Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique

Journal Identification = PNV Article Identification = 0313 Date: March 5, 2012 Time: 9:23 am
Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (1) : 57-64
Les émotions et la sclérose latérale
amyotrophique : une perspective
psychopathologique
Emotions and amyotrophic lateral sclerosis:
a psychopathological perspective
Catherine Bungener
Institut de psychologie, LPPS EA 4057,
IUPDP, Université Paris-Descartes,
Boulogne-Billancourt
Tir´
es `
a part :
C. Bungener
Résumé. Les données de la littérature concernant les émotions dans la sclérose latérale
amyotrophique sont rares : elles ont montré la présence d’une symptomatologie dépressive
et anxieuse, mais souvent moins importante que dans d’autres pathologies neurologiques.
Les symptômes dépressifs ne sont corrélés ni à la durée de la maladie, ni à la sévérité du
handicap. Ces résultats invitent à réfléchir aux capacités d’adaptation des sujets. Lorsque
l’on évalue les stratégies préférentielles de coping, elles ne se révèlent cependant pas fon-
damentalement différentes de celles observées dans d’autres pathologies neurologiques,
mis à part un recours fréquent à la spiritualité ou à la religiosité. Aussi, une piste pour
approfondir ces facultés adaptatives semble pouvoir être celle de l’étude des processus
émotionnels utilisés pour faire face au diagnostic et aux conséquences de la maladie. Baker
propose cinq processus émotionnels : l’expérience, l’expression, la dénomination, la cause
et la prise de conscience. Lorsque ces processus sont dysfonctionnels, ils pourraient favo-
riser une moins bonne adaptation psychologique. Compte tenu du rôle essentiel que joue
l’aidant, ces mécanismes adaptatifs devraient être évalués chez le patient et chez l’aidant.
Mots clés : dépression, émotions, processus émotionnels, sclérose latérale amyotro-
phique, stratégies de coping
Abstract. Emotions have not often been studied in amyotrophic lateral sclerosis (ALS). Most
existing studies have assessed the psychopathological manifestations involved, essentially
depression and less frequently anxiety. The results have shown that major depressive
episodes and anxious episodes are not frequent in ALS patients, although moderate depres-
sive or anxious symptoms are often observed, but less frequently than in other diseases
like multiple sclerosis or Parkinson’s disease. Depressive symptoms are not correlated to
the duration or severity of the disease. This has led us to investigate the coping mecha-
nisms involved in ALS. Results of previously published studies have shown that they did
not differ from those observed in other somatic diseases, but ALS patients show more
frequent concern with spirituality and religious preoccupations. It thus appears necessary
to make a more detailed study of how ALS patients cope with the disease and its ominous
consequences. Emotional processing difficulties may be a factor underlying quite diverse
somatic and psychological disorders. The Baker’s model propose five stages in emotional
processing: emotional experience, emotional expression, labelling, linkage and awareness.
Assessment of the emotional processing used by ALS patients should improve our com-
prehension of their adaptive functioning. The patients’ caregivers play an essential role, and
studies have shown that they often suffer themselves from depression and the burdens
involved, and that the perceived social support has an impact on the quality of life and
on the depression of the patients. Therefore, it seems important to assess the emotional
processing not only of patients but also of their caregivers.
Key words: amyotrophic lateral sclerosis, coping, depression, emotional processing, emo-
tions
Le domaine des émotions a suscité l’attention des
chercheurs depuis fort longtemps puisque les tra-
vaux de Darwin datent de la fin du XIXesiècle. Ce
n’est qu’au cours de la seconde moitié du XXesiècle qu’un
regain d’intérêt pour les émotions est apparu et qu’elles ont
fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques, chez
les sujets sains mais également chez les sujets atteints de
pathologies, qu’elles soient psychiques ou somatiques [1].
