de structures démographiques,
économiques et sociales, qui, souvent accompagnent la croissance. Mais ces deux notions
(croissance et développement) sont étroitement liées, car si on apprécie des taux élevés de
croissance, ce n’est pas en tant que fin en soi, mais par ce qu’ils permettent d’atteindre
prospérité (augmentation du revenu par tête) et développement. Le rôle de la croissance est
donc, indirectement, de permettre une amélioration des conditions de vie, de la prospérité, de
l’espérance de vie, de la santé… Le moyen de faire augmenter la production diffère selon les
cas. La croissance est en effet un phénomène complexe et qui repose sur un ensemble de
facteurs en interaction (la quantité et la qualité du travail, du capital et des ressources
naturelles, le progrès technique). On peut alors se demander quelle serait la meilleure
combinaison de ces facteurs : quels leviers faut-il enclencher pour favoriser la croissance ? Le
fonctionnement naturel des mécanismes de l’économie et du marché stimulent-ils
suffisamment la croissance ou au contraire celle-ci nécessite-t-elle d’être provoquée ou lancée
par une intervention publique ? En d’autres termes, de quelle manière l’Etat doit-il agir pour
que la croissance soit optimale et satisfaisante pour la plus grand nombre ? Evidemment,
plusieurs interprétations existent quant au traitement de ce problème. Peut-être l’Etat doit-il
agir différemment selon qu’il veuille relancer la croissance ou qu’il cherche à la soutenir
durablement. Aussi, il aura une position différente s’il doit stimuler une croissance stagnante
dans un pays riche ou s’il doit provoquer un démarrage économique dans un pays en voie de
développement. Il peut enfin adopter une position différente en fonction qu’il mette l’accent
sur l’un ou l’autre facteur de la croissance.
Malgré ces différences, il est possible de dégager certaines théories concernant l’intervention
publique en matière de croissance. Ainsi, on a longtemps supposé que l’Etat ne pouvait que
faiblement intervenir dans la croissance car celle-ci ne dépendait que de facteurs
incontrôlables (I). Depuis une vingtaine d’années par contre, on admet que l’Etat peut avoir
une fonction dans la stimulation de la croissance en offrant un cadre qui lui est favorable (II).
Enfin, on pense que l’Etat a un rôle à jouer dans le contrôle de la croissance, afin que celle-
ci profite au plus grand nombre (III).
I. Traditionnellement, on admet que la croissance est régie par des facteurs sur
lesquels la politique économique n’a que peu d’effets.
A. Les économistes classiques, premiers penseurs à étudier la croissance la
décrivent en terme d’accumulation des facteurs terre et population (travailleurs).
Pour Smith, la croissance âge d’or ») ne pourra de toute façon pas dépasser les
contraintes des ressources naturelles (la terre) qui sont limitées.
Pour Malthus, une meilleure exploitation de la terre (grâce à plus de travailleurs)
augmentera la production, mais pas indéfiniment du fait de la loi des rendements décroissants.
En accumulant ces facteurs, on atteint un équilibre naturel, un maximum de production. Et
d’aucune manière on imagine que l’intervention publique ne pourra briser cet équilibre.
B. La formalisation néoclassique met l’accent sur le progrès technique, mais celui-ci
est considéré comme exogène.
Le premier modèle néoclassique de la croissance (Solow en 1956) indique que la
croissance peut être durable, si on prend on compte un autre facteur : le progrès technique.
Le progrès technique, tombé du ciel, permet en effet de combler à long terme la
décroissance des rendements du capital physique. L’Etat reste demeure globalement en dehors
du phénomène de croissance.
L’accumulation du capital physique et humain et le progrès technique, qui sont les
principaux facteurs de croissance, ne peuvent être favorisés par l’Etat. A la limite, celui-ci
peut, par une politique favorable, stimuler l’investissement ou l’épargne (Ramsey), mais cela
n’aura qu’un effet transitoire sur la croissance (et non durable).
II. Aujourd’hui, on s’accorde pour dire que l’Etat est capable de fournir un
environnement favorable à la croissance.
A. La théorie de la croissance endogène (Romer 1990) a ouvert la voie à
l’intervention de l’Etat pour soutenir le principal facteur de la croissance : le
progrès technique.
Si la croissance repose sur le progrès technique (nouveautés technologiques ou
organisationnelles), alors l’Etat peut contribuer à l’entretenir en poussant au progrès
technique et ce dans les 3 phases qui le composent. L’Etat participe à l’invention (en
subventionnant la recherche), protège l’innovation un certain temps (brevets, labels) et
aide à diffuser le progrès.
