Bien entendu, les cinq phases critiques que je viens d'énumérer ne sont nullement exhaustives de l'ensemble de crises
qu'un enfant traverse. Elles sont comme les pics chaotiques d'une traversée mouvementée. Tout notre développement
est fait de ruptures et de réajustements successifs des pièces du puzzle du moi, lequel puzzle se disloque brièvement à
chaque nouvelle information.
Selon la rapidité et la netteté avec lesquelles le moi se reconstitue, l'individu se développera plus ou moins
harmonieusement.
Ces cinq « crises » sont tout particulièrement longues et intenses, émergences marquées des processus invisibles et
permanents qui commandent à notre développement.
Qu'ont-elles de commun ?
A chacune de ces périodes critiques, l'enfant est envahi d'angoisse, et il développe une réaction défensive et
constructive devant cette angoisse. Il s'agit d'un couple d'énergie contraires : angoisse -réaction active.
1) A la naissance, le nouveau-né exprime cette double énergie : on peut considérer la sortie du ventre maternel et de
l'environnement liquide comme la plus grande aventure de la vie ; l'angoisse de l'inconnu est doublée de l'exaltation
de la découverte. Le cri et l'extension du corps de l'enfant à l'air libre sont caractéristiques de cette double dimension.
C'est dire que, dans l'intensité du vécu du nouveau-né, chaque anomalie, chaque incident peuvent être redoutables de
conséquences, à court, moyen ou long terme.
En particulier, ce qui gêne la respiration ou la circulation normale du sang, avant, pendant ou après la naissance peut
entraîner des troubles variables, allant d'une angoisse temporaire simple, sans conséquences à long terme, à des
destructions cérébrales irréver
Chez certains nouveau-nés, les angoisses suffisent, parfois (sans qu'il y ait pour autant trouble du fonctionnement
physiologique du cerveau), pour entraîner des blocages une grande partie de leur vie durant, au moment des « crises »
qu'ils vont traverser.
Il est impossible de préjuger de telles évolutions défavorables au départ de vie de ces enfants. Sur ces questions, nous
n'en savons guère plus que l'homme de la préhistoire face aux mystères de la nature.
2) L'angoisse dite du huitième mois, décrite par Spitz, psychiatre anglo-saxon, se produit entre le 6éme et le 10e
mois environ, et correspond à la prise de conscience du moi de l'enfant, lorsqu'il réalise que sa mère est une réalité
séparée de la sienne : il est, dans cette prise de conscience, envahi par une terrible angoisse, l'angoisse de la solitude
qui l'inonde « mortellement » puisqu'il relie sa peur à son sentiment d'impuissance à agir pour survivre. Tout cela se
passe en deçà de la pensée, et les concepts que j'utilise, telles la solitude, la mort, la survie, cherchent maladroitement
à évoquer ce qui est en fait un vécu global, trouble et diffus.
Le visage de la mère, ses attitudes, ainsi que ceux de l'entourage seront déterminants dans les interactions
d'apprentissage que vivra l'enfant par la suite.
L'enfant développera peu à peu des stratégies de séduction, face au « maître de la -vie et de la mort » que représente
désormais pour lui sa mère (et donc les adultes, ces immenses figures tour à tour souriantes et menaçantes). Mélanie
Klein et Winnicot sont les grands psychanalystes décrypteurs de ces dynamiques.
Ce sont précisément ces stratégies qui augurent, pour l'enfant, de sa capacité cognitive à construire peu à peu des
systèmes de représentation du monde. Il en est comme-d'une partie d'échecs, mais dont l'enjeu est l'autonomisation,
c'est-à-dire la liberté face au pouvoir incommensurable de la mère.
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