revue Virologie 2007, 11 (5) : 381-8 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Déplétion du compartiment muqueux de cellules T CD4+ mémoires au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) : causes et conséquences G. Carcelain Laboratoire d’immunologie cellulaire et tissulaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP, Inserm UMR S 543, Université Pierre-et-Marie-Curie Paris VI, Paris <[email protected]> Résumé. La déplétion progressive en cellules T CD4+ sanguines, marqueur pronostique essentiel de la maladie, constitue la principale manifestation immunopathologique induite par l’infection à VIH. Cependant, une grande partie des cellules T CD4+ est située dans les tissus muqueux de l’organisme, en particulier au niveau de la muqueuse du tractus intestinal. Celle-ci, de par la présence en son sein de cellules T CD4+ exprimant le chimiorécepteur CCR5, est le site privilégié de l’infection par le VIH ou le SIV. De fait, on observe, en primo-infection à SIV ou à VIH, une déplétion importante de cellules T CD4+ CCR5+ présentant un phénotype mémoire CD45RO+ (CD45RA-) au niveau des muqueuses du tractus gastro-intestinal. Cela implique que le nombre total de cellules T CD4+ de l’organisme est sévèrement réduit de façon précoce dès la primo-infection. La réplication virale joue un grand rôle dans cette déplétion initiale en entraînant directement ou indirectement une destruction des cellules T CD4+. Secondairement, d’autres mécanismes, comme l’hyperactivation et la défaillance des mécanismes compensatoires, participent à sa persistance et à son aggravation. À la différence de ce qui est observé dans le sang, la reconstitution immune de ce compartiment est sûrement variable selon les patients et est dépendante du moment de l’induction du traitement. Mots clés : déplétion en cellules T CD4+, muqueuse du tractus gastrointestinal, immunopathologie de l’infection à VIH doi: 10.1684/vir.2007.0117 Abstract. The gradual depletion of peripheral blood CD4+ T cells, a major prognostic marker of the disease, is the principal hallmark of HIV infection. However, most CD4+ T cells reside within the gastrointestinal tract and other lymphatic tissues rather than in peripheral blood. Compared with circulating lymphocytes a greater percentage of these mucosal CD4+ T cells express the CCR5 chemokine receptor and are preferential targets of viral replication. So, an important depletion occurs preferentially within these cells during primary infection by SIV or HIV. Consequently, the total-body CD4+ T cell number is severely and rapidly depleted. This initial depletion is mainly a direct or indirect consequence of CD4+ T cell infection. Secondarly several mechanisms such as hyperactivation and alteration of lymphocyte homeostasis take part in its persistence and aggravation. In contrast to blood, recovery of intestinal CD4+ T cell numbers is highly variable among patients and is dependent of time of treatment initiation. Key words: CD4+ T cell depletion, gastrointestinal tract, HIV pathogenesis Virologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 381 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. revue La déplétion progressive en cellules T CD4+, marqueur pronostique essentiel de la maladie, constitue la principale manifestation immunopathologique induite par l’infection à VIH. Ce déficit apparaît, pour la majorité des patients, classiquement en quatre phases [1] : une phase initiale au moment de la primo-infection caractérisée par une chute rapide, transitoire et relative du nombre des cellules T CD4+ et un retour proche des taux normaux associé à une évolution favorable ; une deuxième phase, d’une durée variable (quelques mois à 10 ans) caractérisée par une diminution lente mais persistante des taux de cellules CD4 sanguins en dessous des limites inférieures de la normale ; enfin, les troisième et quatrième phases avec respectivement un brusque infléchissement de la pente de déplétion puis un déclin rapide des taux de cellules T CD4+ jusqu’à leur disparition complète associé à un déficit majeur et définitif du système immunitaire. Ainsi, selon cette description, le déficit en cellules T CD4+ débuterait au début de la maladie mais ne deviendrait majeur qu’en fin d’évolution, soit des années après la primo-infection. Cette évolution a été décrite d’après des mesures sanguines des taux de cellules T CD4+ qui ne représentent que 2 % de l’ensemble des lymphocytes de l’organisme, la plupart étant situés dans les muqueuses. La description de la lymphopénie T CD4+ a largement été complétée ces dernières années, tout d’abord dans les modèles simiens puis chez l’homme. Il est clair maintenant que le compartiment de cellules T CD4+ total de l’organisme est considérablement détruit dès le début de l’infection, bien avant la mise en place des réponses immunitaires contre le virus (figure 1). Ces notions imposent désormais une réinterprétation des mécanismes physiopathologiques de cette maladie. 