Masstige et résistance du consommateur : l`exemple de "Sonya

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Masstige et résistance du consommateur : l’exemple de « Sonia
Rykiel pour H&M ©». Une étude exploratoire
Aurore Ingarao
Maître de Conférences en Marketing
Université de Bourgogne IUT d’Auxerre
Route des plaines de l’Yonne
89 000 Auxerre
Résumé : Fidèle à sa stratégie d’extension de gamme, H&M s’associe à la créatrice Sonia
Rykiel pour proposer une collection signée « Sonia Rykiel pour H&M ». Si H&M étend sa
gamme vers le haut, pour la marque de luxe, c’est une façon d’élargir sa clientèle et de
provoquer une augmentation des ventes, en mettant en place une extension de circuit de
distribution. Sonia Rykiel définit le luxe non nécessairement comme ce qui est rare et cher
mais comme ce qui fait rêver. Peut-on considérer aujourd’hui encore que la marque qui
recourt à ce genre d’extension fait rêver le consommateur ? Une étude qualitative exploratoire
est menée sur la base de l’interview de quatorze consommatrices des marques Sonia Rykiel
et/ou H&M. Pour ce faire, une revue de littérature s’intéresse aux stratégies d’extension mises
en place par les marques. Nous nous intéressons également au concept de résistance et
d’adhésion du consommateur afin de procéder, dans un second temps, à l’étude qualitative et
ainsi, identifier si le consommateur résiste ou adhère à la nouvelle offre qui lui est faite.
Mots clés : Stratégie d’extension ; masstige ; résistance
Abstract : True to its strategy of range extension, H & M joins the Sonia Rykiel collection to
provide a signed "Sonia Rykiel for H & M " brand. If H&M expands its range up to the
luxury mark, it is a way to broaden its customer base and increases sales by implementing a
channel extension. Sonia Rykiel defines luxury not necessarily like what is scarce and
expensive but what makes the consumer dream. Can we still consider that the brand that uses
this kind of extension makes the consumer dreaming ? A qualitative study is conducted on the
basis of the interview of fourteen consumers of the brands Sonia Rykiel and / or H & M. Art
of literature focuses on extension strategies put by the brands. The concept of résistance is
also treated and consumer acceptance to proceed. Then, the qualitative study is looking for
identify whether the consumer resistance or adheres to the new offer made to him.
Key-words : extension strategy ; masstige ; resistance
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Masstige et résistance du consommateur : l’exemple de « Sonia
Rykiel pour H&M ©». Une étude exploratoire
Introduction
Fidèle à sa stratégie d’extension de gamme, H&M s’associe à la créatrice Sonia Rykiel (SR)
pour proposer une collection signée « Sonia Rykiel pour H&M ». Si H&M étend sa gamme
vers le haut, pour la marque de luxe, c’est une façon d’élargir sa clientèle et de provoquer une
augmentation des ventes. En effet, pour SR, il s’agit de marier sa stratégie de distribution
sélective habituelle à une nouvelle stratégie de distribution intensive temporaire et ponctuelle,
en créant une griffe spécifiquement pour H&M, procédant ainsi à une extension de circuit de
distribution. Ainsi le 05 décembre 2009, la foule se rue chez H&M qui lance une première
collection lingerie et accessoires pour SR. Face au succès engendré, les deux partenaires
renouvellent l’expérience au printemps 2010. Une ligne pour femme et fillettes de la maille
Rykiel est alors commercialisée, avec des prix allant de 2.95 à 59.95 , permettant
notamment de répondre à l’une des préoccupations majeure des consommateurs, leur pouvoir
d’achat. Il s’agit ainsi de proposer un niveau de prix des plus bas pour une marque de luxe. En
effet, évoluant dans un contexte de crise, les consommateurs sont préoccupés par les prix,
faisant surgir de nouveaux comportements tel que le smart shopping, traduisant la recherche
de bonnes affaires (Mano et Elliott, 1997). SR définit le luxe non nécessairement comme ce
qui est rare et cher mais comme ce qui fait rêver. Peut-on considérer aujourd’hui encore que la
marque qui recourt à ce genre d’extension fait rêver le consommateur ? Les consommatrices
de SR se détournent-elles de la marque ? Mettent-elles en place une stratégie d’évitement de
la marque ? Ou, au contraire, y voient-elles une formidable opportunité d’acquérir une