doi:10.1684/pnv.2012.0313
Pour citer cet article : Bungener C. Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique : une perspective psychopathologique. Geriatr Psychol
Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(1) :57-64 doi:10.1684/pnv.2012.0313 57
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C. Bungener
Les premières recherches sur les émotions dans le
domaine de la pathologie mentale se sont intéressées
essentiellement à la schizophrénie et aux troubles de
l’humeur. Des difficultés à ressentir ou à exprimer les
émotions ont été décrites. Ainsi l’anhédonie (incapacité
à ressentir du plaisir) et l’émoussement affectif (diminu-
tion de l’expression émotionnelle, du ressenti émotionnel
et monotonie affective) se sont retrouvés au cœur de la
description clinique de la schizophrénie ou de l’épisode
dépressif majeur [1]. Dans le champ des maladies dites
psychosomatiques, l’alexithymie (difficulté à verbaliser ses
émotions) a été considérée comme une caractéristique du
profil psychique de ces patients [1]. Mais, rapidement, il
s’est avéré que l’alexithymie pouvait également être pré-
sente dans d’autres troubles mentaux (notamment, les
troubles addictifs et certains troubles de l’humeur) [1]. Nous
pouvons remarquer que ces troubles émotionnels sont tous
le reflet d’une hypo-émotionnalité et seuls quelques tra-
vaux, notamment dans les troubles de l’humeur, se sont
intéressés à la présence d’une hyper-expressivité émotion-
nelle [2, 3]. En ce qui concerne l’anhédonie et l’alexithymie,
il est important de souligner qu’elles ne sont pas l’apanage
des sujets souffrant de pathologies mentales ou soma-
tiques mais qu’elles peuvent être observées chez des sujets
sains. En effet, dans la population générale, une anhédonie
ou une alexithymie peuvent être présentes. Elles sont alors
considérées comme un facteur de risque ou de vulnérabi-
lité pour développer un trouble psychique (schizophrénie,
trouble de l’humeur, trouble addictif) [4-6].
Une autre approche des émotions consiste à évaluer
les capacités de reconnaissance émotionnelle. Des stimuli
visuels (visages), verbaux (mots, phrases) ou musicaux
exprimant différentes émotions (la tristesse, la colère, la
peur, le dégoût, la joie ou la surprise) sont présentés aux
sujets qui doivent identifier l’émotion et éventuellement
son intensité. Avec l’avènement des techniques d’imagerie
cérébrale, il est devenu possible de localiser les différentes
régions cérébrales associées à ces formes de traitement.
De telles études ont été menées dans différentes patho-
logies neurologiques [7-11], mais rares sont celles qui
ont été consacrées à la sclérose latérale amyotrophique
[12-14].
La sclérose latérale amyotrophique
La sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de
Charcot a été décrite en 1869 par ce dernier. Elle consiste en
une dégénérescence des motoneurones de la moelle épi-
nière qui conduit à une paralysie progressive des membres
s’accompagnant d’une amyotrophie et/ou d’une dégéné-
rescence des motoneurones du tronc cérébral, à l’origine
des troubles de la phonation et de la déglutition. L’étiologie
demeure à l’heure actuelle inconnue et aucun traitement
curatif n’est disponible. La durée de vie moyenne des per-
sonnes atteintes est d’environ 3 ans, mais elle est très
hétérogène puisque 20 % vivent plus de 5 ans après le
diagnostic et 10 % plus de 10 ans.
Même si les premiers travaux consacrés aux aspects
psychologiques de ces patients sont anciens, peu d’entre
eux mentionnent les émotions de manière explicite. Le pre-
mier travail publié est celui de Viet en 1947 [15] qui décrivait
l’attitude anormalement gaie des patients SLA. Ensuite,
Brown et al. [16] ont observé une dysphorie moindre chez
les patients SLA ainsi qu’un déni de la maladie et de ses
conséquences. Quelques rares études ont tenté de mettre
en évidence un profil particulier de personnalité chez ces
patients. Dans leur revue de la littérature portant sur peu
de travaux, Grossman et al. [17] ont proposé qu’un esprit
combatif, une meilleure acceptation de la maladie, une spi-
ritualité développée ainsi qu’une approche positive de la
mort conduiraient à une meilleure acceptation de la mala-
die. Les auteurs précisaient que des recherches doivent être
mises en place pour évaluer si de tels traits de personnalité
pré-morbide pourraient constituer des facteurs protecteurs.
Dans ce sens, Plahuta et al. [18] ont montré qu’un lieu de
contrôle externe et peu de sens donné à la vie seraient
prédictifs d’un désespoir plus marqué, contrairement à la
sévérité de la maladie. L’étude de Krampe et al. [19] a éva-
lué les dimensions de la personnalité selon le modèle des
Big Five et a montré, dans un suivi longitudinal de 12 mois,
que les patients qui avaient les plus faibles scores dans la
dimension «agréabilité »étaient ceux dont la qualité de vie
diminuait le moins et dont la progression de la maladie était
la plus faible. Dans cette étude, les patients déprimés ne se
distinguaient pas des patients non déprimés en termes de
progression de la maladie. En revanche la dépression était
corrélée à une moindre qualité de vie.
