penhauer, ne sont pas là pour faire oublier le dialogue
Changeux-Ricœur, ni les « nouveaux philosophes » :
Searle, Hofstadter, Dennett, P. Jacob, Ellis, Bitbol,
J. Proust, etc., et jusqu’à la directrice de collection où paraît
ce travail : Angela Kremer-Marietti. Les psychologues
convoqués ne s’arrêtent pas, loin s’en faut, à l’épistémolo-
gie piagétienne ; ils se nomment, entre autres, Fodor (pre-
mière et deuxième manière), Pylyshin, Seron, etc. Les
biologistes, pour n’en citer que deux, Edelman ou Varela
4
.
Parmi les neuropsychologues, Ajuriaguerra et Hécaen,
Teuber, qui ne sont pas pour autant oubliés (comme dans la
mode moderne des bibliographies limitées aux trois derniè-
res années), cèdent le pas à Delacour, à Jeannerod et à ses
élèves (Georgieff). Mais, bien évidemment, un intérêt par-
ticulier s’attache aux travaux de ceux des cognitivistes qui
s’orientent clairement vers la clinique : comme le « pas-
seur » Widlocher (dans le civil président de l’IPA !), Cham-
bon et Marie-Cardine, Danion, Heutekeete, M.-C. Hardy-
Baylé (en quête du quatrième paradigme), après tous les
Frith, Andreasen et autres précurseurs « yanks ». Car R.M.
Palem s’adresse résolument aux nouvelles générations, pri-
ses dans l’esprit du temps, et non pas, comme on a pu le dire
à propos de certains retraités, dont je me sens proche, au
« cercle des psychiatres disparus ».
Dans le surgissement des perlaborations palemiennes
sur les figures représentatives des « représentations »
contemporaines, il y a cependant un tréfonds immuable
dans la pensée de leur auteur : la hantise (comme chez tout
véritable praticien de la médecine mentale), bien plus —
au-delà, mais déjà en deçà, des problèmes abstraits, sinon
abscons, de la pensée pure — de la « normativité » de la
perception face au « scandale » de l’hallucination et, pour
ce qu’il en est de l’exercice de la computation conceptuelle
et de la logique de la communication, ou de l’accès à la
personne (où à la conscience) de soi-même, l’insoutenable
manière d’être au monde du schizophrène. Le reste est...
littérature ou sujet à discussion.
Comme il faut bien mettre un ordre dans le chaos du
monde, y compris celui des conceptions de l’esprit, Palem a
regroupé ses réflexions en trois sections : points de rappro-
chement entre Ey (La conscience,le Traité des hallucina-
tions) et les modernes cognitivistes et autres philosophes de
l’esprit, points de rupture (ou de négligence), points
d’interrogation et malentendus. D’un aspect à l’autre, il y a
forcément des recoupements et des occasions de disputa-
tio... C’est surtout là que nous devons renvoyer au livre,
sous peine de le recopier ou, sur tel ou tel point, de déve-
lopper trop longuement les questions qu’il nous donne
envie de poursuivre, comme celle qu’il évoque à propos des
rapports de la connaissance et de la conscience ou celle,
fondamentale, de l’irréductibilité de la sémiotique à la
syntaxe formelle (la première ne pouvant exister, selon moi
et pour rester très allusif, que pour un système vivant que sa
néoténie et sa prématurité, ses insuffisances instinctuelles,
inscrivent dans une relation
5
où se reçoivent ses affects, ses
besoins, ses désirs, sa gestualité, ses cris — auxquels
« l’autre secourable » donne signification — et où se fon-
dent ses identifications puis, grâce au développement en
boucle du langage, cet organe de la conscience réfléchie,
ses communications intériorisables, ses valeurs, ses « co-
opérations », etc. Tout ce qui fait, en somme, le propre du
zoon politikon). Passons.
R.M. Palem commence donc par la quête des rapproche-
ments. Ça n’est pas là une tâche si aisée. On peut certes
trouver des convergences plus ou moins ponctuelles avec
Searle ou Fodor, ranimer les cendres de Gibson (« l’écolo-
giste » de la perception) ou faire revenir des ombres de
l’Hadès (comme celle du grand neurologue et philosophe
vonWeizsäcker, dont il n’est cependant pas certain qu’il fut
intentionnellement « cognitiviste » plutôt que gnoséolo-
giste...). On peut mobiliser sans réserve les théoriciens du
top-down ; se réjouir que Jannerod lise Ey (au moins à
travers Ajuriaguerra) et, surtout, qu’il propose « une rela-
tion structure/fonction moins contraignante et plus diver-
sifiée » ; que Changeux déclare désormais que La cons-
cience est son livre de chevet (!), que Danion défende un
modèle de la schizophrénie comme pathologie de la cons-
cience autonoétique dont le déficit entraîne une déconstruc-
tion progressive de la référence identitaire du sujet (ce
sujet, souligne fortement RMP, si souvent oublié ou occulté
dans la « théorie de la connaissance »). Mais lorsque
Peretti et collaborateurs estiment que ce modèle « intègre »
les descriptions de « l’auteur classique » Ey, notre ami
4
Qui parle de « neurophénoménologie » ou va chercher on ne sait trop
quelle justification (à mon sens déplacée) de « l’incarnation » dans une
vision un peu sommaire du bouddhisme... À cette occasion, je précise ma
position : s’il y a bien une neuropsychologie, je ne crois pas qu’il puisse y
avoir, à proprement parler, de neurophilosophie, de neurophénoménolo-
gie, pas plus que de neurothéologie... Je tiens même la philosophie de
l’esprit comme, possiblement, une régression temporelle et formelle de la
psychologie. Je pense, par contre, que neurophysiologie et neuropsycho-
logie posent inexorablement des problèmes qui forcent le développement
de la réflexion philosophique, épistémologique et religieuse, et qu’il existe
des interprétations philosophiques, voire ontologiques, des données neu-
roscientifiques (que souvent les « savants » ne manquent pas d’injecter
naïvement, mais peut-être inévitablement, dans leurs rapports). Pour en
revenir à Varela, je lui fais toutefois crédit d’avoir su relancer de façon
originale à partir d’une théorie biologique : l’énactisme – quels que soient
ses précurseurs spéculatifs (Bergson ou autres) et sa fort fâcheuse igno-
rance de l’école russe des Bernstein, Léontief et du grand Alexander
Louria – la question du « représentationnalisme » de la tradition classique
de la perception. Le reste : représentations imaginaires, représentations
générales, ou tout ce qu’on voudra, ne sont que « schèmes intériorisés »,
traces de procédures d’action, projets moteurs ou désirs d’accomplisse-
ment.
5
Palem précise très clairement, après Poirel, qu’une relation n’est pas une
interaction – domaine où les robots font merveilles, avec un peu d’aléa-
toire et des systèmes « éducables », dont on ne peut douter qu’ils inter-
viennent d’ailleurs à certains étages nerveux. Comme le disait déjà Pascal,
inventeur d’une machine à calculer : « Nous sommes plus automate
qu’Esprit », aux trois quarts, évaluait l’Auvergnat. On peut pousser, je
pense, jusqu’au 9/10
e
.
J. Chazaud
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 6 - JUIN-JUILLET 2006516
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.