ÉDITORIAL
Bipolarité et trouble de la personnalité
Marie-France Gisselmann-Patris*
L’histoire de la médecine et de la psychiatrie nous démontre que les
grands courants de pensée qui traversent les sociétés exercent une
influence décisive, bien que parfois insidieuse, sur les idées et les
pratiques propres à ces institutions.
Ainsi peut-on s’interroger sur le sens de l’évolution du langage et des concepts
de la psychiatrie à propos de la question particulière de l’écart entre la psychose
maniacodépressive (PMD) et les troubles bipolaires. Cette construction
moderne s’est faite sous la pression conjuguée du pragmatisme psychiatrique
nord-américain, d’études épidémiologiques récentes, de travaux d’experts...
auxquels s’ajoute l’influence d’associations d’usagers, de l’industrie pharma-
ceutique, de nouveaux enjeux médicolégaux et de santé publique qui ne restent
pas sans effet sur le devenir des représentations de cette pathologie et de sa
prise en charge.
La nosologie de Kraepelin, objet de bien des critiques dès son élaboration,
reposait sur des traits cliniques distinctifs essentiellement évolutifs. Les théra-
peutiques balbutiantes laissaient les pathologies parcourir une trajectoire sup-
posée naturelle : rechute saisonnière des PMD, destin déficitaire des demandes
précoces. Nul n’était totalement dupe de la relativité du système classificatoire,
l’évolution imprévisible des troubles en montrant les faiblesses pronostiques.
Le développement moderne des nosographies par critère voulait répondre au
départ à l’attente d’un système totalement objectif. Ses manques de nuances,
on le constate aujourd’hui, ont nécessité sa continuelle complexification. La
pathologie selon le DSM s’atomise en de plus en plus nombreuses catégories
(de troubles bipolaires notamment).
Dans le spectre de la bipolarité, la clinique est fragmentée, le diagnostic
catégoriel étant posé sur des listes de signes recueillis à un moment donné :
sorte de clinique de l’instant. Or, déjà Fabret, dans sa célèbre introduction à son
traité, préconisait l’observation dans le temps de l’organisation du symptôme
avec la remise en question du concept de « structure psychopathologique »,
organisation qui se modifie au cours de l’évolution.
Si la question des troubles de la personnalité est contemporaine du début de la
nosographie, elle est traitée de façon variable. Il y a encore 50 ans, les troubles
*
Établissement public de santé Alsace-Nord (EPSAN), 141, avenue de Strasbourg, 67170 Brumath.
L’Information psychiatrique 2007 ; 83 : 441-3
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 83, N° 6 - JUIN-JUILLET 2007 441
doi: 10.1684/ipe.2007.0210
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de la personnalité étaient considérés comme inaccessibles aux soins et comme
fond des altérations permanentes du moi, à savoir les personnalités pathologi-
ques. Cette vision contrastait avec les modifications pathologiques liées à
l’expérience actuelle avec possibilité d’une seconde lecture des symptômes
devenus refuge de la psychopathologie et seuls accessibles aux traitements.
Certains auteurs soulignent la difficulté diagnostique du trouble bipolaire chez
les personnalités pathologiques, mais le trouble de la personnalité est fréquem-
ment abordé sous l’angle de la comorbidité avec cette idée que deux tiers des
patients atteints présenteront tôt ou tard d’autres problèmes : certains dévelop-
peront des troubles de la personnalité, d’autres une angoisse maladive et
beaucoup abuseront d’alcool ou de stupéfiants. Une majorité de patients
présentera des troubles alimentaires et nombre d’entre eux auront des difficul-
tés de concentration et d’hyperactivité.
Le trouble bipolaire est classé dans l’axe I du DSM4 en tant que « trouble de
l’humeur caractérisé par la périodicité de troubles dépressifs et maniaques
ou hypomanes ». Les troubles de la personnalité, classés dans l’axe II du
DSM4, sont définis comme « des comportements ou traits caractéristiques à
la fois du comportement récent et du comportement au long cours depuis
l’âge adulte », définition qui mélange les notions de personnalité pré ou
postmorbide.
Cette comorbidité complique à la fois le tableau clinique de la bipolarité, le
repérage diagnostique et la prise en charge. Différentes hypothèses sont évo-
quées pour discuter la pathogénie, l’étiopathogénie et les liens qui unissent
trouble bipolaire et personnalité.
Sont discutées les notions de personnalité prémorbide (exemple : antisociale
avec tendance dysphorique, la cyclothymie ou les troubles de la personnalité
limite que Akiskal classe d’ailleurs dans le spectre des troubles de l’humeur) et
de personnalité postmorbide. La littérature distingue trois types de modifica-
tions postmorbide de la personnalité :
– les modifications durant l’épisode affectif lui-même comme la labilité émo-
tionnelle, la tension anxieuse, la confiance en soi ;
– les modifications à court terme (< 1 an) avec fréquence du mauvais ajuste-
ment personnel et de difficultés relationnelles conjugales ;
– les modifications à long terme (> 2 ans) à type de perte de confiance en soi,
dépendance personnelle et sentiment d’insécurité (mais ces symptômes ne sont
pas spécifiques et se retrouvent dans d’autres pathologies chroniques).
Il est bien connu en clinique que les caractéristiques de la personnalité influen-
cent le cours évolutif des troubles de l’humeur, les problèmes d’observance aux
soins tout comme les conséquences psychosociales de deux troubles (problè-
mes affectifs, financiers, sociaux). Cette approche clinique soulève différentes
questions non tranchées : Les caractéristiques de la personnalité constituent-
elles des séquelles des troubles bipolaires ? Prédisposent-elles aux troubles de
l’humeur ? Influencent-elles son cours évolutif ? Sont-elles une forme atténue
de la bipolarité (exemple : cyclothymie) ?
La clinique de la bipolarité montre que le regard change tant en pédopsychia-
trie qu’en psychiatrie sur la question de la personnalité avec l’émergence d’une
M.-F. Gisselmann-Patris
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conception plus psychodynamique de l’approche des troubles de la personna-
lité. On souligne la difficulté des soins autour de psychopathologies fréquem-
ment vécues comme frontière avec la psychiatrie comme les troubles de la
personnalité, les addictions, les troubles du comportement.
A Strasbourg, les 26
es
journées de l’Information Psychiatrique consacrées à la
question des troubles de la personnalité permettront de débattre de ces nouvel-
les approches cliniques, théoriques et de soins tout en restant attentifs à ne pas
médicaliser toute déviance par rapport à une norme (de la personnalité) dont les
contours sont bien difficiles à tracer, comme le mettent en relief les débats en
psychiatrie médicolégale entre autres.
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