1re phase séroconversion Une déplétion sévère et précoce du compartiment des cellules T CD4+ La déplétion des cellules T CD4+ telle que l’on peut la mesurer au niveau du sang est, comme nous l’avons vu ci-dessus, un élément caractéristique de la maladie. Ce paramètre est couramment utilisé en clinique, parallèlement à la mesure de la charge virale, pour suivre l’évolution naturelle ou sous traitement antirétroviral. Il reste le meilleur outil du suivi de la progression clinique de l’infection et permet de décider du moment de commencer le traitement et de confirmer l’efficacité thérapeutique en termes de reconstitution immune. Cependant, depuis plusieurs années, il est clair que ce paramètre périphérique n’est pas le reflet quantitatif direct de la déplétion des cellules T CD4+ qui apparaît dès le début de l’infection par le VIH. En effet, le compartiment sanguin ne contient que 2 à 5 % de l’ensemble des lymphocytes de l’organisme. La plus grande partie des lymphocytes est située dans la muqueuse du tractus intestinal [2], les ganglions lymphatiques ou d’autres tissus lymphatiques [3]. Pendant de longues années les études analysant la déplétion des cellules T CD4+ se sont focalisées sur les compartiments sanguins et ganglionnaires car plus faciles d’accès, surtout en ce qui concerne le sang. Mais le tractus intestinal contient la plus grande part du tissu lymphoïde de l’organisme (gastrointestinal associated lymphoid tissues ou GALT). Le GALT est composé de tissu lymphoïde organisé comme les plaques de Peyer ou de follicules lymphoïdes isolés ainsi que d’un nombre important de lymphocytes T mémoires distribués à la fois dans la lamina propria et dans l’épithé- 2e phase asymptomatique 3e phase progression Cellules T CD4+ sanguines 4e phase sida Virus % CD4+ Cellules T CD4+ totales CD4 Mois Années Figure 1. Évolution de la déplétion en cellules T CD4+. Comparaison de la diminution des cellules T CD4+ sanguines à celle de l’ensemble des cellules T CD4+ de l’organisme. 382 Virologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 lium intestinal (figure 2). La proportion de cellules mémoires y est très largement majoritaire (> 95 %), à la différence de leur répartition sanguine ou ganglionnaire (50-70 %) [4]. Un nombre important de ces cellules T CD4+ présentes dans le GALT expriment le chimiorécepteur CCR5, corécepteur d’entrée du VIH, et ce tissu lymphoïde a de fait été identifié comme le site majeur de réplication du virus et comme un réservoir important du virus in vivo [5, 6]. Ainsi, la muqueuse intestinale, par la présence en son sein de cellules T CD4+ exprimant CCR5, est le site privilégié de l’infection par le VIH ou le SIV [7, 8]. Ce compartiment est cependant difficile d’accès chez l’homme ; les prélèvements sont de faible quantité et fragiles, nécessitant une bonne expertise technique. Ces difficultés peuvent sûrement expliquer certains résultats divergents de la littérature. La première étude qui a permis une telle analyse a été réalisée dans le modèle macaque infecté par SIV [7]. Une infection par une souche pathogène du SIV (SIVmac239 ou SIVmac239/316) induit de façon constante une déplétion rapide (dès le 7e jour, bien avant que des modifications apparaissent dans les tissus lymphoïdes périphériques) et profonde (8 à 15 % des lymphocytes T CD4+) des lymphocytes T CD4+ de la lamina propria du tractus intestinal (jéjunum, iléum et côlon). Cette déplétion est accompagnée d’une augmentation du nombre de cellules T CD8+. Elle contraste fortement avec les modifications transitoires ou minimes observées dans le sang, la rate ou les ganglions des mêmes animaux. De plus, elle n’est pas réversible mais persiste tout au long de l’évolution de la maladie. Elle est présente quelle que soit la souche virale pathogène inoculée bien que son ampleur soit corrélée à la virulence virale. Enfin, il est clair que le GALT est égale- Villosités