Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000 154
info-patients
Info-Patients
Quand doit-on
informer ?
Il est évident que l’infor-
mation ne peut être don-
née qu’une fois le dia-
gnostic établi avec un
certain degré de certitude
(1). Dans certains cas, le
diagnostic peut paraître
évident dès la première
consultation. La gravité
de l’affection impose
néanmoins la réalisation
d’un bilan complémen-
taire, pour exclure cer-
tains diagnostics diffé-
rentiels potentiellement
curables (2). De plus, le
patient pourrait ne pas
comprendre pourquoi le
diagnostic est posé de
façon aussi prématurée.
D’autres patients ont, au
contraire, subi de nom-
breuses explorations
auprès de plusieurs spé-
cialistes sans aucun dia-
gnostic formel. Dans les
deux cas, il faut prendre
le temps d’expliquer au
patient et à sa famille les
raisons et les résultats des
examens complémen-
taires, ce qui permettra
d’amener le diagnostic de SLA avec
moins de difficultés (3). En dehors du
problème du délai, le diagnostic même
de SLA repose sur un faisceau de signes
cliniques et électrophysiologiques, dont
aucun n’est pathognomonique. Il est pos-
sible de s’aider des critères d’El Escorial,
établis par la Fédération mondiale de
neurologie (tableau II). Même si ces cri-
tères ne servent pas à discriminer entre
les différentes maladies du motoneurone,
ils permettent d’établir un
diagnostic probabiliste de
SLA réparti en forme cer-
taine, probable, possible
ou suspectée. Ils sont fon-
dés sur deux points
importants : l’association
de signes d’atteinte cli-
nique ou électrique du
motoneurone périphé-
rique et du premier moto-
neurone dans plusieurs
régions anatomiques
(bulbe, membres supé-
rieurs, tronc et membres
inférieurs), et la notion
évolutive d’aggravation
de ces signes. Pour juger
d’une évolutivité, on peut
raisonnablement proposer
deux consultations à trois
mois d’intervalle, avant
de porter de façon défini-
tive ce diagnostic. Cette
période de bilan permet-
tra de préciser les antécé-
dents médicaux person-
nels et familiaux, de juger
de la personnalité du
patient et de mieux
connaître son contexte
familial et socioprofes-
sionnel. Ces éléments
seront pris en compte
dans la façon d’annoncer
le diagnostic.
Quelles informations
doit-on apporter ?
Tout ne sera pas dit dès cette consulta-
tion, ce qui implique un choix dans le
contenu de l’information délivrée. Les
Lannonce du diagnostic de sclérose latérale
amyotrophique (SLA) est un moment redouté par
la plupart des neurologues. En établissant ce dia-
gnostic, le praticien sait que le pronostic vital de son patient
est engagé à plus ou moins long terme, et qu’il sera très
difficile d’infléchir l’évolution de cette affection neurodégéné-
rative. Ce sentiment d’impuissance et le désir plus ou moins
conscient de vouloir protéger son patient d’une mort
programmée à relativement court terme pourraient conduire
le praticien à différer ou déformer l’information donnée
au moment du diagnostic. Ce moment est pourtant
fondamental, même si les conséquences immédiates de cette
annonce ne peuvent être évaluées. L’expérience montre que
la façon dont se déroule cette consultation influencera
ultérieurement la discussion préalable de certains choix
décisionnels, comme la gastrostomie d’alimentation ou
la ventilation assistée non invasive.
Il n’existe évidemment pas une façon standardisée d’annoncer
le diagnostic de SLA, et il faudra s’adapter au cas par cas.
Néanmoins, certains principes et certaines réflexions méritent
d’être discutés, car ils peuvent être utiles en pratique clinique.
L’annonce du diagnostic impose de pouvoir répondre
à un certain nombre de questions (tableau I) :
Quand doit-on informer ? Quelles informations doit-on
apporter ? Qui doit être informé ? Qui informe ? Quelles
sont les conséquences de cette annonce
sur les patients et leur famille ?
* Service de neurologie,
CHU Dupuytren, Limoges.
Sclérose latérale amyotrophique :
l’annonce du diagnostic
P. Couratier*
L’éthique
au quotidien
155
termes de sclérose latérale amyotro-
phique, ou de maladie de Charcot, doi-
vent être utilisés. Les termes de maladie
de la corne antérieure, voire de maladie
dégénérative de la moelle, sont beaucoup
trop imprécis et n’apportent, en fait,
aucun élément rassurant pour le patient.
