Julien freund, l`intellectuel-frontière qui n`a pas de frontière

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Thierry Paquot
Université de Paris 12 Val-de-Marne
Institut d’Urbanisme de Paris
<[email protected]>
Julien Freund,
l’intellectuel-frontière
qui n’a pas de frontière
É
tudiant,
Julien
Freund
(1921-1993) désire ardemment
devenir un « théoricien », c’est ce
qu’il confie à Charles Blanchet1, « car
je pense que la philosophie, ajoutet-il, doit remplir ce rôle théorique
et n’a pas à faire autre chose ». Selon
lui, le travail du théoricien exige un
certain mode de vie qu’il trouvera
en quittant Strasbourg pour se retirer à Villé, bourgade alsacienne au
cœur d’une vallée vosgienne, et qui
lui procurera la relative solitude de
la campagne et la méditation que la
promenade en forêt autorise. Mais le
quotidien du théoricien, qu’il soit au
coeur de la grande ville ou bien isolé
dans son village, repose aussi sur une
incroyable discipline intellectuelle,
combinant la lecture, la réflexion,
l’écriture. Julien Freund est d’abord
un grand lecteur. À Charles Blanchet,
il énumère ses lectures romanesques
d’adolescent (Mauriac, Duhamel,
France, Barrès, Montherlant..), ses
premiers poètes favoris (Verlaine,
Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire…)
et ses découvertes d’étudiant (Ferdusi,
Omar Khayyam, Joyce, Dostoïevski,
Flaubert, Michaux, Blok…). Il clôt
cette liste avec une affirmation en
154
forme de secret à ne pas ébruiter : « La
littérature était mon royaume » (p. 79).
Si la littérature du monde entier a
une si grande importance dans ses
lectures, elle laisse néanmoins et progressivement la place d’honneur à la
philosophie et aux sciences humaines
et sociales (sociologie, économie politique, histoire, épistémologie…) au
fur et à mesure qu’il se met à rédiger
sa propre théorie, nourrie de la pensée
de ses maîtres et de sa confrontation
avec elle. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, de plusieurs dizaines
de préfaces et autres introductions, de
plusieurs centaines d’articles et l’on
associe son nom à des mots comme
« polémologie », « décadence », « pensée du politique » et à des auteurs,
qu’il a traduits ou fait connaître,
comme Max Weber, Vilfredo Pareto
ou encore Georg Simmel2. Il est hors
de question de synthétiser une œuvre
aussi riche en quelques pages, aussi
vais-je relater sa biographie et insister
sur certaines de ses idées-forces avant
de le suivre dans sa présentation critique de Georg Simmel.
Un itinéraire singulier
n
Qui est Julien Freund ? Il répond
lui-même à cette question, du moins
en partie, dans son « Ébauche d’une
autobiographie intellectuelle »3 et
aussi dans ses entretiens avec Charles
Blanchet, parfois en usant exactement
des mêmes formulations. Il naît en
1921, à Henridorff en Moselle, son
père est un ouvrier « socialiste » précise-t-il, et sa mère, une paysanne qui
s’occupera principalement de ses six
enfants, d’autant plus difficilement
qu’elle devient veuve un peu avant
la guerre. Très jeune, « J’ai eu la passion de la lecture » note-il comme
une chance. Avant d’expliquer que
c’est dans sa « mansarde de la cité
ouvrière » qu’il rêvait d’écrire. « Écrire ! C’est de cette époque que date
mon respect sacré et presque superstitieux de tout ce qui est écrit. C’était
mon luxe, ma libération, ma fortune ».
Mais avant d’atteindre cet idéal, le
chemin à parcourir est semé d’embûches. Pour aider sa famille il accepte
un poste d’instituteur à Hommarting
en Moselle, tout en étudiant la philosophie à l’Université de Strasbourg et
en participant aux travaux de la ferme
Thierry Paquot
que tient sa mère. L’armée allemande le
réquisitionne du 10 au 31 juillet 1940,
avant de l’arrêter le 11 novembre. Il
s’enfuit et rejoint son université rapatriée à Clermont-Ferrand. « Quelques
semaines plus tard, en janvier 1941,
écrit-il dans son « Ébauche d’une autobiographie », j’étais membre du mouvement de résistance ‘Libération’ que
venait de fonder J. Cavaillès, mon professeur à l’université de Strasbourg ».
Il n’oublie pas parmi ses « bons enseignants » de mentionner le directeur
de son diplôme d’études supérieures,
sur « Le rôle pratique des idées chez
Kant », Martial Guéroult. « En janvier
1942, indique-t-il, je faisais partie des
Groupes Francs de ‘Combat’, animés
par cet homme extraordinaire que fut
J. Renouvin. Ce fut par la suite une
série d’attentats, avec les moyens de
l’époque, dont l’issue a été en juin
1942 la prison de Clermont-Ferrand,
puis celle de Lyon où j’ai rencontré
Emmanuel Mounier comme co-accusé
dans le procès ‘Combat’. Et puis il y
eut le camp de Saint-Paul d’Eyjaux
et d’autres, la prison centrale d’Eysses, enfin la forteresse de Sisteron,
d’où je me suis évadé en juin 1944
pour rejoindre les maquis F.T.P. de
la Drôme, jusqu’au lendemain de la
libération » (p. 8). Ainsi est-il étudiant
le jour et activiste la nuit. Mais sa
jeunesse lui assure à la fois une bonne
santé et un désir ardent de contribuer à
la lutte contre l’ennemi. Par ailleurs, et
ce n’est pas rien, il est amoureux et cela
lui donne des ailes ! Il épousera MarieFrance Kuder en 1948 et ils auront
deux enfants. Elle est la fille du peintre
René Kuder (1882-1962), originaire de
Villé, formé à Munich et grand aquarelliste, que Julien Freund présente
comme « un maître du cœur ». « Ce
que j’ai appris, explique-t-il, de René
Kuder, c’est la fragilité de l’émotion, la
pudeur du sentiment, les délicatesses
de la sensibilité et les douces craintes.