intestinales Épithélium intestinal Lamina propria Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. revue ment le lieu d’une réplication virale importante et que le nombre de cellules infectées y est plus important que dans les tissus lymphoïdes périphériques [7]. Initialement, ces cellules infectées sont à la fois des cellules isolées de la lamina propria et des cellules présentes dans les compartiments organisés que sont les plaques de Peyer ou les nodules folliculaires. Au cours du temps, elles ne sont plus retrouvées que dans les follicules lymphoïdes organisés. La déplétion au niveau de cette muqueuse digestive concerne de façon très prédominante des cellules T CD4+ CCR5+ présentant un phénotype mémoire CD45RO+ (CD45RA-) [9, 10]. Cela peut être expliqué par le fait que le virus se réplique essentiellement dans cette sous-population cellulaire [11]. Cette population de cellules T CD4+ mémoires est présente en bien plus grand nombre dans le GALT des animaux que dans le sang, la rate, les ganglions lymphatiques ou autres tissus lymphoïdes [6]. Il semblerait cependant que des cellules T CD4+ phénotypiquement décrites comme CCR5- soient également infectées par le VIH [12] et exprimeraient suffisamment de CCR5 en surface pour être susceptibles à l’infection. Depuis, de nombreuses études ont confirmé cette observation rapportant toutes une déplétion majeure et rapide des cellules T CD4+ mémoires présentes au niveau de la lamina propria mais aussi de la muqueuse vaginale [13, 14]. Il est clair également que ce phénomène est indépendant de la voie d’inoculation virale [7, 15, 16]. Des études plus récentes ont permis de montrer que cette déplétion massive des cellules T CD4+ des muqueuses digestives n’était pas caractéristique du modèle macaque Lumière intestinale LIE PP LLP Aires T LT Nodules folliculaires LB Ganglions mésentériques Vaisseaux lymphatiques Figure 2. Organisation schématique du tissu lymphoïde associé au tube digestif. La paroi du tube digestif contient une population de cellules immunitaires comprenant des lymphocytes et des plasmocytes répartis dans : 1) l’épithélium intestinal : lymphocytes intraépithéliaux (LIE), 2) le tissu conjonctif du chorion de la muqueuse et de la sous-muqueuse (lamina propria) : lymphocytes dispersés de la lamina propria (LLP) ou lymphocytes regroupés dans des structures en dômes au niveau de l’iléon nommées plaques de Peyer (PP) (lymphocytes B dans les nodules folliculaires et lymphocytes T dans les aires T diffuses). Virologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 383 SIV mais était également observée (bien qu’à un degré moindre) chez les patients infectés par le VIH. Comme dans le modèle pathogène SIV, lors de la primo-infection par le VIH, les compartiments muqueux sont la cible (importante quantitativement et préférentielle) d’une déplétion en cellules T CD4+, bien supérieure à celle observée au niveau sanguin. Cette déplétion est visualisée dans les muqueuses digestives bien avant la déplétion sanguine. Elle peut être observée dans les 4 à 6 semaines après l’infection. La perte prédomine, comme dans le modèle singe, au niveau du GALT [17, 18] et c’est uniquement dans ce tissu lymphoïde qu’elle est pratiquement totale (comparativement aux tissus lymphoïdes ganglionnaires ou sanguins). Elle prédomine à ce niveau tout au long de l’évolution naturelle de l’infection et concerne principalement les cellules CD4+ CCR5+ [18]. De façon intéressante, chez les patients non progresseurs à long terme, aucune déplétion au niveau du compartiment muqueux n’a été rapportée [19]. Au total, le tissu lymphoïde intestinal est un organe crucial en ce qui concerne les événements initiaux participant à la pathogénicité de l’infection par le SIV. La déplétion importante du nombre de cellules T CD4+ CCR5+ observée au niveau du tractus gastro-intestinal implique que le nombre total de cellules T CD4+ de l’organisme est sévèrement réduit de façon très précoce après l’infection. Ces cellules sont une arme considérable dans la défense de l’organisme contre les infections et cette atteinte initiale est d’une importance capitale dans l’évolution clinique de la maladie. Une telle perte impose secondairement la mise en place de moyens homéostasiques de compensation de cette réduction du compartiment de ces cellules T CD4+ mémoires. S’ils ne peuvent être mis en place, l’équilibre entre l’agent pathogène et l’hôte est gravement perturbé