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1
L'EXISTENTIALISME SARTRIEN
A TRAVERS HUIS CLOS
Sous la direction de Monsieur le professeur CAO Deming
Présenté par Sun Yan
Département de français
Université des Etudes Internationales de Shanghai
Décembre, 2000
REMERCIEMENTS
Je souhaite remercier tous ceux qui m'ont donné de précieux conseils au cours
de la rédaction de mon mémoire.
Je tiens particulièrement à remercier Monsieur le professeur CAO Deming, qui a
dirigé mon travail avec beaucoup d'attention et beaucoup de patience. Il a examiné
mon plan, donné de précieux conseils pour l'amélioration du travail et vérifié
finalement tout le texte.
Merci également à ceux qui m'ont aidé tout au long de mon travail par leurs
conseils, leurs critiques, et leurs encouragements.
Merci, enfin, à mes parents.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1:
1
Sartre, l'homme et ses oeuvres
1. La place de Sartre dans la littérature française
5
2. L'évolution de ses idées: avant la guerre et après la guerre
5
3. Sa philosophie: l'existentialisme
6
3.1. L'existentialisme
3.2. L'illustration de l'existentialisme
6
~
3.3. Une brève présentation de sa création théâtrale
8
9
CHAPITRE II: Présentation générale de Huis clos
1.
Le motif de cette création
11
2.
Le contenu
12
3.
Les deux thèmes: rapports avec les autres et liberté
14
3.1. Liberté
15
3.2. Rapports avec les autres
16
CHAPITRE III : Analyse de Huis clos
1.
Un enfer insolite
19
2.
Un étrange trio
.,22
3.
Aucun couple n'est possible
.,24
3.1. Couple Estelle-Inès
24
3.2. Couple Garein-Inès
26
3.3. Couple Garein-Estelle
29
3.4. Le dernier effort des trois
,
34
4.
L'enfer, c'est les Autres!..
37
5.
C'est la mort qui décide
.43
6.
Etude du langage, du style et de la structure de Huis clos
.45
6.1. Le langage
6.2. Le style théâtral.
45
.49
'"
6.3. La structure
7.
Le malentendu entre Sartre et ses lecteurs
8.
La portée actuelle des thèmes de Huis clos
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
54
;
57
59
62
65
Note: Toutes les références à Huis clos renvoient à la collection Folio, Gallimard,
1972.
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
INTRODUCTION
La pièce de Sartre, Huis clos, présentée pour la première fois au public parisien en
1944 (sous l'occupation) constitue la dernière phase philosophique de Sartre avant son
engagement dans l'action. Certainement la guerre et la résistance eurent-elles une
influence déterminante
sur cette évolution que d'ailleurs un lecteur attentif peut
déceler déjà dans Huis clos. Y sont abordés les thèmes du pacifisme, de la mauvaise
foi, de la responsabilité envers ses idées, envers les autres, les contacts difficiles entre
les classes sociales. Le succès considérable que rencontre Huis clos
s'explique
certainement par l'aspect à la fois « fantastique» du thème et anti-théâtral de la forme,
mais aussi par la rigueur de pensée qui sous-tend tout le texte.
La pièce ' est d'une concision et d'une économie de moyens tout à fait
extraordinaires: un minimum de personnages, une seule action, présentée de manière
continue, sans entracte, pendant soixante-quinze ou quatre-vingts minutes, sans rien
de superflu. Le projet de Sartre était beau: donner une représentation de l'Enfer d'où
toute notion de bien ou de mal aurait disparu, d'où toute idée de justice universelle soit
exclue au profit d'une responsabilité purement personnelle à chaque homme. Ni
bourreaux, ni bûcher, ni soufre, ni pal... une chambre d'hôtel sans fenêtres, où l'on ne
dort jamais, où l'on continue à vivre les yeux ouverts. Pas besoin d'instruments de
torture, l'enfer, c'est les Autres.
