Thierry Paquot Université de Paris 12 Val-de-Marne Institut d’Urbanisme de Paris <[email protected]> Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière É tudiant, Julien Freund (1921-1993) désire ardemment devenir un « théoricien », c’est ce qu’il confie à Charles Blanchet1, « car je pense que la philosophie, ajoutet-il, doit remplir ce rôle théorique et n’a pas à faire autre chose ». Selon lui, le travail du théoricien exige un certain mode de vie qu’il trouvera en quittant Strasbourg pour se retirer à Villé, bourgade alsacienne au cœur d’une vallée vosgienne, et qui lui procurera la relative solitude de la campagne et la méditation que la promenade en forêt autorise. Mais le quotidien du théoricien, qu’il soit au coeur de la grande ville ou bien isolé dans son village, repose aussi sur une incroyable discipline intellectuelle, combinant la lecture, la réflexion, l’écriture. Julien Freund est d’abord un grand lecteur. À Charles Blanchet, il énumère ses lectures romanesques d’adolescent (Mauriac, Duhamel, France, Barrès, Montherlant..), ses premiers poètes favoris (Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire…) et ses découvertes d’étudiant (Ferdusi, Omar Khayyam, Joyce, Dostoïevski, Flaubert, Michaux, Blok…). Il clôt cette liste avec une affirmation en 154 forme de secret à ne pas ébruiter : « La littérature était mon royaume » (p. 79). Si la littérature du monde entier a une si grande importance dans ses lectures, elle laisse néanmoins et progressivement la place d’honneur à la philosophie et aux sciences humaines et sociales (sociologie, économie politique, histoire, épistémologie…) au fur et à mesure qu’il se met à rédiger sa propre théorie, nourrie de la pensée de ses maîtres et de sa confrontation avec elle. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, de plusieurs dizaines de préfaces et autres introductions, de plusieurs centaines d’articles et l’on associe son nom à des mots comme « polémologie », « décadence », « pensée du politique » et à des auteurs, qu’il a traduits ou fait connaître, comme Max Weber, Vilfredo Pareto ou encore Georg Simmel2. Il est hors de question de synthétiser une œuvre aussi riche en quelques pages, aussi vais-je relater sa biographie et insister sur certaines de ses idées-forces avant de le suivre dans sa présentation critique de Georg Simmel. Un itinéraire singulier n Qui est Julien Freund ? Il répond lui-même à cette question, du moins en partie, dans son « Ébauche d’une autobiographie intellectuelle »3 et aussi dans ses entretiens avec Charles Blanchet, parfois en usant exactement des mêmes formulations. Il naît en 1921, à Henridorff en Moselle, son père est un ouvrier « socialiste » précise-t-il, et sa mère, une paysanne qui s’occupera principalement de ses six enfants, d’autant plus difficilement qu’elle devient veuve un peu avant la guerre. Très jeune, « J’ai eu la passion de la lecture » note-il comme une chance. Avant d’expliquer que c’est dans sa « mansarde de la cité ouvrière » qu’il rêvait d’écrire. « Écrire ! C’est de cette époque que date mon respect sacré et presque superstitieux de tout ce qui est écrit. C’était mon luxe, ma libération, ma fortune ». Mais avant d’atteindre cet idéal, le chemin à parcourir est semé d’embûches. Pour aider sa famille il accepte un poste d’instituteur à Hommarting en Moselle, tout en étudiant la philosophie à l’Université de Strasbourg et en participant aux travaux de la ferme Thierry Paquot que tient sa mère. L’armée allemande le réquisitionne du 10 au 31 juillet 1940, avant de l’arrêter le 11 novembre. Il s’enfuit et rejoint son université rapatriée à Clermont-Ferrand. « Quelques semaines plus tard, en janvier 1941, écrit-il dans son « Ébauche d’une autobiographie », j’étais membre du mouvement de résistance ‘Libération’ que venait de fonder J. Cavaillès, mon professeur à l’université de Strasbourg ». Il n’oublie pas parmi ses « bons enseignants » de mentionner le directeur de son diplôme d’études supérieures, sur « Le rôle pratique des idées chez Kant », Martial Guéroult. « En janvier 1942, indique-t-il, je faisais partie des Groupes Francs de ‘Combat’, animés par cet homme extraordinaire que fut J. Renouvin. Ce fut par la suite une série d’attentats, avec les moyens de l’époque, dont l’issue a été en juin 1942 la prison de Clermont-Ferrand, puis celle de Lyon où j’ai rencontré Emmanuel Mounier comme co-accusé dans le procès ‘Combat’. Et puis il y eut le camp de Saint-Paul d’Eyjaux et d’autres, la prison centrale d’Eysses, enfin la forteresse de Sisteron, d’où je me suis évadé en juin 1944 pour rejoindre les maquis F.T.P. de la Drôme, jusqu’au lendemain de la libération » (p. 8). Ainsi est-il étudiant le jour et activiste la nuit. Mais sa jeunesse lui assure à la fois une bonne santé et un désir ardent de contribuer à la lutte contre l’ennemi. Par ailleurs, et ce n’est pas rien, il est amoureux et cela lui donne des ailes ! Il épousera MarieFrance Kuder en 1948 et ils auront deux enfants. Elle est la fille du peintre René Kuder (1882-1962), originaire de Villé, formé à Munich et grand aquarelliste, que Julien Freund présente comme « un maître du cœur ». « Ce que j’ai appris, explique-t-il, de René Kuder, c’est la fragilité de l’émotion, la pudeur du sentiment, les délicatesses de la sensibilité et les douces craintes. C’est en vivant à ses côtés que j’ai réussi à vaincre mon aspect bourru d’ours mal léché, en intériorisant ce qui me portait à la brusquerie. J’ai compris que cette discipline