au détriment de ce dernier. Mécanismes de la déplétion muqueuse en cellules T CD4+ en primo-infection et en phase chronique Beaucoup de mécanismes participent probablement à cette déplétion en cellules T CD4+ et à son entretien, que ce soit directement ou indirectement (figure 3). Infection et destruction des cellules par le virus Au moment du pic de réplication majeur qui apparaît en primo-infection, 30 à 60 % des cellules T CD4+ mémoires présentes dans les tissus sont infectées dans les 10 jours suivant l’infection virale [12]. La plupart d’entre elles, soit environ la moitié des cellules T CD4+ mémoires des macaques, vont disparaître dans la semaine suivant leur infection et ce de la même façon, quel que soit le tissu analysé [12]. Consécutivement à cette déplétion, la charge virale diminue. Localement, les pics de production virale coïncident avec une augmentation du nombre des cellules T CD4+ infectées [20]. Le nombre de cellules infectées est suffisant pour expliquer les pertes observées en primo-infection [21]. Cependant, la possibilité d’une destruction de cellules T CD4+ par apoptose de cellules infectées ou non infectées reste possible [26], ainsi que leur destruction consécutive à la mise en place des réponses immunes T CD8+ cytotoxiques anti-VIH. En effet, le GALT participe à la mise en Activation, prolifération (périphérie) CD4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. revue TME Régénération thymus (central) TMC T CD4 naïves Mois Années Figure 3. Homéostasie des cellules T CD4+ lors de l’infection liée au VIH. L’infection par le VIH induit rapidement une déplétion du compartiment de cellules T CD4+ muqueuses mémoires effectrices (TME) activées. Secondairement, d’autres phénomènes concourent à l’amplification et à l’entretien de cette déplétion : 1) un dysfonctionnement thymique empêche la production de nouvelles cellules naïves ; 2) l’hyperactivation induit une différenciation de cellules T CD4+ naïves ou de cellules T CD4+ mémoires centrales (TMC) en cellules T CD4+ mémoires effectrices. 384 Virologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. revue place des réponses immunes T anti-SIV [22, 23] et le niveau de la déplétion des cellules T CD4+ du compartiment muqueux gastro-intestinal est inversement corrélé au nombre de cellules T CD8+ spécifiques [7]. Au moment de la primo-infection, la réplication virale joue donc un grand rôle dans la physiopathologie de la maladie en entraînant directement ou indirectement une destruction des cellules T CD4+. Son rôle reste persistant pendant la phase chronique de l’infection. L’observation d’une absence de déplétion des cellules T CD4+ des muqueuses digestives chez les patients asymptomatiques à long terme, qui présentent la caractéristique de peu répliquer le virus du fait probablement de la mise en place de fortes réponses T anti-VIH, va dans ce sens. Cependant, alors que la réplication virale est importante et continue chez la plupart des patients infectés par le virus, la maladie progresse dans la majorité des cas lentement sur plusieurs années. À l’opposé de ce qui se passe chez l’homme, les singes, hôtes naturels de l’infection à SIV, ne progressent pas dans la maladie malgré une réplication virale importante. Cela démontre que d’autres facteurs sont nécessaires à la progression pendant cette phase et que d’autres corrélats de progression existent. Mise en place et conséquences de l’hyperactivation chronique Parallèlement à la dissémination virale à l’ensemble de l’organisme, apparaît une activation massive du compartiment des cellules T facilement mise en évidence, entre autres par analyse phénotypique des marqueurs d’activation membranaires ou dosage des cytokines proinflammatoires ou chimiokines [24, 25]. Cette activation va avoir pour conséquence de produire en permanence de nouvelles cibles pour le virus et permettre sa réplication. Plusieurs phénomènes participent à cette activation immune chronique. Le virus lui-même va induire la mise en place d’une puissante réponse immune T-spécifique nécessitant une activation de ces sous-populations cellulaires [26, 27]. De plus, la déplétion massive du compartiment de cellules T CD4+ mémoires va entraîner la mise en place de mécanismes homéostasiques prolifératifs compensatoires [28]. Enfin, la destruction massive du système immun muqueux laisse ce site sans défense et l’on peut émettre l’hypothèse d’une dissémination rapide et massive de