info-patients Info-Patients L’éthique au quotidien Sclérose latérale amyotrophique : l’annonce du diagnostic P. Couratier* Quand doit-on informer ? L ’ annonce du diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (SLA) est un moment redouté par la plupart des neurologues. En établissant ce diagnostic, le praticien sait que le pronostic vital de son patient est engagé à plus ou moins long terme, et qu’il sera très difficile d’infléchir l’évolution de cette affection neurodégénérative. Ce sentiment d’impuissance et le désir plus ou moins conscient de vouloir protéger son patient d’une mort programmée à relativement court terme pourraient conduire le praticien à différer ou déformer l’information donnée au moment du diagnostic. Ce moment est pourtant fondamental, même si les conséquences immédiates de cette annonce ne peuvent être évaluées. L’expérience montre que la façon dont se déroule cette consultation influencera ultérieurement la discussion préalable de certains choix décisionnels, comme la gastrostomie d’alimentation ou la ventilation assistée non invasive. Il n’existe évidemment pas une façon standardisée d’annoncer le diagnostic de SLA, et il faudra s’adapter au cas par cas. Néanmoins, certains principes et certaines réflexions méritent d’être discutés, car ils peuvent être utiles en pratique clinique. L’annonce du diagnostic impose de pouvoir répondre à un certain nombre de questions (tableau I) : Quand doit-on informer ? Quelles informations doit-on apporter ? Qui doit être informé ? Qui informe ? Quelles sont les conséquences de cette annonce sur les patients et leur famille ? Il est évident que l’information ne peut être donnée qu’une fois le diagnostic établi avec un certain degré de certitude (1). Dans certains cas, le diagnostic peut paraître évident dès la première consultation. La gravité de l’affection impose néanmoins la réalisation d’un bilan complémentaire, pour exclure certains diagnostics différentiels potentiellement curables (2). De plus, le patient pourrait ne pas comprendre pourquoi le diagnostic est posé de façon aussi prématurée. D’autres patients ont, au contraire, subi de nombreuses explorations auprès de plusieurs spécialistes sans aucun diagnostic formel. Dans les deux cas, il faut prendre le temps d’expliquer au patient et à sa famille les raisons et les résultats des examens complémentaires, ce qui permettra d’amener le diagnostic de SLA avec moins de difficultés (3). En dehors du * Service de neurologie, CHU Dupuytren, Limoges. Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000 problème du délai, le diagnostic même de SLA repose sur un faisceau de signes cliniques et électrophysiologiques, dont aucun n’est pathognomonique. Il est possible de s’aider des critères d’El Escorial, établis par la Fédération mondiale de neurologie (tableau II). Même si ces critères ne servent pas à discriminer entre les différentes maladies du motoneurone, 154 ils permettent d’établir un diagnostic probabiliste de SLA réparti en forme certaine, probable, possible ou suspectée. Ils sont fondés sur deux points importants : l’association de signes d’atteinte clinique ou électrique du motoneurone périphérique et du premier motoneurone dans plusieurs régions anatomiques (bulbe, membres supérieurs, tronc et membres inférieurs), et la notion évolutive d’aggravation de ces signes. Pour juger d’une évolutivité, on peut raisonnablement proposer deux consultations à trois mois d’intervalle, avant de porter de façon définitive ce diagnostic. Cette période de bilan permettra de préciser les antécédents médicaux personnels et familiaux, de juger de la personnalité du patient et de mieux connaître son contexte familial et socioprofessionnel. Ces éléments seront pris en compte dans la façon d’annoncer le diagnostic. Quelles informations doit-on apporter ? Tout ne sera pas dit dès cette consultation, ce qui implique un choix dans le contenu de l’information délivrée. Les info-patients Info-Patients termes de sclérose latérale amyotrophique, ou de maladie de Charcot, doivent être utilisés. Les termes de maladie de la corne antérieure, voire de maladie dégénérative de la moelle, sont beaucoup trop imprécis et n’apportent, en fait, aucun élément rassurant pour le patient. Ils peuvent, au contraire, l’angoisser davantage face à une affection qui n’est pas clairement identifiée. Quand le diagnostic n’est pas établi avec certitude, soit en raison de certaines atypies, soit en raison d’un diagnostic précoce sans recul évolutif suffisant, on peut parler