De la mondialisation aux parties prenantes - Luc Boyer

De la mondialisation aux parties prenantes, gérer la
diversité : quel leadership demain?
From globalization to stakeholders, managing diversity:
what kind of leadership tomorrow?
Luc Boyer
Directeur de Recherches (IAE de Caen : Nimec), Paris-Dauphine (DMSP), CNAM (Lipsor)
George-Axelle Brousillon
Doctorante CNAM (Lipsor), Groupe L’Oréal (Diversité)
Résumé:
Les auteurs se sont efforcés, tout d’abord, de mettre en perspective macro et micro-
économique le paradigme de la diversité dans un contexte de mondialisation. Puis, ils se sont
attachés à en tirer pour l'Organisation, les conséquences en matière de leadership. Si gérer la
diversité est une compétence à acquérir pour être un leader de nos jours, il semble que
leadership de demain devra être « transformatif » pour manager efficacement une diversité de
plus en plus complexe.
Mots clés : diversité, mondialisation, territoire, parties prenantes, gestion de la diversité,
leadership
Abstract :
Firstly, the authors tried hard to give an overview of the paradigm of diversity from both
macro and micro-economic sides in a context of globalization. Secondly, they showed the
consequences for leadership in Organizations. If, nowadays, managing diversity is a skill to
have to become a leader, it seems that tomorrow, the leadership will have to be
"transformative" so that the leader manages effectively a more and more complex diversity.
Key words : diversity, globalization, territory, stakeholders, diversity management,
leadership
1
1. La diversité à travers la mondialisation, les parties prenantes et les
territoires
1.1. La Mondialisation et la diversité1
La mondialisation existe depuis l'antiquité2, prenant un essor considérable avec des
découvertes remarquables comme les caravelles, le sextant, les armes de guerre embarquées,
le système financier. .. du XV° et XVI° et bien entendu la révolution industrielle (machine à
vapeur, chemin de fer, électricité, technologies d'information et de communication..)3 du
XIX° et XX° qui a permis sous grande échelle de distinguer lieux de production et lieux de
consommation.
Mais depuis une vingtaine d'années sous le choc de nouvelles innovations (internet,
transports, énergies, biochimie…), de bouleversements économiques et politiques (éclatement
du système communiste, montée en puissance rapide des grands pays asiatiques, nouvel ordre
mondial4), la mondialisation a non seulement changé d'ampleur mais surtout de nature.
Un premier ensemble de définitions reprend l'idée "d'une certaine histoire du capitalisme à
travers le temps"5, mouvements de plus en plus importants de biens, services, main d'œuvre,
finances …
Nous aurons tendance à préférer une perception plus ouverte de la mondialisation -qu'on parle
de globalisation, c’est-à-dire les activités mondiales, ou d'universalisation, c’est-à-dire la
question des valeurs partagées -qui sous-entend "une compression de l'espace et du temps..
avec ses centres, ses périphéries, … ses sous-espaces sans frontières …s'interpénétrant "6.
Sous cet éclairage, deux interprétations vont s'opposer ou fortement se différencier :
1) pour certains la mondialisation conduit certes à une intégration étroite des économies, à un
accroissement considérable des échanges, gomme les différences interculturelles mais produit
des bienfaits considérables.
S'appuyant sur la théorie classique (avantages absolus ou relatifs), dans un marché sans
entrave, tous les pays améliorent leur situation économique et le revenu par habitant7.
Pour de nombreux auteurs, il est démontré que l'accélération de l'ouverture internationale
entraîne la croissance , sans laisser la place au moindre doute.
Les économies d'échelle permettent d'abaisser le coût unitaire du produit donnant naissance à
un marketing global, à des marques mondiales non différenciées8.
1 Voir la très intéressante thèse de BOUGERD DELFOSSE C., Etudes des déterminants d'achat des produits
alimentaires régionaux…, Université de Rennes (30 novembre 2009) dont il nous est arrivé de nous inspirer
dans cet article.
2 PANHUYS H. (2004), La fin de l'occidentalisation du monde? De l'unique au multiple, L'Harmattan, Paris
3 BOYER L. et EQUILBEY N. (1990), L'Histoire du Management, E.O., Paris
4 CHEVALIER B. (2008), La mondialisation démystifiée, Editions autrement, Paris
5 LAROSE C. (2008), L'odyssée transnationale, Presses de l'Université du Québec
6 CUNIN E. (2006), La globalisation de l'ethnicité, Autrepart, Institut de Recherche pour le développement, N°
38
7 BHAGWATI J. (2007), Why the critics of globalization are mistaken, De Economist,155 pp 1-21
2
Allant plus loin dans leur démonstration, des chercheurs insistent sur le rôle positif de la
mondialisation permettant de diminuer ou d'éliminer les aspects négatifs de diverses cultures.
Porteuse d'échanges, favorisant un monde plus stable, avec de nouvelles relations planétaires
"l'universalisation du particulier …et la particularisation de l'universel "9, c'est la création du
"village global "où chacun récolte les fruits de la croissance mondiale10.
