Organodynamisme et cognitivisme de Robert Michel Palem*

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L’Information psychiatrique 2006 ; 82 : 515-8
À PROPOS DE...
Organodynamisme et cognitivisme
de Robert Michel Palem*
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.70.218 on 16/04/2017.
Jacques Chazaud**
L’un de nos meilleurs historiens et commentateurs
d’Henri Ey, le père de la doctrine si... « hospitalière » (lisez
accueillante !) de l’organodynamisme — dont il nous avait
déjà montré comment elle avait intégré la psychanalyse
pour un bénéfice réciproque — nous suggère ici, au lieu de
se scléroser de relectures en exégèses, de poursuivre, voire
de renouveler, les idées du maître sur le « corps psychique » et le « devenir conscient » grâce à leur confrontation
avec le cognitivisme dans ses dimensions de théorie neuropsychologique et de philosophie de l’esprit. Là aussi, on
en escompte un double profit dans cette période de crise,
sinon d’attentat contre, la psychiatrie.
Cet ouvrage, comme tout livre de quelque portée, voire
de première importance, demande un « travail de lecture»
qui ne saurait s’effectuer en survol ou par recenseur interposé. Ce n’est point qu’il soit, en quelque façon, obscur
dans sa langue, si vivante et élégante, si précise, marquée
par cette vivacité stylistique à laquelle l’auteur nous a
depuis longtemps accoutumés. C’est qu’il n’est pas rédigé
(malgré les faiblesses que je connais de RMP pour Baruk1)
à la façon des géomètres. Mais, et cela reflète — quoi qu’il
en ait — la nature profonde du penseur, sur le mode « vulcanologique ».
Pour nous faciliter la tâche, nous possédons, cependant,
avec la table dite des matières (en fait d’indexation limpide
des concepts), un précieux guide d’orientation pour le
suivre dans ses vastes explorations. Nous pouvons ainsi
encore mieux appréhender (bien que ce ne soit ni une
condition nécessaire, ni une raison suffisante2) comment,
dans ses éruptions, la pensée de R.M. Palem projette vers
*
Paris : L’Harmattan, 2006, 151 p. Coll. Épistémologie, Philosophie,
Sciences, dirigée par Angela Kremer-Marietti
**
Médecin en chef des Hôpitaux psychiatriques, ancien professeur
adjoint à la Faculté de médecine des Saints-Pères (Paris), vice-président
de l’Association pour la fondation Henri Ey, 17 quai Sébastien-Vauban,
66000 Perpignan
1
Spinoza s’entend...
2
La « suffisance », RMP en est totalement dépourvue et la laisse aux
dogmatiques de tout poil, avec un léger avantage pour « les lacaniens ».
notre entendement un bombardement de matériaux issus du
magma bouillonnant de toutes les hypothèses de ceux qui
ont été pris par la passion de savoir ce qu’il en était « en
fait » de la pensée et du « pensoir » (fût-il en subconscience) dans ses relations avec le monde réputé commun,
ou dit personnel...
Comment s’étonner, avec un tel jaillissement dont les
coulées ardentes successives se rencontrent, se recouvrent,
s’intriquent ou se heurtent dans leurs cours, que l’on assiste
au choc — pour prendre un exemple, ici caricaturé — de
« l’existentialisme essentialiste » d’un Louis Lavelle avec
la soi-disant « neurophilosophie » d’une Patricia Churchland (qui s’évertue à contredire son nom par son dogme
« éliminativiste ») ?
Ce type fusant d’exposé (ou cette exposition éblouissante de tableaux aux multiples entrées) est le meilleur
témoignage que l’écrasante érudition de l’auteur est loin de
s’être figée en « pensée pétrifiée ». Ici ça continue de
bouillonner ; tant pis pour les amateurs de certitudes « établies » ! Dans sa volonté de savoir, l’auteur fait passer le
questionnement, voire, s’il le faut, la « perplexité » avant
tout pré-jugé. Pour lui, comme pour « l’attrapeur de rats »,
la vérité ne saurait être qu’une donation de sens perpétuellement réévaluée dans la « mise en examen » de l’écart
entre toute affirmation figée sur les « phénomènes » et la
multiplicité de l’« Être » qui ne peut être appréhendé, dans
son devenir non clos, qu’en « perspectives » et de façon
« polémique » enjouée3.
