EPICURE , Lettre à Ménécéé Plan du texte La lettre à Ménécée est un guide pratique qui met le bonheur à notre portée sous la forme du tétrapharmacos (le quadruple remède) qu’il est possible de mettre en œuvre concrètement, dans nos existences.Il suit la structure des Maximes capitales où Epicure présente les 4 principes (maximes) fondamentaux de l’éthique : I. II. III. IV. Seul le divin est bienheureux et incorruptible : il n’éprouve ni soucis ni passions et n’en cause pas à autrui La mort est absence de sensations, elle ne peut donc nous causer aucune souffrance L’absence de douleur est le plus bas degré du plaisir. Douleur et plaisir s’excluent mutuellement, ils sont contradictoires. Le plaisir l’emporte sur la douleur qui est toujours provisoire. La lettre s’adresse à Ménécée qui était un jeune disciple d’Epicure dont on ne sait pratiquement rien. Elle suit le plan suivant : 1) §§ 1 et 2. De : « Epicure à Ménécée, salut. » à « … les éléments du bien-vivre. » Prologue : philosopher rend heureux, il faut donc s’y exercer sans tarder. 2) §§ 3,4 et 5. De : « En premier lieu… » à « …et considèrent comme étranger tout ce qui n’est pas tel. ». Il faut se défaire des idées fausses sur les dieux. Il ne faut rien attendre d’eux et il ne faut pas les craindre. 3) §§ 6,7,8 et9. De : « Accoutume-toi à penser que la mort… » à « …L’espoir qu’il ne se produise absolument pas. ». Il faut se défaire des idées reçues sur la mort : il ne faut pas la craindre car elle n’est rien pour nous. L’espoir d’une vie éternelle est une illusion. 4) §§ 10 et 11. De : « Il faut en outre établir… » à « …ou à l’inverse, du mal comme un bien. ». La classification des désirs. 5) §§12 et 13 ; De/ « Par ailleurs, nous considérons l’autosuffisance… » à « … une extrême confusion s’empare des âmes. » Le calcul des plaisirs par un travail de la raison est le signe de l’autosuffisance et, pour être heureux, il faut se suffire à soimême. 6) §§ 14. De « Or le principe… » à « …la vie agréable en est inséparable. » Sagesse et prudence 7) §§15 et 16 . De : « Dès lors, qui considères-tu comme supérieur… » à « …l’homme qui vit au milieu de biens immortels. » Epilogue le sage vit selon les principes qui viennent d’être établis : il ne craint pas le destin car il est maître de sa vie. Le texte §§ 1et2 Il faut philosopher car la pratique de la philosophie est la condition de l’accès à la « santé de l’âme » ; condition nécessaire au bonheur. Il n’y a pas d’âge pour philosopher et il faut aussi « s’appliquer assidûment à tout ce qui peut procurer la félicité » . La pratique de la philosophie à pour fin de nous rendre heureux. §§3,4 ,5 Il faut se défaire des idées fausses sur les dieux : Ils sont immortels et bienheureux leur nature est donc bien différente de la notre et c’est de cette nature particulière que découle leur béatitude : ils sont sans passions et rien ne peut les atteindre. En cela, la conception du divin défendue ici est assez proche de la représentation que nous nous en faisons. Ils sont des constructions mentales. Ils existent mais ne sont pas comme nous ou comme la nature en général, composés d’atomes . Ils sont abstraits, immatériels, ils ne peuvent donc avoir aucune influence sur tout ce qui est matériel et rien de matériel ne peut les atteindre, raison pour laquelle ils sont indifférents aux hommes et ne peuvent leur causer aucun bien ni aucun tort. Ils ne sont pas à craindre : seule la matière à la possibilité d’agir sur la matière. Atomisme Pour Epicure, la matière, la nature est composée d’atomes. Ces atomes se définissent comme les plus petites parties de la matière, celle qu’il est impossible de couper (les atomes sont insécables) Cette conception de la matière est héritée de Démocrite (460-370 av. J.C) Pour Démocrite, la nature est composée dans son ensemble de deux principes: les atomes (ce qui est plein) et le vide L’existence des atomes peut être déduite de ce principe : « Rien ne vient du néant, et rien, après avoir été détruit, n’y retourne. » Les atomes sont des corpuscules solides et indivisibles, séparés par des intervalles vides, et dont la taille fait qu’ils échappent à nos sens. Décrits