du sentiment était l’une des conditions de l’estime de soi, indispensable au bonheur. Celui qui est mécontent de soi détestera les autres » (p. 12). Sur Marie-France, il Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière avoue simplement que « sa part est immense » (p. 12) et qu’il n’en dira pas plus, par pudeur. Il sort de la guerre – ce voyage au bout de la nuit – avec de sérieux traumatismes, provoqués par la vie dans le maquis, en particulier communiste, qui vont le vacciner pour le restant de ses jours de tout rapprochement avec les staliniens. Dans ses diverses confidences, il relate deux faits. Le premier est l’arrestation de trois soldats italiens, qui allaient être passés par les armes sans aucun procès, sans entendre un avocat plaider leur défense, ce qu’il n’admit pas au point de paraître suspect aux yeux de ses camarades de combat. Un comble ! Le second est tragique. Le chef a une amoureuse – une jeune institutrice – qui met fin à leur liaison. Il l’accuse d’intelligence avec l’ennemi. Elle est arrêtée, violée et fusillée ! Bien sûr, il ne généralise pas ce type d’attitude accablante, mais ne cesse d’y penser. En 1945 et 1946, il est responsable du Mouvement de Libération Nationale de la Moselle et se sent de moins en moins partie prenante des agissements partisans des uns et des autres. Aussi, en juin 1946, abandonne-t-il tous ses mandats, et il prépare l’agrégation qu’il obtient en 1949. Il est nommé professeur de philosophie à Metz durant quatre ans, puis en première supérieure à Strasbourg. En 1950, il s’inscrit en thèse avec Jean Hyppolite, thèse dont le titre provisoire est Essence et signification de la politique, et il découvre Aristote. Il se passionne pour sa conception de la dialectique, qu’il préfère à celle de Hegel, pourtant si bien enseignée par Jean Hyppolite. « Chez Aristote, se livre-t-il à Charles Blanchet, la dialectique c’est un raisonnement de vraisemblance parce qu’il y a des contraires. L’être et le non-être ce sont des contraires. Il n’est point de troisième terme qui va les coiffer. Il y a la position et la négation. Cette théorie des contraires est fondamentale pour la métaphysique d’Aristote. Elle a joué un grand rôle dans ma pensée. Avec les antagonismes de Weber, le couple ami-ennemi de Carl Schmitt, elle forme une sorte de constellation extraordinaire. J’avais entre 30 et 35 ans, ce qui me faisait dire : ‘Je ne suis devenu intelligent qu’à 35 ans’ » (p. 37). C’est le petit ouvrage de Raymond Aron sur La sociologie allemande contemporaine (1936), qu’il lit en 1941, qui lui ouvre l’œuvre de Max Weber, à laquelle il va consacrer plusieurs analyses pénétrantes (un échantillon est publié sous le titre d’Études sur Max Weber, 1990) et dont il va traduire Le savant et le politique (1959), Essais sur la théorie de la science (1965) et un chapitre d’Économie et Société (1971). Quant à Carl Schmitt, c’est par hasard, en empruntant à la bibliothèque universitaire en 1952, Der Begriff des Politischen (1932), qu’il s’enthousiasme pour cet auteur totalement inconnu de lui, au point de prêter le livre à Paul Ricœur. Ce dernier4 le lui rend quelques jours plus tard en se disant très intéressé mais particulièrement méfiant vis-à-vis d’un juriste du Troisième Reich. « Je tombais de haut, avoue Julien Freund ; j’étais atterré. Je ruminais en silence ma consternation, car aucune phrase de l’ouvrage ne permettait de présumer que l’auteur pouvait être un nazi » (p. 29). En 1959, il se décide à lui écrire, en marquant ses désaccords. Carl Schmitt (1888-1985) lui répond et il s’ensuit une correspondance amicale, malheureusement inédite. Indéniablement, cette lecture est cruciale pour le doctorant qui réoriente sa thèse et, ce faisant, doit changer de directeur. En effet, Jean Hyppolite rejette catégoriquement le couple « ami-ennemi » qui serait consubstantiel au politique. Julien Freund raconte à Charles Blanchet son entrevue avec son directeur, en présence de Georges Canguilhem. Hyppolite lui dit : « Je suis socialiste et pacifiste. Je ne puis diriger en Sorbonne une thèse dans laquelle on déclare : ‘Il n’y a de politique que là où il y a un ennemi’ » (p. 43). Raymond Aron accepte de l’inscrire et, le jour de la soutenance, en 1965, déclare : « Je voudrais saluer Monsieur Freund qui va soutenir cette thèse que je trouve géniale (…) ». Longtemps, la référence à Carl Schmitt sera considérée en France, non pas seulement douteuse, mais coupable. Il est vrai que son dossier est particulièrement lourd et que son antisémitisme semble indiscutable5. Pour155 tant Julien Freund est plus indulgent envers Schmitt qu’envers Heidegger, ce qui mériterait à mon avis une étude spécifique. Pour Freund, à la suite de Schmitt, il ne peut y avoir de politique sans un ennemi réel ou virtuel, c’est la condition pour qu’il y ait polémique, c’est-à-dire amorce du politique. L’ennemi ne relève pas de la haine ou de la concurrence, de la confrontation, du challenge, mais de l’opposition, du conflit au sens du polemos d’Héraclite. L’ennemi n’est pas donné, il se présente à vous. L’essence du politique repose, selon Julien Freund, sur trois présupposés irréductibles, qu’il énumère à Charles Blanchet : « La relation de commandement à obéissance. La relation du privé au public. La relation d’ami à ennemi. (…) Chaque présupposé est double c’est-à-dire qu’il forme un couple antagoniste ». Ce jeu oppositionnel est présent dans la dialectique d’Aristote, dans le conflit selon Simmel et dans la