G Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É Le cancer du sein : une succession d’annonces “Une identité de femme abîmée” ● I. Moley-Massol* L e sein est un organe fortement investi, image de la femme et de la mère, objet de désir sexuel et attribut maternel, organe nourricier et symbole de vie. La femme dont le sein est atteint par un cancer se vit comme “défaillante”, elle est renvoyée à l’image de sa propre mère et au lien qui les unit. La maladie vient alors raviver les conflits de la relation mère-fille. En raison de l’ampleur de l’investissement du sein et de sa valeur symbolique, le cancer du sein représente une des maladies les plus redoutées de la femme, indépendamment de la sévérité de l’affection. À chaque moment clé, l’information du médecin va permettre de préparer la patiente à l’épreuve qui va suivre. La communication avec le thérapeute est un soutien qui aide la malade à mentaliser le traumatisme psychique et à construire son futur. • Le temps de l’annonce du diagnostic La femme se sent le plus souvent responsable de sa maladie : “Ai-je suffisamment pris soin de moi ?”, ou victime : “Pourquoi moi ?”. Elle évolue entre déni, révolte et abattement. Ce moment s’accompagne fréquemment d’une difficulté à communiquer avec le partenaire, et la femme se sent isolée et incomprise. La peur d’être rejetée par le conjoint est constante chez la femme malade, surtout lorsque la pathologie porte atteinte à son image sexuée. Le médecin doit recevoir le couple, quand la situation le permet, et favoriser l’échange. Le conjoint doit aussi se sentir autorisé à exprimer son anxiété et ses craintes. • Le temps de l’annonce des traitements Le début des traitements est source d’une grande angoisse. La femme a besoin d’être informée sur les modalités du traitement, les effets secondaires, la fatigue, la chute des cheveux éventuelle, et les moyens de prévenir les effets indésirables des thérapeutiques. L’information progressive permet d’anticiper la suite des événements thérapeutiques et diminue l’angoisse. La chimiothérapie est souvent perçue comme un remède pire que le mal. La perte d’un sein est vécue comme le principal traumatisme de l’histoire de la maladie, plus douloureux encore que la maladie elle-même. La femme blessée, meurtrie au plus profond de son identité de femme, perd sa confiance en elle, se sent diminuée, en faillite vis-à-vis de sa féminité. La blessure narcissique est profonde et les troubles anxieux et dépressifs fréquents. Il faut du temps * Docteur en médecine. [email protected] 10 à la femme pour surmonter chaque épreuve, élaborer chacune des pertes et réaliser chacun des deuils successifs. Il faut du temps pour accepter la maladie, la chirurgie, la prothèse éventuelle. À chaque étape, un travail psychique est nécessaire, singulier, spécifique et d’autant plus difficile que l’épreuve précédente n’a pas été suffisamment mentalisée et acceptée. • Le temps de l’annonce du retour à domicile Ce moment est vécu dans l’ambivalence des sentiments. Le soulagement et l’angoisse cohabitent et il est souvent difficile pour la femme de retrouver sa place à la maison, en tant que femme et en tant que mère. La culpabilité est forte vis-à-vis des proches, du conjoint et des enfants, et le malaise familial risque de s’accroître si la communication ne parvient pas à s’instaurer. La femme se vit en situation d’échec par rapport à son rôle et ses devoirs familiaux. Elle ressent parfois le reproche plus ou moins exprimé de son entourage, des enfants notamment, qui ont pu se sentir “abandonnés”, et qui ont eux-mêmes subi l’angoisse de la maladie et de l’éloignement de leur mère, surtout lorsque des mots n’ont pu être posés sur les inquiétudes et le vécu de la maladie par chacun des membres de la famille. L’annonce d’un cancer touche chaque personne au sein de la famille, de la place qu’il occupe et en fonction de la relation qu’il entretient avec le malade. Il faudra du temps à la femme pour retrouver ses marques et sa place, et il appartient au médecin d’aborder avec elle ces difficultés, et de l’accompagner dans ce retour à la “vie normale”. • Le temps de l’annonce de la fin des traitements. La guérison Ce temps est celui des interrogations qui mêlent soulagement et peurs. “Comment s’organiser et repenser sa vie ?” Les points de repère sont bouleversés et il faut remettre de l’ordre dans le chaos. Quitter le lieu rassurant que peut représenter l’hôpital, c’est aussi devoir faire le deuil de la relation avec l’équipe soignante. L’arrêt des traitements crée un vide, un sentiment d’insécurité. Il est difficile de se “sevrer” de toute prise en charge et de quitter le cocon thérapeutique. La patiente a besoin des conseils pratiques du médecin et de son soutien. Celui-ci doit l’accompagner dans son travail de reconstruction pour que la femme se laisse traverser par l’épreuve du cancer, intègre cette nouvelle donne, pour repenser (repanser) son être, sa vie et renaître à elle-même. ■ La Lettre du Gynécologue - n° 293 - juin 2004