Ils peuvent, au contraire, l’angoisser
davantage face à une affection qui n’est
pas clairement identifiée. Quand le dia-
gnostic n’est pas établi avec certitude,
soit en raison de certaines atypies, soit en
raison d’un diagnostic précoce sans recul
évolutif suffisant, on peut parler de mala-
die du motoneurone. L’utilisation du
terme sclérose latérale amyotrophique
semble préférable à celui de maladie de
Charcot, qui pourrait être confondu avec
celui de maladie de Charcot-Marie-
Tooth. De plus, ce terme permet d’évo-
quer assez facilement les principaux
signes de la maladie, en donnant une
explication claire et simplifiée des mots
sclérose, latérale et amyotrophique.
Très souvent, les patients auront accès
par eux-mêmes à des informations
publiées dans des ouvrages de vulgarisa-
tion, voire sur Internet. Certaines don-
nées sont erronées. Il faut donc les mettre
en garde et plutôt les orienter vers les
associations, telles que l’ARS et l’ALS,
qui éditent des feuillets d’information
très bien faits. D’autre part, il est tou-
jours très utile de redéfinir cette maladie
orpheline en termes de prévalence et
d’incidence, tant sur le plan national que
régional, ce qui permet au patient de réa-
liser qu’il n’est pas seul à en être atteint.
Les autres points importants de l’infor-
mation initiale sont, d’une part, le carac-
tère définitif de l’atteinte neurologique,
sous-tendant la notion d’aggravation
qu’il est préférable d’anticiper, sans en
préciser l’intensité, et, d’autre part, l’hé-
térogénéité évolutive. Il est toujours bon
de maintenir un certain degré d’espoir en
l’étayant par des arguments cliniques.
Par exemple, près de 10 % des patients
ont une durée d’évolution de 10 ans, ce
qui est loin d’être négligeable. Certains
facteurs de bon pronostic peuvent être
valorisés. Les facteurs les plus pertinents
en pratique sont l’âge de début précoce,
la forme clinique spinale et l’absence de
déficit respiratoire restrictif. Enfin, il
faut expliquer qu’il est prématuré de pré-
dire un pronostic ce qui permet d’écarter
éventuellement le problème de la mort,
en précisant que cette question n’est pas
d’actualité et qu’il y a d’autres problèmes
sur lesquels il est possible d’apporter des
solutions immédiates. Bien entendu, le
corollaire au diagnostic est, pour le
patient, l’existence éventuelle d’un trai-
tement. Il faut clairement expliquer qu’il
n’existe aucun traitement curatif de la
maladie. Seul le riluzole, molécule anti-
Tableau I. Eléments importants de l’information à l’annonce du diagnostic de SLA.
Avoir au préalable éliminé les autres diagnostics différentiels.
Favoriser au maximum un second avis spécialisé.
Utiliser les termes de sclérose latérale amyotrophique ou de maladie de Charcot.
Faire une présentation simple et sensée de la maladie.
Expliquer au patient l’impossibilité de faire un pronostic.
Fournir les renseignements sur les associations de patients.
Maintenir un sentiment d’espoir.
Discuter des protocoles thérapeutiques et des avancées de la recherche.
Favoriser l’implication de la famille et des autres soignants.
Programmer une consultation proche pour répondre aux interrogations du patient et de
sa famille.
Expliquer les modalités de la prise en charge.
Tableau II. Critères diagnostiques d’El Escorial.
Forme certaine
– présence de signes d’atteinte clinique du premier et du deuxième motoneurone à l’étage
bulbaire et dans au moins deux régions spinales, ou
– présence de signes d’atteinte du premier motoneurone dans deux régions spinales et
atteinte du deuxième motoneurone dans trois régions spinales.
Forme probable
– présence de signes d’atteinte du premier et du deuxième motoneurone dans au moins
deux régions, l’atteinte pyramidale devant être rostrale par rapport à l’atteinte du moto-
neurone périphérique.
Forme possible
– présence de signes d’atteinte du premier et du deuxième motoneurone dans au moins une
région, ou
– présence de signes d’atteinte du premier motoneurone dans deux régions, ou
– présence de signes d’atteinte du motoneurone périphérique rostraux par rapport à l’at-
teinte pyramidale.
Forme suspectée
– présence de signes d’atteinte du motoneurone périphérique dans au moins deux régions.
