Lettre à Ménécée

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Lettre à Ménécée
Epicure (341-271 avant J-C)
L’optimisme épicurien : le bonheur est « à notre portée et facile à se procurer »
1) Une physique matérialiste au service d’une éthique.
2) Une philosophie hédoniste
3) La défiance à l’égard de la politique et de la vie publique
4) La philosophie comme médecine
L’optimisme épicurien : le bonheur est « à notre portée et facile à se procurer »
Philosophie roborative et stimulante au sens où elle invite à
en revenir à l’essentiel1. L’essentiel, c’est le bonheur ; il serait
à notre portée. Déterminer ce qui fait obstacle au bonheur ; se
délivrer des vaines croyances par lesquelles l’homme engendre et
cultive son propre malheur.
1) Une physique matérialiste au service d’une éthique. L’ignorance
engendre
la
crainte,
laquelle
suscite
des
explications
superstitieuses qui démultiplient la crainte et les souffrances. La
connaissance des causes permet de comprendre que nous sommes
responsables de la plupart de nos malheurs.
Affirmation fondamentale : il n’existe que le vide et des
combinaisons d’atomes. Epicure forge l’image d’un univers infini
composé d’une infinité de mondes qui infiniment se forment à partir
du hasard de la rencontre entre les atomes, corps premiers se
déplaçant à une vitesse extrême dans le vide.
Nous sommes le produit d’une combinaison aléatoire d’atomes. Il
n’y a donc pas de transcendance, de monde métaphysique ou de juges
transcendants qui feraient régner une menace sur les vivants.
L’homme est indépendant de tout principe supérieur à la nature. Se
pénétrer de cette idée, c’est se libérer de la plupart des angoisses
qui nous étreignent : peur des dieux, de la mort, de la souffrance.
L’homme n’a pas de maîtres, donc pas de comptes à rendre ; la mort
est simple dispersion des atomes (y compris de l’âme) ; les pires
souffrances sont celles que l’homme se cause à lui-même ; s’il s’en
tient aux « désirs naturels », il peut être heureux puisqu’alors il
peut se suffire à lui-même et n’a pas à craindre de maux
insurmontables.
Soyez heureux sur cette Terre puisqu'il n'y a pas d'au-delà,
nous dit Epicure. Invitation à profiter au mieux de cette chance (le
hasard de la combinaison des atomes) qui a permis notre existence ;
invitation à jouir d’un bonheur terrestre, fait de joies simples,
partagées au sein d’une communauté d’amis. Débarrassé des vaines
opinions qui nourrissent la frénésie des passions, chacun pourrait
apprendre à trouver son bonheur et ce, d’abord dans le simple
plaisir de se sentir exister.
2) Une philosophie hédoniste : le but de la nature, c’est le plaisir
L’eudémonisme (philosophie qui fait du bonheur le but de la
vie) épicurien se présente comme un hédonisme (philosophie qui fait
du plaisir le but de la vie). Le « divin plaisir » est le seul bien.
D’où le sens moderne du mot « épicurien » (= bon vivant).
1
Une doctrine qui ne peut se comparer à des doctrines plus riches et plus complexes.
Mais faire du plaisir le bien par excellence et inviter à le
prendre pour guide ne revient pas à prôner un immoralisme débridé,
une vie de débauches. Tant la vie austère menée par Epicure que les
analyses proposées dans cette Lettre à Ménécée en témoignent. « Le
pain d’orge et l’eau nous causent un plaisir extrême si le besoin de
les prendre se fait vivement sentir. » (§4)
Être heureux consiste d’abord à savoir bien désirer, c'est-àdire à suivre dans notre recherche du plaisir le « jugement sain »
(§ 5) de la « raison vigilante » (§4). Il ne s’agit pas d’être un
monstre de vertu, ni de vivre de façon austère, mais de pouvoir se
suffire à soi-même. Celui qui sait vivre d’une manière simple dépend
moins des incertitudes de la fortune et sait bien mieux apprécier
les plaisirs superflus (« une table somptueuse ») quand l’occasion
s’en présente que celui qui s’est rendu dépendant de tels plaisirs.
3) La défiance à l’égard de la politique et de la vie publique
L’éthique épicurienne est liée à une théorie physique, mais
elle n’est pas, comme chez Platon et Aristote, associée à un projet
politique. Non plus proposer une cité idéale, mais une sagesse
destinée aux individus. La philosophie comme art de vivre, quête de
bonheur.
Le contexte politique troublé dans lequel vit Epicure (les
diadoques, anciens généraux d’Alexandre le Grand, se partagent son
empire) contribue à expliquer sa défiance vis-à-vis de la politique.
L’épicurien fuit la vie politique comme une menace pour le bonheur.
La vie publique voit triompher les opinions de la foule. Opinions
instables, irrationnelles, serviles et tyranniques à la fois dont il
faut se protéger et dont Epicure invite Ménécée à se débarrasser..
D’où le fameux adage épicurien : « Pour vivre heureux, vivons
cachés. »
4) La philosophie comme médecine
« Philosopher, c’est rechercher la vérité de toute
disait Platon. Pour Epicure, la connaissance des vraies
physique) délivre des explications superstitieuses, mais
n’est jamais voulue pour elle-même. Il n’est de savoir
celui qui rend heureux. Philosopher, c’est rechercher le
toute son âme.
son âme »,
causes (la
la vérité
utile que
bonheur de
S’il faut d’abord rechercher le plaisir c'est-à-dire aussi bien
« l’absence de souffrances corporelles » que l’absence « de troubles
de l’âme » (§ 4), le bonheur est défini comme ataraxie, c'est-à-dire
comme absence de troubles de l’âme. L’ataraxie est l’état de
quiétude atteint par une âme délivrée de toute crainte - la crainte
étant la passion par excellence (chez Epicure, la passion est
d’abord ce que l’on subit, l’expression de notre passivité et de
notre dépendance à l’égard de la fortune).