Bien sûr, la confrontation ne se réduit jamais à une
nouvelle querelle des Anciens et des Modernes. L’opposition entre Lavelle et Churchland, le souvenir de Turing, la
résurrection de l’aventureux Ruyer, voire le recours à Scho3
Ce dont tout le livre de RMP porte témoignage et qui est l’essence même
du Livre du philosophe (cf. Das Philosophenbuch de Friedrich Nietzsche,
traduction Angèle Kremer-Marietti, Paris, Aubier-Flammarion, 1969) et,
bien sûr, Le Gai savoir (traduction Alexandre Vialatte. Paris, Gallimard,
9e édition, 1950)... Ce ne peut être hasard si Palem avait repris, pour son
beau livre sur Henri Ey et les Congrès mondiaux de psychiatrie (Perpignan, Traboucaire, 2000), le plan d’Ecce Homo...
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J. Chazaud
penhauer, ne sont pas là pour faire oublier le dialogue
Changeux-Ricœur, ni les « nouveaux philosophes » :
Searle, Hofstadter, Dennett, P. Jacob, Ellis, Bitbol,
J. Proust, etc., et jusqu’à la directrice de collection où paraît
ce travail : Angela Kremer-Marietti. Les psychologues
convoqués ne s’arrêtent pas, loin s’en faut, à l’épistémologie piagétienne ; ils se nomment, entre autres, Fodor (première et deuxième manière), Pylyshin, Seron, etc. Les
biologistes, pour n’en citer que deux, Edelman ou Varela4.
Parmi les neuropsychologues, Ajuriaguerra et Hécaen,
Teuber, qui ne sont pas pour autant oubliés (comme dans la
mode moderne des bibliographies limitées aux trois dernières années), cèdent le pas à Delacour, à Jeannerod et à ses
élèves (Georgieff). Mais, bien évidemment, un intérêt particulier s’attache aux travaux de ceux des cognitivistes qui
s’orientent clairement vers la clinique : comme le « passeur » Widlocher (dans le civil président de l’IPA !), Chambon et Marie-Cardine, Danion, Heutekeete, M.-C. HardyBaylé (en quête du quatrième paradigme), après tous les
Frith, Andreasen et autres précurseurs « yanks ». Car R.M.
Palem s’adresse résolument aux nouvelles générations, prises dans l’esprit du temps, et non pas, comme on a pu le dire
à propos de certains retraités, dont je me sens proche, au
« cercle des psychiatres disparus ».
Dans le surgissement des perlaborations palemiennes
sur les figures représentatives des « représentations »
contemporaines, il y a cependant un tréfonds immuable
dans la pensée de leur auteur : la hantise (comme chez tout
véritable praticien de la médecine mentale), bien plus —
au-delà, mais déjà en deçà, des problèmes abstraits, sinon
abscons, de la pensée pure — de la « normativité » de la
perception face au « scandale » de l’hallucination et, pour
ce qu’il en est de l’exercice de la computation conceptuelle
et de la logique de la communication, ou de l’accès à la
personne (où à la conscience) de soi-même, l’insoutenable
4
Qui parle de « neurophénoménologie » ou va chercher on ne sait trop
quelle justification (à mon sens déplacée) de « l’incarnation » dans une
vision un peu sommaire du bouddhisme... À cette occasion, je précise ma
position : s’il y a bien une neuropsychologie, je ne crois pas qu’il puisse y
avoir, à proprement parler, de neurophilosophie, de neurophénoménologie, pas plus que de neurothéologie... Je tiens même la philosophie de
l’esprit comme, possiblement, une régression temporelle et formelle de la
psychologie. Je pense, par contre, que neurophysiologie et neuropsychologie posent inexorablement des problèmes qui forcent le développement
de la réflexion philosophique, épistémologique et religieuse, et qu’il existe
des interprétations philosophiques, voire ontologiques, des données neuroscientifiques (que souvent les « savants » ne manquent pas d’injecter
naïvement, mais peut-être inévitablement, dans leurs rapports). Pour en
revenir à Varela, je lui fais toutefois crédit d’avoir su relancer de façon
originale à partir d’une théorie biologique : l’énactisme – quels que soient
ses précurseurs spéculatifs (Bergson ou autres) et sa fort fâcheuse ignorance de l’école russe des Bernstein, Léontief et du grand Alexander
Louria – la question du « représentationnalisme » de la tradition classique
de la perception. Le reste : représentations imaginaires, représentations
générales, ou tout ce qu’on voudra, ne sont que « schèmes intériorisés »,
traces de procédures d’action, projets moteurs ou désirs d’accomplissement.
516
manière d’être au monde du schizophrène. Le reste est...
littérature ou sujet à discussion.