C’est en vivant à ses côtés que j’ai réussi à vaincre mon aspect bourru d’ours
mal léché, en intériorisant ce qui me
portait à la brusquerie. J’ai compris
que cette discipline du sentiment était
l’une des conditions de l’estime de
soi, indispensable au bonheur. Celui
qui est mécontent de soi détestera les
autres » (p. 12). Sur Marie-France, il
Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière
avoue simplement que « sa part est
immense » (p. 12) et qu’il n’en dira pas
plus, par pudeur.
Il sort de la guerre – ce voyage au
bout de la nuit – avec de sérieux traumatismes, provoqués par la vie dans
le maquis, en particulier communiste,
qui vont le vacciner pour le restant
de ses jours de tout rapprochement
avec les staliniens. Dans ses diverses
confidences, il relate deux faits. Le premier est l’arrestation de trois soldats
italiens, qui allaient être passés par les
armes sans aucun procès, sans entendre un avocat plaider leur défense, ce
qu’il n’admit pas au point de paraître
suspect aux yeux de ses camarades de
combat. Un comble ! Le second est
tragique. Le chef a une amoureuse
– une jeune institutrice – qui met fin
à leur liaison. Il l’accuse d’intelligence
avec l’ennemi. Elle est arrêtée, violée
et fusillée ! Bien sûr, il ne généralise
pas ce type d’attitude accablante, mais
ne cesse d’y penser. En 1945 et 1946,
il est responsable du Mouvement de
Libération Nationale de la Moselle et
se sent de moins en moins partie prenante des agissements partisans des
uns et des autres. Aussi, en juin 1946,
abandonne-t-il tous ses mandats, et il
prépare l’agrégation qu’il obtient en
1949. Il est nommé professeur de philosophie à Metz durant quatre ans,
puis en première supérieure à Strasbourg. En 1950, il s’inscrit en thèse
avec Jean Hyppolite, thèse dont le titre
provisoire est Essence et signification
de la politique, et il découvre Aristote.
Il se passionne pour sa conception
de la dialectique, qu’il préfère à celle
de Hegel, pourtant si bien enseignée
par Jean Hyppolite. « Chez Aristote, se livre-t-il à Charles Blanchet,
la dialectique c’est un raisonnement
de vraisemblance parce qu’il y a des
contraires. L’être et le non-être ce sont
des contraires. Il n’est point de troisième terme qui va les coiffer. Il y a la
position et la négation. Cette théorie
des contraires est fondamentale pour
la métaphysique d’Aristote. Elle a joué
un grand rôle dans ma pensée. Avec
les antagonismes de Weber, le couple ami-ennemi de Carl Schmitt, elle
forme une sorte de constellation extraordinaire. J’avais entre 30 et 35 ans, ce
qui me faisait dire : ‘Je ne suis devenu
intelligent qu’à 35 ans’ » (p. 37).
C’est le petit ouvrage de Raymond
Aron sur La sociologie allemande
contemporaine (1936), qu’il lit en 1941,
qui lui ouvre l’œuvre de Max Weber, à
laquelle il va consacrer plusieurs analyses pénétrantes (un échantillon est
publié sous le titre d’Études sur Max
Weber, 1990) et dont il va traduire Le
savant et le politique (1959), Essais sur
la théorie de la science (1965) et un
chapitre d’Économie et Société (1971).
Quant à Carl Schmitt, c’est par hasard,
en empruntant à la bibliothèque universitaire en 1952, Der Begriff des Politischen (1932), qu’il s’enthousiasme
pour cet auteur totalement inconnu
de lui, au point de prêter le livre à
Paul Ricœur. Ce dernier4 le lui rend
quelques jours plus tard en se disant
très intéressé mais particulièrement
méfiant vis-à-vis d’un juriste du Troisième Reich. « Je tombais de haut,
avoue Julien Freund ; j’étais atterré. Je
ruminais en silence ma consternation,
car aucune phrase de l’ouvrage ne permettait de présumer que l’auteur pouvait être un nazi » (p. 29). En 1959, il
se décide à lui écrire, en marquant ses
désaccords. Carl Schmitt (1888-1985)
lui répond et il s’ensuit une correspondance amicale, malheureusement
inédite. Indéniablement, cette lecture
est cruciale pour le doctorant qui réoriente sa thèse et, ce faisant, doit changer de directeur.
En effet, Jean Hyppolite rejette catégoriquement le couple « ami-ennemi »
qui serait consubstantiel au politique.
Julien Freund raconte à Charles Blanchet son entrevue avec son directeur,
en présence de Georges Canguilhem.
Hyppolite lui dit : « Je suis socialiste et pacifiste. Je ne puis diriger en
Sorbonne une thèse dans laquelle on
déclare : ‘Il n’y a de politique que là où
il y a un ennemi’ » (p. 43). Raymond
Aron accepte de l’inscrire et, le jour
de la soutenance, en 1965, déclare : « Je
voudrais saluer Monsieur Freund qui
va soutenir cette thèse que je trouve
géniale (…) ». Longtemps, la référence
à Carl Schmitt sera considérée en France, non pas seulement douteuse, mais
coupable. Il est vrai que son dossier est
particulièrement lourd et que son antisémitisme semble indiscutable5. Pour155
tant Julien Freund est plus indulgent
envers Schmitt qu’envers Heidegger,
ce qui mériterait à mon avis une étude
spécifique. Pour Freund, à la suite de
Schmitt, il ne peut y avoir de politique
sans un ennemi réel ou virtuel, c’est
la condition pour qu’il y ait polémique, c’est-à-dire amorce du politique.
L’ennemi ne relève pas de la haine ou
de la concurrence, de la confrontation,
du challenge, mais de l’opposition, du
conflit au sens du polemos d’Héraclite.