polémologie, terme inventé en 1945 par Gaston Bouthoul (1896-1980) que fréquente Julien Freund, lequel, ne l’oublions pas, participe à l’Institut de Polémologie (créé en 1970) et alimente régulièrement la revue Études polémologiques. Après la soutenance de sa thèse, il obtient la chaire de sociologie de l’Université de Strasbourg et, bien que philosophe et « théoricien », il invite ses étudiants à mener des enquêtes, à lire les « classiques » de la sociologie, à s’ouvrir à l’économie politique qui intervient tant dans la constitution des sociétés, etc. C’est un professeur actif : il fonde le Centre de recherches et d’études en sciences sociales en 1967, lance la Revue des Sciences sociales de la France de l’Est en 1972 (l’actuelle Revue des sciences sociales) et dote son université d’un Laboratoire de Sociologie Régionale en 1973 (qui après des changements successifs de dénomination deviendra l’actuelle UMR du CNRS “Cultures et sociétés en Europe”). Il consacre un enseignement au situationnisme6 qui est bien implanté à Strasbourg et il apprécie de jeunes chercheurs peu académiques, comme Michel Maffesoli, Jacques Beauchard, ou encore André Béjin. Mai 68 et les réactions craintives, suivistes et finalement conformistes de ses collègues, face aux revendications affligeantes d’une poignée de leaders étudiants, l’obligent à prendre position. Il estime que l’université doit être critique, par nature précise-t-il, et doit produire des connaissances en toute indépendance des idéologies, ce qui signifie que les étudiants n’étudient et que les enseignants n’enseignent pas n’importe quoi, ni n’importe comment, d’où d’indispensables réformes dans le fonctionnement de l’institution universitaire. Directeur de l’Unité d’Enseignement et de Recherche (UER) de sciences sociales, il milite pour davantage de participation des enseignants et des étudiants et fustige un discours figé, caricatural, faussement ouvriériste. En 1979, désabusé, il prend sa retraite de manière anticipée, à l’âge de 58 ans. Il ne cesse pas pour autant d’enseigner et voyage à Santiago du Chili, Montréal, Bruges, Louvain-laNeuve, Paris… C’est justement à Paris, lors d’un séminaire organisé par Jean Leca et Pierre-André Taguieff, à Sciences-Po (en 1988 ou 1989, je ne sais plus) que je rencontre Julien Freund, dont le physique m’évoque celui de Francis Blanche. Avec Pierre-André, nous déjeunons tous les trois dans une brasserie et faisons connaissance. J’officie alors comme directeur littéraire des éditions La Découverte, je le questionne donc sur ses travaux en cours, ses intentions éditoriales. Il m’explique que la métaphysique est à réhabiliter et qu’il s’en préoccupe en rédigeant une « philosophie philosophique ». Il entend, par ce titre volontiers redondant, que la philosophie ne doit pas se diluer dans la science, le droit, l’art, etc., en faisant bénéficier à son détriment ces disciplines d’une conceptualisation qu’elles ne possèdent pas toujours : la philosophie doit s’affirmer en tant que telle et par conséquent renouer avec la métaphysique. Nous discutons des auteurs allemands, qu’il connaît si bien, comme Weber, Sombart, Jünger, Heidegger et Simmel, et aussi de Georges Sorel sur lequel j’avais travaillé quelques années auparavant. Nous parlons bien sûr de l’Alsace, de ses parlers en perte de vitesse, de ses vins, de sa choucroute, de ses lacs et forêts et de bien d’autres « productions » locales… Il faut dire 156 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » que ma mère (née Schwartz) en est originaire et que durant des années, lors des vacances scolaires, je me rendais en Alsace. Il me promet de m’envoyer son tapuscrit et, plusieurs mois après notre rencontre, je reçois une épaisse liasse de feuillets dactylographiés. Je dévore ce texte, et avec François Gèze (qui dirige les éditions), nous décidons de le publier. Une chemise portant l’étiquette « Julien Freund » est posée en évidence sur mon bureau lorsque je reçois, pour un projet de collection, l’historienne Madeleine Rebérioux. Celle-ci voyant ce nom s’emporte : « Quoi vous publiez un fasciste ! Je m’en vais ». François est gêné et me demande ce qu’il en est. Je lui explique que Julien Freund a été publié par la Nouvelle droite7, mais qu’il a un passé irréprochable de résistant et que sa liberté de pensée est une garantie contre tout dogmatisme. Par précaution, nous faisons lire ce texte par un auteur respecté de la maison, Pierre Vidal-Naquet. Son jugement est favorable, malgré le peu de sympathie qu’il a pour l’auteur. Depuis cet épisode, Pierre Vidal-Naquet me surnomme affectueusement « l’affreux ». Je vais à Villé (dans sa maison sans colombages, mais de facture moderne, inspirée certainement du Bauhaus !) lui porter les premiers exemplaires imprimés. Il me dédicace l’un d’eux : « À Thierry Paquot, en hommage cordial et surtout dans l’esprit qui a présidé la longue conversation, pleine d’interrogations et d’humour, ce jour du 21 mai 1990, à Villé. » Il a retenu une chambre à l’hôtel du village pour ma femme et moi, et nous avons dîné chez lui, bien bu et beaucoup parlé. Son épouse nous a montré des tableaux de son père et Julien Freund a sorti plusieurs volumes de son journal manuscrit qui demeure, à ma connaissance, toujours inédit. C’est dommage, car il représente une mine d’informations pour les historiens, à la fois sur le quotidien d’un philosophe et sur l’état politique du monde durant plusieurs décennies, sans parler du contenu philosophique de cet ensemble