Dépression, anxiété
et qualité de vie
De nombreuses recherches ont évalué la présence
ou non d’une symptomatologie dépressive dans la SLA
et quelques travaux se sont penchés sur la sympto-
matologie anxieuse. Comme dans d’autres pathologies
neurologiques, la dépression et l’anxiété varient grande-
ment d’une étude à l’autre. Certaines études ont évalué
la présence ou non d’un diagnostic de dépression [20-
23], alors que d’autres n’évaluaient que l’intensité de la
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Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique
symptomatologie dépressive ou anxieuse. Un consensus
se dégage toutefois pour considérer que les véritables épi-
sodes dépressifs majeurs ou anxieux sont peu fréquents
en dépit d’une symptomatologie dépressive et/ou anxieuse
souvent présente [20-25].
En comparaison avec d’autres atteintes neurologiques,
notamment avec la sclérose en plaques et la maladie de Par-
kinson, les scores de dépression rapportés dans la SLA sont
relativement faibles [20-26] et ne sont pas aussi sévères
que ce qui pourrait être attendu compte tenu du pronos-
tic de la maladie. Les auteurs insistent sur le fait que, plus
que de la dépression, c’est un sentiment de désespoir en
lien avec le futur (le sujet a de la peine à envisager des
événements, des émotions et des issues positives) qui est
présent [27].
Les différentes études s’accordent pour considérer que
la dépression ne semble pas liée au stade d’évolution de
la maladie, ni à la sévérité du handicap, ni à la progression
de la maladie [18, 20-22]. Fang et al. [28] relatent que le
risque de suicide chez les patients SLA serait le plus éle
au cours de l’année qui suit la première hospitalisation, ainsi
que chez les patients qui sont les plus jeunes au moment
du diagnostic.
L’apathie fait également partie des symptômes étudiés
dans la SLA, cependant seul son aspect comportemental a
été décrit [29-31]. Aussi, ces travaux ne seront pas abordés
dans cet article.
Même si l’anxiété a fait l’objet de beaucoup moins de
travaux que la dépression, il semble qu’elle soit présente
dans0à30%descasselon la revue de Kurt et al. [32].
Elle semble surtout consécutive à l’annonce du diagnos-
tic. Selon Vignola et al. [33], l’anxiété est corrélée à une
durée d’évolution plus courte, à une qualité de vie et à
une satisfaction de la vie intérieure moindres. Selon ces
auteurs, l’anxiété aurait plus d’influence sur la qualité de
vie que la dépression. Pour Ganzini et al. [34], la préva-
lence de la dépression et de l’anxiété, documentée à l’aide
de l’HADS (échelle d’anxiété et de dépression de Zigmond
et Snaith) chez des patients en fin de vie, serait de 26 %
pour la dépression (symptomatologie dépressive moyenne
ou sévère) et 22 % pour l’anxiété.
La qualité de vie est de plus en plus fréquemment éva-
luée dans les études. Dans la SLA, elle est généralement
corrélée à la fatigue, à la dépression et à l’anxiété [35-37].
Elle ne semble pas liée à l’évolution de la maladie ou au
degré de handicap, mais aux croyances personnelles du
patient, au bien-être subjectif et à la qualité du support social
perc¸u par le patient [35-38]. Globalement, plus de deux
tiers des patients considèrent leur qualité de vie comme
satisfaisante lorsque la question leur est posée directement
[35-37].
Ces différentes recherches soulèvent la question des
modalités d’adaptation psychologique de ces patients à leur
maladie et à ses conséquences dramatiques. Comme le
mentionnent Averill et al. [27], il semble plus adéquat de
s’intéresser aux différentes difficultés psychologiques et à
la manière dont l’individu y fait face plutôt qu’à la seule
présence ou absence de dépression.
Stratégies d’adaptation
ou de coping
Il revient à Lazarus et Folkman [39] d’avoir formalisé le
concept de coping, pour décrire les stratégies qu’un sujet
peut mettre en place pour faire face à une situation de
stress.
