Mais faire du plaisir le bien par excellence et inviter à le
prendre pour guide ne revient pas à prôner un immoralisme débridé,
une vie de débauches. Tant la vie austère menée par Epicure que les
analyses proposées dans cette Lettre à Ménécée en témoignent. « Le
pain d’orge et l’eau nous causent un plaisir extrême si le besoin de
les prendre se fait vivement sentir. » (§4)
Être heureux consiste d’abord à savoir bien désirer, c'est-à-
dire à suivre dans notre recherche du plaisir le « jugement sain »
(§ 5) de la « raison vigilante » (§4). Il ne s’agit pas d’être un
monstre de vertu, ni de vivre de façon austère, mais de pouvoir se
suffire à soi-même. Celui qui sait vivre d’une manière simple dépend
moins des incertitudes de la fortune et sait bien mieux apprécier
les plaisirs superflus (« une table somptueuse ») quand l’occasion
s’en présente que celui qui s’est rendu dépendant de tels plaisirs.
3) La défiance à l’égard de la politique et de la vie publique
L’éthique épicurienne est liée à une théorie physique, mais
elle n’est pas, comme chez Platon et Aristote, associée à un projet
politique. Non plus proposer une cité idéale, mais une sagesse
destinée aux individus. La philosophie comme art de vivre, quête de
bonheur.
Le contexte politique troublé dans lequel vit Epicure (les
diadoques, anciens généraux d’Alexandre le Grand, se partagent son
empire) contribue à expliquer sa défiance vis-à-vis de la politique.
L’épicurien fuit la vie politique comme une menace pour le bonheur.
La vie publique voit triompher les opinions de la foule. Opinions
instables, irrationnelles, serviles et tyranniques à la fois dont il
faut se protéger et dont Epicure invite Ménécée à se débarrasser..
D’où le fameux adage épicurien : « Pour vivre heureux, vivons
cachés. »
4) La philosophie comme médecine
« Philosopher, c’est rechercher la vérité de toute son âme »,
disait Platon. Pour Epicure, la connaissance des vraies causes (la
physique) délivre des explications superstitieuses, mais la vérité
n’est jamais voulue pour elle-même. Il n’est de savoir utile que
celui qui rend heureux. Philosopher, c’est rechercher le bonheur de
toute son âme.
S’il faut d’abord rechercher le plaisir c'est-à-dire aussi bien
« l’absence de souffrances corporelles » que l’absence « de troubles
de l’âme » (§ 4), le bonheur est défini comme ataraxie, c'est-à-dire
comme absence de troubles de l’âme. L’ataraxie est l’état de
quiétude atteint par une âme délivrée de toute crainte - la crainte
étant la passion par excellence (chez Epicure, la passion est
d’abord ce que l’on subit, l’expression de notre passivité et de
notre dépendance à l’égard de la fortune).
L’absence de souffrances corporelles ne dépend de nous qu’en
partie. « L’habitude de vivre d’une manière simple et peu coûteuse
offre la meilleure garantie d’une bonne santé » (§ 4), mais la
maladie, les accidents frappent indifféremment le sage comme
l’ignorant de la foule. Le soin et la médecine du corps ont donc
leurs limites, expressions de notre finitude. En revanche, la pleine
santé de l’âme serait à notre portée. La philosophie est cette
médecine de l’âme qui, dissipant toute crainte (de la mort, de la