2) pour d'autres chercheurs, au contraire, la mondialisation entraîne des effets néfastes sur
pratiquement tous les plans, à commencer par le plan social et culturel.
Les fruits de la croissance se répartissent très inégalement, déstabilisant les productions
locales, creusant les écarts entre riches et pauvres, les moins qualifiés ne pouvant s'adapter
aux nouvelles règles tandis que l'environnement se dégrade. Les mouvements de capitaux
avantagent d'abord les pays riches ou les plus talentueux. Les restructurations, délocalisations,
entraînent des ravages sociaux : 20% de la population concernée profitant pleinement de cette
opportunité et 20% s'enfonçant dans une misère, au-delà de la pauvreté. Les références de ces
recherches sont très nombreuses. Le lecteur pourra se reporter notamment aux travaux de Le
Cacheux11, Guillen12 et Cordellier13.
Toujours dans cette logique, les multinationales se positionnent en super puissances faisant au
moins jeu égal avec les Etats -Nations: chaque nation n'aurait plus les moyens de contrôle et
de régulation et ne retrouverait crédibilité qu'au profit d'entités supra nationales, avec la
naïveté (du moins à court terme : les discussions de Copenhague en sont une illustration)
d'une telle ambition.
Par ailleurs, on peut constater le décalage entre l'économie réelle et ses conséquences d'une
part et d'autre part les normes, comptabilité ou règles de gestion bien incapables de mesurer
les biais introduits par ces échanges (transport, environnement, ressources, biodiversité …)
Ceci peut être perçu comme un transfert permanent préjudiciable dans le temps et l'espace des
responsabilités. Devant ce qui pourrait se transformer en catastrophe incontrôlée, certains
n'hésitent pas à affirmer que "la croissance n'est pas la solution "14.
Bien que d'essence économique, la mondialisation inquiète sur un plan culturel, dans la
remise en cause supposée de l'identité de l'homme, de sa religion, de sa dimension sociale
voire nationale15. "La mondialisation ne serait que le nouveau nom de la politique
hégémonique américaine "16.
8 KAPFERER R.N.(2002), Is there really no hope for local brands? Brand Management, 9, 3, pp 163-170
9 GIDDENS A. (1990), The consequences of modernity, Stanford, Sanford Univ.Press
10 ZDRAVKOVIC S. (2007), Antecedents of global attitude : a perspective from Sweden, Journal of Global
Marketing, 20, (2/3), pp 89-10
11 LE CACHEUX J. (2003), Mondialisation économique et financière …Revue Internationale Droit
Economique, 3-4, pp19-46, De Boecq Université
12 GUILLEN M.F. (2001), Is globalization civilizing, destructive or feeble ?…,Annual Review of sociology, 27,
pp 235-260
13 CORDELLIER S; et all (2000), La mondialisation au-delà de mythes, La Découverte, Poche Essais
14 KEMPF H. (2009), Comment les riches détruisent la planète, Editions du Seuil, Paris
15 LIEBER R.J., WEISBERG R.E. (2002), Globalization, culture and identity in crisis, International Journal of
Politics, 16, 2, Winter.
16 LATOUCHE S. (2005), L'occidentalisation du monde à l'heure de la globalisation, Editions la Découverte,
Paris
3
A ce stade de notre réflexion, la question cruciale de ce siècle apparaît clairement : quel est le
devenir de la diversité sous toutes ses formes ? Assistons-nous à "Californization of needs
"?17. La diversité serait anéantie par la marchandisation, par un universalisme sans
différences.
La résistance à cette mondialisation banalisante, uniformisante s'organise de façon quasi
spontanée (au-delà des récupérations et manipulations). C'est bien un des phénomènes
paradoxaux que de constater que, plus l'espace et le temps se contractent, plus les individus
s'efforcent de trouver ou retrouver leurs différences individuelles ou tribales18. Une espèce de
revanche des ethnies, des cultes, des identités, un rejet aussi de ce qui est perçu parfois
comme une perte de repères se développe, un peu comme si les valeurs économiques étaient
déconnectées des autres valeurs. La langue, la région, le territoire , les produits, les
consommations, les comportements, les différences veulent s'affirmer avec ce besoin de
reconnaissance individuelle ou communautaire.
La lutte pour la reconnaissance19 à titre individuel ou collectif, en contrepoint de la
mondialisation est en train de devenir un nouveau paradigme de gestion des hommes. Il est à
noter que cette approche recouvre en réalité des notions en partie contradictoires, comme
celles d'égalité, de laïcité, de mérite ou d'autonomie.
1.2. Retour sur le concept de diversité et de parties prenantes 20 21
Une approche duale de la diversité est rarement opérée et elle est pourtant porteuse
d'applications gestionnaires et de progrès académiques: nous voulons parler des deux aspects
de la diversité, interne et externe et, de façon plus globale, des parties prenantes en matière de
diversité.