L’ennemi n’est pas donné, il se présente à vous. L’essence du politique
repose, selon Julien Freund, sur trois
présupposés irréductibles, qu’il énumère à Charles Blanchet : « La relation
de commandement à obéissance. La
relation du privé au public. La relation
d’ami à ennemi. (…) Chaque présupposé est double c’est-à-dire qu’il forme
un couple antagoniste ». Ce jeu oppositionnel est présent dans la dialectique d’Aristote, dans le conflit selon
Simmel et dans la polémologie, terme
inventé en 1945 par Gaston Bouthoul
(1896-1980) que fréquente Julien
Freund, lequel, ne l’oublions pas, participe à l’Institut de Polémologie (créé
en 1970) et alimente régulièrement la
revue Études polémologiques.
Après la soutenance de sa thèse,
il obtient la chaire de sociologie de
l’Université de Strasbourg et, bien que
philosophe et « théoricien », il invite
ses étudiants à mener des enquêtes, à
lire les « classiques » de la sociologie,
à s’ouvrir à l’économie politique qui
intervient tant dans la constitution des
sociétés, etc. C’est un professeur actif :
il fonde le Centre de recherches et
d’études en sciences sociales en 1967,
lance la Revue des Sciences sociales de
la France de l’Est en 1972 (l’actuelle
Revue des sciences sociales) et dote son
université d’un Laboratoire de Sociologie Régionale en 1973 (qui après des
changements successifs de dénomination deviendra l’actuelle UMR du
CNRS “Cultures et sociétés en Europe”). Il consacre un enseignement au
situationnisme6 qui est bien implanté
à Strasbourg et il apprécie de jeunes
chercheurs peu académiques, comme
Michel Maffesoli, Jacques Beauchard,
ou encore André Béjin. Mai 68 et les
réactions craintives, suivistes et finalement conformistes de ses collègues,
face aux revendications affligeantes
d’une poignée de leaders étudiants,
l’obligent à prendre position. Il estime
que l’université doit être critique, par
nature précise-t-il, et doit produire
des connaissances en toute indépendance des idéologies, ce qui signifie
que les étudiants n’étudient et que les
enseignants n’enseignent pas n’importe quoi, ni n’importe comment,
d’où d’indispensables réformes dans
le fonctionnement de l’institution universitaire. Directeur de l’Unité d’Enseignement et de Recherche (UER) de
sciences sociales, il milite pour davantage de participation des enseignants
et des étudiants et fustige un discours
figé, caricatural, faussement ouvriériste. En 1979, désabusé, il prend sa
retraite de manière anticipée, à l’âge
de 58 ans. Il ne cesse pas pour autant
d’enseigner et voyage à Santiago du
Chili, Montréal, Bruges, Louvain-laNeuve, Paris…
C’est justement à Paris, lors d’un
séminaire organisé par Jean Leca et
Pierre-André Taguieff, à Sciences-Po
(en 1988 ou 1989, je ne sais plus) que je
rencontre Julien Freund, dont le physique m’évoque celui de Francis Blanche.
Avec Pierre-André, nous déjeunons
tous les trois dans une brasserie et
faisons connaissance. J’officie alors
comme directeur littéraire des éditions
La Découverte, je le questionne donc
sur ses travaux en cours, ses intentions
éditoriales. Il m’explique que la métaphysique est à réhabiliter et qu’il s’en
préoccupe en rédigeant une « philosophie philosophique ». Il entend, par
ce titre volontiers redondant, que la
philosophie ne doit pas se diluer dans
la science, le droit, l’art, etc., en faisant
bénéficier à son détriment ces disciplines d’une conceptualisation qu’elles ne
possèdent pas toujours : la philosophie
doit s’affirmer en tant que telle et par
conséquent renouer avec la métaphysique. Nous discutons des auteurs allemands, qu’il connaît si bien, comme
Weber, Sombart, Jünger, Heidegger et
Simmel, et aussi de Georges Sorel sur
lequel j’avais travaillé quelques années
auparavant. Nous parlons bien sûr de
l’Alsace, de ses parlers en perte de
vitesse, de ses vins, de sa choucroute,
de ses lacs et forêts et de bien d’autres
« productions » locales… Il faut dire
156 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies »
que ma mère (née Schwartz) en est originaire et que durant des années, lors
des vacances scolaires, je me rendais
en Alsace. Il me promet de m’envoyer
son tapuscrit et, plusieurs mois après
notre rencontre, je reçois une épaisse
liasse de feuillets dactylographiés. Je
dévore ce texte, et avec François Gèze
(qui dirige les éditions), nous décidons
de le publier.
Une chemise portant l’étiquette
« Julien Freund » est posée en évidence
sur mon bureau lorsque je reçois, pour
un projet de collection, l’historienne
Madeleine Rebérioux. Celle-ci voyant
ce nom s’emporte : « Quoi vous publiez
un fasciste ! Je m’en vais ». François est
gêné et me demande ce qu’il en est. Je
lui explique que Julien Freund a été
publié par la Nouvelle droite7, mais
qu’il a un passé irréprochable de résistant et que sa liberté de pensée est une
garantie contre tout dogmatisme. Par
précaution, nous faisons lire ce texte
par un auteur respecté de la maison,
Pierre Vidal-Naquet. Son jugement
est favorable, malgré le peu de sympathie qu’il a pour l’auteur. Depuis cet
épisode, Pierre Vidal-Naquet me surnomme affectueusement « l’affreux ».
Je vais à Villé (dans sa maison sans
colombages, mais de facture moderne,
inspirée certainement du Bauhaus !) lui
porter les premiers exemplaires imprimés. Il me dédicace l’un d’eux : « À
Thierry Paquot, en hommage cordial
et surtout dans l’esprit qui a présidé la
longue conversation, pleine d’interrogations et d’humour, ce jour du 21 mai
1990, à Villé. » Il a retenu une chambre
à l’hôtel du village pour ma femme
et moi, et nous avons dîné chez lui,
bien bu et beaucoup parlé. Son épouse
nous a montré des tableaux de son
père et Julien Freund a sorti plusieurs
volumes de son journal manuscrit qui
demeure, à ma connaissance, toujours
inédit. C’est dommage, car il représente une mine d’informations pour
les historiens, à la fois sur le quotidien
d’un philosophe et sur l’état politique
du monde durant plusieurs décennies,
sans parler du contenu philosophique
de cet ensemble unique.