Comme il faut bien mettre un ordre dans le chaos du
monde, y compris celui des conceptions de l’esprit, Palem a
regroupé ses réflexions en trois sections : points de rapprochement entre Ey (La conscience, le Traité des hallucinations) et les modernes cognitivistes et autres philosophes de
l’esprit, points de rupture (ou de négligence), points
d’interrogation et malentendus. D’un aspect à l’autre, il y a
forcément des recoupements et des occasions de disputatio... C’est surtout là que nous devons renvoyer au livre,
sous peine de le recopier ou, sur tel ou tel point, de développer trop longuement les questions qu’il nous donne
envie de poursuivre, comme celle qu’il évoque à propos des
rapports de la connaissance et de la conscience ou celle,
fondamentale, de l’irréductibilité de la sémiotique à la
syntaxe formelle (la première ne pouvant exister, selon moi
et pour rester très allusif, que pour un système vivant que sa
néoténie et sa prématurité, ses insuffisances instinctuelles,
inscrivent dans une relation5 où se reçoivent ses affects, ses
besoins, ses désirs, sa gestualité, ses cris — auxquels
« l’autre secourable » donne signification — et où se fondent ses identifications puis, grâce au développement en
boucle du langage, cet organe de la conscience réfléchie,
ses communications intériorisables, ses valeurs, ses « coopérations », etc. Tout ce qui fait, en somme, le propre du
zoon politikon). Passons.
R.M. Palem commence donc par la quête des rapprochements. Ça n’est pas là une tâche si aisée. On peut certes
trouver des convergences plus ou moins ponctuelles avec
Searle ou Fodor, ranimer les cendres de Gibson (« l’écologiste » de la perception) ou faire revenir des ombres de
l’Hadès (comme celle du grand neurologue et philosophe
von Weizsäcker, dont il n’est cependant pas certain qu’il fut
intentionnellement « cognitiviste » plutôt que gnoséologiste...). On peut mobiliser sans réserve les théoriciens du
top-down ; se réjouir que Jannerod lise Ey (au moins à
travers Ajuriaguerra) et, surtout, qu’il propose « une relation structure/fonction moins contraignante et plus diversifiée » ; que Changeux déclare désormais que La conscience est son livre de chevet (!), que Danion défende un
modèle de la schizophrénie comme pathologie de la conscience autonoétique dont le déficit entraîne une déconstruction progressive de la référence identitaire du sujet (ce
sujet, souligne fortement RMP, si souvent oublié ou occulté
dans la « théorie de la connaissance »). Mais lorsque
Peretti et collaborateurs estiment que ce modèle « intègre »
les descriptions de « l’auteur classique » Ey, notre ami
5
Palem précise très clairement, après Poirel, qu’une relation n’est pas une
interaction – domaine où les robots font merveilles, avec un peu d’aléatoire et des systèmes « éducables », dont on ne peut douter qu’ils interviennent d’ailleurs à certains étages nerveux. Comme le disait déjà Pascal,
inventeur d’une machine à calculer : « Nous sommes plus automate
qu’Esprit », aux trois quarts, évaluait l’Auvergnat. On peut pousser, je
pense, jusqu’au 9/10e.
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A propos de... Organodynamisme et cognitivisme
commente : qu’« il n’est pas assuré que l’intégrant et
l’intégré soient ceux qu’on imaginait au départ »... Reste
que l’on voit la mémoire (au moins l’une de ses variétés)
retrouver une fonction dynamique au sein du système
cognitif. Reste que bien des études actuelles qui se réclament de la psychologie ou de la philosophie cognitives sur
la perception et les significations perceptuelles vont dans le
sens des constatations d’Ey. Non sans céder au démon de
l’humour, notre auteur commente : « c’est un bon début...
continuez et commencez donc par lire le Traité des hallucinations ». Tant il est évident qu’il pense que l’organodynamisme est plus apte à intégrer de larges pans du cognitivisme que le contraire... Certains l’ont fait, le
neurophysiologiste et psychiatre québécois Poirel, la philosophe N. Depraz, des maîtres latino-américains. Aussi
laisse-t-il leur chance, au moins furtivement, à des études
qui viendraient nous éclairer sur une éventuelle fonction
anti-hallucinatoire de « grilles structurantes cognitives »,
voire des modèles cognitifs de l’inconscient6... Plus prometteuses, voire quasi homonymiques avec ce qu’écrit Ey,
sont les notions de « hiérarchies enchevêtrées » et de « spirale hiérarchique » développées par Hofstadter, Mc Culloch et les néoconnexionnistes.