l’infection vers le compartiment systémique et une généralisation systémique de l’activation cellulaire [29]. Une telle conséquence ne serait pas limitée au VIH mais pourrait également concerner d’autres agents pathogènes microbiens. L’ensemble de ces phénomènes pourrait participer à l’amplification et à l’entretien de l’hyperactivation périphérique de l’ensemble du système immunitaire [30]. Ainsi, le lipopolysaccharide (LPS), utilisé comme mesure d’une activité microbienne, augmente progressivement avec l’évolution Virologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 de la maladie liée au VIH et ce de façon parallèle à l’activation du système immunitaire tant inné qu’adaptatif. Inversement, le LPS plasmatique diminue dès la mise sous traitement antirétroviral efficace des patients. Cela suggère que, lors de la primo-infection, la déplétion en cellules T CD4+ est responsable, entre autres, d’une perturbation de la qualité de la barrière muqueuse qui entraînerait une dissémination périphérique de nombreux agents pathogènes, ce qui pourrait entraîner une majoration considérable de l’hyperactivation du système immunitaire de l’hôte, créant ainsi une activation généralisée. Les conséquences de cette hyperactivation sont à la fois bénéfiques et néfastes. Elle permet, par compensation homéostasique du nombre de cellules T CD4+ mémoires, de restaurer au moins transitoirement un degré de compétence immune pendant la phase d’évolution asymptomatique de l’infection. Cependant, il ne faut pas oublier que l’hyperactivation des cellules T reste le marqueur le plus fortement associé à la progression dans la maladie [31]. Elle entretient, comme nous l’avons dit ci-dessus, la réplication du virus. Elle induit une conversion rapide des cellules T CD4+ naïves vers les compartiments mémoires, aggravant la déplétion. Enfin, elle atteint de façon sévère et peut-être irréversible les structures anatomiques et le bon fonctionnement des organes lymphoïdes primaires [32] ou secondaires (fibrose et destruction de l’architecture ganglionnaire) [18, 33, 34]. Cet effet délétère de l’hyperactivation sur les structures ganglionnaires a récemment été analysé de façon très approfondie chez le singe et chez l’homme par l’équipe d’A. Haase [33, 34]. L’hyperactivation immune et l’inflammation qui lui est associée entraînent rapidement des dépôts de collagène au niveau des tissus lymphoïdes ganglionnaires et une fibrose progressive des zones ganglionnaires T. Cette modification de l’architecture des tissus lymphoïdes ne permet plus le maintien et le développement des cellules T CD4+ naïves et participe à la déplétion globale du compartiment des cellules CD4. Le rôle de l’hyperactivation chronique dans la physiopathologie de la maladie est clairement mis en évidence en comparant le modèle pathogène des singes rhésus macaque aux modèles de singes non pathogènes (singe vert, mandrill, mangabey et chimpanzé). Consécutivement à l’inoculation de leur souche SIV respective, tous les singes développent une réplication virale identique importante et persistante au cours du temps [35]. Cependant, la présence de cette réplication virale importante ne conduit pas à la même évolution clinique dans les deux modèles de singe, démontrant qu’elle n’est pas suffisante à elle seule à induire la déplétion en cellules T CD4+ et la maladie. En effet, dans le modèle pathogène du macaque qui est celui le plus proche de l’infection à VIH, la maladie évolue vers une déplétion sévère et rapide en cellules T CD4+ et une 385 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. revue progression à termes en stade sida. Inversement et de façon paradoxale, dans les modèles non pathogènes, les singes restent asymptomatiques [36]. Cette absence d’évolution est associée à un niveau d’activation des cellules T très peu augmenté, à la différence de ce qui est observé dans les modèles pathogènes [37, 38]. L’équipe de M. MullerTrutwin a pu mettre en évidence une différence dans la mise en place de l’équilibre pro-inflammation/anti-inflammation dans les jours suivant l’infection qui pourrait permettre aux animaux d’éviter l’activation généralisée et expliquer la différence d’évolution clinique de l’infection dans deux modèles de singe [39]. Défaillance des mécanismes homéostasiques Les sites muqueux déplétés initialement en cellules T CD4+ le restent dans la phase stationnaire post-infection aiguë. Cependant, la plupart des singes ou