Barrières linguistiques et problèmes de communication

SamiraMoukrim
Barrières linguistiquesetproblèmes de
communication dans lesmilieux de la santé
Résumé : Lauteur aborde le problème des barrières linguistiques en explorant
partir dun corpus authentique, le ressenti de femmes immigrées non-franco-
phones dans des situations de soins de la santé et en mettant en évidence la
réalitéparticulière de cettecatégorie de femmes issues de limmigration.
Abstract: The author discusses the problem of languagebarriers by exploring,
based on an authentic corpus of material, the feelingsofnon-French-speaking
immigrant women in healthcare-related situations and highlightingthe par-
ticular circumstances of this category of women of immigrant origin.
Introduction
La France, comme toutelEurope, est de plus en plus diverse et poursuit son
évolution vers une société multiculturelle. Selon les statistiques de lINSEE, au 1er
janvier 2014,11,6%des personnesqui vivent en France sont nées àlétranger¹.
Souvent arrisàlâgeadulte ou plus jeunes avec leurs parents,nombre de ces
immigrés éprouvent des difficultés àparler le français et sont confrontés àdes
problèmes de communication danstous les champs de la vie sociale.
La barrière de la langue peut poser de réels problèmes notamment en milieu
de soins. Lorsque la santé est en jeu, il est indispensable que les interlocuteurs
(patient et intervenant) se comprennent bien. La communication et la compré-
hension mutuelles constituent le fondement dun traitement médical réussi. Or,
bien des patients issus de limmigration ne disposent souvent pasdes con-
naissances linguistiques nécessaires.
Dans cette analyse, il sera question des barrièresdelalangue dans les
milieux de la santé, dans le cas des femmes immigrées non-francophones.Les
études qui portent sur la communication patient-praticien ne présentent né-
ralement que la perspective des praticiens. Cest la perspective des patientsqui
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=T16F037 (consulle 10 mai2016)
SamiraMoukrim,UniversitéSidi Mohammed Ben Abdellah, FLSH-Fès, LLL (UMR 7270
UniversitédOrléans UniversitédeTours BnF CNRS), E-mail :samira[email protected]
DOI 10.1515/9783110477498-046, ©2017 Samira Moukrim,published by De Gruyter.
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seramise en exergutravers lexploration du ressenti des femmesimmigrées
non-francophones dans des situations de soins de la santé.
1Lecorpus
Le corpus té constitué dans le cadre du programme Langues en Contact à
Orléans (LCO), module du Projet Enquêtes sociolinguistiques àOrléans2(ESLO2)²,
piloté par le Laboratoire Ligérien de Linguistique de lUniversité dOrléans (LLL).
LCO apour objectif de dresser un portrait du multilinguisme dans la ville
dOrléans. Il se propose :
de répertorierles pratiques linguistiques et culturelles des immigrés au
moyen denquêtes sur le terrain ;
danalyser la vie de ces langues. Quels sont leurs modes de transmission ?
Où sont-elles parlées, par qui, dans quelles circonstances ?
de réaliser des enregistrements des différentes langues telles que parlées à
Orléanspour les mettre àladisposition de la communauté scientifique, voire
dun publicplus large.
Un sous-corpus té constitué auprès de locuteurs arabophones et amazigho-
phones (berbérophones) résidant àOrléans. Pour améliorerlareprésentativité
du corpus,nous avons essade diversifier les situations enregistrées ainsi que
les catégoriesdelocuteurs en différenciant sociologiquement les moins selon
lâge, le sexeleniveau scolaire, la profession et les langues parlées.
Nous avons constitué un corpus de «données situées»:ilcontient,enplus
des données primaires (les enregistrements de la parole), une riche documen-
tation sur ces données et sur leur contexte de production. Nous avons tenu
également àexpliciter notre démarche, àdocumenter les conditions de consti-
tution du corpus ainsi que nos choix théoriques et techniques. Toutes ces in-
formations sont dune grande importance pour rendre le corpus disponible.
