74 CAROLINE DESPRÈS
Généalogie du renoncement aux soins
Renoncer est apparenté étymologiquement aux verbes nuntiare qui
signifie annoncer, faire savoir, et renuntiare : annoncer en retour, ren-
voyer (Grand Larousse, 1978). Le verbe suggère donc un changement ou
un désistement. Il s’agit de cesser, par une décision volontaire, de «pré-
tendre à quelque chose, de le vouloir et d’agir pour l’obtenir » (Nouveau
Petit Robert, 2010). Renoncer, c’est aussi « abandonner un droit sur
quelque chose, la jouissance ou l’usage de quelque chose». Le renonce-
ment peut prendre une connotation morale ou religieuse. Il est central dans
la philosophie hindoue mais aussi dans deux écoles de sagesse de la phi-
losophie grecque, le stoïcisme et l’épicurisme, qui proposent une conduite
de l’âme qui doit permettre l’accès au bonheur par un détachement des
plaisirs. Il s’agit alors «de renoncer (à une chose), de cesser de poursui-
vre, de laisser, d’abandonner par un effort de volonté et généralement au
profit d’une valeur jugée plus haute » spirituelle ou morale. Le terme
évoque une forme d’ascétisme, une manière de vivre fondée sur la priva-
tion. Le renoncement procède d’un acte volontaire supposant une délibé-
ration ; il s’agit de « se désister, se déporter (souligné par nous) de
quelque chose par acte exprès » (Littré,1961).
Nous avons recherché les occurrences du terme dans divers types
d’ouvrages. Le verbe «renoncer» est fréquemment utilisé dans le cadre
de l’abandon d’un droit (héritage, par exemple) ou d’un projet (recherche
d’emploi, reconversion professionnelle). Le renoncement évoque, par
exemple, le sentiment d’impuissance des chômeurs qui se résignent à leur
situation. Il s’agit donc d’un désistementaprès qu’un individu ait effectué
une analyse de sa situation et juge l’objectif inaccessible. Il cesse alors
d’agir pour l’obtenir. La notion de renoncement apparaît également dans
la littérature médicale ou de sciences humaines, dans un contexte de
maladies incurables, de soins palliatifs. Le renoncement aux soins prend
la figure d’un retrait thérapeutique dans le cadre d’une décision médicale,
fruit d’une analyse de la situation et d’une délibération.
Dans les enquêtes de l’IRDES, la notion a été introduite sans être
définie. On peut alors essayer d’en comprendre les représentations sous-
jacentes en analysant les productions institutionnelles. Le renoncement
aux soins est assimilé àune restriction des soins (Bocognano et al., 1993;
Mizrahi et Mizrahi, 1998). Les anciens directeurs de l’époque, responsa-
bles de l’enquête, ont publié récemment un article cherchant à clarifier a
posteriori leur choix (Mizrahi et Mizrahi, 2011). Le renoncement aux
soins y est apparenté à une situation dans laquelle un besoin de soins n’est
pas satisfait (unmeet needs en anglais) c’est-à-dire qu’un individu « ne
reçoit pas un soin, qu’il soit curatif ou préventif, qui aurait amélioré sa
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