unique. Comment faire la synthèse du message d’un théoricien œuvrant sur plusieurs fronts simultanément ? Je dirais que le concept d’« essence » est décisif, Thierry Paquot Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière non seulement parce qu’il figure dans plusieurs titres (L’essence du politique, 1965 ; L’essence de l’économique, 1993), mais parce qu’il m’apparaît central dans ses travaux. « Le sens premier que je donne à la notion d’essence, écrit-il dans son « Ébauche d’autobiographie », consiste dans l’effort pour découvrir les constantes qui caractérisent les diverses activités humaines. L’essence est indissociable de l’expérience » (p. 17). Peu après il explicite sa position : « L’expérience n’est cependant pas connaissance par elle-même. Elle est le terrain où le jugement trouve sa matière et s’éduque, quand il cherche à se juger lui-même, à devenir critique et lucide. La connaissance appréhende l’expérience de diverses manières, par l’observation, l’intuition, la comparaison, etc. » (p. 23). Aussi considère-t-il que « La théorie des essences que j’ai élaborée, en mettant l’accent sur les données irréductibles l’une à l’autre, est une sorte de réhabilitation de la théorie de la distinction des genres, grâce à la reconnaissance de l’autonomie spécifique du politique, de l’art, de la religion, etc. » (p. 37). S’adressant à Charles Blanchet, il conclut son itinéraire par cette confidence aphoristique qui lui va très bien : « Je trouve tout simplement malheureux qu’un homme puisse mourir sans avoir jamais ri de bon cœur » (p. 224). Je peux témoigner de son rire joyeux, explosif, libératoire et jubilatoire. Un rire respirant de bonheur. En cheminant avec Simmel n Constatant que l’être humain est « l’être des contraires » (p. 208), ce qu’aucune science ne peut expliquer, ni la psychologie, ni la psychanalyse, Julien Freund en appelle à la métaphysique. « Dans mon esprit, expose-t-il à Charles Blanchet, la métaphysique couvre tout ce champ du compréhensible et de l’incompréhensible, sachant que les contacts entre les êtres ne se réduisent pas à ceux de la connaissance et encore moins à ceux de la science. C’est mutiler l’être que de ne le considérer que sous l’angle de la connaissance, car il est des manifes- tations comme la décision, l’humeur, les désirs, les aversions et toutes les diverses insatisfactions qui échappent au rationalisme de la connaissance scientifique. Aucun enchaînement causal ne peut maîtriser cette variété, car pour être réellement valable il devrait pouvoir remonter le temps dans son ensemble, et tenir compte en plus du pluralisme causal qu’on ne saurait négliger » (p.209). Je ne peux lire et relire cette citation sans penser immédiatement à ce passage du texte, « Pont et porte » (1909) de Georg Simmel8 : « Parce que l’homme est l’être de liaison qui doit toujours séparer, et qui ne peut relier sans avoir séparé – il nous faut d’abord concevoir en esprit comme une séparation l’existence indifférente de deux rives, pour les relier par un pont. Et l’homme est tout autant l’être-frontière qui n’a pas de frontière. La clôture de sa vie domestique par le moyen de la porte signifie bien qu’il détache ainsi un morceau de l’unité ininterrompue de l’être naturel. Mais de même que la limitation informe prend figure, de même notre état limité trouve-t-il sens et dignité avec ce que matérialise la mobilité de la porte : c’est-à-dire avec la possibilité de briser cette limitation à tout instant pour gagner sa liberté ». Le caractère paradoxal, pluriel, de l’humain correspond à cette activité constante qu’il pratique, à savoir lier pour délier et délier pour relier. On repère, rien qu’en parcourant les index de ses ouvrages ou en lisant attentivement Les théories des sciences humaines (1973), que Julien Freund est un fin connaisseur de la pensée allemande, un excellent germaniste et un talentueux traducteur, suggérant souvent d’originales traductions pour des expressions délicates9. En effet dans ce court volume, il commente les auteurs « obligés », du moins pour un philosophe de formation, comme Kant, Fichte, Hegel, Schelling, Schopenhauer, Marx ou Nietzsche, mais aussi des penseurs « secondaires » (ou pour employer une formule moins péjorative, des théoriciens associés à une spécialité bien circonscrite), comme Schleiermarcher, Boeckh, Droysen, Schmoller, Wundt, Dilthey, Menger, Windelband, Rickert ou encore Bollnow. Parmi eux, il y a un auteur qu’il affectionne, en lui donnant un autre statut qu’à Max Weber, c’est Georg Simmel. À la fois sa méthode, moins rigoureuse que celle de Weber, son indéniable fantaisie, la variété de ses sujets et intérêts, sa « carrière » tardive, lui plaisent et l’irritent. Avec Weber, on a du solide, et avec Simmel, on a du sensible. Julien Freund n’est pas indifférent à cette dimension-là. Preuves en sont, certains de ses articles sur des thèmes inattendus10 et surtout ses interventions en faveur d’une plus large diffusion des travaux de Simmel11. Faut-il ajouter que Simmel à enseigné à l’Université de Strasbourg de 1914 à sa mort en 1918, à l’âge de soixante ans ? Ou qu’il est considéré comme un néo-kantien qui n’hésite pas à prendre des libertés par rapport à son maître à penser, ce qui ne peut que satisfaire Julien Freund, qui ne manque jamais l’occasion de brocarder le solitaire de Königsberg. Quels que soient les motifs qui assurent à Simmel une telle sympathie de la part de Freund, l’essentiel pour nous tient à la proximité de leurs pensées