EDITORIAL
Le médicament dans la tourmente
Thierry Trémine*
* Rédacteur en chef, CHG Robert-Ballanger, bd Rober-Ballanger, 93602 Aulnay-sous-Bois Cedex
Le médicament en général, et les psychotropes en particulier, traversent une
tempête médiatique, économique et judiciaire. On relève au fil des articles de
presse, médias de tous ordres ou communiqués d’associations de patients-
consommateurs : accusations de dissimulation frauduleuse d’effets secondai-
res ou d’études négatives, explosion de prescriptions indues et consommation
banalisée sous les effets du marketing, dossiers d’AMM insuffisants, études
contestables avec résultats proches du placebo, etc.
Pour ce qu’il en est des psychotropes, on a pu constater, au fil des ans, un effet
de dilution sociale de la prescription, aboutissant à sa banalisation dangereuse
et à la perte de repères diagnostics classiques, sous l’influence d’une psychia-
trie extensive : au mieux syndromique, au pire symptomatique, ou sous forme
de « spectres » englobant formes mineures et fac simile, prodromes, tempéra-
ments et maladies.
Un des grands subterfuges de ces derniers temps aura été de construire le
modèle clinique ad hoc qui devait correspondre à un produit donné, avec si
nécessaire un cluster d’hypothèses neurobiologiques transitoires.
Le calcul du rapport bénéfice/risques du médicament s’est rapproché du pla-
cebo, alors que le patient s’emparait de sa propre prescription, parfois à des fins
de dopage, de welfare ou même d’utilisation désirée des effets secondaires.
Certains IRS voient leur consommation s’amplifier à l’approche des vacances :
leurs effets anorexigènes permettent de perdre deux à trois kilos, avant de partir
sur les plages !
Ce rapprochement du patient avec le produit en fait un consommateur banalisé
qui garde cependant des exigences de transparence, surtout s’il survient des
effets indésirables.
Devant ces phénomènes nouveaux, les firmes pharmaceutiques montrent de
fortes capacités de lobbying politico-économique. Durant la campagne prési-
dentielle américaine, les industries liées à la santé étaient encore les premiers
lobbies investisseurs. Mais la puissance peut aussi s’élever sur du sable, et
l’édifice est fragile du fait de ses excès : choix financiers au détriment de
l’innovation thérapeutique, ou du marketing au détriment du département
recherche/développement, préférence donnée aux me too, médicaments faus-
sement nouveaux, sensibilité extrême à l’opinion publique et aux variations
d’un marché qui s’avère alors artificiel. Le résultat en est un indice d’image
devenu catastrophique dans l’opinion.
Les conséquences sont connues : affolement, retrait du marché des blockbus-
ters, ces médicaments phares qui sont des locomotives économiques pour les
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firmes, changement du rapport bénéfice/risques au nom d’un hypothétique
risque zéro, rupture brutale de chaînes d’approvisionnement, crédibilité faible
des justifications données, effondrement boursier et crise de confiance.
Tout cela pourrait avoir du côté de l’industrie pharmaceutique des conséquen-
ces dangereuses, en terme d’assèchement de la recherche et, du côté du patient,
une méfiance systématique vis-à-vis des prescriptions.
Quant aux prescripteurs, ils attendent depuis longtemps que se mette en place
l’évidence : la nécessité d’études indépendantes post-AMM. L’effıcacité d’un
produit définie avant l’AMM par des protocoles sur un patient virtuel n’est pas
son effıcience dans le contexte naturalistique : administration à des patients
complexes ou difficiles, présentant des comorbidités importantes, dans le cadre
d’associations médicamenteuses non prévisibles etc..
Devant ces exigences, des messages contradictoires nous arrivent : le
Fopim (Fonds de promotion de la formation médicale et médico-économique)
créé il y a quelque temps, est mort-né. Le journal Le Monde l’explique ainsi la
« mort du Fopim » : « exemple éclatant de la puissance de l’industrie
pharmaceutique et du manque de volonté politique ». Réponses du côté des
autorités : « la tâche du Fopim était herculéenne » ! Certes, mais quel aveu
d’impuissance !
La Haute Autorité de Santé, installée en décembre, aura pour première mission
d’évaluer les services attendus de tous les actes de santé, y compris les
médicaments. Si elle ne se donne pas les moyens de le faire sérieusement, on ne
voit pas comment elle pourrait transformer « la tâche herculéenne » en études
indépendantes et crédibles, susceptibles de faire revenir la confiance. Dans ce
cadre, quel sera l’avenir du groupement d’intérêt scientifique, construit à
l’initiative de la Direction générale de la santé, de l’assurance-maladie et de
l’Inserm et intitulé « Évaluation épidémiologique des produits de santé », avec
pour objectif de faciliter des mises en œuvre des études post-commercialisation
que tout le monde appelle ? Qui sera chargé des études ?
Nous sommes devant des enjeux à la fois médicaux et sociétaux considérables,
dans lequel nous devons inscrire notre expérience de clinicien et notre regard
critique. Une instance nous permet de le faire localement, déjà. Les Comedims
(Comité du médicament et des dispositifs médicaux stériles hospitaliers) nous
permettent déjà d’échanger nos expériences et de faire des comparaisons fruc-
tueuses entre conférences de consensus, guidelines
, recommandations d’AMM
et pratiques cliniques. Nous avons assisté ces dernières années au creusement
d’un fossé entre l’efficacité démontrée d’un médicament dans les protocoles de
recherche, les recommandations des AMM et l’efficience de ce même médica-
ment dans la situation clinique, forcément complexe. Il est temps d’interroger
ce fossé ; c’est ce que fait ce numéro de l’Information Psychiatrique.
Références
. Bulletin de l’Ordre des Médecins 2004 ; 8 : 4.
. Liberation 2005 : 3.
. Prescriptions Santé 2004 ; 1 ; 2 et 3.
. Le Monde 2004 ; 12 novembre ; supplément du 11 décembre ; 21 décembre.
. Prescrire 2004 ; 24 : 255.
TRÉMINE T. Le médicament dans la tourmente. L’Information psychiatrique 2005; 81 : 93-4
T. Trémine
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