Ces auteurs ont proposé la définition suivante du
coping :«ensemble des efforts cognitifs et comportemen-
taux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences
internes ou externes qui menacent ou dépassent les res-
sources de l’individu »[39]. Le coping apparaît comme un
ensemble de processus qui interviennent entre un individu
et l’événement source de stress. Deux grandes stratégies
de coping ont été décrites : le coping centré sur le problème
qui correspond aux tentatives cognitives et comportemen-
tales pour contrôler ou modifier la situation, et le coping
centré sur l’émotion qui regroupe les diverses tentatives
pour contrôler ou modifier la tension émotionnelle induite
par la situation de stress. Ce coping émotionnel peut se
manifester de diverses fac¸ons : évitement ou distraction,
pensée magique, réévaluation, expression ou répression
des émotions, auto-accusation, culpabilité. Puis d’autres
stratégies, telles que la recherche de support social [40] ou
l’évitement [41], ont été mises en évidence, parallèlement
aux deux stratégies principales qui sont retrouvées dans les
différents travaux.
Ces stratégies adaptatives ont été étudiées dans le
cadre des maladies chroniques pour évaluer comment les
patients parviennent à faire face, premièrement au diag-
nostic, deuxièmement au handicap progressif et à ses
conséquences [42]. Les différents auteurs s’accordent pour
considérer que certaines stratégies sont plus adaptées
que d’autres. L’ensemble des recherches, toutes maladies
confondues, montre que les stratégies centrées sur le pro-
blème sont plus adéquates sur le long terme, alors que
les stratégies centrées sur l’émotion sont davantage cor-
rélées à la dépression et à la détresse émotionnelle. La
seule exception étant que, dans les situations de mala-
dies sévères dans lesquelles le pronostic vital est en
jeu, il semble que, dans un premier temps, adopter des
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C. Bungener
stratégies centrées sur l’émotion serait plus adéquat
[40, 42]. En effet, ces stratégies émotionnelles permettent
au sujet, d’une part, de ne pas s’épuiser dans des stratégies
centrées sur le problème qui ne parviennent pas à modi-
fier la source de stress et, d’autre part, de mobiliser ses
ressources psychiques pour ensuite adopter des stratégies
centrées sur le problème.
Les quelques travaux réalisés dans la SLA confirment
les résultats obtenus dans d’autres pathologies [20, 43-45],
notamment une corrélation entre dépression et stratégies
centrées sur l’émotion [20, 44, 45]. Toutefois, certains
travaux ont mis en évidence des stratégies spécifiques
dans la SLA qui ne sont pas retrouvées de manière aussi
importante dans d’autres pathologies, telles que le déve-
loppement de la stimulation intellectuelle, de la sagesse,
des relations interpersonnelles [46] et de la religiosité
[29, 44, 47-49]. Les stratégies, selon certains auteurs, évo-
lueraient peu au cours de la maladie [50], alors que d’autres
ont observé que pendant les premiers mois qui suivent
l’annonce diagnostique, les patients recourent préféren-
tiellement à des stratégies centrées sur l’émotion, pour
ensuite adopter des stratégies centrées sur le problème
[20]. L’étude de Montel et al. [51] a mis en évidence
une corrélation positive entre la durée de la maladie et
les stratégies d’acceptation, de réévaluation positive et
d’humour.
Toutefois, la question de l’opérationnalisation du
concept de coping émotionnel reste débattue [52]. Ce
terme semble regrouper des stratégies très différentes.
Exprimer ses émotions par des pleurs ou de la colère n’a cer-
tainement pas la même signification, ni la même valeur que
réprimer ses émotions en faisant comme si tout allait pour
le mieux ou encore en essayant de réévaluer la situation en
dégageant les aspects positifs qu’elle peut susciter.
Stanton et al. [53-55] ont développé une nouvelle
approche émotionnelle du coping, qui dissocie la recon-
naissance, la compréhension et l’expression des émotions.
En effet, même si dans la littérature la corrélation entre
le coping centré sur l’émotion et la détresse psycholo-
gique semble être une constante, différentes recherches
ont souligné le potentiel adaptatif de la reconnaissance et
de l’expression des émotions. Considérer le coping émo-
tionnel uniquement comme négatif conduit à une impasse,
notamment dans le domaine de la santé. Comme nous
l’avons mentionné plus haut, l’expression émotionnelle ne
peut être confondue avec le déni, l’auto-dépréciation ou la
réévaluation positive et ces auteurs proposent de faire la
distinction entre le traitement et l’expression des émotions
[53, 54]. Le traitement des émotions consiste à essayer acti-
vement de reconnaître, comprendre et donner un sens à
ses émotions alors que l’expression des émotions consiste
à communiquer ou symboliser verbalement son ressenti
émotionnel.