comme lisses ou rudes, crochus, recourbés ou ronds (ils sont définis par leur forme, figure et grandeur), ils ne peuvent être affectés ou modifiés à cause de leur dureté. Les atomes se déplacent de manière tourbillonnaire dans tout l’univers, et sont à l’origine de tous les composés Les atomes se meuvent éternellement dans le vide infini. Ils entrent parfois en collision et rebondissent au hasard ou s’associent selon leurs formes, mais ne se confondent jamais. La génération est alors une réunion d’atome, et la destruction, une séparation, les atomes se maintenant ensemble jusqu’à ce qu’une force plus forte vienne les disperser de l’extérieur. C’est sous l’action des atomes et du vide que les choses s’accroissent ou se désagrègent : ces mouvements constituent les modifications des choses sensibles. Ces agglomérations et ces enchevêtrements d’atomes constituent ainsi le devenir. L’être n’est donc pas un, mais est composé de corpuscules. Cette conception de l’atome diffère donc de la notre. Un atome (grec ancien ἄτομος [atomos], « indivisible ») est la plus petite partie d'un corps simple pouvant se combiner chimiquement avec une autre. La théorie atomiste fut disputée jusqu'à la fin du XXIe siècle, mais n'est plus au XXIe siècle l'objet de la moindre controverse. C'est sur cette notion d'atome que reposent les sciences de la matière modernes L'atome n'est cependant plus considéré comme un grain de matière insécable, depuis les expériences de physique nucléaire ayant mis à jour sa structure au début du XXIe siècle. Un atome est constitué d'un noyau concentrant plus de 99,9 % de sa masse, autour duquel se distribuent des électrons pour former un nuage 40 000 fois plus étendu que le noyau luimême. Ce dernier est constitué de protons, chargés positivement, et de neutrons, électriquement neutres . Les électrons occupent des orbitales atomiques en interaction avec le noyau via la force électromagnétique, tandis que les nucléons sont maintenus ensemble au sein du noyau par la liaison nucléaire, qui est une manifestation de l'interaction nucléaire forte. Le nuage électronique est stratifié en niveaux d'énergie quantifiés autour du noyau définissant des couches et des sous-couches électroniques ; les nucléons se répartissent également en couches nucléaires, bien qu'un modèle approché assez commode popularise la structure nucléaire d'après le modèle de la goutte liquide. Les atomes d’Epicure sont donc des unités de matière incréée qui déclinent (clinamen) dans le vide et qui en se combinant les uns aux autres constituent les corps composés ou corps complexes. La combinaison des atomes est réalisée par des liens qui permettent la sensation chez les organismes vivants. Ces liens sont provisoires et finissent par se dissoudre : c’est la mort qui est un état privé de sensation. Les atomes ainsi libérés retournent à la nature §§6, 7,8 et 9 Il ne faut pas non plus et pour cette raison, craindre la mort. La mort n’est rien pour nous car une fois les liaisons entre les atomes qui nous constituent dissoutes il n’est plus de sensation possible. D’autre part, l’âme a une nature atomique, elle est corporelle et forme avec le corps un agrégat. Elle est donc régie par les mêmes lois que lui. Rien de nous ne demeure donc après la mort et rien ne lui survit. L’existence se fonde sur la sensation, c’est elle qui nous assure de notre existence personnelle ; si la sensation vient à disparaître vient à disparaitre notre existence disparaît avec elle en conséquence, la mort est un état que nous n’atteignons jamais. §§10 et11 La classification des désirs et le calcul des plaisirs DESIRS Désirs naturels nécessaires impossibles pour le bonheur immortalité seulement naturels recherche de l’agréable pour la tranquillité du corps pour la vie Désirs vains artificiels gloire ou richesse Le bonheur est assimilé au plaisir qui est notre plus grand bien. Tout plaisir est donc à priori bon mais cela n’implique pas que nous devions tous les choisir car chaque plaisir a une valeur et un coût. A nous d’en évaluer les proportions par un calcul prudent. Il y a 2 types de plaisirs : Ceux qui compensent ou améliorent un état