Janvier 2010 118
Partialité de l’économie,
insistance du politique
Michaël Fœssel*
DANS un passage de l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme où
perce un pessimisme qui tranche avec la neutralité qu’il s’impose en
général, Max Weber dresse le portrait de l’homme capitaliste contem-
porain :
Le puritain voulait être un homme de la profession-vocation (Beruf);
nous sommes contraints de l’être. En passant des cellules monacales
dans la vie professionnelle et en commençant à dominer la moralité
intramondaine, l’ascèse a contribué à édifier le puissant cosmos de
l’ordre économique moderne qui […] détermine aujourd’hui avec une
force contraignante irrésistible, le style de vie de tous les individus
qui naissent au sein de cette machinerie – et pas seulement de ceux
qui gagnent leur vie en exerçant directement une activité écono-
mique. Peut-être le déterminera-t-il jusqu’à ce que le dernier quintal
de carburant fossile soit consommé1.
Dans ce texte, le plus important ne réside pas dans la prophétie de
la dernière phrase, aussi congruente soit-elle avec les préoccupations
écologiques de l’heure. Est surtout frappante l’insistance de l’auteur
sur l’extension du mode de vie capitaliste au-delà de la sphère des
échanges marchands. Pour Weber, l’histoire du capitalisme est liée à
une forme de renoncement, d’où son lien très fort avec l’ascétisme
protestant. La réalisation du profit tout comme la valorisation du tra-
vail impliquent de retarder la dépense et de renoncer à la jouissance
des richesses accumulées. Si ce renoncement pouvait être héroïque
pour les puritains du XVIIesiècle (car il était choisi en réaction à
* Voir, parmi ses précédents articles dans Esprit : « Qu’est-ce qui nous motive ? À propos du
Désintéressement, de Jon Elster», juin 2009.
1. Max Weber, l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. J.-P. Grossein, Paris, Gal-
limard, 2003, p. 250-251.
11-a-Foessel:Mise en page 1 16/12/09 19:00 Page 118