L’hypothèse développée est que, dans certaines situa-
tions, le traitement et l’expression des émotions peuvent
être plus adaptés lorsqu’ils sont utilisés séparément et que
l’expression émotionnelle est plus adéquate lorsqu’elle fait
suite au traitement émotionnel [54]. Si l’on accepte cette
distinction, il devient nécessaire de repenser notre manière
d’appréhender les stratégies de coping et de travailler sur
les émotions elles-mêmes. Ainsi, il semble pertinent de
se centrer sur le fonctionnement émotionnel du sujet et
d’étudier quelles sont les attitudes et les réactions émo-
tionnelles adoptées pour s’ajuster à la maladie et à ses
conséquences.
Évaluation des émotions
Les études centrées sur les émotions dans la SLA sont
rares. Nous n’avons pas mis en évidence d’anhédonie ou
d’alexithymie chez les patients SLA qui obtenaient des
scores d’alexithymie inférieurs à ceux de patients atteints
de sclérose en plaques [20, 56].
Quelques travaux se sont intéressés à l’expression des
émotions et ont rapporté, chez des patients SLA, la pré-
sence de pleurer et rire spasmodiques [57, 58]. Ce trouble
est généralement considéré comme la conséquence d’une
atteinte lésionnelle et ne relève pas d’un trouble émotionnel
réactionnel ou adaptatif. Et, comme le formulent Presecki
et al. [59], il s’agit d’un trouble involontaire de l’expression
émotionnelle. D’autres études ont évalué la labilité émotion-
nelle (fluctuation rapide de l’état émotionnel) et ont obser
qu’environ deux tiers des patients présentaient une labi-
lité émotionnelle, cette dernière étant corrélée à la forme
bulbaire de la maladie [60-62].
Ensuite certains auteurs se sont intéressés à la recon-
naissance des émotions. Palmieri et al. [13] ont réalisé une
étude en IRMf dans laquelle les sujets avaient deux tâches
à réaliser, une tâche d’attribution émotionnelle et une tâche
de reconnaissance émotionnelle de stimuli déplaisants ver-
sus plaisants. Leurs résultats ont mis en évidence, chez
neuf patients SLA comparés à dix sujets contrôles, une
activation supérieure de l’hémisphère gauche et une dimi-
nution de l’activation de l’hémisphère droit dans les deux
tâches proposées. L’étude de Schmolck et al. [63] a montré
que les patients SLA semblaient présenter plus de dysfonc-
tionnement dépassant le seul cortex moteur (lobe frontal,
temporal et fronto-temporal) que les études précédentes
le laissaient supposer. Dans cette étude, différents visages
étaient présentés aux sujets et ils devaient choisir les per-
sonnes auxquelles ils s’adresseraient pour demander des
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Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique
renseignements le soir dans une rue sombre. Les résultats
montrent que si les patients SLA choisissaient les mêmes
personnes que les sujets sains, ils choisissaient également
des sujets que seuls les patients avec une lésion bilatérale
de l’amygdale choisissaient et que, par conséquent, ils ne
semblaient pas sensibles à l’aspect «inapprochable »de
certains visages.
L’étude de Zimmerman et al. [12] postulait que des
déficits cognitifs associés à des dysfonctionnements du
lobe frontal pouvaient être présents chez les patients
SLA, notamment chez ceux qui présentaient une forme
bulbaire de la maladie. Étant donné que les troubles fron-
taux peuvent altérer la perception émotionnelle, ils se
sont demandés si des troubles de la perception émotion-
nelle apparaissaient chez les patients SLA et s’ils étaient
en lien avec des symptômes dépressifs ou émotionnels.
Les sujets devaient réaliser une tâche de reconnaissance
d’émotions faciales et prosodiques. Les patients SLA
atteints d’une forme bulbaire présentaient des troubles
dans l’identification des émotions faciales mais pas des
émotions prosodiques, et ces troubles étaient indépen-
dants de la symptomatologie dépressive ou démentielle.