douloureux (cinétiques) Ceux qui ne sont pas relatifs à la douleur mais qui constituent un état de tranquillité et de sérénité de l’esprit ( catasténiques) Ils permettent d’atteindre un état de stabilité et d’équilibre qui correspond au bonheur. Le plaisir est donc « le commencement ( archè= principe) et la fin (télos=aboutissement) de la vie heureuse » ; et l’affection (pathos=affect) est un critère de connaissance et de choix : elle nous informe sur ce qui est avantageux ou nuisible et motive nos choix et nos refus. Ainsi s’établit un lien naturel entre la connaissance et l’action et donc « nous pouvons nous en servir comme règle » Mais si le plaisir est notre plus grand bien et la douleur toujours un mal, tout plaisir n’est pas à rechercher ni toute douleur à éviter. Le calcul des plaisirs doit être pratiqué par comparaison entre ce qui est utile et ce qui est nuisible pour éviter toute confusion « Car selon les moments nous usons du bien comme d’un mal et du mal comme un bien. » §§12 L’autosuffisance : attitude du sage L’autarcie ou indépendance est la caractéristique de la sagesse dont découle la liberté. Epicure la définit comme la capacité de faire avec ce dont on dispose, à se satisfaire de ce que l’on a mais sans pour autant pratiquer la privation ou l’ascèse. Elle a pour conséquence une vie simple et saine qui permet au mieux de jouir de l’existence et d’accomplir plus aisément nos obligations contrairement aux excès par lesquels les plus grands troubles s’emparent de nos âmes. §§13 et 14 La prudence du sage La recherche de certains plaisirs nuit à la vertu quand ces plaisirs nuisent à autrui. Il convient donc d’évaluer les plaisirs avec la plus grande prudence car, contrairement aux idées reçues la vertu ne s’oppose pas au plaisir « les vertus sont naturellement liées à la vie heureuse et la vie heureuse en est inséparable. » Le sage qui vit parmi ses semblables fait donc le choix de l’amitié qu’il faut comprendre comme une forme de sociabilité. Autrui, pour le sage épicurien n’est jamais utilisé, il n’est jamais un moyen, on ne se sert pas de lui pour être heureux car il est l’agent (celui qui agit) et le bénéficiaire du bonheur. Cette forme particulière d’amitié se nomme altruisme. Le sage éprouve envers l’ami les mêmes sentiments qu’envers lui-même et en rendant son ami heureux, il contribue à son propre bonheur. §§ 15 et 16 Epilogue : la force du sage. La sagesse est supérieure à la piété car le sage ne craint pas la mort puisqu’il connait et comprend la nature (le monde physique composé de vide et d’atomes). Il sait que le bien est facile à atteindre et que le mal (la douleur) ne dure pas ou ne nous cause qu’une peine finalement plutôt légère. Il sait que le destin (conçu comme enchainement inévitable des événements de l’existence) n’est pas le maitre de son existence et croit au contraire que c’est le hasard qui fait la bonne ou la mauvaise fortune des hommes (mais ce hasard n’est pas conçu comme un déterminisme : il favorise ou gêne seulement certaines de nos actions). D’autre part« d’autres (choses) encore sont en notre pouvoir. », ce pouvoir est certes limité par le hasard et la nécessité mais cela n’empêche pas le sage de n’avoir d’autre maître que luimême puisqu’il est maître de ses désirs en toutes circonstances. Il est libre, car sans autre maître que lui-même. Il n’est asservi ni aux dieux que les hommes prient en pensant pouvoir les amener à améliorer leurs existences, ni à la physique si elle prétend que les événements de l’existence sont régis par une absolue nécessité « il ne croit pas, en effet, que les hommes lui doivent le bien et le mal dont dépend la vie bienheureuse… ». Pour le sage il vaut mieux être infortuné (infortune= hasard malheureux) que de mal raisonner. Conclusion Epicure conseil à Ménécée de réfléchir à tout ce qui vient d’être dit afin de pouvoir vivre « comme un dieu parmi les hommes ». Cela ne signifie pas que le sage vit dans l’indifférence d’autrui et en dépit de la société comme le font les dieux mais au contraire dans la société des hommes, avec elle et même grâce à elle en vertu de l’amitié qu’il porte à ses semblables