Éditorial
Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011 ; 9 (1) : 67-8
Les particularités, attitudes et stratégies des chercheurs
romantiques... ne suivent pas la voie du réductionnisme
qui est la philosophie dominante des chercheurs
classiques. Les scientifiques romantiques ne veulent ni
fragmenter la réalité en ses composantes élémentaires ni
réduire la richesse de la vie à des modèles abstraits qui
perdent les propriétés des phénomènes eux-mêmes. Il est
de la plus haute importance... de préserver la richesse de
la réalité vivante, et ils aspirent à une science qui maintient
cette richesse.
Alexandre Romanovitch Luria
The making of mind
Une revue thématique sur le thème des émotions
et leurs perturbations chez les sujets âgés était
prévue pour 2011. Pour une plus grande souplesse
de parution des textes, le principe de la revue théma-
tique n’a pas été retenu dans la nouvelle formule de la
revue et les textes paraîtront au cours de l’année. Plus
que les perturbations cognitives qui sont utilisées pour
définir les pathologies cérébrales associées au vieillisse-
ment, ce sont, en effet, les perturbations affectives qui
constituent bien souvent l’élément déterminant de la souf-
france des patients et de leur entourage. Nous avons pensé
qu’une présentation générale de la psychologie des émo-
tions serait utile. Depuis quelques années, de nombreux
travaux en neuropsychologie cognitive sont consacrés aux
émotions pour mieux comprendre ces perturbations. Tou-
tefois, la psychologie cognitive est basée sur la théorie de
l’information et étudie le fonctionnement du cerveau sur
le modèle d’un ordinateur, évidemment dénué de toute vie
affective et émotionnelle. Son application à l’étude des phé-
nomènes affectifs est-elle légitime ? Certains en doutent,
comme Jerry Fodor (La modularité de l’esprit. Essai sur
la psychologie des facultés) pour qui, si les méthodes de
la psychologie cognitive se sont révélées très riches pour
la compréhension des «systèmes périphériques »modu-
laires, comme la mémoire, la perception, le langage...,
elles sont difficilement applicables à l’étude des «sys-
tèmes centraux »(comme l’intelligence, la vie affective) qui
ne sont pas modulaires, mais holistiques, c’est-à-dire met-
tant en jeu le fonctionnement global du cerveau. En outre,
les travaux neuropsychologiques consacrés aux émotions
reposent, de fac¸on plus ou moins implicite, sur les théo-
ries néodarwiniennes qui décrivent des émotions primaires
(joie, tristesse, dégoût...) considérées comme des entités
ontologiques, non dissociables, non analysables, d’origine
biologique et communes à l’homme et à l’animal. Nul ne
peut contester que les émotions, chez l’animal, reposent
sur des bases biologiques innées, propres à l’espèce, et
qui se présentent comme des réactions instinctives, fixes
et stéréotypées, déclenchées par un type de stimulus «spé-
cifique ». Nul ne peut contester, non plus, la filiation entre
les émotions animales et celles de l’homme. Mais, sur
cette continuité se produit une rupture essentielle qui tient
à l’immaturité de l’espèce humaine et qui fait de l’homme
avant tout un être social : le bébé n’est pas un être indépen-
dant («Le bébé n’existe pas »selon la formule de Donald
Winnicott). Sa vie affective ne peut être séparée, dès les
premiers instants, des rapports sociaux impliquant sa mère,
son père et, à travers ses parents, la société dans laquelle
il vit : ce sont ces échanges qui sont déterminants pour
son développement psychique et non la seule maturation
de son cerveau (cf l’enfant-loup). Les émotions humaines
ne peuvent donc pas être considérées comme de simples
réponses préfabriquées de l’organisme : elles sont étroi-
tement dépendantes de l’histoire individuelle et sociale,
largement médiatisées par les mécanismes cognitifs.
L’étude scientifique de la vie affective chez l’homme
est particulièrement ardue en raison de sa complexité et
de sa richesse qui sont tout autant des caractéristiques
de l’espèce humaine que son développement cognitif. Elle
nécessite de passer par des intermédiaires plus simples et
doi:10.1684/pnv.2011.0262
Pour citer cet article : Derouesné C. Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011; 9(1) :67-8 doi:10.1684/pnv.2011.0262 67
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