respectives et au fait qu’elles nous éclairent sur bien des points obscurs du comportement des humains. Et si Simmel était un dilettante ? Freund ne le récuserait pas pour autant. « Somme toute Simmel était un esprit curieux de tout, admet-il dans son Introduction à Sociologie et épistémologie, ainsi qu’on peut le constater en lisant ses études sur l’acteur de théâtre, les ruines, les expositions d’art, la caricature, l’aventure, le problème des sexes, la noblesse, la personnalité de Dieu, la discrétion, la honte et j’en passe » (p. 13). Est-il malgré tout sérieux ? « Le fond de sa pensée, Simmel l’a, je crois, le mieux résumé dans la première phrase de Brücke und Tür : ‘L’image des choses extérieures se présente à nous en un double sens : c’est que la nature peut nous apparaître comme si tout était lié ou comme si tout était séparé’ (…) » (p.14). Au-delà de ses intuitions, plus ou moins fulgurantes, ses innombrables écrits (on parle de plus de 200 articles…) plaident pour une travail ayant une unité de fond et une variété de formes et confirment qu’il y a bien une œuvre et qu’elle compte. Trois 157 « concepts » simmeliens s’imposent, selon Julien Freund : l’unité, la forme et le conflit. Sans omettre, bien évidemment, sa définition de la société – objet fondateur de la sociologie : « Il y a société, au sens large du mot, partout où il y a action réciproque des individus »12. Ainsi, l’individu primet-il sur « la » société. Celle-ci n’existe pas indépendamment des interactions entre individus. Ce sont elles qui permettent à « la » société d’exister. Cette sociologie est par conséquent relationnelle. Son but est d’observer, de décrire et d’analyser les multiples – et parfois contradictoires – échanges entre deux, trois ou plusieurs individus. D’où une telle attention pour la politesse, la conversation, la séduction, la parure, le club, etc., c’est-à-dire pour toutes les formes de socialisation. Ce qui fait dire à Simmel que chaque individu appartient à plusieurs sociétés en même temps, mais différemment. Conception d’une « écologie humaine » que l’École de Chicago reprendra et développera avec le brio qu’on sait13, et par la suite Erving Gof- fman, sur un registre autre. L’individu n’existe pas sans établir des liens avec d’autres individus ou les interrompre. Cette relativité du social et de l’individuel est fondamentale. « La » société – jamais totalement figée – résulte des individus qui du coup la subissent. En ce sens, « la » société correspond aux multiples actions et inactions des individus qui la composent. Ce qui intéresse le sociologue ce ne sont pas ces deux « réalités » si difficiles à saisir, « la société » et « les individus », mais ce qui se passe entre (zwischen) et qui génère la dynamique fonctionnelle (dynamisches Ineinanderweben, expression que Julien Freund traduit par « entrelacement dynamique entre l’individu et la société », p.322 de son cours de Louvain). C’est ici que pointe la notion « d’action réciproque » : avec ce « entre ». L’interaction provoque des adaptations, des résistances, des imitations, des influences, peu importe, chez chaque individu concerné par elle, ce qui modifie la société qu’ils constituent, contrecarrant ainsi un déterminisme strict et ouvrant l’éventail des Julien Freund 158 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » situations possibles. Citons à nouveau Georg Simmel : « La société signifie toujours dans sa vie, en tant que celleci est en perpétuelle réalisation, que les individus sont mis en relations par des influences et des déterminations qu’ils exercent réciproquement. Elle est donc en vérité quelque chose de fonctionnel, quelque chose que les individus font et subissent, de sorte que, au regard de ce caractère fondamental, on ne devrait par parler de société, mais de socialisation. La société n’est alors qu’un mot qui sert à désigner un cercle d’individus qui sont liés entre eux par cette sorte d’actions réciproques productrices d’effet et qu’on se représente pour cette raison comme une unité » (« Brücke und Tür », traduction de J. F., cours de Louvain, p. 325). Ainsi « la » société n’apparaît jamais à l’individu, celui-ci ne perçoit que des représentations, des formes sociales. Cela n’échappe pas à l’œil vigilant de Julien Freund qui, dans son Introduction à Sociologie et épistémologie, écrit : « Toute la théorie de la forme, si importante pour la sociologie de Simmel, prend ainsi tout son sens dans cette opposition de la porte et du pont, de l’association et de la dissociation. Cette dialectique n’a pas seulement une signification épistémologique, mais également ontologique, parce que l’être est à la fois unité et séparation ; il se conçoit, en tant qu’être connaissant, comme un et séparé » (p. 16). Il y a en allemand une distinction entre formal et formel qui n’existe pas dans la langue française et dont il convient de prendre la mesure. Le premier terme renvoie à ce qui concerne la forme et le second à ce qui respecte les formes. Ce que Freund explicite dans son cours de Louvain : « Les individus agissent pour toutes sortes de raisons, de motifs : par amour, par intérêt, par croyances religieuses ou politiques, par égoïsme, par altruisme. Ce sont les contenus, la matière de leurs actions. Toutefois, ces motivations ne constituent pas encore par elles-mêmes des actions réciproques, elles ne le deviennent que par un contact avec l’autre ou une visée de l’autre. Si la relation avec l’autre intervient, il se produit une socialisation