Comment faire la synthèse du message d’un théoricien œuvrant sur plusieurs fronts simultanément ? Je dirais
que le concept d’« essence » est décisif,
Thierry Paquot
Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière
non seulement parce qu’il figure dans
plusieurs titres (L’essence du politique,
1965 ; L’essence de l’économique, 1993),
mais parce qu’il m’apparaît central
dans ses travaux. « Le sens premier que
je donne à la notion d’essence, écrit-il
dans son « Ébauche d’autobiographie »,
consiste dans l’effort pour découvrir
les constantes qui caractérisent les
diverses activités humaines. L’essence est indissociable de l’expérience »
(p. 17). Peu après il explicite sa position : « L’expérience n’est cependant
pas connaissance par elle-même. Elle
est le terrain où le jugement trouve sa
matière et s’éduque, quand il cherche
à se juger lui-même, à devenir critique
et lucide. La connaissance appréhende
l’expérience de diverses manières, par
l’observation, l’intuition, la comparaison, etc. » (p. 23). Aussi considère-t-il
que « La théorie des essences que j’ai
élaborée, en mettant l’accent sur les
données irréductibles l’une à l’autre,
est une sorte de réhabilitation de la
théorie de la distinction des genres,
grâce à la reconnaissance de l’autonomie spécifique du politique, de l’art,
de la religion, etc. » (p. 37). S’adressant
à Charles Blanchet, il conclut son itinéraire par cette confidence aphoristique qui lui va très bien : « Je trouve
tout simplement malheureux qu’un
homme puisse mourir sans avoir
jamais ri de bon cœur » (p. 224). Je
peux témoigner de son rire joyeux,
explosif, libératoire et jubilatoire. Un
rire respirant de bonheur.
En cheminant
avec Simmel
n
Constatant que l’être humain est
« l’être des contraires » (p. 208), ce
qu’aucune science ne peut expliquer,
ni la psychologie, ni la psychanalyse,
Julien Freund en appelle à la métaphysique. « Dans mon esprit, expose-t-il
à Charles Blanchet, la métaphysique
couvre tout ce champ du compréhensible et de l’incompréhensible, sachant
que les contacts entre les êtres ne se
réduisent pas à ceux de la connaissance et encore moins à ceux de la
science. C’est mutiler l’être que de ne
le considérer que sous l’angle de la
connaissance, car il est des manifes-
tations comme la décision, l’humeur,
les désirs, les aversions et toutes les
diverses insatisfactions qui échappent
au rationalisme de la connaissance
scientifique. Aucun enchaînement
causal ne peut maîtriser cette variété, car pour être réellement valable
il devrait pouvoir remonter le temps
dans son ensemble, et tenir compte
en plus du pluralisme causal qu’on ne
saurait négliger » (p.209). Je ne peux
lire et relire cette citation sans penser
immédiatement à ce passage du texte,
« Pont et porte » (1909) de Georg Simmel8 : « Parce que l’homme est l’être
de liaison qui doit toujours séparer, et
qui ne peut relier sans avoir séparé – il
nous faut d’abord concevoir en esprit
comme une séparation l’existence
indifférente de deux rives, pour les
relier par un pont. Et l’homme est tout
autant l’être-frontière qui n’a pas de
frontière. La clôture de sa vie domestique par le moyen de la porte signifie
bien qu’il détache ainsi un morceau de
l’unité ininterrompue de l’être naturel. Mais de même que la limitation
informe prend figure, de même notre
état limité trouve-t-il sens et dignité
avec ce que matérialise la mobilité de
la porte : c’est-à-dire avec la possibilité
de briser cette limitation à tout instant
pour gagner sa liberté ». Le caractère
paradoxal, pluriel, de l’humain correspond à cette activité constante qu’il
pratique, à savoir lier pour délier et
délier pour relier.
On repère, rien qu’en parcourant
les index de ses ouvrages ou en lisant
attentivement Les théories des sciences
humaines (1973), que Julien Freund
est un fin connaisseur de la pensée allemande, un excellent germaniste et un
talentueux traducteur, suggérant souvent d’originales traductions pour des
expressions délicates9. En effet dans ce
court volume, il commente les auteurs
« obligés », du moins pour un philosophe de formation, comme Kant, Fichte,
Hegel, Schelling, Schopenhauer, Marx
ou Nietzsche, mais aussi des penseurs
« secondaires » (ou pour employer une
formule moins péjorative, des théoriciens associés à une spécialité bien circonscrite), comme Schleiermarcher,
Boeckh, Droysen, Schmoller, Wundt,
Dilthey, Menger, Windelband, Rickert
ou encore Bollnow. Parmi eux, il y a un
auteur qu’il affectionne, en lui donnant
un autre statut qu’à Max Weber, c’est
Georg Simmel. À la fois sa méthode,
moins rigoureuse que celle de Weber,
son indéniable fantaisie, la variété de
ses sujets et intérêts, sa « carrière »
tardive, lui plaisent et l’irritent. Avec
Weber, on a du solide, et avec Simmel,
on a du sensible. Julien Freund n’est
pas indifférent à cette dimension-là.
Preuves en sont, certains de ses articles
sur des thèmes inattendus10 et surtout
ses interventions en faveur d’une plus
large diffusion des travaux de Simmel11. Faut-il ajouter que Simmel à
enseigné à l’Université de Strasbourg
de 1914 à sa mort en 1918, à l’âge de
soixante ans ? Ou qu’il est considéré
comme un néo-kantien qui n’hésite
pas à prendre des libertés par rapport
à son maître à penser, ce qui ne peut
que satisfaire Julien Freund, qui ne
manque jamais l’occasion de brocarder le solitaire de Königsberg. Quels
que soient les motifs qui assurent à
Simmel une telle sympathie de la part
de Freund, l’essentiel pour nous tient à
la proximité de leurs pensées respectives et au fait qu’elles nous éclairent sur
bien des points obscurs du comportement des humains.
