LE LEADERSHIP ÉDUCATIF : AUTONOMIE, IDENTITÉS ET

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LE LEADERSHIP ÉDUCATIF : AUTONOMIE, IDENTITÉS ET
NOUVELLE RÉPARTITION DES RESPONSABILITÉS
Dina SIDANI Maître de conférences à la FGM
RÉSUMÉ
Selon Mintzberg (1982, 2003), l’établissement scolaire se rattache à une
configuration structurelle de type bureaucratie professionnelle, où le pouvoir,
décentralisé au niveau du centre opérationnel, repose en grande partie sur les
compétences spécialisées de ses acteurs professionnels, les enseignants. De par le
pouvoir détenu par ces professionnels au sein de la coalition interne, leur fidélité
constitue un enjeu crucial et se situe au centre de la polémique ayant trait au concept
de leadership éducatif. À ce titre, le cadre de la ligne hiérarchique, ou superviseur,
représente la personne clé en termes de pratiques visant à promouvoir et développer la
fidélité des enseignants au sein des établissements scolaires.
MOTS-CLÉS
Configuration Structurelle Bureaucratie Professionnelle Acteurs Enseignants
Échange Leader-Membre Cadres Superviseurs Relation d’Emploi – Leadership
Éducatif Contrat Psychologique Échange Social Management des Établissements
Scolaires.
INTRODUCTION
Aujourd’hui, les compétences des employés représentent sans aucun doute
l’avantage concurrentiel durable de notre époque. Chercheurs, académiciens et
praticiens gestionnaires, tous s’accordent aujourd’hui à considérer le capital humain
comme l’enjeu compétitif majeur du vingt-et-unième siècle. Pour cette raison, les
organisations ont de plus en plus tendance à investir dans le développement des
compétences de leurs salariés, à travers diverses pratiques de gestion des ressources
humaines comme la formation continue, le coaching, le leadership participatif… Pour
comprendre le fonctionnement des organisations et le cadre général de la relation
d’emploi qui s’établit entre les acteurs au sein des établissements scolaires, nous
aborderons dans une première partie la notion de configuration structurelle à travers les
cinq composantes organisationnelles fondamentales de Mintzberg (1982). Puis nous
définirons en quoi les Échanges Leader-Membre constituent un outil de gestion
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favorisant la fidélité des professionnels du centre opérationnel. À ce stade, la notion de
leadership éducatif nous est d’un précieux apport pour appréhender et comprendre les
caractéristiques de la relation d’emploi qui se tisse entre les différentes catégories
d’acteurs dans les établissements scolaires. Il en découle une nouvelle répartition des
responsabilités au sein de cette structure organisationnelle particulière de type
bureaucratie professionnelle. La bureaucratie centrale scolaire laisse la place à un
management des établissements scolaires qui inclut un mode de gestion spécifique de
ces professionnels, de qui dépend la performance organisationnelle. Dans ce type de
configuration structurelle, l’implication organisationnelle est fortement dépendante de la
qualité des échanges qui s’établissent entre ces professionnels, acteurs du centre
opérationnel (les enseignants), avec les représentants de l’organisation ou cadres de la
ligne hiérarchique (superviseurs, leaders), appelés à exercer, selon Bouvier (1994), un
rôle de leadership professionnel plus qu’un contrôle bureaucratique.
1. LA SPÉCIFICITÉ DE LA CONFIGURATION STRUCTURELLE DES
ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES EN TERMES DE POUVOIRS ET DE
RESPONSABILITÉS DES DIFFÉRENTES CATÉGORIES D’ACTEURS AU SEIN
DE LA STRUCTURE
L’idéal type de Weber (Trad. de Kalinowsky, 2000) constitue un outil de
recherche pour déterminer les logiques de fonctionnement des organisations. Weber
distingue trois grands types d’organisation : l’organisation traditionnelle, l’organisation
charismatique et l’organisation rationnelle. Cette dernière, l’organisation moderne,
rationnelle ou bureaucratique, induite par l’essor du capitalisme, est, selon Weber, la
forme la plus efficace pour la direction des grandes organisations.
Henry Mintzberg part de l’approche sociologique de Weber et de l’idéal type
bureaucratique pour décrire l’organisation en termes de distribution de pouvoir, et ce
selon le poids de chacune des cinq composantes fondamentales de l’organisation.
