K1 Exemplier – Théâtralité Citations : 1. « Le théâtre n’a rien à voir avec la littérature, quoi qu’on fasse pour l’y réduire. » Florence Dupont, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, 2007. 2. « Contrairement à un préjugé fort répandu et dont la source est l’école, le théâtre n’est pas un genre littéraire. Il est une pratique scénique. » Anne Ubersfeld, Lire le théâtre II, 1996, chapitre I. 3. « Qu’est-ce que la théâtralité ? c’est le théâtre moins le texte, c’est une épaisseur de signes et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argument écrit, c’est cette sorte de perception œcuménique des artifices sensuels , gestes, tons, distances, substances, lumières, qui submerge le texte sous la plénitude de son langage extérieur. » Roland Barthes, « Le théâtre de Baudelaire », Essais critiques, 1964. 4. « Naturellement, la théâtralité doit être présente dès le premier germe écrit d’une œuvre, elle est une donnée de création, non de réalisation. Il n’y a pas de grand théâtre dans théâtralité dévorante, chez Eschyle, chez Shakespeare, chez Brecht, le texte écrit est d’avance emporté par l’extériorité des corps, des objets, des situations ; la parole fuse aussitôt en substances. » Roland Barthes, « Le théâtre de Baudelaire », Essais critiques, 1964. 5. « Elle n’en est pas la traduction (le passage d’un langage dans un autre) ; ce serait une opération inutile parce que le texte (dialogué) figure à l’intérieur de la représentation, comme signes linguistiques, au niveau phonique ; pourquoi traduire un texte que l’on entend ? […] En revanche, on pourrait à la rigueur parler d’une traduction en ce qui concerne le texte des didascalies (indications scéniques). En fait, c’est méconnaître la nature même de ce texte. Dire : " une table et deux chaises ", ce n’est pas affirmer ou signaler la présence desdits éléments, c’est donner au praticien l’ordre de les faire figurer dans la représentation : le discours des didascalies n’est pas constatif, il est illocutoire (conatif) […]. La représentation n’est pas non plus illustration dans la mesure où elle n’est pas, comme l’illustration d’un livre, le rêve discontinu d’un créateur différent (graveur ou peintre) à propos d’une œuvre littéraire, mais littéralement l’accomplissement de cette œuvre. » Anne Ubersfeld, Lire le Théâtre II, L’école du spectateur, chapitre I, 1996. 6. « C’est que par nature le texte de théâtre, sauf notables exceptions, est fait pour être représenté. De ce fait, il doit laisser la place aux possibilités de la représentation ; les didascalies trop précises sont toujours gênantes, en particulier celles qui touchent aux comédiens. Comment mettre en scène un individu trop précisément désigné ? Comment faire figurer ce qui est difficile (ou trop cher), ou ce qui appartient à un autre type d’espace imaginaire ? N’y a-t-il pas toujours dans les rapports gestuels, spatiaux, physiques des personnages, des éléments décisifs qui ne sont pas de l’ordre de l’écriture textuelle ? » Anne Ubersfeld, Lire le Théâtre II, L’école du spectateur, chapitre I, 1996. 7. « MERCADET, à sa femme. – Laissez-moi lui parler. (À Julie.) Julie, je te marie à ton monsieur Minard… (Mouvement de Julie.) Attends ! Tu n’as pas le premier sou, tu le sais : que devenez-vous le lendemain de votre mariage ? Y avez-vous songé ?... JULIE. – Oui, mon père. MME MERCADET. – Elle est folle ! » Honoré de Balzac, Le Faiseur (1848), I, 10. 8. « Je fais, de ma place assise et isolée, et en silence, le travail d’imagination qui consiste à passer virtuellement sur scène, avec tout le confort que cela suppose puisque je le fais pour moi. Cependant, dans le même temps que je " me " fais " mon " spectacle en étant le spectateur de mon propre chef-d’œuvre, que je suis acteur, metteur en scène, éclairagiste, scénographe, si je veux, je sais aussi prendre du champ, du recul et soigner l’étude dramaturgique (le passage du texte à la scène, même virtuelle, en me racontant l’histoire du texte en situation de jeu). » Christian Biet et Christophe Triau, Qu’est-ce que le théâtre ?, 2006. 1 9. « Il est évident que ce drame, dans ses proportions actuelles, ne pourrait s’encadrer dans nos représentations scéniques. Il est trop long. On reconnaîtra peut-être cependant qu’il a été dans toutes ses parties composé pour la scène. » Victor Hugo, Préface de Cromwell, p. 102-103. 10. « Distinction fondamentale et qui permet de voir comment l’auteur ne se dit pas au théâtre, mais écrit pour qu’un autre parle à sa place – et non pas seulement un autre, mais une collection d’autres par un série d’échanges de la parole. Le texte de théâtre ne peut jamais être décrypté comme une confidence, ou même comme l’expression de la " personnalité ", des " sentiments " et des " problèmes " de l’auteur, tous les aspects subjectifs étant expressément renvoyés à d’autres bouches. Premier trait distinctif dans l’écriture de théâtre : elle n’est jamais subjective, dans la mesure où, de sa propre volonté, l’auteur refuse de parler en son nom propre […]. » Anne Ubersfeld, Lire le théâtre I, 1977. 