marque de luxe à un prix abordable ? Ainsi, à l’heure où les marques sélectives investissent de
plus en plus les enseignes intensives, la majorité des travaux s’intéressent aux conséquences
de ces stratégies sur les images de marque ou d’enseigne. A notre connaissance, aucune
recherche ne porte sur l’adhésion ou le rejet des offres qui sont faites au consommateur. Nous
cherchons à évaluer si ces stratégies d’extension de circuit de distribution, en passant par une
extension de la gamme vers le bas, à travers l’exemple de la marque Sonia Rykiel pour H&M
se révèle une opportunité pour le consommateur ou, au contraire, vecteur d’une résistance
envers la marque invitée. D’un point de vue théorique, ces stratégies s’apparentent à une
opération de co-marquage : il s’agit pour H&M et SR d’une alliance « fondée sur un
coopération dans la conception du produit, au plan symbolique ; la co-signature du produit par
les marques partenaires, sur le produit lui-même ou sur les éléments d’identification »
(Cegarra et Michel, 2001). Dans ce cas, Hillyer et Tikoo (1995) parlent de « marque invitée »
et de « marque d’accueil ». Nous proposons ici d’étendre cette terminologie à la stratégie
d’extension de circuit de distribution et d’évoquer la marque invitée et l’enseigne d’accueil.
Plus particulièrement, il est possible de considérer un co-marquage symbolique, dont
l’objectif est de provoquer un transfert d’image de la marque invitée vers l’enseigne d’accueil.
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Nous proposons de mener une étude qualitative exploratoire en interrogeant quatorze
consommatrice des marques SR et/ou H&M. Pour ce faire, une revue de littérature s’intéresse
aux stratégies d’extension mises en place par les marques. Nous nous intéressons également
au concept de sistance et d’adhésion du consommateur afin de procéder, dans un second
temps, à l’étude qualitative et ainsi, identifier si le consommateur résiste ou adhère à la
nouvelle offre qui lui est faite. Enfin, nous discuterons les résultats de cette recherche.
1. Revue de littérature : des stratégies d’extension à la résistance du consommateur
1.1. Les stratégies d’extension
Si le but principal des producteurs est d’accroître les ventes, les consommateurs se trouvent
face à des marques inhabituelles dans les enseignes qu’ils fréquentent. Il en est ainsi des
marques de luxe ou haut de gamme qui n’hésitent pas à créer des gammes moins chères,
adaptées à des clients moins aisés. Certaines marques s’associent même avec des enseignes de
grande distribution spécialisées dans le textile pour lancer des gammes spécifiques et
éphémères et ce, afin d’augmenter les ventes et d’élargir la clientèle (Aaker, 1997). H&M
propose ainsi régulièrement des collections spécifiques signées Karl Lagerfeld ou, plus
récemment SR. Ces collections sont alors griffées « Lagerfeld for H and M » ou « Sonia
Rykiel pour H&M ». Les analystes anglo-saxons parlent de « Masstige » pour qualifier le fait
qu’une marque de prestige s’adresse à un plus grand nombre de consommateurs (Danziger,
2005). Les produits sont plus chers que les premiers prix de leur catégorie distribués dans les
circuits de distribution, mais moins chers que les produits de luxe ou semi-luxe, « Masstige »
étant la contraction de « Mass » et de « Prestige ». Il s’agit d’un moyen de démocratiser les
marques de luxe. La tendance du « cheap and chic » est ici approchée et consiste à proposer
des produits ou des services à bas prix, mais en veillant à la qualité ou au design.
Dans un contexte de préoccupation croissant de pouvoir d’achat et face au développement des
stratégies d’extension de circuit de distribution, la présente recherche s’enquiert de savoir si
les consommatrices de marque de luxe mettent en place une stratégie de résistance à la
banalisation des marques de luxe. Selon Dimitriadis (1993), « à partir du moment où le
consommateur tient compte de la marque pour faire son évaluation et que cette même marque
se retrouve sur deux (ou plusieurs) produits, il faut étudier les liens que le consommateur fera
entre ces produits du fait de la présence de la marque commune. »
Différentes stratégies d’extension existent. Il convient tout d’abord de préciser les stratégies
d’extension de gamme et d’extension de marque. Si ces deux stratégies disposent de
caractéristiques distinctes, elles apparaissent très liées, notamment dans la littérature.