qui adopte une certaine forme, celle d’une association charitable, d’un syndicat, Thierry Paquot d’une église ou d’un parti politique. La pauvreté n’a pas de signification sociologique par elle-même, tant qu’elle reste l’aspiration personnelle d’un individu, mais elle en acquiert une dès qu’elle devient la règle de conduite d’un groupe ou le souci d’un autre en vue de la combattre » (p. 335). La sociologie vise à comprendre les formes des associations, des relations, et non leurs motivations qui sont étudiées par d’autres disciplines, la psychologie, l’économie, la théologie… En ce sens, la sociologie est “formale” et non pas formelle, elle se préoccupe des formes sociales engendrées par l’action réciproque et non pas de leurs motivations. Elle saisit le mouvement incessant des formes sociales (comme par exemple, la famille, l’église, l’armée, le parti politique, le syndicat…) qui vivent, à un moment donné leur propre vie, sans plus aucun lien avec ce qui leur a donné vie. C’est avouer l’impossibilité de rationaliser ces formes changeantes, qui par ailleurs tendent à s’autonomiser. Je précise que Lilyane DerocheGurcel, traductrice et spécialiste de Simmel, retrace la chronologie des concepts qu’invente Simmel, dont celui de forme. Je me contente ici de suivre le cheminement de Julien Freund, qui est persuadé, du reste, que la pensée de Simmel est pensante, c’est-à-dire avance petit à petit, au gré des formulations successives que suggère le philosophe allemand. Dans son cours dispensé à Louvain, Julien Freund propose de distinguer quatre types de formes sociales : « Tout d’abord les formes institutionnalisées, douées de permanence. Il s’agit des organisations politiques, religieuses, économiques et autres (…). On peut les appeler institutions. En second lieu il y a les formes qui sont comme les schèmes préétablis selon lesquels les organisations se constituent, tels la hiérarchie, la concurrence, le conflit, l’aventure, l’association, la division du travail, l’échange, l’exclusion, l’héritage, l’imitation, etc. On peut les appeler les formes formantes, qui contribuent à ce que Simmel appelle Formung. Le troisième type constitue le cadre général des activités dans lequel les socialisations ont lieu : la Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière politique, l’économie, la droit, l’éducation, la religion. On peut les appeler les conformations. Enfin, il y a l’immense sphère des formes éphémères que constituent les rites du quotidien, les mœurs : la conversation, le repas en commun, la promenade en commun, le tact et la politesse. Il s’agit des formes de sociabilité évoquées plus haut ». Georg Simmel est persuadé que « Notre vie doit ou bien produire des formes ou bien se mouvoir en elles » (cité dans l’Introduction, p.38). Il est par conséquent impossible d’échapper aux formes, elles figurent le cadre même de l’existence de chaque individu. Hors formes point de salut ! Même la mort – cette déformation – reste une forme, puisqu’à un moment donné, la forme rompt avec ce par qui – et pour quoi – elle a été façonnée, et ainsi que l’écrit avec joliesse Julien Freund, « elles s’objectivent dans leur stupeur » (p. 41). Parmi ces quatre ensembles de formes sociales, Julien Freund en signale une – le conflit – dont il considère l’examen par Simmel comme remarquable. Pourquoi ? Parce qu’« il considère le conflit comme une force fondamentale et positive de toute socialisation » (p.67). Dans cet épais volume, que plusieurs lectures, crayon à la main, n’épuisent pas, Sociologie. Études sur les formes des la socialisation14, le chapitre 4 examine « Le conflit ». Et l’auteur d’insister sur « la signification sociologique du conflit », avant d’affirmer que « c’est une erreur de penser que l’une [de ces actions réciproques] ruinerait ce que l’autre construit, et que ce qui demeure à la fin est le résultat de sa soustraction (alors qu’en réalité il serait plus juste de parler d’addition) ; et la source de ce malentendu, c’est sans doute le double sens du concept d’unité » (p.267). L’opposition, la discorde, le combat ne sont pas perçus comme des formes de désocialisation, qu’il faudrait supprimer afin de ne pas gaspiller les forces socialisantes qu’elles contiennent, mais comme des manifestations de cette socialisation-en-devenir : le conflit dans certains cas facilite l’unité et incite à la coopération. Il serait illusoire de croire que la paix signifie la fin des hostilités, la disparition des possi- bilités de conflits. La négativité propre au conflit se transforme en positivité en se libérant de son image dissolvante. La lutte participe à la socialisation tout autant que le consensus. Dans une opposition, les deux parties s’accordent finalement sur l’objet du litige, et en ce sens, les deux contiennent leur part de positivité. Pour le polémologue Julien Freund, une telle approche du conflit, qui ne le stigmatise pas définitivement mais lui reconnaît une dimension constructive, revêt un caractère exceptionnel. La société, tout comme l’individu, n’est pas lisse, homogène. Elle comprend des aspérités, du relief en quelque sorte, et le conflit, tout comme le secret ou la manipulation, en sont des expressions entières et non pas honteuses ou dysfonctionnantes. Alors, Simmel et Freund, des passeurs de frontières ? Des contrebandiers qui exportent des concepts étrangers d’une discipline à une autre ? Certainement, mais ce qui nous les rend aussi précieux au moment où les théories générales, universelles, totalisantes