de maladie du motoneurone. L’utilisation du terme sclérose latérale amyotrophique semble préférable à celui de maladie de Charcot, qui pourrait être confondu avec celui de maladie de Charcot-MarieTooth. De plus, ce terme permet d’évoquer assez facilement les principaux signes de la maladie, en donnant une explication claire et simplifiée des mots sclérose, latérale et amyotrophique. Très souvent, les patients auront accès par eux-mêmes à des informations publiées dans des ouvrages de vulgarisation, voire sur Internet. Certaines données sont erronées. Il faut donc les mettre en garde et plutôt les orienter vers les associations, telles que l’ARS et l’ALS, qui éditent des feuillets d’information très bien faits. D’autre part, il est toujours très utile de redéfinir cette maladie orpheline en termes de prévalence et d’incidence, tant sur le plan national que régional, ce qui permet au patient de réaliser qu’il n’est pas seul à en être atteint. Les autres points importants de l’information initiale sont, d’une part, le caractère définitif de l’atteinte neurologique, sous-tendant la notion d’aggravation qu’il est préférable d’anticiper, sans en préciser l’intensité, et, d’autre part, l’hétérogénéité évolutive. Il est toujours bon de maintenir un certain degré d’espoir en l’étayant par des arguments cliniques. Par exemple, près de 10 % des patients ont une durée d’évolution de 10 ans, ce Tableau I. Eléments importants de l’information à l’annonce du diagnostic de SLA. ◆ Avoir au préalable éliminé les autres diagnostics différentiels. ◆ Favoriser au maximum un second avis spécialisé. ◆ Utiliser les termes de sclérose latérale amyotrophique ou de maladie de Charcot. ◆ Faire une présentation simple et sensée de la maladie. ◆ Expliquer au patient l’impossibilité de faire un pronostic. ◆ Fournir les renseignements sur les associations de patients. ◆ Maintenir un sentiment d’espoir. ◆ Discuter des protocoles thérapeutiques et des avancées de la recherche. ◆ Favoriser l’implication de la famille et des autres soignants. ◆ Programmer une consultation proche pour répondre aux interrogations du patient et de sa famille. ◆ Expliquer les modalités de la prise en charge. Tableau II. Critères diagnostiques d’El Escorial. ◆ Forme certaine – présence de signes d’atteinte clinique du premier et du deuxième motoneurone à l’étage bulbaire et dans au moins deux régions spinales, ou – présence de signes d’atteinte du premier motoneurone dans deux régions spinales et atteinte du deuxième motoneurone dans trois régions spinales. ◆ Forme probable – présence de signes d’atteinte du premier et du deuxième motoneurone dans au moins deux régions, l’atteinte pyramidale devant être rostrale par rapport à l’atteinte du motoneurone périphérique. ◆ Forme possible – présence de signes d’atteinte du premier et du deuxième motoneurone dans au moins une région, ou – présence de signes d’atteinte du premier motoneurone dans deux régions, ou – présence de signes d’atteinte du motoneurone périphérique rostraux par rapport à l’atteinte pyramidale. ◆ Forme suspectée – présence de signes d’atteinte du motoneurone périphérique dans au moins deux régions. qui est loin d’être négligeable. Certains facteurs de bon pronostic peuvent être valorisés. Les facteurs les plus pertinents en pratique sont l’âge de début précoce, la forme clinique spinale et l’absence de déficit respiratoire restrictif. Enfin, il faut expliquer qu’il est prématuré de prédire un pronostic ce qui permet d’écarter éventuellement le problème de la mort, 155 en précisant que cette question n’est pas d’actualité et qu’il y a d’autres problèmes sur lesquels il est possible d’apporter des solutions immédiates. Bien entendu, le corollaire au diagnostic est, pour le patient, l’existence éventuelle d’un traitement. Il faut clairement expliquer qu’il n’existe aucun traitement curatif de la maladie. Seul le riluzole, molécule anti- info-patients Info-Patients glutamatergique, est commercialisé dans cette indication et possède un effet freinateur modeste qui a été prouvé par deux essais thérapeutiques. Ce traitement a peu d’effets secondaires. Il faut, toutefois, éviter certains commentaires très négatifs sur la pertinence de cet effet, qui auraient pour conséquence d’angoisser le patient et de ne pas favoriser ultérieurement une bonne observance. Sans modifier la réalité, les résultats peuvent être exprimés simplement comme un gain de survie de 25 % pour une période de suivi de 12 mois. D’autre part, la réponse au traitement est individuelle, et