Parmi les stratégies de marque (extension de gamme, marques multiples, extension de
marque, nouvelle marque) que l’entreprise emploie, se trouve l’extension de marque (Tauber,
1981). Apparue au cours des années soixante, cette stratégie s’est développée durant les
années quatre-vingt, notamment face au coût, particulièrement élevé, de développement des
nouvelles marques, encourageant ainsi l’exploitation de marques existantes.
L’extension de marque est définie comme l’utilisation d’une marque existante pour
commercialiser une catégorie de produits différente de la catégorie de produits dans laquelle
la marque est initialement présente. Cette définition, utilisée dans la littérature (Tauber, 1981 ;
Aaker et Keller, 1990), tend à confondre extension de gamme et de marque, soulevant ainsi
des ambiguïtés. Pour éclaircir ces dernières, Cegarra et Merunka (1993) proposent de qualifier
l’extension de marque sur la base de la fonction et de la nature du produit envisagé en
extension. Ainsi, l’extension de marque est identifiée lorsque la fonction (valeur d’usage du
produit et bénéfices consommateurs) et la nature (ensemble des éléments tangibles) du produit
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en extension sont différentes de celles de la catégorie de produits d’origine, conduisant alors à
considérer :
- L’extension de marque, qui utilise un nom de marque déjà connu sur un produit qui
présente une différence de nature et de fonction significative par rapport aux produits
d’origine ;
- L’extension de gamme, qui est un produit dont la fonction est identique à celle des
autres produits, mais qui présente des caractéristiques ou un mode d’utilisation différents
(nature différente).
L’extension de marque (brand extension ou category extension) est ainsi définie comme
l’utilisation d’une marque existante (la marque-mère) pour introduire un nouveau produit
(l’extension) dans une catégorie de produits différente des autres catégories dans lesquelles la
marque est présente (Tauber, 1981 ; Aaker et Keller, 1990 ; Farquhar, 1990) quand
l’extension de gamme consiste à exploiter le même nom de marque pour lancer de nouveaux
produits dans la même catégorie de produit (Michel et Salha, 2005).
Lors du développement d’une marque dans la même catégorie de produits, deux modalités
sont possibles :
- Le complément de gamme : un produit est proposé sous un nouveau conditionnement
ou sous une formulation nouvelle mais sans affecter la nature et la fonction du produit
existant ;
- L’extension de gamme : le produit nouveau enrichit une gamme existante en lui
ajoutant un produit complémentaire, sous deux formes : 1) un produit aux fonctions
identiques mais de nature différente et, 2) un produit de nature identique mais aux fonctions
différentes.
Plus précisément, l’extension de gamme (line extension) se distingue de l’extension de
marque puisque l’introduction de nouveaux produits est réalisée dans une catégorie similaire
de produits (Tauber, 1981 ; Farquhar, 1990 ; Aaker et Keller, 1990). Tout comme l’extension
de marque, la stratégie d’extension de gamme fait l’objet d’une distinction selon son
orientation : l’extension de gamme horizontale et l’extension de gamme verticale (Aaker,
1996). - L’extension de gamme horizontale pour laquelle un produit, dont la qualité et
le prix sont similaires aux produits de la gamme existante, est proposé au sein d’une même
catégorie : il s’agit de l’extension de gamme horizontale. Le nouveau produit, émit dans la
même catégorie, ne diffère pas en termes de qualité et de prix, des autres produits de la
gamme existante (Aaker, 1996 ; Draganska et Jain, 2005).
- L’extension de gamme verticale consiste à proposer, dans la même
catégorie, un produit de qualité et de prix significativement différents du produit ou de la
gamme de produits actuelle. Le prix et la qualité de l’extension sont sensiblement plus faibles
ou plus élevés. Interviennent alors respectivement les notions d’extension vers le bas ou vers
le haut. L’extension de gamme verticale vers le haut (bas) bénéficie, par définition, d’un prix
supérieur (inférieur) aux produits de la marque déjà existants. Kirmani et al. (1997) nomment
d’ailleurs ces extensions « price-based line extensions ».