L’absence de souffrances corporelles ne dépend de nous qu’en
partie. « L’habitude de vivre d’une manière simple et peu coûteuse
offre la meilleure garantie d’une bonne santé » (§ 4), mais la
maladie, les accidents frappent indifféremment le sage comme
l’ignorant de la foule. Le soin et la médecine du corps ont donc
leurs limites, expressions de notre finitude. En revanche, la pleine
santé de l’âme serait à notre portée. La philosophie est cette
médecine de l’âme qui, dissipant toute crainte (de la mort, de la
souffrance,…), pallierait les insuffisances de la médecine du corps.
Il n’est pas possible d’éliminer toute souffrance, mais il est
possible d’en marginaliser les effets sur notre vie. Il n’est pas
possible d’éviter la mort, mais il est possible de ne plus la
craindre et de « vivre comme un dieu parmi les hommes », c'est-àdire comme si nous étions immortels.
5) Le tetrapharmakos ( = quadruple remède)
De quoi l’âme est-elle malade ? Des passions (pathè) qui
l’entraînent au-delà des limites naturelles, passions qui se
nourrissent de vaines opinions, lesquelles exacerbent en retour ces
passions.
La philosophie propose un quadruple remède pour nous délivrer des
passions. Il ne s’agit pas d’une « recette » du style de celles
diffusées chaque semaine par les magazines bon marché, lesquels
exploitent la naïveté et la détresse de l’ignorant, accréditant
l’illusion d’un bonheur facile dont il suffirait de se procurer la
clé (en achetant le magazine en question). Illusion reconduite de
semaine en semaine, témoignant de la perte de tout bon sens et de
l’état quasi-hypnotique de l’ignorant pris dans le cercle infernal
des passions (crainte, espoir, déception, …) et prêt chaque semaine
de nouveau à croire au miracle.
Il s’agit certes de quatre préceptes simples et Epicure affirme
que le bonheur est « facile à se procurer. » Mais si le bonheur est
qualifié de simple et de bon sens, il est également rare. Le bonheur
est en droit facile et à la portée de chacun ; il est en fait rare
et difficile tant les passions sont envahissantes et sans cesse
renaissantes.
Pour faire contrepoids aux passions, il est nécessaire :
1) de s’isoler de la foule, lieu où les passions triomphent
2) de se convaincre que le bonheur est accessible et facile ;
qu’il est affaire de bon sens et de résolution
3) de méditer « jour et nuit » et d’intérioriser les préceptes
du quadruple remède de façon à s’en pénétrer en profondeur
et d’apprendre à vivre conformément à ce qu’ils enseignent.
Non une recette-miracle, non des exhortations sur le mode du
« YAKA », mais un véritable art de vivre nécessitant une longue
patience et un travail sur soi de tous les instants.
Les différents préceptes du « quadruple remède »
1) Il n’y a rien à craindre des dieux
2) Il n’y a rien à craindre de la mort
3) On peut supporter la douleur
4) On peut atteindre le bonheur
Fil directeur : la démarche est toujours la même. Invitation à en
revenir à la nature même (ou l’idée même) des choses et au bon sens.
On pourra ainsi dissiper les opinions irrationnelles qui alimentent
et exacerbent la plupart de nos craintes.
Ainsi : 1) La nature même des dieux : immortels et bienheureux, donc
indifférents. Il est absurde et impie d’imaginer qu’ils puissent
intervenir dans les affaires humaines.
2) L’idée même de la mort : elle est privation de sensation. Celui
qui craint la mort attend donc illusoirement comme son avenir un
futur qui ne lui sera jamais présent.
3) Il faut certes chercher à supprimer la souffrance corporelle et
les inquiétudes de l’âme. Mais précisément, pour se faire,
l’âme
doit
d’abord
comprendre
qu’il
n’existe
pas
de
douleur
« insupportable ». Le bon sens là encore doit l’emporter. Soit la
douleur peut être ressentie ; il est alors de ma nature de pouvoir
la souffrir. Soit elle est véritablement insupportable, mais
provoque alors une perte de conscience.
« Le mal extrême ou bien ne dure pas longtemps, ou bien ne nous
cause qu’une peine légère. » (§ 5) Les douleurs les plus intenses
sont brèves ; le sage sait combattre la souffrance par la force de
la pensée du plaisir (voir pour le vieillard, la réminiscence
affective).
Mais surtout, la plupart de nos maux sont ceux que nous nous donnons
en multipliant, sous l’impulsion de l’imagination, les désirs vains
et superflus. A la douleur s’ajoute la crainte de souffrir, aux
désirs naturels, les désirs vains (ni naturels, ni nécessaires :
cupidité, ambition...) et les désirs naturels eux-mêmes, au lieu de
rester dans les limites de la nature, deviennent insatiables. Rien
de fatal en tout cela. D’où le quatrième principe.
4) On peut atteindre le bonheur. Il faut apprendre à se suffire à
soi-même. Pour se suffire à soi-même, il faut savoir se contenter de
peu, afin de ne pas se rendre dépendant des hasards de la vie et de
ne pas se perdre en cherchant à satisfaire des désirs non
nécessaires lesquels transforment en hommes sans cesse
affairés
incapables de jouir des plaisirs simples et réels qui sont à leur
portée.
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