il sera toujours temps de discuter de l’intérêt de la poursuite de cette thérapeutique. Pour favoriser un peu d’espoir, il est possible de faire le point sur les futurs essais thérapeutiques et les perspectives de recherche. À ce propos, la Fédération mondiale de neurologie édite sur Internet la liste des essais en cours et des centres participants. À côté du traitement spécifique, il faut bien expliquer l’importance du traitement symptomatique. Les ordonnances et les modalités du suivi évolutif seront ainsi explicitées. La prise en charge impliquera l’intervention d’autres professionnels de santé (infirmières, kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, médecins nutritionnistes, pneumologues), qui auront besoin d’informations sur ce qui a été dit avec le patient mais aussi sur la maladie. Le neurologue devra jouer le rôle de coordonnateur et rester le principal référent pour le patient. Qui doit être informé ? Le moyen le plus simple est de demander au patient ce qu’il désire. Il est tout à fait possible de l’informer seul, puis avec son conjoint, ou bien d’emblée en sa présence. Il faut respecter son choix. Parfois, certains proches du patient très angoissés souhaitent différer ou bien empêcher Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000 cette annonce. Il faut leur expliquer que certaines informations doivent être communiquées pour que le patient puisse adhérer à la prise en charge. Qui informe ? En général, c’est le neurologue qui annonce, puisqu’il est le garant du diagnostic. Certaines données pourront être reprises par une infirmière ou par le médecin généraliste. Certaines réactions émotionnelles, de haine, voire de déni, peuvent être observées à l’annonce du diagnostic. C’est la raison pour laquelle Goldblatt a proposé que le diagnostic ne soit pas fait par celui qui assurera la prise en charge, ce qui n’est pas facile à réaliser en pratique (4). Néanmoins, cette situation peut se rencontrer, car il faut souvent favoriser un deuxième avis spécialisé, et la possibilité du diagnostic de SLA n’a pas toujours été discutée au préalable avec le patient. Quelles sont les conséquences de cette annonce ? Au cours de cette consultation, le patient aura entendu probablement pour la première fois le nom de sclérose latérale amyotrophique, mais également perçu la gravité de cette affection. Toutes les réactions émotionnelles immédiates sont possibles. Certaines questions, qui n’auront certainement pas été posées, mériteront d’être abordées au cours d’une deuxième consultation assez proche. Les conséquences à plus long terme sur le plan thymique, plus difficilement appréciables, nécessiteront un suivi particulier pour dépister un syndrome dépressif. La personnalité du patient, son entourage affectif familial, son intégration socioprofessionnelle sont des éléments majeurs du vécu immédiat de la maladie SLA. 156 En conclusion, le diagnostic de SLA est difficile à annoncer, car il va générer de l’angoisse. Il est néanmoins primordial de le faire pour pouvoir débuter une prise en charge fondée sur la confiance, où les choix personnels du patient seront pris en compte, tout en intégrant la participation familiale (5). Ce moment de consultation doit se dérouler dans un climat chaleureux où les questions devront être favorisées. Il faut toujours maintenir l’espoir. La marge entre vérité et mensonge est mince. Le seul degré de liberté du praticien face à son impuissance est lié à son incertitude par rapport à l’hétérogénéité clinique et évolutive de la SLA. Ce qui est vrai pour la plupart des maladies dégénératives, mais encore plus pour la SLA. Mots clés. Sclérose latérale amyotrophique – Critères d’El Escorial – Annonce du diagnostic. Références 1. Beisecker AE, Kuchelman-Cobb A, Ziegler DK. Patients' perspectives of the role of care providers in amyotrophic lateral sclerosis. Arch Neurol 1988 ; 45 : 553-6. 2. Belsh JM, Schiffmann PL. Misdiagnosis in patients with amyotrophic lateral sclerosis. Arch Intern Med 1990 ; 150 : 2301-5. 3. Bradley WG. Amyotrophic lateral sclerosis. The diagnosis process. In Mitsumoto H and Norris FHJr (eds): Amyotrophic lateral sclerosis. A comprehensive guide to management. Demos New York 1994 ;21-8. 4. Goldblatt D. Caring for patients with amyotrophic lateral sclerosis. In Smith RA (eds): Handbook of amyotrophic lateral sclerosis. New York : Marcel Dekker, 1992 : 272-87. 5. Thompson B. Amyotrophic lateral sclerosis. Integrating care for patients and their families. Am J Hosp Pall Care 1990 ; 7 : 27-32.