peinent à expliquer ce qui « travaille » à la fois les individus et les sociétés, est précisément ce principe d’unité qu’ils ne cessent de manier. Si l’être humain est l’être-frontière qui n’a pas de frontière, formule à la fois forte et difficile à appréhender, alors nous pouvons mieux saisir la paradoxalité affirmée, constitutive, de l’individu contemporain, né de l’urbanisation planétaire, du déploiement des technologies de l’information et de la communication, de la marchandisation généralisée de tous les biens et services matériels et immatériels15. Ces paradoxes ordinairement pratiqués n’appartiennent pas à l’exception, mais à la règle, que la sociologie doit prendre en considération, quitte à repenser ses outils. Tout « fait social total », nous disent Simmel et Freund, ne possède pas nécessairement une explication rationnelle. Ils ajoutent, non sans malice, que cela n’empêche pas de les interpréter. Le premier avec son concept d’« action réciproque », le second avec celui d’« essence ». Il est vrai que nos deux auteurs viennent de la philosophie et qu’ils s’essayent avec beaucoup de sérieux – et de compéten159 ce – à la démarche sociologique, ce qui modifie celle-ci en la « philosophant ». En effet, ils relient la sociologie à la philosophie et du coup se délient de la philosophie, mais pour mieux, par la suite, renouer avec elle. Ils accomplissent méthodologiquement ce que les événements et situations ne cessent d’effectuer pour simplement exister. Par le jeu des formes qui se déforment et se reforment, la diversité des sociétés qui se constituent et se modifient, le rôle des situations équivoques, ambiguës, contradictoires que chacun fabrique – et parfois recherche –, Simmel et Freund nous offrent le moyen d’explorer les mécanismes des relations interpersonnelles, c’està-dire « sociales », en acceptant de ne jamais vraiment en connaître le pourquoi. Un « pourquoi » subordonné au « comment » et au « pour qui », mais aussi et surtout au « en quoi ». Et c’est ce « en quoi » qui finalement compte le plus, c’est celui qui échappe à la sociologie sociologique et qui trouve en cette sociologie philosophique son questionnement16. Bibliographie L’Essence du politique, Sirey, 1965, rééd. Dalloz, Postface de P-A Taguieff, 2004. Sociologie de Max Weber, coll. « Le sociologue », PUF, 1968. Max Weber, coll. « Philosophes », PUF, 1969. Le Nouvel Âge. Éléments pour la théorie de la démocratie et de la paix, Marcel Rivière, 1970. Le droit aujourd’hui, coll. « Dossiers Logos », PUF, 1972. Les Théories des sciences humaines, coll. « Le Philosophe », PUF, 1973. Pareto. La théorie de l’équilibre, coll. « Philosophie », PUF, 1974. Utopie et violence, Marcel Rivière, 1978. La fin de la renaissance, PUF, 1980. Sociologie et conflit, PUF, 1983. Philosophie et sociologie, Cabay/Louvain-la-neuve, 1984, rééd. augmentée, Bruxelles, Académia, 1987. La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine, Sirey, 1984. Politique et impolitique, Sirey, 1987. Philosophie philosophique, La Découverte, 1990. Études sur Max Weber, Genève, Droz, 1990. Essais de sociologie économique et politique, Bruxelles, Eclectica, 1990. D’Auguste Comte à Max Weber, Economica, 1992. L’Essence de l’économique, Presses Universitaires de Strasbourg, 1993. Notes 1. Cf. L’Aventure du politique, par Julien Freund, entretiens avec Charles Blanchet, Critérion, 1991, p. 15. Par la suite, la page de la citation figure entre parenthèses à la suite de celle-ci. 2. Cf. « La bibliographie de Julien Freund », par Piet Tommisen, Revue européenne des sciences sociales. Cahiers Vilfredo Pareto, tome XIX, n°54-55, Genève, Librairie Droz, 1981, pp. 50-70. L’auteur précise qu’une bibliographie approchant l’exhaustivité tiendrait en 300 pages imprimées, tant Julien Freund est prolixe et prolifique. Datant de 1981 cette bibliographie mérite d’être largement actualisée jusqu’en 1993, d’autant que Julien Freund profite de sa retraite pour multiplier les interventions dans des colloques et répondre favorablement aux propositions éditoriales. On consultera avec intérêt la thèse d’Olivier Arnaud, La signification du libéralisme à partir de la philosophie politique de Julien Freund, dirigée par Pierre Manent et soutenue en décembre 2001 à l’EHESS. 3. Cf. « Ébauche d’une autobiographie intellectuelle », par Julien Freund, Revue européenne des sciences sociales. Cahiers Vilfredo Pareto, tome XIX, n°54-55, Genè- 160 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » ve, Librairie Droz, 1981, pp.7-47. Par la suite, la page de la citation figure entre parenthèses à la suite de celle-ci. 4. Paul Ricœur (1913-2005) est nommé à l’Université de Strasbourg en 1948, comme Georges Gusdorf, il y reste jusqu’en 1956, date à laquelle il rejoint la Sorbonne. 5. Sur Carl Schmitt et Julien Freund, on lira l’excellente postface de Pierre-André Taguieff à la dernière édition de L’Essence du politique, Dalloz, 2004, initialement édité par Sirey en 1965 ainsi que Les Derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à l’avènement du nazisme, d’Olivier Beaud, Descartes & Cie, 1997, « État de droit et démocratie. À propos de la Verfassungslehre de Carl Schmitt », Cahiers de philosophie politique et juridique de l’Université de Caen, n°24, 1993, pp. 95-108 et Julien Freund. Penseur « machiavélien » de la politique, de Sébastien De La Touanne, L’Harmattan, 2004, en particulier pp.67-81. 