Introduit dans un salon Second Empire par un garçon de service, le personnage
s'étonne de ne pas trouver d'instruments de torture; mais perdant bientôt sa belle
maîtrise de soi, il envisage l'uniforme horreur de sa condition de prisonnier projeté
hors du temps et de l'espace, sans espoir de sommeil ni de contact avec le monde
extérieur. Seul, il est saisi d'une crise de désespoir, quand entre une femme,
accompagnée du même garçon; comme celle-ci le prend pour le «bourreau », il
décline son identité: « Garein, homme de lettres ». Elle s'appelle Inès, semble très
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
2
sûre d'elle. Claustrés ensemble, ils ne tardent pas à se rendre réciproquement
insupportables.
Une jeune et jolie femme est introduite à son tour. D'abord épouvantée, puis
aussitôt « rassurée », elle multiplie les mondanités en se nommant: Estelle. Tandis
qu'Inès s'intéresse de très près à elle, dès son entrée, Estelle s'adresse plus volontiers à
Garein qui évoque avec nostalgie sa vie de journaliste, non sans s'interroger sur les
raisons incompréhensibles qui ont motivé leur réunion à trois( Inès, employée des
postes, Estelle, une mondaine). Nul hasard, nulle erreur, proclame Inès qui tente de les
persuader d'avouer leur faute : seule voie pour comprendre leur réunion en enfer. Elle
dénonce violemment leur mauvaise foi, et quand Garein veut la frapper, elle comprend
soudain: « Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres. »
Garein tente alors de s'enfermer dans le silence et la solitude, tandis qu'Inès
s'attache à séduire Estelle, celle-ci préfère les égards de Garein. Vaincue, Inès relance
la confrontation à trois. Chacun devra confesser son existence: ils sont tous trois
responsables de la mort de ceux qui les ont aimés. En outre Garein est un lâche ... Inès
refuse l'apaisement de la pitié mutuelle que propose Garein, mais accepterait un pacte
qui lui céderait Estelle. Mais celle-ci, qui n'est pas un objet, a sa propre intention.
Ainsi, aucun couple n'est possible. Ils se torturent l'un l'autre, chacun est le bourreau
des deux autres. Enfin un atroce éclat de rire les réunit àjamais dans la torture morale
mutuelle: « L'enfer, c'est les Autres. »
Les deux thèmes de cette pièce, rapports avec les autres et liberté, reflètent
l'existentialisme sartrien. Une définition très importante de l'existentialisme sartrien
est que l'homme est l'être chez qui l'existence précède l'essence. Il surgit dans le
monde comme pure contingence, existe avant de se définir . On ne peut le déduire
d'une réalité préexistante puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme
n'est rien d'autre que ce qu'il se fait, il ne se définit que par ses actes. D'après Sartre, si
l'homme est libre, il est pleinement responsable de son existence; ni son tempérament,
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
3
ni ses passions, ni les circonstances ne pourront lui servir d'excuse. Il n'a fait que ce
qu'il a voulu, il n'a voulut que ce qu'il a fait. Ce qu'il a fait décide ce qu'il est. Si
l'homme est libre, il n'y a ni Bien ni Mal, parce qu'on ne peut choisir pour soi que le
Bien. Le seul jugement qui puisse être porté sur des actes humains ne concerne pas
leur valeur, mais leur authenticité. La liberté sartrienne implique tout d'abord que
l'homme accepte la responsabilité de ce qu'il est en refusant toute mauvaise foi. Or les
personnages de Huis clos ne sont pas libres, puisqu'ils se mentent à eux-mêmes autant
qu'ils mentent aux autres, puisqu'ils se cachent leur liberté derrière des formules
toutes faites et fausses. Ils ont justement été condamnés à l'enfer pour ne pas avoir osé
assumer la liberté que leur imposait leur situation d'hommes.