B. De même en développant le progrès en terme de capital humain (Mankiw, Romer,
Weil 1992), c'est-à-dire de connaissances et de formation des travailleurs, l’Etat
peut contribuer à maintenir une croissance durable. (Enseignement primaire,
secondaire et supérieur, formation continue…)
C. Plus globalement, l’Etat met en place un cadre économique et institutionnel
optimal pour stimuler la croissance.
D’abord, il prend les mesures nécessaires au bon fonctionnement du marché ( garantie des
droits de propriété, limitation des coûts de transaction, encouragement de la concurrence,
diffusion de l’information)
Ensuite, il a intérêt à mettre en place un système public performant par des
investissements dans des biens collectifs (réseaux de transports) et à prendre en charge des
actions qui ont un rendement social fort, mais un rendement privé faible (externalités
positives)
Enfin, l’Etat doit établir un cadre fiscal (subventions à l’investissement), juridique et
macro-économique (stabilité des prix) qui limite les risques et les incertitudes liées à
l’initiative privée, que ce soit en matière de recherche, d’investissement, d’épargne.
III. Des réflexions sur la répartition des retombées de la croissance suggèrent
que l’Etat peut faire en sorte que celle-ci profite au plus grand nombre.
A. La répartition dans l’espace des retombées de la croissance : pour une croissance
qui profite à tous.
Une croissance débridée pourra aussi avoir des effets gatifs sur une part de la
population (par le progrès technique, le facteur travail peut être économisé par exemple)
Face à ce coût social, l’Etat peut intervenir par des politiques de transferts, de
redistribution. Son rôle donc : combler les effets néfastes et inégalitaires de la croissance.
B. La répartition dans le temps et la durabilité de la croissance
Les générations actuelles ne pensent pas spécialement aux générations futures. Cependant,
tous peuvent gagner à remplacer leurs transferts intertemporels (épargne qui peut mener à
de la suraccumulation) par des transferts intergénérationnels. Seul l’Etat peut alors
garantir que cette solidarité se poursuive et se maintienne. Il comble de cette manière
l’inneficience dynamique (Diamond 1965).
Certains craignent que l’utilisation de ressources naturelles et l’activité industrielle qui
stimulent la croissance actuelle peuvent avoir des effets néfastes sur la croissance future :
l’épuisement des ressources ou la multiplication d’externalités négatives (pollution.)
L’Etat peut alors limiter l’utilisation de ressources non renouvelables ou faire réinternaliser
les externalités négatives des entreprises (taxe Pigou), dans un but de « développement
durable ».
Par ce rôle de régulation, voire de limitation de la croissance, l’Etat assure la durabilité de
celle-ci et promeut l’intérêt général.
En conclusion, la croissance, source essentielle de l’amélioration des conditions de vie, ne
tient pas du miracle. Elle résulte principalement de décisions, de choix et d’actions réalisés
par des acteurs privés et qui mènent à l’accumulation de capital physique, humain et
technologique. Mais l’Etat, en offrant un système public (juridique, fiscal, institutionnel)
performant, fournit le socle sur lequel l’accumulation privée peut s’ancrer. En outre, c’est
encore l’Etat qui peut faire en sorte que l’amélioration des conditions de vie soit effective
pour le plus grand nombre. Les pouvoirs publics ont donc un rôle incontestable à jouer en ce
qui concerne la croissance de leur pays. Toutefois, on remarquera que la politique de
croissance d’un Etat (stimulation ou accompagnement de celle-ci) s’inscrit plus largement
dans la politique économique de celui-ci. Or, la croissance n’est pas le seul objectif que peut
se fixer un Etat. Certains font primer la lutte contre l’inflation, l’obtention d’un solde positif
dans la balance des paiements, ou encore, comme cela semble être le cas actuellement en
France, la lutte contre le chômage. Au final donc, le rôle effectif d’un Etat dans la croissance
est une question de choix, d’objectifs fixés par les gens qui le dirigent.
Bibliographie :
- Nordhaus et Samuelson, Economie, Economica, 2004
- Pierre Maillet, La croissance économique, Que sais-je ? PUF
- Philippe Darreau, Croissance et politique économique, De Boeck, 2003
- Echaudemaison, Dictionnaire de Sciences économiques et sociales, Nathan 2003
- Article « La croissance économique » in Encyclopédie Universalis
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