Les points de rupture restent cependant nombreux. Ainsi
on remarquera que le cognitivisme réduit par trop souvent
les psychoses à une suite de symptômes et isomorphiquement, pour ainsi dire, la personnalité à un agrégat de facultés. Celles-ci, pour avoir été magistralement analysées et
(re)distribuées par la neuropsychologie, n’en restent pas
moins des instrumentalités. RMP souligne alors, comme il
se doit, « le risque de remplacer les « histoires de vie »
par un encouragement à des objectivations (plus ou moins
hypothétiques) conséquences d’une surestimation de la
technique ». À lire certains comptes rendus d’imagerie
fonctionnelle, aspects phénoménaux auxquels on attache
trop souvent une valeur essentielle, on se demande si on ne
tombe pas dans la pure naïveté7. Les troubles du monitoring ne sont pas sans rappeler le bon vieux centre O de
Grasset ou les schémas associationnistes, à la Wernicke, de
l’aphasie ! À ce propos, une petite digression personnelle :
si, plutôt que de participer d’une dissolution pluriétiologique de la personnalité, les hallucinations psychotiques sont liées à une erreur d’attribution par rupture de lien
entre la zone du langage et le « superviseur » central (selon
Shellice), je voudrais bien savoir pourquoi, dans le syn-
drome S de Clérambault, la perturbation acoutiscoverbale
exprime régulièrement des jugements de péjoration sous
une forme grossièrement obscène. Y aurait-il, dans une
circonvolution, un engramme de la réprobation de
« l’enculé » et de la « putain » qu’une fâcheuse disconnexion laisserait assiéger la pensée ?8 Heureusement, la
grande majorité des cognitivistes et philosophes de l’esprit
ignore l’hallucination ou la banalise. L’une des dames de
forte pensée, adonnée à cette discipline, me demandait,
après en avoir discouru dans une longue communication, à
la sortie d’un atelier que je présidais : « mais quand même
docteur, leurs visions, les malades n’y croient pas vraiment ? ». Elle n’attendit d’ailleurs pas ma réponse et, le
lendemain, elle ne me reconnaissait pas dans la rue. Mais,
nous rappelle Palem, de tautologies en négations, Dennett
et Searle n’y « croient » pas non plus. Le scandale hallucinatoire remet trop en cause les notions, même sophistiquées, de Réalité et de Vérité, de Croyance et de Jugement,
que l’on soit abonné ou non au « théâtre cartésien »... Ici, il
faut remarquer que, pour en être l’un de ses interprètes les
plus autorisés, l’auteur n’avalise pas là-contre, comme
parole d’Évangile, toutes les propositions « organodynamistes ». Ainsi laisse-t-il planer le suspens sur la nature et
la portée exactes de ce qu’est « l’organisation antihallucinatoire du corps psychique » (accessoirement — si
l’on peut dire — il se demande en quoi l’introduction du
corps psychique reste incompatible avec la possibilité
d’une psychogenèse de certains troubles mentaux. Il sait
bien que Claude-Jacques Blanc a justement dit que ça la
permettait. Mais rien n’est moins sûr qu’Ey en fût d’accord
et disposé à accueillir la « popperisation » de son disciple
bien aimé).
Il serait possible de continuer ainsi à l’infini, selon la
pente vers laquelle nous incline le livre considéré. Je préfère arrêter là, non sans avoir — par crainte de jouer les
thuriféraires — émis trois réserves à mon assentiment passionnel aux écrits de Palem. L’auteur me « peine » en
proclamant, à propos de l’hallucination, que : « Seuls les
psychanalystes affectent de n’y voir qu’une péripétie du
désir et semblent s’en contenter à trop bon compte ».
Comme si, à son atelier de la Cité des Sciences en 2005, je
n’avais pas montré, en qualité de psychanalyste certifié
orthodoxe, l’infranchissable hiatus entre l’hallucination de
désir et l’hallucination de la « défaite » psychotique, liée
8
6
De l’inconscient cognitif, certes ! Mais l’autre : Celui qui « n’existe
pas » mais « insiste » (pour reprendre un mot de Lacan) et dont Freud
disait, plus prosaïquement, qu’il n’était ni un lieu, ni un être, mais une
qualité psychique ? Il semble qu’il reste beaucoup à méditer dans le
chapitre IV de l’Abriss... (Abrégé de Psychanalyse. Paris : PUF, 1re éd.
1949) qui articule qualité, processus et dynamique et où on peut lire,
incidemment, en toutes lettres : « L’équation perception = réalité (monde
extérieur) est périmée ».
7
Dans ma jeunesse, certains n’étaient pas loin de croire que l’EEG était
une forme d’écriture naturelle de la pensée/cerveau.