patients infectés restent relativement longtemps asymptomatiques pendant cette phase. Cela est peut-être lié au fait que les souspopulations lymphocytaires T CD4+ sont dynamiques et que des mécanismes homéostatiques peuvent sûrement se mettre en place. Le stade sida pourrait alors être une question de seuil de capacité de compensation. Schématiquement, plusieurs mécanismes compensatoires peuvent être mis en place pour compenser les pertes cellulaires T survenues au niveau du compartiment de cellules T CD4+ mémoires effectrices. Ainsi, l’apport peut être le fait de nouvelles cellules T CD4+ naïves produites par le thymus migrant dans les organes lymphoïdes périphériques. Il peut également être dû à une prolifération de cellules T CD4+ mémoires centrales présentes localement proliférant et se différenciant sous l’effet de leur rencontre avec leurs antigènes spécifiques, permettant ainsi le remplacement des cellules effectrices mémoires perdues. Ainsi, la déplétion initiale et la persistance de l’hyperactivation laissent les cellules T CD4+ mémoires effectrices très dépendantes d’un recrutement ou d’une production permanente de nouvelles cellules. Consécutivement à l’infection par le VIH, ces mécanismes homéostasiques peuvent être mis en échec. Le thymus, permissif à l’infection, présente secondairement à l’infection par le VIH des anomalies fonctionnelles et une involution qui le rendent incapable de générer une exportation périphérique de nouvelles cellules T CD4+ naïves [40]. La déplétion n’est pas non plus complètement compensée localement par une conversion suffisante de cellules T CD4+ mémoires centrales à longue durée de vie en cellules T CD4+ mémoires effectrices à courte durée de vie [41, 28]. En effet, ce compartiment de cellules est lui-même très diminué après la primo-infection et ne permet plus un apport suffisant pour compenser totalement les pertes. Cependant, on observe une augmentation de la prolifération de l’ensemble des cellules T CD4+ mémoires et ce 386 mécanisme, bien que faible, peut contribuer à la survie et à la compensation partielle de la déplétion survenue en phase aiguë. Cela permet de compenser le déficit immunitaire et une survie clinique sans sida pendant plusieurs années. Cette réponse proliférative (visualisée par différents marqueurs de prolifération ou d’entrée en cycle cellulaire) semble permettre la présence de nouvelles cellules T CD4+ mémoires au niveau des sites muqueux effecteurs (poumons, ganglions périphériques...) et préviendrait l’apparition d’une immunodépression trop profonde et ses conséquences cliniques [28]. En effet, quand ces analyses sont réalisées de façon comparative chez des singes progresseurs rapides ou non progresseurs, les auteurs mettent en évidence un afflux de nouvelles cellules T CD4+ mémoires effectrices au niveau de la muqueuse pulmonaire des singes non progresseurs alors que cela n’est pas visualisé chez les singes progresseurs. Un traitement antirétroviral efficace permet-il une reconstitution de ce compartiment de cellules T CD4+ ? Un traitement efficace mis en place chez des patients au stade chronique de l’infection et naïfs de traitement antirétroviral permet, dans la plupart des cas, un contrôle de la réplication virale et une reconstitution de la souspopulation de cellules T CD4+ dans le compartiment sanguin [42]. En parallèle, la reconstitution du nombre de cellules T CD4+ dans les muqueuses intestinales reste souvent incomplète et très retardée malgré une diminution de la réplication virale dans ces tissus [43]. Elle est sûrement variable selon les patients à la différence de ce qui est observé dans le sang et peut être dépendante du moment du début du traitement. Ainsi, chez des sujets traités en primo-infection, alors qu’un traitement efficace permet rapidement une reconstitution complète des cellules T CD4+ au niveau du sang, plusieurs études de l’équipe de Mehandru rapportent que celui-ci ne permet pas une disparition de la déplétion en cellules T CD4+ au niveau des muqueuses du tractus gastro-intestinal même après plusieurs années de traitement efficace [17, 44]. La reconstitution observée reste partielle dans ces études, que les patients soient traités en phase aiguë de l’infection (Elisa négatif ou western-blot incomplet) ou précocement (moins de 6 mois après la séroconversion) [44]. Dans la plus grande étude conduite par cette équipe, une perte de 50 à 60 % des cellules T CD4+ persiste