L’analyse de Mintzberg va nous permettre de comprendre le fonctionnement des
organisations à travers la classification établie en fonction de la répartition du pouvoir
entre les acteurs du système. À chaque type de configuration structurelle correspond un
mécanisme de coordination spécifique, conditionné par la localisation du pouvoir dans
la structure. Le fait d’analyser une organisation selon cette classification, basée sur la
répartition du pouvoir au sein de la structure, permet d’identifier et de savoir à quel
niveau agir pour influencer le fonctionnement de cette organisation en termes de
logique professionnelle (Mintzberg, 1982, 2003), ainsi que la façon d’orienter les
attitudes et les comportements de ses acteurs dans un sens favorable à l’organisation.
Dans sa dimension sociologique, une organisation est en fait un construit social qui
existe et se transforme seulement si, d’une part, elle peut s’appuyer sur des jeux
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permettant d’intégrer les intérêts de ses participants et si, d’autre part, elle assure à
ceux-ci leur autonomie d’agents responsables, indépendants et impliqués.
Selon Crozier (Crozier et Friedberg, 1981), la notion d’organisation se définit dans le
sens de la structuration des rapports humains dans l’action. Elle se superpose à celle
de systèmes d’actions individuels et surtout collectifs, permettant d’étudier les relations
d’interdépendances dans les logiques professionnelles et les mécanismes
institutionnels. Ainsi, si l’on envisage l’organisation comme un ensemble caractérisé par
une action organisée ou collective, nécessitant une coopération entre plusieurs
personnes qui cherchent à atteindre, ensemble, un objectif, alors on peut considérer
l’établissement scolaire comme une organisation. L’approche de Mintzberg nous permet
de définir le rôle de chaque catégorie d’acteurs selon leur localisation, en termes de
coalition interne et de pouvoir, dans cette structure organisationnelle particulière
constituée par les établissements scolaires. Nous allons définir le rôle de chacune des
composantes organisationnelles au sein de ces établissements scolaires.
1.1. Les rôles et pouvoirs de chaque catégorie d’acteurs au sein des
établissements scolaires
Le noyau opérationnel
Le noyau opérationnel mène les actions qui produisent les résultats essentiels de
l’organisation, c’est-à-dire le service d’enseignement aux élèves dans les
établissements scolaires. Les opérateurs, appelés professionnels, doivent jouir dans
leur travail d’une liberté d’action considérable et elles accumulent ainsi beaucoup de
pouvoir. Ainsi, ce professionnel s’appuie sur un système des compétences spécialisées
comme premier moyen d’influence. Les normes professionnelles de conduite, d’éthique,
de savoir-faire et de comportements font que les administrateurs n’imposent pas leurs
propres normes bureaucratiques à ces experts qui recherchent la perfection
professionnelle ainsi que l’amélioration du prestige et des ressources inhérents à leur
spécialité.
Le sommet stratégique
Au sommet stratégique, le chef d’établissement est inévitablement l’individu le plus
puissant du système en termes de pouvoir à l’intérieur et à l’entour de l’organisation car
il peut décider de la ligne de conduite générale. Idéologiquement, selon Selznick
(1957), le Directeur « mène » son établissement scolaire dans le sens où il est le
constructeur de la finalité et le transformateur d’un ensemble d’hommes neutres en un
ensemble politique engagé, tout en étant officiellement responsable des actions des
membres de son organisation.
Les cadres intermédiaires de la ligne hiérarchique
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La ligne hiérarchique est constituée des cadres supérieurs à qui le chef d’établissement
délègue la responsabilité formelle des décisions influençant le fonctionnement du noyau
opérationnel. En effet, le cadre intermédiaire possède une autorité légitime sur son
unité, déléguée par son Directeur sous forme de pouvoirs formels. Il appartient à ces
cadres supérieurs, de par leur position hiérarchique, de prodiguer à leurs subordonnés
les moyens matériels (primes, formations…) et immatériels (support, signes de
reconnaissance…) nécessaires à l’atteinte de leurs objectifs et au perfectionnement de
leur pratique professionnelle. Ainsi, ces cadres superviseurs peuvent avoir une
influence sans précédent sur les enseignants de par leur pouvoir officieux.
La nature des interactions entre ces cadres, représentant et personnifiant l’organisation
et les professionnels du centre opérationnel, va jouer un rôle primordial dans la
perception qu’ont ces experts de leur environnement de travail, perception qui dépendra
en grande partie de la qualité des relations et des échanges qui vont s’instaurer entre le
supérieur hiérarchique direct et ses enseignants, acteurs du centre opérationnel.