Et si Simmel était un dilettante ?
Freund ne le récuserait pas pour
autant. « Somme toute Simmel était
un esprit curieux de tout, admet-il
dans son Introduction à Sociologie
et épistémologie, ainsi qu’on peut le
constater en lisant ses études sur l’acteur de théâtre, les ruines, les expositions d’art, la caricature, l’aventure,
le problème des sexes, la noblesse, la
personnalité de Dieu, la discrétion,
la honte et j’en passe » (p. 13). Est-il
malgré tout sérieux ? « Le fond de sa
pensée, Simmel l’a, je crois, le mieux
résumé dans la première phrase de
Brücke und Tür : ‘L’image des choses
extérieures se présente à nous en un
double sens : c’est que la nature peut
nous apparaître comme si tout était
lié ou comme si tout était séparé’ (…) »
(p.14). Au-delà de ses intuitions, plus
ou moins fulgurantes, ses innombrables écrits (on parle de plus de 200
articles…) plaident pour une travail
ayant une unité de fond et une variété
de formes et confirment qu’il y a bien
une œuvre et qu’elle compte. Trois
157
« concepts » simmeliens s’imposent,
selon Julien Freund : l’unité, la forme
et le conflit. Sans omettre, bien évidemment, sa définition de la société
– objet fondateur de la sociologie : « Il
y a société, au sens large du mot, partout où il y a action réciproque des
individus »12. Ainsi, l’individu primet-il sur « la » société. Celle-ci n’existe
pas indépendamment des interactions
entre individus. Ce sont elles qui permettent à « la » société d’exister. Cette
sociologie est par conséquent relationnelle. Son but est d’observer, de
décrire et d’analyser les multiples –
et parfois contradictoires – échanges
entre deux, trois ou plusieurs individus. D’où une telle attention pour la
politesse, la conversation, la séduction, la parure, le club, etc., c’est-à-dire
pour toutes les formes de socialisation.
Ce qui fait dire à Simmel que chaque individu appartient à plusieurs
sociétés en même temps, mais différemment. Conception d’une « écologie humaine » que l’École de Chicago
reprendra et développera avec le brio
qu’on sait13, et par la suite Erving Gof-
fman, sur un registre autre. L’individu
n’existe pas sans établir des liens avec
d’autres individus ou les interrompre.
Cette relativité du social et de l’individuel est fondamentale. « La » société
– jamais totalement figée – résulte des
individus qui du coup la subissent.
En ce sens, « la » société correspond
aux multiples actions et inactions des
individus qui la composent. Ce qui
intéresse le sociologue ce ne sont pas
ces deux « réalités » si difficiles à saisir, « la société » et « les individus »,
mais ce qui se passe entre (zwischen)
et qui génère la dynamique fonctionnelle (dynamisches Ineinanderweben,
expression que Julien Freund traduit
par « entrelacement dynamique entre
l’individu et la société », p.322 de son
cours de Louvain). C’est ici que pointe
la notion « d’action réciproque » : avec
ce « entre ». L’interaction provoque des
adaptations, des résistances, des imitations, des influences, peu importe, chez
chaque individu concerné par elle, ce
qui modifie la société qu’ils constituent, contrecarrant ainsi un déterminisme strict et ouvrant l’éventail des
Julien Freund
158 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies »
situations possibles. Citons à nouveau
Georg Simmel : « La société signifie
toujours dans sa vie, en tant que celleci est en perpétuelle réalisation, que les
individus sont mis en relations par des
influences et des déterminations qu’ils
exercent réciproquement. Elle est
donc en vérité quelque chose de fonctionnel, quelque chose que les individus font et subissent, de sorte que, au
regard de ce caractère fondamental, on
ne devrait par parler de société, mais
de socialisation. La société n’est alors
qu’un mot qui sert à désigner un cercle
d’individus qui sont liés entre eux par
cette sorte d’actions réciproques productrices d’effet et qu’on se représente
pour cette raison comme une unité »
(« Brücke und Tür », traduction de
J. F., cours de Louvain, p. 325).
Ainsi « la » société n’apparaît jamais
à l’individu, celui-ci ne perçoit que des
représentations, des formes sociales.
Cela n’échappe pas à l’œil vigilant de
Julien Freund qui, dans son Introduction à Sociologie et épistémologie,
écrit : « Toute la théorie de la forme,
si importante pour la sociologie de
Simmel, prend ainsi tout son sens dans
cette opposition de la porte et du pont,
de l’association et de la dissociation.
Cette dialectique n’a pas seulement
une signification épistémologique,
mais également ontologique, parce que
l’être est à la fois unité et séparation ; il
se conçoit, en tant qu’être connaissant,
comme un et séparé » (p. 16). Il y a en
allemand une distinction entre formal
et formel qui n’existe pas dans la langue française et dont il convient de
prendre la mesure. Le premier terme
renvoie à ce qui concerne la forme et le
second à ce qui respecte les formes. Ce
que Freund explicite dans son cours de
Louvain : « Les individus agissent pour
toutes sortes de raisons, de motifs :
par amour, par intérêt, par croyances
religieuses ou politiques, par égoïsme,
par altruisme. Ce sont les contenus, la
matière de leurs actions. Toutefois, ces
motivations ne constituent pas encore
par elles-mêmes des actions réciproques, elles ne le deviennent que par
un contact avec l’autre ou une visée de
l’autre. Si la relation avec l’autre intervient, il se produit une socialisation qui
adopte une certaine forme, celle d’une
association charitable, d’un syndicat,
Thierry Paquot
d’une église ou d’un parti politique.