11. « BREDIF. – Il vous a emprunté cent cinquante mille francs… violemment, j’en conviens, mais il vous a laissé toutes les autres valeurs de la liquidation… et vous avez continué les affaires ! Depuis huit ans, vous en avez fait d’énormes ! vous avez gagné… » Honoré de Balzac, Le Faiseur, I, 1. 12. « LORD BROGHILL. - […] " Demain, vingt-cinq juin mil six cent cinquante-sept, / Quelqu’un, que lord Broghill autrefois chérissait, / Attend de grand matin ledit lord aux Trois-Grues, / Près de la halle au vin, à l’angle des deux rues. " » Victor Hugo, Cromwell, I, 1. 13. « J’assiste à une représentation de Britannicus ou je lis le texte de la pièce, j’en suis l’action et je tente d’écouter ce que la pièce indique " au travers d’elle-même ". Je vois l’empereur Néron hésiter entre ses désirs et son devoir, je constate que la soif de pouvoir et la passion pour la belle Junie convergent pour exiger le meurtre de son rival Britannicus, un meurtre que seul la maîtrise de soi saurait empêcher (maîtrise de soi fort pratique, je m’en rends compte, car son défenseur, Burrhus, la conçoit come le meilleur moyen dont dispose un souverain pour s’assurer le respect de ses sujets). J’observe les deux conseillers, Burrhus et Narcisse, se disputer la conscience de l’empereur, et à chaque étape de ce suspense moral, je ne peux pas m’empêcher d’espérer que le pire sera évité. […] L’écoute prime donc […]. Je fais un effort supplémentaire d’écoute et je constate que Néron n’est pas entièrement corrompu dès le début de la tragédie. Celle-ci met en scène la naissance d’un monstre. Fort de cette intuition, ou bien informé -mais non pleinement et définitivement éclairé) par la lecture de la préface de l’auteur, j’observe la perverse naïveté du personnage et le caractère juvénile de sa méchanceté. Son désir démesuré de toute-puissance et d’omniscience, si évident dans les scènes III à VII du deuxième acte m’effraie. Je réfléchis à l’imprudence de Britannicus, à son " ardeur inquiète " (I, 3, v. 287), à la force d’âme de Junie qui refuse d’obéir au tyran. Peu à peu, à travers le bruit – contenu – et la fureur – mesurée – de la tragédie, j’entrevois quelque chose qui ressemble à l’élément spirituel dont parlait Hegel. À savoir que le tyran est lui-même enchaîné à ses désirs et que, en dépit de son deuil, Junie est plus sûre d’elle-même et, tout compte fait, plus libre que Néron. » Thomas Pavel, Comment écouter la littérature ?, 2006. 14. « En effet il est possible de représenter les mêmes objets et par les mêmes moyens [la voix par opposition à la musique, par exemple] tantôt comme narrateur – que l’on devienne autre chose (c’est ainsi qu’Homère compose) ou qu’on reste le même sans se transformer –, ou bien tous peuvent, en tant qu’ils agissent effectivement, être les auteurs de la représentation. » Aristote, La Poétique, chapitre III. 15. « Il est bien vrai que l’auteur dramatique écrit son texte ; mais en même temps qu’il écrit, il l’imagine dit et joué. Et c’est pour qu’il soit dit et joué qu’il l’écrit. » Pierre Larthomas, Le Langage dramatique (1972), chapitre I. 16. « Mais aujourd’hui on ne s’installe plus dans un fauteuil pou apprendre ce qu’il adviendra d’Agrippine, ni suivre à nouveau, même connus, les démêlés d’Œdipe, ni de Clov – pour euxmêmes, dans l’autonomie de leur fiction. On va au théâtre pour voir un spectacle, selon l’expression 2 maintenant familière. Qu’est-ce que cela veut dire ? Exactement ceci : qu’on s’y rend dans l’intention de s’y faire présenter une opération de théâtralisation. On veut voir le devenir-théâtre d’une action, d’une histoire, d’un rôle. » Denis Guénoun, Le théâtre est-il nécessaire ?, 2002. 17. « Mais le fait concerne, peut-être plus encore, l’exhibition des mots. Car le représenté n’est plus la vérité du texte. La vérité du texte théâtral est désormais, intempestivement, poétique. » Denis Guénoun, Le théâtre est-il nécessaire ?, 2002. 18. « Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu, il pleur, cela ne met pas à son avantage quand il pleut sur les cheveux et les fringues, mais quand même j’ai osé, et maintenant qu’on est là, que je ne veux pas me regarder, il faudrait que je me sèche, retourner là en bas me remettre en état – les cheveux tout au moins pour ne pas être malade, or je suis descendu tout l’heure, voir s’il était possible de se remettre en état, mais en bas sont les cons, qui stationnent : tout le temps de se sécher les cheveux, ils ne bougent pas, il restent en attroupement, ils guettent dans le dos, et je suis remonté – juste le temps de pisser – avec mes fringues mouillées, je resterai comme cela, jusqu’à être dans une chambre : dès qu’on sera installé quelque part, je m’enlèverai tout, c’est pour cela que je cherche une chambre, car chez moi impossible, je ne peux pas y rentrer – par pour toute la nuit cependant -, c’est pour cela que toi, lorsque tu tournais, là-bas, le coin de la rue, que je t’ai vu, j’ai couru, je pensais : rien de plus facile à trouver qu’une chambre pour la nuit, une partie de la nuit, si on le veut vraiment, si l’on ose demander, malgré les fringues et les cheveux mouillés, malgré la pluie qui ôte les moyens si je me regarde dans une glace […]. » Bernard-Marie Koltès, La Nuit juste avant les forêts, 1977. 3