Certes, nous n'ignorons pas qu'élargissant volontairement le champ de notre réflexion, nous
devenons de plus en plus proche du paradigme de la Responsabilité sociétale des
Organisations (tant la RSE et la Diversité sont étroitement articulées).
Cela est particulièrement vrai pour la diversité externe qui a été -et est souvent encore-le
champ privilégié des actionnaires. Mais au-delà de ce qui peut apparaître comme l'application
d'un bon sens quasi-juridique, Max Weber -et bien d'autres- ont démontré que le profit ne
pouvait constituer le fondement du capitalisme, que le travail du personnel, l'activité des
entreprises fondait, moralement, le concept de profit; d'où la prise en considération de toutes
les parties prenantes externes. L'entreprise devient un lieu d'apprentissage mais aussi de
régulation22.
17 OHMAE K. (1980), The global logic of strategic alliances, Harvard Business review, mars -avril 1989, pp
143-154.
18 PANHUYS H. (2004), La fin de l'occidentalisation du monde? De l'unique au multiple, L’Harmattan, Paris
19 HONNETH A. (1992), La lutte pour la reconnaissance, Le Cerf, Paris
20 Le chercheur lira avec intérêt la brillante contribution de Sabrina SEMACHE dans sa thèse Le management
des diversités par l'encadrement hospitalier, soutenue à l'IAE de Caen le 10/12/ 2009 ; on retrouvera, ici,
quelques définitions.
21 IGALENS J., POINT S., (2009), Vers une nouvelle gouvernance d'entreprises, Dunod (Paris)
22 BERLE A, MEANS G.(1932), The Modern Corporation and the Private Property ,Mc Millan (New York)
4
Ces parties prenantes23–avec le pouvoir, la légitimité, l'urgence…- rendent nécessaire
l'intégration de la dimension temps dans la gouvernance de l'entreprise.
La segmentation des parties prenantes et leur implication pour la gestion de la diversité est
une des priorités de l'entreprise. Les parties externes, au-delà du fait qu'elles se trouvent au-
delà des frontières traditionnelles de l'entreprise, ont un intérêt spécifique dans la marche de
l'entreprise. Même si les parties prenantes internes affectent directement la survie de
l'entreprise, la non-prise en compte de la diversité des parties prenantes secondaires ou
externes peuvent avoir des impacts négatifs considérables24.
La diversité interne fait l'objet de nombreuses recherches et développements, contrôles,
normes…Les différentes disciplines – psychologie, sociologie, ethnologie..- et en ce qui nous
concerne, la gestion, sont impliquées dans ce processus de recherche.
Sainsaulieu25, il y a environ dix ans -nous avons eu la chance de collaborer à certains de
ses travaux- avait déjà soulevé l'importance des différences d'identité au travail. On se
rappelle les quatre identités qu'il met en évidence : la fusion où le collectif est valorisé, la
négociation où on voit apparaître l'acceptation des différences, les affinités qu'on peut
caricaturer comme un début de communautarisme, et aussi le retrait ou sorte d'isolement
communautaire.
Le management de ces diverses sortes de diversités fera l'objet de développements ultérieurs
dans ce papier de recherche.
1.3. Territoire et Diversité 26
La notion de territoire s'impose dans la littérature et dans le contexte social face au
dépaysement du techno-métissage27. Derrière ce concept de territoire apparaît des
revendications d'ordre qualitatif, la reconnaissance d'un espace familier Le territoire renvoie
d'abord à un espace géographique et humain (les basques, les corses, les bretons …), à la
recherche d'une aire apportant protection rapprochée, permettant de vivre ensemble et d'avoir
une vie sociale réglée. Le territoire se distingue ainsi du reste du monde, préservant
l'authentique, les compétences spécifiques et les réseaux sociaux (cluster).
Mais les acceptions ou déclinaisons du "territoire" sont complexes ou contradictoires. La
première, bien exploitée s'inspire directement du marketing qui va l'utiliser comme arme
concurrentielle: le territoire devient une question d'image. La deuxième approche renvoie au
concept de périphérie urbaine, de banlieue, de ghetto, de discrimination, creuset de
marginalité, de cloisonnement, de racisme. Toutefois, c'est bien l'idée de cohésion qui impulse
le mouvement actuel. "le territoire articule le proche et le lointain en indiquant la préférence
pour le proche, dans une logique d'exclusion-inclusion, de stigmatisation des intrus, de
tolérance des étrangers et d'ignorance des absents "28.
23 MITCHELL et all(1997), Toward a Theory of Stakeholders Identification..., Academy of Management Review,
vol 22, n°22, pp 833-886
24 IGALENS J., POINT S., Op.cit.
25 SAINSAULIEU R. (1997), Sociologie de l'entreprise, Presse de Sciences Po et Dalloz, Paris
26 PEQUEUX Y. (2009), La notion de territoire (working paper), consultable sut le site http://lucboyer.free.fr
27 BALLANDIER G. (2009), Le dépaysement contemporain…, PUF, Paris
28 PEQUEUX Y. Op cit.
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