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glutamatergique, est commercialisé dans
cette indication et possède un effet frei-
nateur modeste qui a été prouvé par deux
essais thérapeutiques. Ce traitement a
peu d’effets secondaires. Il faut, toute-
fois, éviter certains commentaires très
négatifs sur la pertinence de cet effet, qui
auraient pour conséquence d’angoisser le
patient et de ne pas favoriser ultérieure-
ment une bonne observance. Sans modi-
fier la réalité, les résultats peuvent être
exprimés simplement comme un gain de
survie de 25 % pour une période de suivi
de 12 mois. D’autre part, la réponse au
traitement est individuelle, et il sera tou-
jours temps de discuter de l’intérêt de la
poursuite de cette thérapeutique. Pour
favoriser un peu d’espoir, il est possible
de faire le point sur les futurs essais thé-
rapeutiques et les perspectives de
recherche. À ce propos, la Fédération
mondiale de neurologie édite sur Internet
la liste des essais en cours et des centres
participants. À côté du traitement spéci-
fique, il faut bien expliquer l’importance
du traitement symptomatique. Les ordon-
nances et les modalités du suivi évolutif
seront ainsi explicitées. La prise en char-
ge impliquera l’intervention d’autres
professionnels de santé (infirmières,
kinésithérapeutes, orthophonistes, ergo-
thérapeutes, médecins nutritionnistes,
pneumologues), qui auront besoin d’in-
formations sur ce qui a été dit avec le
patient mais aussi sur la maladie. Le neu-
rologue devra jouer le rôle de coordonna-
teur et rester le principal référent pour le
patient.
Qui doit être informé ?
Le moyen le plus simple est de demander
au patient ce qu’il désire. Il est tout à fait
possible de l’informer seul, puis avec son
conjoint, ou bien d’emblée en sa présen-
ce. Il faut respecter son choix. Parfois,
certains proches du patient très angoissés
souhaitent différer ou bien empêcher
cette annonce. Il faut leur expliquer que
certaines informations doivent être com-
muniquées pour que le patient puisse
adhérer à la prise en charge.
Qui informe ?
En général, c’est le neurologue qui
annonce, puisqu’il est le garant du dia-
gnostic. Certaines données pourront être
reprises par une infirmière ou par le
médecin généraliste. Certaines réactions
émotionnelles, de haine, voire de déni,
peuvent être observées à l’annonce du
diagnostic. C’est la raison pour laquelle
Goldblatt a proposé que le diagnostic ne
soit pas fait par celui qui assurera la prise
en charge, ce qui n’est pas facile à réali-
ser en pratique (4). Néanmoins, cette
situation peut se rencontrer, car il faut
souvent favoriser un deuxième avis spé-
cialisé, et la possibilité du diagnostic de
SLA n’a pas toujours été discutée au
préalable avec le patient.
Quelles sont les conséquences
de cette annonce ?
Au cours de cette consultation, le patient
aura entendu probablement pour la pre-
mière fois le nom de sclérose latérale
amyotrophique, mais également perçu la
gravité de cette affection. Toutes les réac-
tions émotionnelles immédiates sont pos-
sibles. Certaines questions, qui n’auront
certainement pas été posées, mériteront
d’être abordées au cours d’une deuxième
consultation assez proche. Les consé-
quences à plus long terme sur le plan thy-
mique, plus difficilement appréciables,
nécessiteront un suivi particulier pour
dépister un syndrome dépressif. La per-
sonnalité du patient, son entourage affec-
tif familial, son intégration socioprofes-
sionnelle sont des éléments majeurs du
vécu immédiat de la maladie SLA.
En conclusion, le diagnostic de SLA est
difficile à annoncer, car il va générer de
l’angoisse. Il est néanmoins primordial
de le faire pour pouvoir débuter une prise
en charge fondée sur la confiance, où les
choix personnels du patient seront pris en
compte, tout en intégrant la participation
familiale (5). Ce moment de consultation
doit se dérouler dans un climat chaleu-
reux où les questions devront être favori-
sées. Il faut toujours maintenir l’espoir.
La marge entre vérité et mensonge est
mince. Le seul degré de liberté du prati-
cien face à son impuissance est lié à son
incertitude par rapport à l’hétérogénéité
clinique et évolutive de la SLA. Ce qui
est vrai pour la plupart des maladies
dégénératives, mais encore plus pour la
SLA.
Mots clés. Sclérose latérale amyotro-
phique – Critères d’El Escorial –
Annonce du diagnostic.
Références
1. Beisecker AE, Kuchelman-Cobb A,
Ziegler DK. Patients' perspectives of the
role of care providers in amyotrophic lateral
sclerosis. Arch Neurol 1988 ; 45 : 553-6.
2. Belsh JM, Schiffmann PL. Misdiagnosis
in patients with amyotrophic lateral sclero-
sis. Arch Intern Med 1990 ; 150 : 2301-5.
3. Bradley WG. Amyotrophic lateral sclero-
sis. The diagnosis process. In Mitsumoto H
and Norris FHJr (eds): Amyotrophic late-
ral sclerosis. A comprehensive guide to
management. Demos New York 1994 ;21-8.
4. Goldblatt D. Caring for patients with
amyotrophic lateral sclerosis. In Smith RA
(eds): Handbook of amyotrophic lateral
sclerosis. New York : Marcel Dekker,
1992 : 272-87.
5. Thompson B. Amyotrophic lateral scle-
rosis. Integrating care for patients and
their families. Am J Hosp Pall Care 1990 ;
7 : 27-32.
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