au niveau de la lamina propria. Ce sont toujours les cellules T CD4+ CCR5+ qui sont le plus sévèrement déplétées. Enfin, contrastant avec ces anomalies du compartiment des cellules T CD4+, le nombre de cellules exprimant Virologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. revue de l’ARN du VIH1 est faible. Cependant, après analyse approfondie par diverses méthodes (cytométrie de flux et immunohistochimie), les auteurs retrouvent une normalisation des taux muqueux de cellules T CD4+ chez 30 % des patients, ce qui montre clairement les difficultés d’analyse de ces compartiments expliquant ainsi les résultats parfois contradictoires rapportés. Les paramètres pouvant expliquer les différences d’évolution entre patients reconstituant au niveau muqueux et patients ne le faisant pas ont été analysés. Aucune différence entre les deux groupes n’a pu être mise en évidence sur les paramètres clinicobiologiques classiquement mesurés lors de l’infection à VIH. La seule différence rapportée est la présence au moment de la mise en place du traitement puis la persistance in situ d’une hyperactivation des cellules T CD8+ chez les patients présentant la moins bonne reconstitution, activation qui est inversement proportionnelle à la reconstitution des cellules T CD4+ muqueuses [21]. L’équipe de Guadalupe a montré également, dans deux études, qu’un traitement très précoce pouvait induire une reconstitution du compartiment des cellules T CD4+ muqueuses. Cette reconstitution semble être dépendante du démarrage très précoce du traitement antirétroviral chez les patients de cette étude [19, 45]. Cependant, ces résultats sont difficiles à généraliser du fait du très faible effectif. En revanche, il semble clair que la mise en place tardive d’un traitement en infection chronique ne permet pas d’observer une reconstitution des compartiments des cellules T CD4+ muqueuses [43, 19, 45]. Aucune de ces études n’a analysé les capacités fonctionnelles de ces cellules T CD4+ qui reconstituent les muqueuses gastro-intestinales. Seules des études réalisées chez le singe ont pu montrer que les capacités de ces cellules en termes de sécrétion d’interleukine 2 après stimulation mitogénique non spécifique ne sont pas toujours normales [46]. Il est donc important de noter que, même s’il existe une reconstitution quantitative au niveau de la muqueuse gastrointestinale, cela peut ne pas refléter une reconstitution fonctionnelle, et seules des études complémentaires pourraient évaluer ce point. Conclusions et perspectives Au total, un schéma des événements peut être proposé avec, au moment de l’arrivée du virus dans l’hôte, une infection massive et rapide des cellules T CD4+ CCR5+ présentes au niveau des muqueuses, et en particulier de la muqueuse digestive. Ces cibles permettent une réplication majeure du virus et, de fait, sa dissémination rapide. Ce compartiment de cellules T CD4+ est rapidement détruit entraînant une diminution de la charge antigénique dans ce compartiment. De par cette atteinte des cellules T CD4+, la barrière muqueuse gastro-intestinale n’est plus capable d’assurer corVirologie, Vol. 11, n° 5, septembre-octobre 2007 rectement son rôle protecteur contre les agents pathogènes entrant par cette voie et cela permettrait une dissémination de ces agents pathogènes locaux. Cette dissémination participerait à l’hyperactivation généralisée caractéristique de cette pathologie. Enfin, cette hyperactivation permettrait le relais et l’entretien de la réplication par un apport compensatoire de cellules T CD4+ recrutées de la périphérie qui, de fait, entretiendrait également la consommation de cellules T CD4+. L’absence de reconstitution satisfaisante de cette déplétion, même après plusieurs années de traitement antirétroviral efficace, nécessite d’envisager des stratégies complémentaires visant à protéger ou à restaurer spécifiquement ce compartiment des cellules T CD4+ muqueuses. Références 1. Fauci AS. Multifactorial nature of human immunodeficiency virus disease : implication for therapy. Science 1993 ; 262 : 1011-8. 2. Cerf-Bensussan N, Guy-Grand D. Intestinal intraepithelial lymphocytes. Gastroenterol Clin North Am 1991 ; 20 : 549-76. 3. Mowat A, Viney J. The anatomical basis of intestinal immunity. Immunol Rev 1997 ; 156 : 145-66. 4. Veazey RS, Marx PA, Lackner AA. The mucosal immune system : primary target for HIV infection and AIDS. 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