La pauvreté n’a pas de signification
sociologique par elle-même, tant qu’elle reste l’aspiration personnelle d’un
individu, mais elle en acquiert une dès
qu’elle devient la règle de conduite
d’un groupe ou le souci d’un autre
en vue de la combattre » (p. 335). La
sociologie vise à comprendre les formes des associations, des relations, et
non leurs motivations qui sont étudiées par d’autres disciplines, la psychologie, l’économie, la théologie…
En ce sens, la sociologie est “formale”
et non pas formelle, elle se préoccupe
des formes sociales engendrées par
l’action réciproque et non pas de leurs
motivations. Elle saisit le mouvement
incessant des formes sociales (comme
par exemple, la famille, l’église, l’armée, le parti politique, le syndicat…)
qui vivent, à un moment donné leur
propre vie, sans plus aucun lien avec ce
qui leur a donné vie. C’est avouer l’impossibilité de rationaliser ces formes
changeantes, qui par ailleurs tendent à
s’autonomiser.
Je précise que Lilyane DerocheGurcel, traductrice et spécialiste de
Simmel, retrace la chronologie des
concepts qu’invente Simmel, dont
celui de forme. Je me contente ici
de suivre le cheminement de Julien
Freund, qui est persuadé, du reste,
que la pensée de Simmel est pensante,
c’est-à-dire avance petit à petit, au
gré des formulations successives que
suggère le philosophe allemand. Dans
son cours dispensé à Louvain, Julien
Freund propose de distinguer quatre types de formes sociales : « Tout
d’abord les formes institutionnalisées,
douées de permanence. Il s’agit des
organisations politiques, religieuses,
économiques et autres (…). On peut
les appeler institutions. En second lieu
il y a les formes qui sont comme les
schèmes préétablis selon lesquels les
organisations se constituent, tels la
hiérarchie, la concurrence, le conflit,
l’aventure, l’association, la division
du travail, l’échange, l’exclusion,
l’héritage, l’imitation, etc. On peut
les appeler les formes formantes, qui
contribuent à ce que Simmel appelle
Formung. Le troisième type constitue le cadre général des activités dans
lequel les socialisations ont lieu : la
Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière
politique, l’économie, la droit, l’éducation, la religion. On peut les appeler
les conformations. Enfin, il y a l’immense sphère des formes éphémères
que constituent les rites du quotidien,
les mœurs : la conversation, le repas
en commun, la promenade en commun, le tact et la politesse. Il s’agit des
formes de sociabilité évoquées plus
haut ». Georg Simmel est persuadé que
« Notre vie doit ou bien produire des
formes ou bien se mouvoir en elles »
(cité dans l’Introduction, p.38). Il est
par conséquent impossible d’échapper aux formes, elles figurent le cadre
même de l’existence de chaque individu. Hors formes point de salut ! Même
la mort – cette déformation – reste une
forme, puisqu’à un moment donné,
la forme rompt avec ce par qui – et
pour quoi – elle a été façonnée, et ainsi
que l’écrit avec joliesse Julien Freund,
« elles s’objectivent dans leur stupeur »
(p. 41).
Parmi ces quatre ensembles de
formes sociales, Julien Freund en
signale une – le conflit – dont il considère l’examen par Simmel comme
remarquable. Pourquoi ? Parce qu’« il
considère le conflit comme une force
fondamentale et positive de toute
socialisation » (p.67). Dans cet épais
volume, que plusieurs lectures, crayon
à la main, n’épuisent pas, Sociologie.
Études sur les formes des la socialisation14, le chapitre 4 examine « Le
conflit ». Et l’auteur d’insister sur « la
signification sociologique du conflit »,
avant d’affirmer que « c’est une erreur
de penser que l’une [de ces actions
réciproques] ruinerait ce que l’autre
construit, et que ce qui demeure à la
fin est le résultat de sa soustraction
(alors qu’en réalité il serait plus juste
de parler d’addition) ; et la source de
ce malentendu, c’est sans doute le double sens du concept d’unité » (p.267).
L’opposition, la discorde, le combat
ne sont pas perçus comme des formes de désocialisation, qu’il faudrait
supprimer afin de ne pas gaspiller les
forces socialisantes qu’elles contiennent, mais comme des manifestations
de cette socialisation-en-devenir : le
conflit dans certains cas facilite l’unité
et incite à la coopération. Il serait illusoire de croire que la paix signifie la fin
des hostilités, la disparition des possi-
bilités de conflits. La négativité propre
au conflit se transforme en positivité
en se libérant de son image dissolvante. La lutte participe à la socialisation tout autant que le consensus.
Dans une opposition, les deux parties
s’accordent finalement sur l’objet du
litige, et en ce sens, les deux contiennent leur part de positivité. Pour le
polémologue Julien Freund, une telle
approche du conflit, qui ne le stigmatise pas définitivement mais lui reconnaît une dimension constructive, revêt
un caractère exceptionnel. La société,
tout comme l’individu, n’est pas lisse,
homogène. Elle comprend des aspérités, du relief en quelque sorte, et le
conflit, tout comme le secret ou la
manipulation, en sont des expressions
entières et non pas honteuses ou dysfonctionnantes.
Alors, Simmel et Freund, des
passeurs de frontières ? Des contrebandiers qui exportent des concepts
étrangers d’une discipline à une autre ?
Certainement, mais ce qui nous les
rend aussi précieux au moment où
les théories générales, universelles,
totalisantes peinent à expliquer ce qui
« travaille » à la fois les individus et les
sociétés, est précisément ce principe
d’unité qu’ils ne cessent de manier.
Si l’être humain est l’être-frontière
qui n’a pas de frontière, formule à la
fois forte et difficile à appréhender,
alors nous pouvons mieux saisir la
paradoxalité affirmée, constitutive, de
l’individu contemporain, né de l’urbanisation planétaire, du déploiement
des technologies de l’information et
de la communication, de la marchandisation généralisée de tous les biens
et services matériels et immatériels15.