Malgré les caractéristiques respectives de l’extension de marque et de l’extension de gamme,
certains auteurs regroupent ces deux stratégies. En ce sens, Kim et al. (2001) considèrent les
extensions de marque verticales et horizontales. Selon ces auteurs, « une extension de marque
horizontale implique l’application d’un nom de marque existant à l’introduction d’un nouveau
produit, dans une classe de produits similaire ou dans une catégorie de produits complètement
nouvelle à l’entreprise. » Quant à l’extension de marque verticale, elle « implique
l’introduction d’une marque similaire dans la même catégorie de produit, mais habituellement
à un niveau différent de prix ou de qualité », ce qui correspond, dans certaines recherches, à la
définition de l’extension de gamme.
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Si la stratégie d’extension de marque revient à utiliser un nom de marque pour lancer un
produit appartenant à une nouvelle catégorie, et l’extension de gamme consiste à introduire de
nouvelles variantes dans la même catégorie de produits sous le nom de la marque actuelle,
une autre stratégie d’extension est utilisée par les producteurs : il s’agit de l’extension de
circuit de distribution.
- La stratégie d’extension de circuit de distribution ou la naissance d’un nouveau « couple
marque-enseigne »
Pendant longtemps, le consommateur a privilégié la concurrence entre des formules de vente
identiques, caractérisant ainsi une concurrence intratype. En effet, jusqu’aux années quatre-
vingt, seule cette concurrence était prise en compte dans les stratégies de positionnement des
points de vente. Cependant, l’évolution de l’environnement de la distribution incite le
consommateur à considérer une concurrence s’exerçant entre des formules de vente
différentes (hyper ou supermarchés, hard-discounters, magasins spécialisés, VAD, etc.) pour
acquérir biens et services : dans ce cas, on parle de concurrence intertype (Filser et al., 2001).
Dans le cadre de la stratégie d’extension de circuit de distribution, le producteur est amené « à
utiliser de façon durable ou occasionnelle de nouvelles formules de distribution et d’enseignes
jusqu’ici inexploitées par la marque afin de constituer un circuit de distribution multi-
canaux » (Huvé-Nabec, 2001). Cette stratégie devient une pratique de plus en plus courante
chez les producteurs et étudiée par les chercheurs (Sheth, 1983 ; Vanheems, 1996). De ce fait,
de nombreux produits distribués, à l’origine, dans le cadre d’une stratégie de distribution
sélective, se trouvent désormais dans plusieurs canaux de distribution.
L’extension de circuit de distribution d’une marque se manifeste par une nouvelle association
entre une marque et une enseigne qui apparaît sur le marché et fait intervenir trois acteurs : le
producteur, le distributeur et le consommateur. Une des conséquences de ce phénomène est la
mise en concurrence directe, par ce dernier, d’enseignes appartenant à des formules de vente
différentes pour l’achat d’un produit et/ou d’une marque. Le consommateur se trouve
désormais face à un nouveau couple marque-enseigne, c'est-à-dire « la nouvelle possibilité
d’acheter un produit de la marque X dans une enseigne Y » (Huvé-Nabec, 2001).
Ainsi, l’apparition de ce nouveau couple marque-enseigne se traduit, du point de vue du
producteur, par la commercialisation de la marque dans une nouvelle enseigne ; pour le
distributeur, par une extension de son assortiment à une nouvelle marque ; pour le
consommateur, par l’apparition d’une nouvelle possibilité d’achat qu’il évalue au cours de son
processus d’achat.
Différentes caractéristiques des nouveaux couples marque-enseigne sont influencées par les
producteurs et les distributeurs (Huvé-Nabec, 2001). Il s’agit :
- De leur durée ; le couple marque-enseigne fait l’objet d’une promotion ponctuelle chez le
distributeur la marque intègre le nouveau canal de distribution pour une durée plus ou
moins longue ; le producteur peut également choisir d’offrir une marque en permanence en
commercialisant à chaque saison de nouveaux modèles.
- Du deg d’implication du producteur dans la fabrication du produit marqué ; deux
possibilités s’offrent au producteur ; soit il conçoit, fabrique et livre lui même les produits
prêts à être commercialisés auprès du distributeur ; soit il vend son ou ses modèles au
distributeur qui a la charge de les faire fabriquer.
- De la spécificité des produits ; le producteur commercialise des produits identiques à ceux
proposés dans les autres circuits de distribution ; il peut également créer des produits
spécifiques pour le nouveau canal de distribution ; dans ce cas, le produit commercialisé est
spécifiquement griffé pour l’enseigne (telle que la marque ici étudiée « Sonia Rykiel pour
H&M »).
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