Pour unir le plus de données possible, nous avons eu recours àlentretien
semi-directif (face àface).Unguide dentretien té réalisé afin de faire parler
les moins. Les questions que nous avons choisiesportent dune part sur les
langues utilisées par nos informateurs àOrléans, sur leur importance et sur ce
quelles représentent pour eux ;dautre part,sur la cultureetles traditions
transplantées du pays dorigine au pays daccueil.
Pourplusdedétails sur le programme ESLOvoir :http://www.lll.cnrs.fr/eslo-1
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Lors des entretiens,certaines femmesnon-francophones déclarent éprouver
le besoin de parler français danscertaines situations,notamment dans les mi-
lieux de la santé. Ce qui aattiré notre attentionsur le problème des barrières
linguistiques et leurs effetsàlafois sur les patients et sur le personnel médical.
Pour étudier la question des barrières linguistiques dansles milieux de la
santé, nous nous sommes appuesur létude dun groupe de huit femmes non-
francophoneses de 25 à65ans, dorigine maghrébine (marocaine). Ces
femmes déclarent parler larabeet/ou le berbère et éprouverdes difficultés à
comprendre ou àparler le français.
2Lenquête
La qualité de la constitution du corpus est un facteur de la relation de confiance
établie entre nous, en tant que personne (de la même communautélinguistique)
et aussi en tant quechercheur (quipeut,dupoint de vue des moins, contribuer
àlapromotion de la diversité linguistique et culturelle), et les enquêtés.
Avantdecommencerlenregistrement,nous essayons de nous familiariser
avec le témoin pour quil se sente parfaitement àlaise et que la conversation
enregistrée soit aussi naturelle que possible. En effet,nous avons pris systé-
matiquement le temps de discuter avec le témoin pour gagner sa confiance. Tout
cela alavantage datténuer «leparadoxe de lobservateur »(Labov 1976 :116
117&289290) et daccéderauvernaculaire du locuteur.Comme le précise
Bourdieu (1993:1395) La proximité socialeetlafamiliarité assurent en effet
deux des conditions principales dune communication »non violente« ».
Notre relation privilégiée avec les moins vient du fait que nous partageons
avec eux un certain nombre de traits :même origine (paysdorigine), même(s)
langue(s), même situation en France (appartenance àlapopulation immigrée),
etc. Nous sommes membre àpart entière de la culturevernaculaire. Nous la
connaissons de lintérieur et nous la comprenons profondément.Cela permet,
selon Labov (1978 :10) de «réussir une percée plus profonde ».
3Les barrières linguistiques et culturelles
Au cours desentretiens,les femmesenquestiondéclarenprouverdes difficul
parler (ecomprendre)lefraais, ce quileurposeproblèmedanstousles champs
de la vie sociale.Les deux premiers moins ontpcisé spontanément que«cest
dans les milieux de la santéqu[elles] sent[ent] le plus le besoin de parler français ».
Ce quinous apoussée, par la suiteposerlaquestiotoutes les enquêtéeset
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aussi àleur demander la raison de cettegênedans les milieux de la santé. Leurs
ponses peuvent être sumées parles points suivants :
Dans les milieux de la santé,
elles ont besoin dexpliquer de quoi elles se plaignent et de comprendre le
personnelmédical sans être obligées de dévoiler leur intimité devant un
accompagnateur (y compris les membres de leur famille);
elles se sentent frustrées de ne pas se faire comprendre, impuissantes,
complètement démunies, étrangères
Leur ressenti peut être traduit par la citation de Tania de Montaigne (2006)
Être étranger,cest être sous leauquand dautres vous parlent àlasurface, les
sons pénètrent,mais pas le sens³».
Les barrières linguistiques sont souvent accompagnées de barrières cultu-
relles,notamment la différencedans la perception et lexpression de la maladie,
la douleur,letraitement,etc., et aussi le manque de familiarité avec le système
de la santé dans le pays daccueil.