6. C’est à Strasbourg qu’est publié, en 1966, le fameux tract situationniste, De la misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier. C’est aussi à Strasbourg, à cette époque, qu’enseigne Henri Lefebvre (1901-1991) : bien qu’attaqué par l’Internationale Situationniste, il fait figure de « compagnon de route ». 7. Sur les relations entre Julien Freund et la Nouvelle droite, voir la postface déjà signalée de Pierre-André Taguieff et son livre, Sur la Nouvelle droite, Descartes & Cie, 1994. 8. Cf. « Pont et porte », La Tragédie de la culture, traduit de l’allemand par Sabine Cornille et Philippe Ivernel, précédé d’un essai de Vladimir Jankélévitch, Rivages, 1988, p.168. La traduction de Julien Freund est quelque peu différente dans son Introduction à Sociologie et épistyémologie, PUF, 1981, p. 14, 15 et 16. 9. Si l’on en croit Guy G. Ankerl, qui fournit plusieurs exemples, Sociologues allemands, Neuchâtel, La Baconnière, 1972. 10.En guise d’exemples : « Psycho-sociologie de la rencontre », Revue d’Allemagne, n°2, 1973 ; « La notion de marginalité », Églises et groupes religieux dans la société française, Strasbourg, Cerdic, 1977 ; « La détresse du politique », Res publica, Bruxelles, n°3, 1972 ; « Prophétisme », Encyclopaedia universalis, 1972 ; « Éloge de la choucroute », Saisons d’Alsace, n°20, 1966 ou encore « Sociologie de l’oie », Le Nouvel Alsacien, du 11/12/1981. 11.Julien Freund à rédigé une copieuse « Introduction » (pp.7-78) à Sociologie et épistémologie, de Georg Simmel, traduit de l’allemand par L. Gasparini, PUF, Thierry Paquot 1981 ; une plus courte « Préface » pour Le conflit, de Georg Simmel, traduit de l’allemand par Sibylle Muller, Strasbourg, éditions Circé, 1992 et deux préfaces à deux ouvrages sur le philosophe-sociologue allemand, celui dirigé par Patrick Watier, Georg Simmel. La sociologie et l’expérience du monde moderne, Klincksieck, 1986, et celui de François Léger, La pensée de Georg Simmel, éditions Kimé, 1989. Par ailleurs, il a écrit de nombreux articles dans lesquels Simmel est présent, j’en mentionne certains par la suite. 12.Cf. « Le problème de la sociologie » (1890), par Georg Simmel, repris dans Sociologie et épistémologie, PUF, 1981, n.2, p. 166. 13.Robert Park (1864-1944), le fondateur de l’écologie humaine et le principal animateur de l’École de Chicago, en sociologie urbaine, a étudié en Allemagne, où il a soutenu sa thèse de philosophie (Masse und Publikum. Eine methodologische und soziologische Untersuschung, Heidelberg, 1904) et fréquenté les cours de Simmel à Berlin. Il a contribué, avec d’autres, à le faire traduire en anglais. Notons que Simmel appartient au comité directeur de l’American Journal of Sociology qui publie plusieurs de ses articles. C’est le Belge Jean Rémy, économiste de la ville et sociologue urbain, qui se rend à Chicago au milieu des années soixante, et y découvre Simmel, qu’il mentionne dans ses publications. Isaac Joseph et Yves Grafmeyer traduisent en français The City (1925), ouvrage collectif de Park, Burgess et McKenzie, qu’ils accompagnent d’articles de Simmel. Wirth et Halbwachs relancent cette école, que Paul-Henry Chombart de Lauwe, Placide Rambaud et Raymond Ledrut, par exemple, citaient. Isaac Joseph, dans plusieurs textes (dont certains sont regroupés dans le recueil, L’athlète moral et l’enquêteur modeste, Economica, 2007), précise que c’est par Jean Rémy qu’il s’est mis à lire Simmel. Jean Rémy a invité Julien Freund à Louvain-la-neuve à plusieurs reprises, en 1981, 1982 1984, pour des leçons. Les dernières portent sur Simmel. L’ensemble de ces leçons est publié sous le titre Philosophie et sociologie par Julien Freund, collection « Perspectives sur l’Homme » n°6, Cabay/Louvainla-neuve, 1984. L’exposé sur Simmel concerne les pages 313 à 353 Une géohistoire du destin de certaines œuvres serait à entreprendre… En attendant, lire : La tradition sociologique de Chicago, 1892-1961, par Jean-Michel Chapoulie, Seuil, 2001 ; L’École de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, textes traduits et présentés par Yves Grafmeyer et Isaac Joseph, Champ Urbain, 1979, Flammarion, 2004, avec deux articles de G. Simmel, « Digressions Julien Freund, l’intellectuel-frontière qui n’a pas de frontière sur l’étranger » (1908) et « Métropoles et mentalité » (1903) et Georg Simmel : Ville et modernité, sous la direction de Jean Rémy, L’Harmattan, 1995. 14.Cf. Sociologie. Études sur les formes de la socialisation (1908), par Georg Simmel, traduit de l’allemand par Lilyane Deroche-Gurcel et Sibylle Muller, PUF, 1999, le chapitre 4 se trouve pp. 265-346. Il a été préalablement publié de manière autonome, Le Conflit, par Georg Simmel, opus cité, éditions Circé, 1995. On lira également : Sociologie (1908). Éléments actuels de modélisation sociale, sous la direction de Lilyane Deroche-Gurcel et Patrick Watier, PUF, 2002, en particulier l’éclairante Introduction de l’éditrice qui établit l’histoire des notions de « forme » et d’« action réciproque » dans l’œuvre de Simmel et l’article de Bernard Valade, « Types de conflits et formes de consensus », pp.267-281 et Simmel et la modernité, par Lilyane Deroche-Gurcel, PUF, 1997. 15.Je me permets de renvoyer le lecteur à mes dernières publications sur ces thèmes : Terre urbaine. Cinq défis pour le devenir urbain de la planète, La Découverte, 2006 et Éloge du luxe. De l’utilité de l’inutile, Bourin, 2006. 16.Cet article, remis à l’été 2007, n’a pu bénéficier de l’ouvrage de Pierre-André Taguieff, Julien Freund. Au cœur du politique, La Table Ronde, 2008. 161