N°119 - Mars 2011
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Le Mot de la Présidente
A Jeanne,
De Jeanne ses amis disent qu’elle a un caractère bien trempé. A ses yeux, bon nombre
de personnes pourraient paraître comme des poules mouillées. D’origine danoise,
elle a partagé sa vie avec un mari hongrois. Ils se sont connus en Suisse où Jeanne, en
dehors de ses études, se consacrait à l’alpinisme.
Ses amis la décrivent comme une battante, comme une femme de caractère qui a œuvré au quo-
tidien pour l’émancipation féminine. Ouverte au monde, ayant vécu très longtemps en Afrique,
elle connaît l’espéranto qu’elle avait appris avec ses parents.
A ses proches, elle parle très souvent de ses engagements, dont l’ADMD. Jeanne compte parmi
nos membres de la première heure. Et nous lui devons certainement une bonne partie de notre
implantation à Verviers et environs.
Mais voilà, il arrive que les plus solides d’entre nous au point de vue des conceptions se fassent
mettre pied à terre par une maladie. Pour Jeanne, ce fut la maladie de Parkinson, Miss P. comme
l’appelait l’écrivain François Nourissier, mort récemment.
Les récits de ses derniers amis, dont Jérôme Garcin, concernant la fin de sa vie sont terrifiants.
Depuis trois ans, il agonisait dans une clinique parisienne où celle qu’il appelait Miss P. - c’était
la maladie de Parkinson - lui faisait subir chaque jour les derniers outrages : le visage glabre, la
peau sur les os, la bouche presque édentée, les yeux hallucinés, son long corps giacomettien flot-
tant dans un mauvais pyjama, il était saisi de volcaniques quintes de toux et s’accrochait au re-
gard de son visiteur affolé comme un naufragé de « la Méduse » au mât du radeau. Un jour où,
avec Bernard Pivot, nous étions venus l’embrasser, il avait lâché, en pleurant: « Vous avez vou-
lu me voir. Maintenant, mes amis, il faut boire le calice jusqu’à la lie. » Ce fut, antichambre de
« l’Enfer » de Dante, son dernier spectacle. « Il est mort tout seul, sans un cri, à la tombée de
la nuit. »
Je veux croire que c’était la volonté de Nourissier d’aller jusqu’au bout. Le choix de Jeanne sera
différent. Il est vrai qu’elle a la chance de vivre en Belgique.
Tout doucement, mais très certainement, elle prépare son départ. Ses fils sont au courant et par-
tagent sa décision. Son médecin traitant lui avait dit très clairement qu’il refusait de poser un
acte d’euthanasie. Elle a changé de médecin. Au fond d’elle-même, un sentiment de révolte :
pour pouvoir jouir de cette dernière liberté, il lui faut passer par l’accord de médecins.
Elle se souvenait d’une conférence qu’avait donnée le docteur François Damas et lui téléphona.
Et François Damas est devenu médecin consultant. Si elle doit se plier aux conditions posées par
la loi, elle veut néanmoins rester maître de ses choix. Pour Jeanne, il était important que l’inter-
vention du docteur consultant ne se limite pas à la simple lecture d’un rapport et à un seul entre-
tien. Elle lui a demandé de revenir la voir. Et François Damas est sorti de ce deuxième entretien,
la tête pleine des récits de la vie de Jeanne, avec un sentiment de profonde admiration pour cette
femme autonome et ouverte aux autres.
Jeanne est dans sa nonantième année, le corps brisé mais le cerveau intact. Elle a toujours maî-
trisé sa vie. Elle maîtrisera sa mort.
Jacqueline Herremans
Mars 2011