Ces paradoxes ordinairement pratiqués n’appartiennent pas à l’exception, mais à la règle, que la sociologie
doit prendre en considération, quitte
à repenser ses outils. Tout « fait social
total », nous disent Simmel et Freund,
ne possède pas nécessairement une
explication rationnelle. Ils ajoutent,
non sans malice, que cela n’empêche
pas de les interpréter. Le premier avec
son concept d’« action réciproque », le
second avec celui d’« essence ». Il est
vrai que nos deux auteurs viennent de
la philosophie et qu’ils s’essayent avec
beaucoup de sérieux – et de compéten159
ce – à la démarche sociologique, ce qui
modifie celle-ci en la « philosophant ».
En effet, ils relient la sociologie à la
philosophie et du coup se délient de
la philosophie, mais pour mieux, par
la suite, renouer avec elle. Ils accomplissent méthodologiquement ce que
les événements et situations ne cessent
d’effectuer pour simplement exister.
Par le jeu des formes qui se déforment et se reforment, la diversité des
sociétés qui se constituent et se modifient, le rôle des situations équivoques, ambiguës, contradictoires que
chacun fabrique – et parfois recherche –, Simmel et Freund nous offrent
le moyen d’explorer les mécanismes
des relations interpersonnelles, c’està-dire « sociales », en acceptant de ne
jamais vraiment en connaître le pourquoi. Un « pourquoi » subordonné au
« comment » et au « pour qui », mais
aussi et surtout au « en quoi ». Et c’est
ce « en quoi » qui finalement compte
le plus, c’est celui qui échappe à la
sociologie sociologique et qui trouve
en cette sociologie philosophique son
questionnement16.
Bibliographie
L’Essence du politique, Sirey, 1965, rééd. Dalloz,
Postface de P-A Taguieff, 2004.
Sociologie de Max Weber, coll. « Le sociologue »,
PUF, 1968.
Max Weber, coll. « Philosophes », PUF, 1969.
Le Nouvel Âge. Éléments pour la théorie de la
démocratie et de la paix, Marcel Rivière, 1970.
Le droit aujourd’hui, coll. « Dossiers Logos », PUF,
1972.
Les Théories des sciences humaines, coll. « Le Philosophe », PUF, 1973.
Pareto. La théorie de l’équilibre, coll. « Philosophie », PUF, 1974.
Utopie et violence, Marcel Rivière, 1978.
La fin de la renaissance, PUF, 1980.
Sociologie et conflit, PUF, 1983.
Philosophie et sociologie, Cabay/Louvain-la-neuve,
1984, rééd. augmentée, Bruxelles, Académia,
1987.
La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine,
Sirey, 1984.
Politique et impolitique, Sirey, 1987.
Philosophie philosophique, La Découverte, 1990.
Études sur Max Weber, Genève, Droz, 1990.
Essais de sociologie économique et politique, Bruxelles, Eclectica, 1990.
D’Auguste Comte à Max Weber, Economica,
1992.
L’Essence de l’économique, Presses Universitaires
de Strasbourg, 1993.
Notes
1. Cf. L’Aventure du politique, par Julien
Freund, entretiens avec Charles Blanchet,
Critérion, 1991, p. 15. Par la suite, la page
de la citation figure entre parenthèses à la
suite de celle-ci.
2. Cf. « La bibliographie de Julien Freund »,
par Piet Tommisen, Revue européenne des
sciences sociales. Cahiers Vilfredo Pareto,
tome XIX, n°54-55, Genève, Librairie
Droz, 1981, pp. 50-70. L’auteur précise
qu’une bibliographie approchant l’exhaustivité tiendrait en 300 pages imprimées,
tant Julien Freund est prolixe et prolifique.
Datant de 1981 cette bibliographie mérite
d’être largement actualisée jusqu’en 1993,
d’autant que Julien Freund profite de sa
retraite pour multiplier les interventions
dans des colloques et répondre favorablement aux propositions éditoriales. On
consultera avec intérêt la thèse d’Olivier
Arnaud, La signification du libéralisme à
partir de la philosophie politique de Julien
Freund, dirigée par Pierre Manent et soutenue en décembre 2001 à l’EHESS.
3. Cf. « Ébauche d’une autobiographie
intellectuelle », par Julien Freund, Revue
européenne des sciences sociales. Cahiers
Vilfredo Pareto, tome XIX, n°54-55, Genè-
160 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies »
ve, Librairie Droz, 1981, pp.7-47. Par la
suite, la page de la citation figure entre
parenthèses à la suite de celle-ci.
4. Paul Ricœur (1913-2005) est nommé à
l’Université de Strasbourg en 1948, comme
Georges Gusdorf, il y reste jusqu’en 1956,
date à laquelle il rejoint la Sorbonne.
5. Sur Carl Schmitt et Julien Freund, on
lira l’excellente postface de Pierre-André
Taguieff à la dernière édition de L’Essence
du politique, Dalloz, 2004, initialement
édité par Sirey en 1965 ainsi que Les Derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à
l’avènement du nazisme, d’Olivier Beaud,
Descartes & Cie, 1997, « État de droit
et démocratie. À propos de la Verfassungslehre de Carl Schmitt », Cahiers de
philosophie politique et juridique de l’Université de Caen, n°24, 1993, pp. 95-108
et Julien Freund. Penseur « machiavélien » de la politique, de Sébastien De La
Touanne, L’Harmattan, 2004, en particulier pp.67-81.
6. C’est à Strasbourg qu’est publié, en 1966,
le fameux tract situationniste, De la misère en milieu étudiant considérée sous ses
aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel
et de quelques moyens pour y remédier.
C’est aussi à Strasbourg, à cette époque,
qu’enseigne Henri Lefebvre (1901-1991) :
bien qu’attaqué par l’Internationale Situationniste, il fait figure de « compagnon de
route ».
7. Sur les relations entre Julien Freund et
la Nouvelle droite, voir la postface déjà
signalée de Pierre-André Taguieff et son
livre, Sur la Nouvelle droite, Descartes &
Cie, 1994.