Le rapport à autrui est évidemment primordial dans Huis clos. Si l'homme vivait
seul, il serait totalement libre puisque seul pensant le monde, celui-ci n'existerait que
pour lui. En revanche, en présence des autres, notre pensée ne peut pas tenir compte
seulement d'elle-même, mais aussi de celle des autres. Le regard que je jette sur le
monde est constamment contredit par celui que les autres jettent sur lui. Aussi entre ma
pensée et celle d'autrui s'établit inexorablement un conflit, nos visions du monde
faisant exister le monde différemment, la vision des autres heurtant la mienne. La
liberté de l'autre a tendance à supprimer la mienne en détournant les choses des
significations que je leur donne. L'existence de l'autre me fait courir un danger encore
plus grand: l'autre me juge, me pense, fait de moi l'objet de sa pensée. Je dépends de
lui, sa liberté me réduit à l'état d'objet. Pendant que l'autre me juge, il fait certes de
moi son objet, mais en même temps je le juge, c'est-à-dire que je fait de lui mon objet.
Nous sommes donc tous les deux simultanément sujet et objet, en me pensant, l'autre
établit un jugement sur moi, un jugement dont je vais tenir compte pour me connaître
désormais. Autrement dit, l'autre m'oblige à me voir à travers sa pensée, comme je
l'oblige réciproquement à se voir à travers la mienne. C'est le problème central de
Huis clos. Donc, pour obtenir une liberté quelconque sur moi, il faut que je passe par
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
4
l'autre.
Sartre est connu pour son existentialisme, mais peu de gens comprennent
vraiment ses théories. Heureusement, Sartre a eu le génie d'illustrer ses théories à
travers le théâtre avec un langage simple. Notre objectif est donc de comprendre
l'existentialisme sartrien à travers Huis clos, et de savoir comment Sartre illustre ses
théories à travers cette pièce. Dans les pages qui suivent, nous essayons de bien
analyser cette pièce afin de trouver le lien entre ses théories et ce que veut dire cette
pièce. Nous allons partir du texte même, pour dégager la signification profonde de
l'oeuvre, il faut fonder l'analyse sur le texte. En analysant le texte, au fur et à mesure,
on trouvera le lien.
Dans le premier chapitre, l'accent sera mis sur la présentation de Sartre, de sa
philosophie et de ses oeuvres. Pour arriver à notre but, il faut savoir la situation de
Huis clos dans la pensée et l'oeuvre de Sartre. Dans le deuxième chapitre, nous ferons
une présentation générale de Huis clos pour rendre aux lecteurs un panorama de cette
pièce. Puis dans le troisième chapitre, nous nous bornons à travailler sur l'analyse de
Huis clos. Comment marche le mécanisme infernal d'autrui? Quel est le lien entre ces
personnages et la philosophie sartrienne? Quel est le style du langage? ... Nous
essayons de répondre à toutes ces questions.
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
5
CHAPITRE 1
Sartre, l'homme et ses oeuvres
1
La place de Sartre dans la littérature française
lean-Paul Sartre occupe une place magistrale au xx' siècle, analogue à celle que
pouvait tenir Voltaire au XVIIIe siècle. Son rôle dans la littérature française du
xx'
siècle ainsi que dans le mouvement des idées du monde occidental est considérable,
Son action s'étend aux domaines les plus variés: roman, théâtre, philosophie, critique
littéraire et artistique, textes politiques, scénarios de films, journalisme, édition, etc. Il
a poussé sa réflexion dans tous les domaines de la vie contemporaine. Ses oeuvres
constituent une partie non négligeable du trésor culturel de l'humanité.
Pour mesurer l'influence de Sartre dans le monde, rien n'est plus convaincant que
la scène qui s'est déroulée lors de son décès. Cent mille personnes se sont rassemblées
pour accompagner la dépouille mortelle de Sartre au cimetière. Giscard d'Estaing,
président français de l'époque a considéré « la disparaition de 1ean-Paul Sartre comme
celle d'une des grandes lueurs d'intelligence de notre temps. »
Le long d'une vie vécue, il est devenu l'écrivain français qui compte le plus de
son vivant en France aussi bien qu'à l'étranger, celui par rapport à qui les autres
tendent à se définir. Sur le plan esthétique il incarne les grands problèmes de la
littérature du milieu du XXe siècle, tandis que sa pensée politico-sociale met en
lumière les dilemmes de l'homme d'aujourd'hui. Il est devenu une célébrité
internationale par le rayonnement de son oeuvre et sa personalité.
