draMaturGie
NÉRON, UN VOYEUR MAGNIFIQUE
Au départ de ce projet, il y a une scène de voyeurisme
troublante qui m’a fasciné. Néron, caché derrière un rideau
observe sa victime Junie : il a ordonné à la jeune lle de
chasser sans ménagement son amant Britannicus, en lui
faisant croire qu’elle ne l’aime plus. Si Junie n’est pas assez
convaincante, Britannicus sera exécuté. La jeune femme
obtempère avec courage, tandis que Néron, témoin caché
du désarroi de Britannicus, jubile. En voyant cette scène,
on sent que ce que Néron désire, c’est moins de conquérir
Junie, que de jouir de ce spectacle. Il préfère l’onanisme
qu’autorise une telle image au fade plaisir d’aimer. Néron
regarde Junie regarder Britannicus, sous le regard du
spectateur. Dans cette disposition, il y a une mise en scène
du plaisir de voir qui n’est pas sans rappeler Les Ménines de
Velasquez.
Ce qui excite Néron en Junie, c’est son refus de se donner
à voir. Alors que toute la cour rêve d’apparaître sur les
écrans de l’empereur pour avoir son quart d’heure de
gloire, cachée loin des caméras de Néron, Junie refuse
obstinément d’apparaître. En représailles, Néron l’exhibe
au grand jour. Il lui vole son image, qu’il souille, et ce vol a
la brutalité d’un viol.
Néron, le collectionneur d’images indiscrètes, ne supporte
pas que quelqu’un se refuse à son regard. Ceux qui résistent
à l’injonction d’apparaître sont les plus désirables et les
plus craints. Le parallèle avec notre société de l’image est
troublant. Aujourd’hui, les réseaux sociaux font circuler à
l’inni des images de chacun et il est de mauvais goût de
refuser d’être photographié. On en oublierait presque que
l’objectif d’un appareil ou d’une caméra peuvent être des
armes d’une violence inouïe.
UNE MÈRE ET SON FILS: ENTRE ACCENTS BOUFFONS
ET DÉSIRS DE DESTRUCTION
Les enfants les plus obéissants ne font pas toujours les
adultes les plus dociles. Ils n’hésitent à faire payer au
monde les remontrances et les leçons de vertu qu’on leur a
imposées dans leur jeune âge. Néron est de ceux-là. Quand
commence l’intrigue, il a tout d’un empereur exemplaire.
Mais la générosité du jeune Néron procède moins d’une
conviction profonde que d’une obéissance servile, celle
d’un animal dressé à la bonté.
Dans cette perspective, les crimes du jeune empereur
sont moins les caprices d’un despote insouciant que les
premiers actes d’une armation de soi. Néron ne veut pas
tant faire le mal que tracer un chemin qui soit le sien et
armer son identité à l’ombre de ses éducateurs. Le plus
impitoyable ennemi de Néron n’est pas Britannicus, mais
l’amour de sa mère. Dans Britannicus, plans rapprochés,
Agrippine n’est pas une veuve noire impitoyable, c’est
une femme enjouée, qui déborde de rondeurs et d’amour
maternel. Si elle étoue son ls, c’est à force d’amour, et
non d’ordres cinglants. Presque malgré elle, elle entretient
Néron dans une perpétuelle enfance. Sous couvert de
l’aider dans ses fonctions, elle cultive sa dépendance.
Agrippine est sans cesse prise entre le souhait de voir son
enfant croître, et le désir déchirant de faire éternellement
corps avec lui. Et l’on pressent que, si Néron lui refuse
cette union fusionnelle et quasi incestueuse, la violence
de son amour pourrait la conduire au crime. Britannicus,
plans rapprochés est le portrait de cette mère amoureuse
et de l’ascendant singulier qu’elle exerce sur son ls. C’est
l’histoire d’une relation qui serait presque comique, si elle
ne conduisait à la destruction.