La pédiatrie est depuis des années « délaissée » par
l’industrie pharmaceutique en raison des difficultés
techniques (formulation galénique particulière, multi-
plicité des doses à préparer, difficulté de réalisation des
essais cliniques chez l’enfant), et de la faible rentabilité du
développement des médicaments en pédiatrie. Entre
1993 et 1996, sur 130 médicaments admis à l’AP-HP, 34
(26 %) étaient indiqués chez l’enfant, 22 (17 %) étaient
contre-indiqués chez l’enfant ou réservés à l’adulte et 73
(57 %) ne comportaient aucune information pédiatrique
[1]. Des études plus récentes, européennes ou internatio-
nales, ont rapporté des données similaires [2, 3]. Cette
carence conduit les médecins à prescrire des médica-
ments hors AMM (utilisation off label) et des médicaments
non autorisés (médicaments sans AMM, unlicensed). Ce-
pendant, de telles pratiques ne sont pas dénuées de
risque. Une étude britannique de 1999, réalisée dans 5
services de soins d’un hôpital pédiatrique, chiffre à 11 %
le nombre de prescriptions faisant l’objet d’effets secon-
daires chez les enfants, et plus précisément, 3,9 % pour
des médicaments dont l’usage est conforme à leur AMM
et 6 % pour des médicaments non autorisés chez l’enfant
ou utilisés en dehors des recommandations de l’AMM [2].
De plus, les dosages, les formes galéniques, les voies
d’administration de ces médicaments sont souvent ina-
daptés à l’administration chez l’enfant. Face à cette
situation, les pharmacies hospitalières et certaines offici-
nes de ville réalisent des préparations dont les dosages et
les formes galéniques tentent de répondre aux demandes
des médecins.
Une enquête de 1998 portant sur les préparations réali-
sées en 1997 dans 53 hôpitaux et cliniques en France
montre bien cette carence en formes pharmaceutiques
pédiatriques. Elle se traduit par la fabrication de nombreu-
ses préparations magistrales dont 87 % sont des formes
orales réparties en 97 % de gélules et3%deformes
orales liquides [4]. Cependant, les gélules sont inadap-
tées à l’administration aux enfants âgés de moins de
6 ans incapables de les avaler.
Des manipulations supplémentaires telles que l’ouverture
des gélules ou la dissolution dans de l’eau de celles-ci sont
alors nécessaires, mais sont potentiellement génératrices
d’erreur de dosage et de problème de goût plus ou moins
bien accepté par l’enfant. Afin de répondre à ce pro-
blème, la préparation de formes liquides buvables peut
être envisagée. Cependant, les données sur la stabilité
physicochimique et microbiologique sont plus rares que
pour les formes sèches telles que les gélules.
L’absence de formes liquides adaptées à l’enfant peut
également amener à l’utilisation de formes injectables par
voie orale. Cette pratique largement répandue présente
des risques thérapeutiques dus à la non prise en compte
du pH des solutions, de la présence d’éventuels excipients
incompatibles avec la voie orale et de la biodisponibilité
orale inconnue de ces solutions [5-7].
À l’hôpital Robert Debré, dans le cadre de l’amélioration
des formes médicamenteuses mises à disposition des
enfants, nous avons proposé à certains services d’évaluer
des suspensions buvables prêtes à l’emploi préparées à la
pharmacie pour trois principes actifs : la spironolactone,
l’hydrochlorothiazide et le captopril. La formulation étant
incertaine et chronophage, nous avons recherché un
excipient universel pour réaliser des formes liquides pédia-
triques. De nombreux principes actifs étant peu ou pas
solubles dans l’eau, la mise en suspension est une bonne
alternative car elle permet une bonne dispersion des
principes actifs avec une sédimentation lente. Ces formes
buvables étant destinées aux enfants, l’édulcoration et
l’aromatisation étaient un paramètre particulièrement im-
portant. Pour ces raisons, nous avons choisi deux exci-
pients, Ora Sweet
®
et Ora Plus
®
, commercialisés par les
laboratoires Paddock, largement utilisés aux États-Unis et
plus rarement en Europe, afin de permettre la mise en
suspension de ces principes actifs. Ces excipients sont
prêts à l’emploi, aromatisés et faciles à mettre en œuvre.
Des études sur la stabilité physicochimique de ces formula-
tions pédiatriques ont été rapportées dans la littérature [8,
9], garantissant la stabilité de ces formulations pédiatri-
ques pendant 60 jours. Cependant, aucune donnée sur la
stabilité microbiologique n’est disponible ainsi qu’aucune
donnée qualitative (observance et efficacité).
Les objectifs de ce travail ont été d’une part, de déterminer
la stabilité microbiologique de ces suspensions et, d’autre
part, de réaliser une évaluation de la faisabilité pratique
de l’administration, ainsi que celle de l’acceptabilité par
le patient. Une revue sur l’utilisation pratique des deux
diurétiques (spironolactone et hydrochlorothiazide) a été
également réalisée dans les services participant à l’étude
concernant les indications et les doses utilisées.
Matériels et méthodes
Matériels
Ora-Plus
®
et Ora-Sweet
®
sont deux excipients produits
par le laboratoire pharmaceutique Paddock (Minneapo-
lis, États-Unis), importés et distribués en France par le
laboratoire Instel Chimios (Issy-les Moulineaux, France).
Ora-Plus
®
est l’agent de suspension. Il est sans goût, sans
saveur. Il peut être mélangé à des agents de mouillage, de
l’alcool, des surfactants et d’autres ingrédients couram-
ment utilisés dans les suspensions. Il est composé d’eau à
97 %, de phosphate de sodium monobasique, de car-
boxyméthylcellulose de sodium, de cellulose microcristal-
line et de carragénanes à moins de 1 %. D’autres ingré-
dients sont présents à moins de 0,1 % mais ne sont pas
donnés par le laboratoire.
Ora-Sweet
®
est un sirop utilisable comme alternative au
sirop simple. Il contient des arômes (cerise) pour aider à
masquer le goût de certains principes actifs. Il est com-
posé de saccharose à 70 % (m/v), de glycérine à 6%
(m/v) et de sorbitolà5%(m/v). D’autres ingrédients sont
présents à moins de 1 % (non toxiques) mais leur nature
n’est pas communiquée par le laboratoire.
La spironolactone et l’hydrochlorothiazide sont fournies
par la Cooper (Melun, France). Le captopril est produit
par le laboratoire pharmaceutique Bufa (Hollande) et
distribué en France par le laboratoire Inresa (Bartenheim,
France).
Mise en place et fabrication
Des réunions d’informations ont été faites auprès des
principaux prescripteurs des diurétiques et du captopril
que sont la cardiologie, la réanimation, la néonatologie et
la néphrologie afin de leur proposer d’évaluer ces formes
liquides pédiatriques. Une présentation orale a été réali-
sée dans chaque service aux personnels médical et para-
médical, exposant la nature des excipients, la concentra-
V. Fajolle, et al.
J Pharm Clin, vol. 24, n° 1, mars 2005
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