2 L'évolution de ses idées: avant la guerre et après la guerre
Avant la guerre, Sartre était simplement professeur de philosophie, et il se tenait à
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
6
l'écart des mouvements politiques. Il se voulait observateur et cherchait à se tenir
disponible plutôt qu'à s'engager dans une voie précise. Mais la guerre a éclaté, son
expérience de la guerre l'a décidé une fois pour toutes. « ... parce qu'on m'avait déjà,
à l'époque, fait soldat alors que je ne voulais pas l'être. J'avais donc déjà fait l'
expérience de quelque chose qui n'était pas ma liberté et qui me gouvernait du dehors.
On m'avait même fait prisonnier, sort auquel j'avait pourtant cherché à échapper.
Ainsi, je commençais à découvrir la réalité de la situation de l'homme parmi les choses,
que j'ai appelée « l'être-au-monde» » 1 Il trouvait que l'isolement, le détachement
olympien n'étaient plus possibles et que l'individu et la collectivité étaient
inséparables. La guerre a ramené le philosophe dans la collectivité, l'individualiste
dans une fraternité d'armes et surtout de camp, l'idéaliste au sein de la réalité, l'a
obligé en particulier à voir la mort. De plus en plus il considérerait la liberté dans ses
relations avec une situation donnée.
3 Sa philosophie: l'existentialisme
3.1 L'existentialisme
L'existentialisme a apparu à la fin des années 1930, à cette époque, la crise
économique rendait les gens désespérés et pessimistes à propos du futur, et la crise a
suscité aussi une évolution des idées des gens.
En dépit des heures glorieuses de la Libération, le pessimisme sortait brillant
vainqueur de cette guerre de cinq ans. Les jours de triomphe étaient courts. Le pays
devait, pour se relever de ses ruines, continuer de souffrir, volontairement cette fois,
des privations connues sous l'occupation. Quant aux individus, dans leur majorité,
l'angoisse les avaient trop marqués pour qu'ils puissent oublier rapidement la
contrainte sous laquelle ils avaient vécu. Alors au lendemain de la guerre,
l'existentialisme s'est révélé tout d'un coup comme une philosophie fort à la mode.
1
Jean-Paul Sartre, Situations. IX, Gallimard, 1972, p.99.
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
7
Pour définir l'existentialisme nous partirons du mot lui-même. Ce néologisme
dérive du substantif « existence ». L'existentialisme nous apparaît donc comme une
théorie qui affirme le primat ou la priorité de l'existence. Mais par rapport à quoi le
primat ou cette priorité sont-ils affirmés? Par rapport à l'essence. D'après
l'existentialisme, l'existence précède l'essence.
L'expérience de la guerre a fait Sartre devenir le témoin de son époque. Désormais,
une partie considérable de son oeuvre touchait directement ou indirectement aux
problèmes de l'homme moderne face à sa condition politique, sociale et économique.
Sa notion d'engagement (en tant que résultat logique de la prise de conscience par
l'homme de sa liberté et de l'acceptation de sa responsabilité) devient un des concepts
de base de la morale sartrienne. De sa propre façon, Sartre développe l'existentialisme.
On peut résumer sa pensée et son action en disant que ses efforts visent avant tout à
libérer l'homme des fausses contraintes qu'il s'impose et à lui faire prendre
pleinement conscience du choix de ses actes. L'existence précède l'essence, l'individu
ne se développe et ne s'affirme que par une libre disposition de lui-même. Le destin
n'est pas le commandement d'une divinité ou l'ordre absurde du hasard, mais l'oeuvre
délibérée accomplie par chacun à tout instant de sa vie dans l'acte qui l'engage et le
détermine. Nous sommes responsables pour nous, mais aussi pour les autres, puisque
la décision que nous prenons met autrui dans une situation différente de la sienne
propre et qu'il lui faut soit accepter, soit refuser, soit discuter notre propre position. La
passivité elle-même est action, car le silence, par exemple, a ses retentissements. Il
faut donc prendre parti, mais ce parti n'est jamais définitif. Chaque minute le remet en
jeu dans la mobilité des circonstances et l'application du choix.