On pourrait croire, qu’au fond, c’est là la conception même de Gaétan
Gatian. Mais ce dernier disait que « les voix pensent pour le sujet (je
souligne) » et il ajoutait qu’elles le faisaient « avec outrance ». Pour lui,
organiciste convaincu, le processus délirant, s’il ne pouvait ressortir du
développement de « tendances affectives insoupçonnées », était cause
occasionnelle de l’expression d’une personnalité seconde (concrétisée en
« Secondus »), toute faite d’animalité, de vanité et d’hostilité. Quoi qu’il
en soit, j’aimerais bien qu’un cognitiviste m’explique la distorsion neurofonctionnelle de ce chef-d’œuvre verbo-hallucinatoire de l’un de mes
patients : « Dites au docteur que les médicaments qu’il vous donne ne
nous conviennent pas »...
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J. Chazaud
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(selon Freud !) à la désorganisation-désintégrarion du
moi9 ; comme s’il n’avait pas lu, non plus, les longs développements que j’en ai faits la même année, dans L’Information Psychiatrique en recherchant une concordance
maximale !10
Il voit par ailleurs une difficulté à propos de la théorie
des modules et celle des « holons » à expliquer, fût-ce par
la complexité, la liberté (une liberté, qu’en un endroit au
moins, il semble considérer comme une heureuse « illusion »...). Pour ma part, non seulement je ne répudie pas
totalement le Fodor première manière (la modularité et la
centralité) et ne méprise pas les holons, mais je ne vois pas
très bien, en ce qui concerne la constitution de l’existence,
ce qu’est au juste, sinon une savante métaphore, une
« architectonie transanatomique », surtout lorsqu’on n’est
pas convaincu par les modèles architecturaux...
RMP fait, enfin, grand cas des travaux de Poirel, dont le
moins qu’on puisse dire est qu’ils méritent effectivement la
plus « haute considération », comme émanant d’un penseur d’importance. J’émets toutefois un désaccord profond
avec la tendance « transcendantaliste », plus ou moins avérée, de notre éminent collègue. Je peux, quant à moi, me
9
Reste, il est vrai, à en définir la nature : organique, traumatique précoce,
etc. Ce qui n’a pas fini d’être réglé et relève probablement, je pense, d’un
« faisceau étiologique » comme aimait à dire mon premier patron, Maurice Lecomte, ou d’une « pluri-factorialité » comme on dit désormais.
10
Sous le titre de Freud organodynamiste ? Il est vrai qu’il ne tient pas
plus compte - ce qui est bien son droit !!! - de ma laborieuse tentative de
relecture « cognitiviste » de l’Entwurf, faite pour redonner un encéphale à
la psychanalyse, selon le vœu d’Henri Ey.
518
contenter du cerveau et, avec le fonctionnement du tissu
nerveux évolutivement organisé, d’une conception émergentiste de l’esprit (tenant compte des niveaux de complexité, des processus non linéaires, etc.). Il n’y a pas lieu
de développer cela ici. Mais je tiens cependant à préciser,
pour rassurer les bons esprits, que l’émergentisme (que
Palem évoque à l’occasion des travaux des scientifiques du
groupe animé par L. Sève) n’est pas qu’un produit de la
dialectique de la nature (saut du quantitatif au qualitatif)
d’Engels, ni seulement la substance de l’épistémologie
scientifique de l’inventeur du « holisme » : le maréchal
afrikaander Ian Smuts11. Cela n’est pas non plus (sinon par
accident) une philosophie du « juste milieu » — pour parler
comme Aristote — entre réductionnisme et transcendantalisme, vitalisme et physicalisme, matérialisme et spiritualisme. C’est l’hypothèse heuristique la mieux « convenante » (à mon sens) à l’état actuel des connaissances12.
Mais il est grand temps de mettre le point final.
Au lecteur de poursuivre dans et par le livre évoqué.
CHAZAUD J. Organodynamisme et cognitivisme de Robert
Michel Palem. L’Information Psychiatrique 2006 ; 82 : 515-8
11
qui fut chef du gouvernement de Pretoria et l’un des inspirateurs
inavoués du « gestaltisme »...
12
Cf. L’énigme de l’émergence. Sciences et Avenir (hors-série, juilletaoût 2005) et Jimenez M. : Dualisme, monisme et émergence. In : Seron
(X.) : Psychologie et cerveau (Paris, PUF, 1990) qui analyse longuement
les livres de Bunge. Parmi les émergentistes français, citons F. Jacob,
Paillard et l’Atlan d’À tort ou à raison (Paris, Seuil, 86). Et n’oublions pas
d’y inclure... H. Ey (cf. Palem, p. 64).
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 6 - JUIN-JUILLET 2006
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