Une proposition de loi relative au droit à la dignité thérapeutique du

KENIS Y. Carte Blanche du Journal « Le Soir » du 15 décembre 1986.
Une proposition de loi relative au droit à la dignité
thérapeutique du patient incurable
ou
Du refus de l’acharnement thérapeutique à la demande
d’euthanasie.
« Le crime commis contre un malade incurable pour le soulager, c’est le meurtre par pitié
des désespérés abandonnés par la science médicale, c’est l’assassinat légal ou suprême
charité (…). Nul ne peut supprimer la vie. » Ces quelques mots, tirés d’un compte rendu
d’un congrès de juristes, datent de 1950.
Depuis, la conception du droit et de l’éthique a sensiblement évolué.
« Le droit des mourants » est évoqué par le Conseil de l’Europe, dans sa recommandation
du 29 janvier 1976. En Belgique, s’est créée l’A.S.B.L. Association pour le Droit de
Mourir dans la Dignité (ADMD), réunissant des personnes de professions diverses venant
d’horizons philosophiques et politiques différents. Depuis 1982, cette association œuvre à
la reconnaissance du droit pour chacun de refuser l’acharnement thérapeutique, d’être
informé sur son état, et de faire respecter ses volontés. Ces objectifs sont aussi ceux des
associations similaires existant actuellement dans le monde et qui sont au nombre d’une
trentaine, dont la plupart en Europe occidentale et aux Etats-Unis.
Des médecins reconnaissent aujourd’hui avoir volontairement pratiqué soit l’abstention
thérapeutique, soit l’arrêt d’un traitement en cours, soit même le geste létal, dès
qu’apparaît évidente l’impossibilité de guérir le malade et que celui-ci demande que l’on
mette fin à une souffrance qu’il juge intolérable.
Le besoin de légiférer s’impose puisque, en l’absence de textes – l’euthanasie ne figure
pas comme telle dans le code pénal belge -, ces médecins s’exposent à des sanctions
pénales et civiles, l’homicide ne trouvant justification ni dans la pitié éprouvée par le
tiers, ni dans la demande exprimée par le malade. D’autre part, le patient incurable qui
souffre n’a pas le droit de disposer de son propre corps.
La proposition de loi déposée récemment par le député Edouard C. KLEIN dépénalise
l’euthanasie, dans certaines circonstances et à certaines conditions strictement requises.
Il nous fait bien insister sur le fait que cette proposition n’est ni contraignante, ni
idéologiquement orientée.
Pas contraignante, car elle laisse la liberté au patient du droit à l’information que le texte
lui garantit. Nier ce droit serait nier l’évidence d’un droit fondamental, celui de la liberté
individuelle. L’essentiel est le respect de la volonté du patient de se voir abréger, s’il en
émet le vœu, la souffrance. La déclaration de volonté, qui peut être effectuée et révoquée
à tout moment, est valable pour une durée de cinq ans. Sa mise en œuvre est subordonnée
à l’avis d’un collège de trois médecins. Pour les patients inconscients ou hors d’état de
manifester leur volonté, la famille, le représentant légal ou le médecin traitant peuvent –
toujours sous contrôle dudit collège – exiger qu’aucun moyen autre que ceux destinés à
calmer les souffrances ne soient utilisés pour prolonger artificiellement la vie.
Pas idéologiquement orientée, car elle ne prend position ni sur le sens de la vie, ni sur
celui de l’au-delà. Elle se limite à traiter des cas réels, des souffrances insupportables et à
dénoncer le préjugé selon lequel la mort doit être toujours précédée d’une longue et
cruelle agonie.
Nous savons que cette proposition ne fera pas l’unanimité dans le monde médical ; et
pourtant, s’il est vrai que provoquer la mort par une intervention volontaire est contraire à
la vocation même du médecin, ne doit-on pas, dans certaines circonstances, substituer au
respect absolu de la vie, le respect de la volonté de l’individu ? Ne doit-on pas sacrifier la
durée de la vie à la qualité qu’un malade veut lui conserver jusqu’à la fin ?
Le débat est ouvert…
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