Sajoute àcela la réalitéparticulière de cettecatégorie de femmesissues de
limmigration:
la pudeur embarrassante de ces femmes(peur de se dénuder devant le
personneldesexedifférent,peur de livrer une part de leur intimité);
lesinterdits religieuxouliés àlatradition qui musellent cesfemmes (la peur de
recevoir des soins par un intervenantdesexedifférent, tabous culturels,etc.) ;
le le effacé de la femme dans la société dorigine (domination du mari, du
père ou du frère, statut dinfériorité, etc.), statut quelles continuent àpré-
server dans le pays daccueil ;
lisolement lié au contexte de limmigration ;
linvisibilité socialedue au statut de la femme immigrée dans la société
daccueil :femme «accompagnante »(Conseil de lEurope 1995), presque
jamais considérée comme une personne «individualisée », «autonome ».
Il yaune sorte dintersection des dimensions du genre et des barrières lin-
guistiques (et culturelles).
La diversité culturelleest àpercevoir, selonleComitéeuropéen de la Santé,
commeune caractéristique de la populationdelEurope actuelle dans sonen-
http://evene.lefigaro.fr/citation/etre-etranger-etre-eau-autres-parlent-surface-sons-penetrent-
se-77397. php (consulté le 10février 2016).
Comité dexperts surles servicesdesandans unesocmulticulturelle,Exposédes motifs :
«Adaptation desservicesdesanàladiversiculturelle dans une Europe multiculturelle »:
https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com (consulté le 12février 2016).
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semble.Ilest misenavant queles notionsdesan,demaladie et de mort sont
profondément ancréesdanslaculture de chaque groupehumainoupaysetque
cette culture conditionnelemodedetraitementdes malades, ainsique lesrituels
quientourentles mourants.Or, ce fait nestpas toujoursassez reconnupar les
services et institutions de santédes Étatsmembres.LemandatduComitédex-
pertssouligneque le respectdes droits et de la dignitédelapersonneimposede
prendreencompte cettediversiculturelle dans le cadredes services de santé.
Le Comité souligne que lintérêt de la communautéinternationale pour des
«soins culturellement différenciés »vadepair avec de récentes innovations
médicales telles que la notion de soins centrés sur le patient,ladoption de
chartes des droits des patients, ainsi que limportance croissante attachéeau
résultat des interventions dicales et àlasatisfaction des patients.
4Des patientsexclus de la recherche
Dans les recherches sur la communication patient-praticien, les patientsqui ne
maîtrisent pas la langue officielle sont souvent exclus des enquêtes (Bowen
2001). Différentes études montrent que les minorisethniquesne sont pas
correctement représentées dans ce type denquêtes et quelles ne bénéficient pas
des améliorations basées sur la gestion de la qualité (alors quelles sont peuttre
celles qui en ont le plus besoin).
Ces patients sont souvent systématiquement exclus et ainsi sous-représentés
dans les échantillons utilisés en rechercheclinique et dans les recherches sur les
services de santé et ce,pour diverses raisons :
leur maîtrise insuffisante de la langue officielle ou leur analphabétisme ;
le manque de compétences permettant de concevoir des outils de recherche
transculturels valables, qui pousse souvent les chercheurs àles exclurede
leurs études cliniques ;
lhésitation fréquentedes personnesappartenant àune minoriethnique à
participer auxprojets de recherches biomédicales, par craintedesubir des
discriminations ou dêtreutilisés comme cobayespour tester des substances
ou traitements expérimentaux, ce qui pose des difficultés de recrutement.
Le terme «minoritéethnique »désigne un groupe de personnes qui se sentent prochesles
unes des autres, parce quelles estiment (subjectivement) avoir une origine commune, parfois
une même langue, une culture partaeetune forme de conscience collective en laquelle
chacun se reconnaît quelle que soit sa position sociale dans le groupe.
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