Les analystes de la technostructure
Dans les établissements scolaires, la technostructure regroupe les personnes qui
travaillent à la conception et la gestion des systèmes formels de contrôle comme la
planification, la comptabilité, l’analyse des budgets… Les analystes interviennent à des
postes administratifs ou en externe et leur rôle est de conseiller.
Les fonctions de support logistique
Cette composante regroupe les personnes ayant la tâche d’assurer la bonne marche
des différentes fonctions de support logistique, celles-ci comprenant une gamme de
services étendus tels la paie, le conseil juridique, le nettoyage, la sécurité, la
restauration, … Dans le cas des établissements scolaires, ce personnel de soutien
logistique est souvent non qualifié. Il apparaît plutôt comme sans pouvoir et est le plus
faible en termes d’influence dans la coalition interne.
Il apparaît clairement que l’élément clé de la bureaucratie professionnelle est le centre
opérationnel. Les professionnels y sont maîtres de leur propre travail, relativement
indépendants de leur ligne hiérarchique, de leurs collègues, en ne restant proches que
de leurs élèves. Cette relative indépendance est possible car, pour coordonner ses
activités, la bureaucratie professionnelle s’appuie sur la standardisation des
qualifications et sur le paramètre de conception qui y correspond : la formation et la
socialisation. On retrouve généralement la bureaucratie professionnelle dans les
systèmes scolaires, la police et le milieu médical (Mintzberg, 1982). La bureaucratie
professionnelle apparaît la plupart du temps dans un environnement à la fois complexe
et stable. En effet, si la complexité nécessite l’utilisation de compétences et de
connaissances que l’on peut seulement apprendre au cours d’un long programme de
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formation, la stabilité permet à ces qualifications de devenir des procédures
standardisées de l’organisation. Ainsi, dans ce type d’organisation, les objectifs
stratégiques apparaissent flous et peu opérationnels. Chaque professionnel poursuit un
but spécifique et est mu par des préoccupations davantages professionnels que par les
missions propres à l’organisation. La bureaucratie professionnelle confie l’autorité à ses
experts dont les capacités complexes nécessitent un jugement important. Ainsi,
décentralisé au niveau du centre opérationnel, le pouvoir repose en grande partie sur
les compétences spécialisées de ses acteurs professionnels. Selon Mintzberg (1982),
la performance de la bureaucratie professionnelle va dépendre essentiellement du
changement dans les pratiques de socialisation, d’implication et de motivation au
perfectionnement professionnel et à ce titre, le cadre de la ligne hiérarchique ou
supérieur direct représente la personne clé en termes de leviers de fidélisation des
enseignants dans les établissements scolaires. Les interactions qui s’établissent entre
les acteurs dans la coalition interne au sein des établissements scolaires constituent
donc un levier crucial dans la performance et la fidélité organisationnelles.
1.2. Les mécanismes de coordinations et d’interactions liés à un système de
compétences spécialisées au sein des établissements scolaires
La politique au sein d’une organisation vise à mettre en évidence, au-dessus de
toute préoccupation individuelle, des intérêts communs et rationnels. L’idée est de
comprendre comment les systèmes influencent et structurent les comportements de
leurs acteurs, puis de réfléchir, de façon simultanée, à la meilleure façon de mettre en
place les ajustements éventuels pour orienter les attitudes et comportements de ces
acteurs dans un sens favorable à l’organisation. Pour améliorer le fonctionnement des
organisations en agissant de l’intérieur, afin de s’assurer qu’elles agissent au mieux de
nos intérêts, il est important de comprendre les interactions qui s’établissent entre ses
différentes composantes en termes de mécanismes de coordinations et entre leurs
acteurs en termes de relation d’emploi. En fait, parmi les cinq configurations
structurelles de la typologie de Mintzberg (1982), la bureaucratie professionnelle répond
de façon unique aux besoins essentiels des hommes et des femmes de notre époque.
Elle est démocratique, disséminant directement le pouvoir aux opérateurs à qui elle
donne une autonomie considérable, les libérant même du besoin de coordonner
étroitement leur activité à celle de leurs collègues. Aujourd’hui, très à la mode chez
toutes sortes de spécialistes, le terme de professionnalisme rend la bureaucratie
professionnelle très populaire et en large essor depuis des décennies, et ce pour de
bonnes raisons puisqu’elle est démocratique et en majeure partie basée sur l’expertise
de ses acteurs.
De par le pouvoir détenu par les experts ou professionnels du centre
opérationnel, pouvoir lié à un système de compétences spécialisées, les systèmes
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