Lulé et al. [26] ont montré que les patients SLA dévelop-
paient une attitude surprenante compte tenu du pronostic
de leur atteinte. Les patients en début de maladie éva-
luaient plus positivement les stimuli émotionnels positifs,
neutres et négatifs que les sujets contrôles et ils présen-
taient une activation (arousal) supérieure en présence des
stimuli neutres et positifs alors qu’ils réagissaient moins
lors de la présentation des stimuli négatifs. Dans une étude
ultérieure en IRMf, cette même équipe [64] a étudié la
valence et l’arousal en réponse à des stimuli émotionnels.
Les résultats indiquaient une réduction de l’arousal chez les
patients SLA après six mois, ce que les auteurs interpré-
taient comme une altération possible de la sensibilité aux
stimuli émotionnels qui ont trait aux relations sociales et qui
serait en lien avec le confinement auquel sont contraints les
patients.
Ces travaux se sont essentiellement intéressés aux
émotions et à leur traitement, mais pas de manière spéci-
fique en réaction à la maladie. En effet, nous ne disposons
pas de travaux ayant étudié spécifiquement l’expression
émotionnelle ou les processus en jeu vis-à-vis du vécu de
la maladie.
Processus émotionnels
Toutefois, nous disposons de peu d’outils cliniques pour
évaluer les émotions ressenties par les sujets. Il existe
des listes d’adjectifs émotionnels à partir desquelles les
sujets doivent décider pour chaque mot émotionnel s’ils
l’ont ressenti au cours d’une période de temps écoulée
variable (Profile of mood scale [65], Differential emotio-
nal scale d’Izard [66], Positive and negative emotions
[67]).
Baker et al. [68] ont proposé une autre fac¸on
d’appréhender les processus émotionnels en jeu chez les
sujets confrontés à une stimulation source de stress. Ces
auteurs, en s’inspirant des travaux de Rachman (cité par
Baker [68]), ont proposé d’étudier les processus émotion-
nels, conscients et inconscients, qu’un sujet adopte pour
gérer les émotions suscitées par un événement de vie.
Rachman a développé son concept dans le cadre des
troubles anxieux, et Baker l’a adapté pour d’autres patholo-
gies psychiatriques, mais également somatiques (différents
cancers, fatigue chronique, fibromyalgies) [68]. Face à un
événement, le sujet doit pouvoir, soit absorber les émo-
tions qui en découlent, soit les évacuer afin d’être en
mesure de poursuivre ses activités cognitives ou compor-
tementales. S’il n’est pas capable de le faire, différents
troubles, telles que des pensées récurrentes, des pensées
anxieuses mais aussi des manifestations physiques (ten-
sion, fatigue) peuvent apparaître. Si ces processus sont
défaillants, le risque est que le sujet développe des troubles
de l’adaptation et soit donc moins capable de gérer la situa-
tion de stress. Baker [68] décrit ainsi les différentes étapes
des processus émotionnels qui interviennent suite à un
événement (qu’il soit anodin ou traumatique). Le premier
processus est l’expérience émotionnelle, c’est-à-dire que
le sujet évalue l’événement qui le conduit à ressentir une
émotion. Le deuxième est l’expression émotionnelle au
cours de laquelle le sujet exprime, sur le plan moteur ou
verbal, une émotion. Or certains sujets ne vont pas être
capables d’exprimer les émotions ou vont tenter de contrô-
ler cette expression. Le troisième processus est celui de
la dénomination de l’émotion. Le sujet donne un nom à
son état émotionnel, mais le sujet peut également ren-
contrer des difficultés à nommer l’émotion ressentie. Le
quatrième processus est le fait d’établir un lien ou une cause
entre l’événement et l’émotion ressentie. Ce processus
découle du précédent, dans la mesure où une dénomina-
tion inadéquate de l’émotion va déboucher sur un lien de
causalité inapproprié. Le cinquième processus est la prise
de conscience des émotions ressenties au niveau physique
ou physiologique et psychique.
Baker et al. [69] ont construit une échelle de processus
émotionnels (EPS) qui identifie cinq facteurs : la suppres-
sion émotionnelle, les émotions non traitées, les émotions
non régulées, l’évitement et l’expérience émotionnelle
appauvrie. Cette échelle permet d’évaluer les difficul-
tés que rencontre le sujet pour procéder à l’évaluation
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