Ici nous nous bornons à rappeler quelques définitions fondamentales de
l'existentialisme sartrien :
~
L'homme est l'être chez qui l'existence précède l'essence.
~
Le monde n'est pas intelligible a priori.
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
{>-
8
Si Dieu n'existe pas, s'il n'y a pas de nature humaine, si le monde est
intelligible en soi, l'homme est condamné à être libre, il doit s'inventer à
chaque minute.
{>-
Si l'homme est libre, il est pleinement responsable de son existence.
{>-
Si l'homme est libre, il n'y a ni Bien ni Mal, parce qu'on ne peut choisir pour
soi que le Bien. Le seul jugement qui puisse être porté sur des actes humains
ne concerne pas leur valeur, mais leur authenticité.
{>-
Ceux qui se cachent leur totale liberté, Sartre les appelle des lâches.
{>-
Ceux qui croient que leur existence est nécessaire, Sartre les appelle des
salauds.
{>-
L'existentialisme n'est pas autre chose qu'un effort pour tirer toutes les
conséquences d'un athéisme total.
3.2 L'illustration de l'existentialisme
En tant que philosophe, Sartre développe l'existentialisme et crée la
philosophie sartrienne. Et sa pensée n'a cessé d'évoluer par rapport à ses idées initiales,
surtout en matière de philosophie et de politique.
Evidemment, la théorie de l'existentialisme est très difficile à comprendre.
Seulement les intellectuels pourraient la déchiffrer, et la philosophie est l'affaire des
philosophes. Quant au grand public, la vie est la plus importante, il aurait été donc tout
à fait ignorant de l'existentialisme, mais en réalité, l'existentialisme offrait à un public
considérable (le grand public lettré de France et bientôt d'Europe occcidentale) une
position rationnelle par rapport à la conception de vie de cette époque. C'était
justement grâce aux romans et aux pièces de théâtre que l'existentialisme pouvait se
comprendre facilement par le grand public.
Dès le début, Sartre se partage entre des publics très différents: les études
philosophiques, comme L'Imagination, L'Etre et le Néant, s'adressent aux spécialistes
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
9
en utilisant un langage et des raisonnements techniques qui ne sont à la portée que d'un
petit nombre. Les critiques littéraires et politiques, telles Saint Genet, L'Idiot de la
famille, s'adressent à une autre catégorie de lecteurs: des milieux intellectuels mais
pas forcément philosophiques. Mais c'est surtout par ses romans et ses pièces que
Sartre cherche à communiquer ses théories à un public toujours plus étendu et c'est
certainement par son théâtre qu'il a le mieux réussi. Dans ses romans et ses pièces de
théâtre, il a le génie d'illustrer, d'une manière simple, l'essentiel de théories difficiles
et de situations terriblement complexes. C'est sans doute par ses pièces de théâtre que
Sartre est devenu véritablement public. Et c'est en effet la partie de son oeuvre qui
apparaît la plus facile d'accès. Il n'en résulte évidemment pas ce soit la mieux
comprise, mais du moins est-elle plus familière à bon nombre d'esprits que les essais
et les ouvrages proprement philosophiques. Au surplus, elle a le mérite d'illustrer, de
mettre en scène, la quasi-totalité des thèmes sartriens. Et on en dirait autant, bien sûr,
de la partie romanesque sartrienne.
Sartre explique l'existentialisme comme « une philosophie de vie et d'acte ». Si
ses ouvrages abstraits sont d'un abord difficile, il a pourtant assuré à l'existentialisme
une large diffusion, car il a illustré sa philosophie par ses romans, son théâtre, enfin il
l'a traduite dans l'action par son engagement politique.
