11-a-Foessel:Mise en page 1 16/12/09 19:00 Page 118 Partialité de l’économie, insistance du politique Michaël Fœssel* D ANS un passage de l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme où perce un pessimisme qui tranche avec la neutralité qu’il s’impose en général, Max Weber dresse le portrait de l’homme capitaliste contemporain : Le puritain voulait être un homme de la profession-vocation (Beruf) ; nous sommes contraints de l’être. En passant des cellules monacales dans la vie professionnelle et en commençant à dominer la moralité intramondaine, l’ascèse a contribué à édifier le puissant cosmos de l’ordre économique moderne qui […] détermine aujourd’hui avec une force contraignante irrésistible, le style de vie de tous les individus qui naissent au sein de cette machinerie – et pas seulement de ceux qui gagnent leur vie en exerçant directement une activité économique. Peut-être le déterminera-t-il jusqu’à ce que le dernier quintal de carburant fossile soit consommé1. Dans ce texte, le plus important ne réside pas dans la prophétie de la dernière phrase, aussi congruente soit-elle avec les préoccupations écologiques de l’heure. Est surtout frappante l’insistance de l’auteur sur l’extension du mode de vie capitaliste au-delà de la sphère des échanges marchands. Pour Weber, l’histoire du capitalisme est liée à une forme de renoncement, d’où son lien très fort avec l’ascétisme protestant. La réalisation du profit tout comme la valorisation du travail impliquent de retarder la dépense et de renoncer à la jouissance des richesses accumulées. Si ce renoncement pouvait être héroïque pour les puritains du XVIIe siècle (car il était choisi en réaction à * Voir, parmi ses précédents articles dans Esprit : « Qu’est-ce qui nous motive ? À propos du Désintéressement, de Jon Elster », juin 2009. 1. Max Weber, l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 2003, p. 250-251. Janvier 2010 118