La conception épicurienne. La thèse d`Epicure répond à l

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La conception épicurienne.
La thèse d’Epicure répond à l’objection « spatiale » d’Aristote (sur l’orientation problématique du
mouvement des atomes dans le vide). Mais Epicure cherche à éviter toute spéculation ontologique. En
guise de réponse aux objections « ontologiques » d’Aristote contre Démocrite, il choisit d’abandonner la
question plutôt que de l’assumer : comme Alexandre le Grand devant le nœud gordien, il résout le
problème en le supprimant. Il délaisse les paradoxes liés au vocabulaire du non-être et il en sépare le
problème du vide. Le concept épicurien de vide est alors plutôt caractérisé par sa dimension
expérimentale, par contraste avec le caractère très spéculatif que ce concept revêtait encore chez
Leucippe et Démocrite. Le mouvement dans le vide peut être conçu par analogie avec notre expérience du
mouvement d’objets à travers l’air et l’eau, perçus comme des fluides corporels (exemples donnés par
Lucrèce). Aristote reprochait à Démocrite d’assimiler à son insu vide et lieu. Epicure cherche à contrer
l’objection de la manière suivante : il transforme la définition démocritéenne du vide en revendiquant son
assimilation au lieu (Lettre à Hérodote, §40). Le résultat de cette synthèse du lieu et du vide recevra
officiellement son « baptême spatial » chez Lucrèce avec le spatium.
Analysons le texte d’Epicure :
§ 39. Le tout est : puisque le vide appartient au tout, on peut donc dire que le vide est également.
L’être du vide correspond à une des « natures complètes » (ὅλας φύσεις) qui constituent le Tout : il est
doté d’une positivité ontologique, il n’est pas pensé à travers les catégories du non-être (contra Démocrite).
C’est ainsi que le § 44 évoque la « nature (phusis) du vide ». La réalité du vide n’est pas métaphysique, mais
« physique ».
La méthode d’Epicure est double :
1. une division logique, définir le concept (avant de prouver l’existence de la réalité
correspondante). Division appliquée au Tout : il est « corps et vide » . Technique de réduction pour ranger
tous les phénomènes sous ces deux entités de base. Ces entités ne sont pas en tant que telles des données
d’expérience, objets d’un constat phénoménal, mais elles constituent plutôt des principes faisant l’objet
d’une affirmation théorique. Elles sont dégagées par inférence à partir de données expérimentales qu’elles
seules permettent d’expliquer (cf Lucrèce, 1. 503-10, 520-27). Or la définition des deux réalités de base dans
le domaine de l’inévident (i.e. de l’invisible) se rapporte à l’expérience du toucher. La dualité de l’atome et du
vide n’est plus du tout l’écho de l’opposition de l’être et du non-être (du « physique » et du
« paraphysique »). Au contraire la dualité passe au sein même de la nature (phusis) : c’est l’opposition entre
tangible et intangible : d’un côté le solide- résistance (antitupia), de l’autre complète absence de résistance
ou de solidité (εἶξις, action de céder). Cette opposition sera comprise grâce à une généralisation
analogique, à partir de l’évident vers l’inévident.
2. Une vérification empirique.
Nous pouvons comprendre ce concept du vide par une analogie empirique empruntée au visible (l’eau qui
« cède la place » aux poissons chez Lucrèce >le vide qui « cède la place » aux atomes).
L’argument proposé par Epicure se présente sous forme négative, en vertu de la méthode de « noninfirmation ». En effet, l’hypothèse contraire conduirait à contredire une donnée fondamentale de
l’expérience, à savoir le fait que les corps occupent un espace et sont en mouvement :
« si ce que nous appelons vide (κενὸν), espace (χώραν) ou nature intangible (ἀναφῆ φύσιν) n’était pas (μὴ
ἦν), les corps n’auraient pas où être (ὅπου ἦν) ni à travers quoi se mouvoir (δι' οὗ ἐκινεῖτο), comme nous
voyons qu’ils se meuvent ». On retrouve là l’argument « expérimental » que Leucippe avait soutenu contre
Mélissos. Mais ce qui est nouveau c’est que le vide n’est plus du tout présenté comme non-être (rejet de
l’hypothèse), au contraire il est appréhendé comme être/nature (phusis). Cf : « le tout est ».
Ainsi, le vide est clairement rapproché par Epicure de l’espace en tant que lieu où sont les corps et à
travers quoi le mouvement est possible.
CONCLUSION : Il n’ y a pas de théorie métaphysique du vide chez Epicure, pour la bonne raison qu’il n’y a pas de
théorie métaphysique tout court, si par « métaphysique » on entend un discours portant sur des réalités
qui seraient ontologiquement supérieures aux réalités physiques. Par contre la théorie physique du vide
chez Epicure répond à certains enjeux qui ont d’abord été mis au jour dans un contexte « ontologique »
(les abdéritains face aux éléates). Mais la réponse épicurienne consiste à couper court. Il ne s’agit même
plus pour Epicure de constituer une ontologie alternative face à la métaphysique éléate, mais plus
directement de constituer une physique, comprise comme la voie la plus courte et la plus efficace vers le
bonheur (l’orientation ultime de la philosophie d’Epicure est en effet de nature éthique, mais la physique
constitue l’indispensable voie d’accès à cette fin).
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