3.3 Une brève présentation de sa création théâtrale
Quant à ses pièces de théâtre, Les Mouches (1943) et surtout Huis clos (1944)
sont les chefs-d'oeuvre.
Sartre a débuté au théâtre avec Les Mouches. Ecrite en 1941-1942, la pièce était
publiée et jouée en 1943. Sartre reprend l'histoire d'Oreste et d'Electre. A travers ce
mythe grec, il illustre sa philosophie. Oreste des Mouches est l'incarnation parfaite de
l'existentialisme sartrien. Au début, Oreste se croit libre parce qu'il ne se considère
pas comme concerné par la situation politique de la ville. Mais il découvre bientôt que
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
10
le rôle d'observateur ne lui suffit pas, il a désormais besoin d'un acte par lequel il se
définit. Cet acte -
le meurtre de sa mère et du roi, assassin de son père -
est un
engagement totale et une acceptation de sa responsabilité. Par son acte libérateur,
Oreste se crée lui-même, et avant il n'a été qu'un être potentiel.
Par contre, Huis clos illustre l'existentialisme d'un autre côté. Les personnages
de Huis clos n'acceptent pas leur responsabilité. A cause de leur mauvaise foi, ils sont
maintenant en enfer. Si Les Mouches présentent le côté positif, héroïque de
l'existentialisme sartrien, Huis clos montre le revers de la médaille: l'action
inauthentique, la fuite devant la liberté et la mauvaise foi.
La troisième pièce de Sartre, et la première à être créée après la guerre, est Morts
sans sépulture, jouée en 1946. C'est une oeuvre sombre quoique positive par certains
aspects, où l'auteur explore le problème de la torture. Il donne ensuite Les Mains sales,
Le Diable et le Bon Dieu, Les séquestrés d'Altona. Toutes ces pièces ne sont pas
seulement des créations d'une originalité marquée, ce sont aussi des chefs-d'oeuvre de
vulgarisation. Le principal effort de Sartre, à travers ces ouvrages, c'est de réduire des
raisonnements philosophiques complexes à des propositions accessibles et de les
incarner ensuite dans des situations simples où se débattent des personnages faciles à
comprendre et à identifier.
L'existentialisme sartrien à travers Huis clos
11
CHAPITRE II
Présentation générale de Huis clos
1 Le motif de cette création
La première pièce de Sartre Les Mouches (1943) a reçu d'abord un accueil mitigé
de la part de la critique et son succès auprès du grand public ne s'est affirmé que plus
tard. Peu après, Sartre a voulu faire un second essai au théâtre, ce serait Huis clos. La
raison de créer cette pièce est très simple, et plutôt par hasard. Un ami de Sartre, dont
la femme était comédienne, lui a suggéré d'écrire une pièce pour elle et pour une autre
actrice. Et il fallait donc composer un ouvrage dont la mise en scène serait peu
coûteuse et pourrait être réalisée, non seulement à Paris, mais dans différentes villes de
province. Par conséquent, il fallait envisager une oeuvre n'exigeant pas de moyens
importants: peu de personnages, un seul décor et des plus simples, pas de costumes.
En outre, puisque cette pièce allait être jouée par trois amis et que Sartre ne voulait
avantager aucun d'eux, il a cherché donc à concevoir des rôles de longueur et
d'importance égales et une situation où aucun des trois personnages ne quitterait la
scène. Sartre voulait qu'ils restaient ensemble tout le temps sur la scène parce qu'il
pensait: « s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au
moment où il s'en va... »1
La solution a été donc d'opter pour une situation à Huis clos. Et c'était aussi parce
que Sartre avait été impressionné par l'isolement pendant qu'il avait été prisonnier de
guerre( 1940-1941). La mort et la solitude apparaissent ainsi comme deux obsessions
majeures pour Sartre. La guerre pose concrètement le problème du destin, rapproche
1
Cité dans Thomas Bishop, Huis clos de Jean-Paul Sartre, Collection Lire aujourd'hui. Hachette, 1975, p.23.
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