8. Cf. « Pont et porte », La Tragédie de la
culture, traduit de l’allemand par Sabine
Cornille et Philippe Ivernel, précédé d’un
essai de Vladimir Jankélévitch, Rivages, 1988, p.168. La traduction de Julien
Freund est quelque peu différente dans
son Introduction à Sociologie et épistyémologie, PUF, 1981, p. 14, 15 et 16.
9. Si l’on en croit Guy G. Ankerl, qui fournit plusieurs exemples, Sociologues allemands, Neuchâtel, La Baconnière, 1972.
10.En guise d’exemples : « Psycho-sociologie
de la rencontre », Revue d’Allemagne, n°2,
1973 ; « La notion de marginalité », Églises
et groupes religieux dans la société française, Strasbourg, Cerdic, 1977 ; « La détresse
du politique », Res publica, Bruxelles, n°3,
1972 ; « Prophétisme », Encyclopaedia universalis, 1972 ; « Éloge de la choucroute »,
Saisons d’Alsace, n°20, 1966 ou encore
« Sociologie de l’oie », Le Nouvel Alsacien,
du 11/12/1981.
11.Julien Freund à rédigé une copieuse
« Introduction » (pp.7-78) à Sociologie
et épistémologie, de Georg Simmel, traduit de l’allemand par L. Gasparini, PUF,
Thierry Paquot
1981 ; une plus courte « Préface » pour
Le conflit, de Georg Simmel, traduit de
l’allemand par Sibylle Muller, Strasbourg,
éditions Circé, 1992 et deux préfaces à
deux ouvrages sur le philosophe-sociologue allemand, celui dirigé par Patrick
Watier, Georg Simmel. La sociologie et
l’expérience du monde moderne, Klincksieck, 1986, et celui de François Léger, La
pensée de Georg Simmel, éditions Kimé,
1989. Par ailleurs, il a écrit de nombreux
articles dans lesquels Simmel est présent,
j’en mentionne certains par la suite.
12.Cf. « Le problème de la sociologie » (1890),
par Georg Simmel, repris dans Sociologie
et épistémologie, PUF, 1981, n.2, p. 166.
13.Robert Park (1864-1944), le fondateur de
l’écologie humaine et le principal animateur de l’École de Chicago, en sociologie
urbaine, a étudié en Allemagne, où il a
soutenu sa thèse de philosophie (Masse
und Publikum. Eine methodologische und
soziologische Untersuschung, Heidelberg,
1904) et fréquenté les cours de Simmel
à Berlin. Il a contribué, avec d’autres, à
le faire traduire en anglais. Notons que
Simmel appartient au comité directeur de
l’American Journal of Sociology qui publie
plusieurs de ses articles. C’est le Belge Jean
Rémy, économiste de la ville et sociologue urbain, qui se rend à Chicago au
milieu des années soixante, et y découvre
Simmel, qu’il mentionne dans ses publications. Isaac Joseph et Yves Grafmeyer
traduisent en français The City (1925),
ouvrage collectif de Park, Burgess et
McKenzie, qu’ils accompagnent d’articles
de Simmel. Wirth et Halbwachs relancent
cette école, que Paul-Henry Chombart
de Lauwe, Placide Rambaud et Raymond
Ledrut, par exemple, citaient. Isaac Joseph, dans plusieurs textes (dont certains
sont regroupés dans le recueil, L’athlète
moral et l’enquêteur modeste, Economica,
2007), précise que c’est par Jean Rémy
qu’il s’est mis à lire Simmel. Jean Rémy a
invité Julien Freund à Louvain-la-neuve
à plusieurs reprises, en 1981, 1982 1984,
pour des leçons. Les dernières portent
sur Simmel. L’ensemble de ces leçons est
publié sous le titre Philosophie et sociologie
par Julien Freund, collection « Perspectives sur l’Homme » n°6, Cabay/Louvainla-neuve, 1984. L’exposé sur Simmel
concerne les pages 313 à 353 Une géohistoire du destin de certaines œuvres serait à
entreprendre… En attendant, lire : La tradition sociologique de Chicago, 1892-1961,
par Jean-Michel Chapoulie, Seuil, 2001 ;
L’École de Chicago. Naissance de l’écologie
urbaine, textes traduits et présentés par
Yves Grafmeyer et Isaac Joseph, Champ
Urbain, 1979, Flammarion, 2004, avec
deux articles de G. Simmel, « Digressions
Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière
sur l’étranger » (1908) et « Métropoles et
mentalité » (1903) et Georg Simmel : Ville
et modernité, sous la direction de Jean
Rémy, L’Harmattan, 1995.
14.Cf. Sociologie. Études sur les formes de
la socialisation (1908), par Georg Simmel, traduit de l’allemand par Lilyane
Deroche-Gurcel et Sibylle Muller, PUF,
1999, le chapitre 4 se trouve pp. 265-346.
Il a été préalablement publié de manière
autonome, Le Conflit, par Georg Simmel,
opus cité, éditions Circé, 1995. On lira
également : Sociologie (1908). Éléments
actuels de modélisation sociale, sous la
direction de Lilyane Deroche-Gurcel et
Patrick Watier, PUF, 2002, en particulier
l’éclairante Introduction de l’éditrice qui
établit l’histoire des notions de « forme »
et d’« action réciproque » dans l’œuvre
de Simmel et l’article de Bernard Valade,
« Types de conflits et formes de consensus », pp.267-281 et Simmel et la modernité, par Lilyane Deroche-Gurcel, PUF,
1997.
15.Je me permets de renvoyer le lecteur à mes
dernières publications sur ces thèmes :
Terre urbaine. Cinq défis pour le devenir
urbain de la planète, La Découverte, 2006
et Éloge du luxe. De l’utilité de l’inutile,
Bourin, 2006.
16.Cet article, remis à l’été 2007, n’a pu
bénéficier de l’ouvrage de Pierre-André
Taguieff, Julien Freund. Au cœur du politique, La Table Ronde, 2008.
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