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La Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
ménopausées suivie d’une hormonothérapie (si RH +) et consi-
dérait la suppression de la fonction ovarienne (par chirurgie ou
agoniste de la LH-RH) comme une alternative envisageable
chez des patientes sélectionnées (8). Trois ans plus tard, les
experts réunis à Saint Gallen concluent que l’association ago-
niste de la LH-RH + tamoxifène est au moins équivalente à
une chimiothérapie chez ces femmes, y compris lorsqu’il
existe un envahissement ganglionnaire axillaire (3, 9), et peut
être proposée en alternative à une chimiothérapie.
Pour supprimer la fonction ovarienne, plusieurs stratégies peu-
vent être aujourd’hui envisagées : l’ovariectomie, la castration
radique et la castration chimique par les agonistes de la LH-
RH. L’avantage de la chirurgie (réalisable maintenant par
cœlioscopie) est de permettre non seulement une chute rapide
et irréversible des taux sanguins d’estrogène, mais aussi de
prévenir l’apparition d’un adénocarcinome de l’ovaire chez les
femmes génétiquement prédisposées (10). La castration
radique est pratiquement abandonnée car elle entraîne une
baisse parfois lente, incomplète et réversible des taux sanguins
d’estrogène. Les agonistes de la LH-RH représentent la
méthode de castration la plus récente. Il a été suggéré qu’ils
pouvaient avoir un effet anti-tumoral direct (11) et leur action
est réversible. Le principal inconvénient est le risque théorique
de stimulation des cellules tumorales liée au flare-up initial
(11). De surcroît, utilisés pendant la chimiothérapie, ils pour-
raient protéger la fonction ovarienne, notamment chez les
jeunes femmes qui auront, ultérieurement, un désir de procréer
comme le montre une étude italienne (12) où 64 patientes
atteintes d’un cancer du sein, d’une moyenne d’âge de 42 ans,
ont été traitées par chimiothérapie (CMF ou protocoles à base
d’anthracyclines ou chimiothérapie haute dose) associée à un
agoniste de la LH-RH. Après un suivi médian de cinquante-
cinq mois, 86 % des patientes ont repris un cycle régulier.
L’efficacité de la castration dans le traitement adjuvant des can-
cers du sein a été confirmée par la méta-analyse publiée en 1996
(13). Parmi 12 études randomisées (castration chirurgicale ou
radique versus abstention), réalisées à une époque où la chi-
miothérapie était presque inexistante, et regroupant 2 102
patientes, une amélioration de la survie à quinze ans est consta-
tée (52,4 versus 46,1 %). Le bénéfice est identique que les
femmes aient plus ou moins de 40 ans. Il faut noter que ces
chiffres sont peut-être sous-estimés (pour la population ayant
une tumeur RH+) car, dans la majorité des essais, l’expression
des RH est inconnue.
Par la suite, la castration chirurgicale ou chimique a été com-
parée à une chimiothérapie de type CMF dans plusieurs études
(14-16). La plus importante est l’étude ZEBRA (16) qui a
comparé chez 1 640 patientes, dont 80 % ont une tumeur expri-
mant le RE, six cycles de CMF à deux ans de traitement par
goséréline. Après une recul de six ans, la survie sans rechute
et la survie globale sont identiques. Au total, ces trois études
laissent à penser que la suppression de la fonction ovarienne
même transitoire est un traitement tout aussi efficace que la
chimiothérapie pour la population de patientes ayant une
tumeur RH+. Toutefois, il est impératif de souligner que le
protocole CMF est actuellement largement suboptimal, face à
des chimiothérapies contenant une anthracycline (8).
Sachant qu’en situation métastatique, l’association castration +
tamoxifène s’est révélée supérieure à chaque hormonothérapie
donnée seule (17), il était donc logique de comparer cette asso-
ciation à une chimiothérapie en adjuvant. Quatre essais ont ainsi
comparé une castration définitive ou transitoire par agoniste de
la LH-RH + tamoxifène à une chimiothérapie de type CMF (18,
19) ou plus optimale contenant une anthracycline (20, 21). Il
faut noter que la plupart de ces études se sont intéressées à des
cancers du sein avec ganglions axillaires envahis (moins de
15 % des patientes du groupe italien du GROCTA (18) et 50 %
des patientes de l’étude autrichienne (19) étaient N-). L’analyse
de ces quatre essais suggère qu’il existe une équivalence entre
les deux modalités de traitement en termes de survie sans
rechute et de survie globale. Mais, il faut toutefois souligner que
le bras chimiothérapie ne comprenait pas de tamoxifène. L’asso-
ciation castration + tamoxifène reste malgré tout à valider face
à des protocoles contenant de plus fortes doses d’anthracycline
(de type FEC 100) voire des taxanes pour la population N+.
À efficacité égale de ces deux modalités de traitement, intervient
la notion de qualité de vie chez ces patientes jeunes, bien qu’il
n’existe pas d’analyse comparative de ce critère entre les diffé-
rentes études. L’étude ZEBRA (16) est la seule qui répond par-
tiellement à la question. Un questionnaire de qualité de vie a, en
effet, été remis aux patientes avant de commencer le traitement
puis à trois, six, douze, vingt-quatre et trente-six mois. Durant
les six premiers mois, la chimiothérapie (CMF) est responsable
de moins de symptomatologie hormonale (bouffées de chaleur,
prise de poids), mais l’hormonothérapie (qui ne comprenait
qu’une castration) perturbe moins tous les autres domaines (nau-
sées/vomissements, asthénie, alopécie, etc.). Entre un et deux
ans et au-delà, les résultats sont identiques. Globalement, la qua-
lité de vie est en faveur de la castration durant les six premiers
mois puis les deux alternatives thérapeutiques sont identiques
durant la période suivante. Il faut noter que beaucoup de
patientes traitées par chimiothérapie ont vu une ménopause pré-
coce s’installer et ont donc les effets secondaires induits par les
analogues. Il est rare après 40 ans qu’une aménorrhée chimio-
induite rétrocède. En revanche, après un blocage par agoniste de
la LH-RH, de nombreuses femmes semblent reprendre des
cycles normaux et réguliers. Il faut cependant noter que ce
chiffre n’est pas indiqué dans toutes les études. Dans l’étude
ZEBRA (16), par exemple, 76,9 % des patientes ont une amé-
norrhée définitive à trois ans après la chimiothérapie (six cycles
CMF) versus 22,6 % des patientes traitées pendant deux ans par
agoniste de la LH-RH (90 % des femmes d’âge inférieur à 40 ans
et 70 % des femmes d’âge supérieur à 40 ans ont retrouvé des
cycles normaux après l’arrêt des agonistes de la LH-RH). Après
deux ans d’agoniste de la LH-RH, dans l’étude italienne du
GROCTA (18), 14 des 70 femmes, soit 20 %, ont repris un cycle
régulier et, enfin, dans l’étude de l’IBCSG (23), ce sont 40 %
des patientes qui ont retrouvé un cycle menstruel.