LES TUMEURS DU REIN DANS LA PRATIQUE DE L’UROLOGUE AU MALI (A PROPOS DE 17 CAS) OUATTARA K., DAFFE S., TEMBELY A. RESUME Les tumeurs malignes du rein, le cancer de l’adulte et le n é p h roblastome de l’enfant restent non étudiées au Mali. Nous rapportons ici 17 cas de tumeurs du rein colligés en 3 ans à la Clinique N’Gouinso de BAMAKO et au Service d’Urologie de l’Hôpital du Point-”G”. Les 17 tumeurs se répartissent de la manière suivante : cancer de l’adulte 58,8 % et néphroblastome 41,1 %. Les tumeurs de l’adulte comprennent 9 cas d’adénocarcinome rénal (Tumeur de Grawitz) et 2 cas de tumeur urothéliale du bassin et rénal. La principale manifestation clinique est la fièvre et la douleur, surtout abdominale dans le néphroblastome. A signaler un cas d’envahissement rétrograde du cordon spermatique et du testicule droit dans le néphr o blastome. La tumeur est palpable dans 88,2 % des cas, mobile dans 70,5 %. Les néphroblastomes ne saignent pas et l’hématurie est observée chez tous les malades souffrant d’un cancer de l’adulte. La néphrectomie a été possible dans 11 cas sur 17. Il y a énorme difficulté de suivi des malades après leur sortie, cependant la survie des malades dépasse difficilement un an, 5,8 mois pour deux malades et 1 an pour un. La plupart des cas sont chirurgicalement dépassés. Mots clés : Tumeurs malignes du rein, Epidémiologie, Traitement, Zone tropicale Tumor) and 2 cases of renal urothelial Tu m o r. The principal clinical manifestation of renal cell cancer is fever and pain, especially abdominal pain in nephroblastoma. To note a case of retrograde invasion of spermatic cord and right Testis in nephroblastoma. The tumor is palpable in 88,2 % of the cases, molide in 70,5 %, no bleeding in nephroblastoma but hematuria was observed in all adult cancer patients. Nephrectomia has been possible in 11 cases of 17. Follow up has been difficult after discharge however it has been observed that survival period is hardly beyond one year. In some cases only 5-8 months, 2 patients and one year (one patient). In most cases surgery was not possible. Key-words : Renal cell tumor, clinic, epidemiology, treatment, tropical zone. Avec l’avènement ces dernières années de moyens d’exploration plus performants tels la tomodensitométrie, l’imagerie à résonance magnétique, la vulgarisation de l’échographie, en matière de tumeurs du rein la nature des choses a manifestement changé tant sur le plan du diagnostic que celui des indications opératoires. Au Mali nous ne disposons pas encore d’un tel privilège et la situation réelle des tumeurs du rein reste une inconnue. A cela il faut ajouter que leur diagnostic précoce est entravé par le fait que l’hématurie qui en est l’un des signes maîtres est considérée banale, attribuée en premier lieu à une bilharziose urinaire. SUMMARY MATERIEL - METHODE Malignant tumors of the kidney, the renal cell cancer in adult and nephroblastoma in the child, has never been studied in Mali. We report 17 cases observed in three years at the N’Gouinso Clinic and at the department of urology of Point-”G” Hospital in Bamako. The 17 cases are spread as follow-renal cell cancer in adult 58,8 %, n e p h roblastoma 41,0 %. Renal cell cancer in adult consist of 9 cases of renal adenocarcinoma (Grawits Notre étude est la continuation d’une première étude sur les “gros reins” au cours de laquelle sur 135 dossiers de suspicion de gros reins, 110 ont été retenus d’origine rénale, parmi lesquelles seuls 13 étaient des tumeurs solides du rein. A ce nombre colligé de Février 1988 à Décembre 1990 nous ajoutons 4 nouveaux cas en 1991 soit au total 17 tumeurs solides du rein. A partir de ces 17 cas confir- Service d’Urologie - Hôpital du Point-G - Bamako (Mali) Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (4) OUATTARA K., DAFFE S., TEMBELY A. 254 més nous nous proposons de faire un portrait clinico-épidémiologique des tumeurs du rein au Mali. TABLEAU I : Répartition des cas en fonction de l’année de consultation Année Nb de cas 1988 5 1989 3 1990 5 1991 4 Total 17 % 29,41 17,65 29,41 23,53 100 D’année en année le nombre de cas de tumeurs solides du rein est pratiquement le même (Tableau I). Nous avons deux âges cibles de 0-10 ans,35,29 % des tumeurs et de 41 à 50 ans, 41,18 % (Tableau II). Les malades du sexe masculin sont majoritaires, 82,4 % (Tableau III). TABLEAU IV : Nature de la tumeur Type de tumeur Nb de cas % Regroupement Néphroblastome 7 41,1 7 cas 41,1 % Adénocarcinome rénal 9 52,9 10 cas Tumeur du bassinet 1 6,0 58,9 % Total 17 100 100 % TABLEAU II : Age des malades Tranches d’âge 0-10 ans 11-20 ans 21-30 ans 31-40 ans 41 - 50 ans Plus de 51 ans Total Nb de cas 6 1 3 7 - % 35,29 5,88 17,65 41,18 - 17 100 TABLEAU III : Sexe des malades Sexe du malade Masculin Féminin Total Nb de cas 14 3 7 % 82,4 17,6 100 Sur 17 tumeurs rénales nous avons 7 néphroblastomes soit 41,1 % pour 9 cas d’adénocarcinome rénal, 52,9 % et 1 cas de tumeur urothéliale du bassinet, 5,8 %. Ainsi le cancer de l’enfant (le néphroblastome) représente 41,1 % des cas et le cancer de l’adulte 58,8 % (Tableau IV). Cinq malades porteurs de néphroblastomes ont moins de 4 ans. TABLEAU V : Quelques expressions cliniques des tumeurs rénales Signes cliniques Douleur Hématurie Fièvre Mobile Pyurie Tumeur abdominolombaire palpable Troubles digestifs Varicocèle Métastase au niveau du testicule Oedème des membres + + + + + + + + + _ + - Tumeur de l’enfant (néphroblastome) 7 - 41,2 % 7 - 41,2 % 7 - 41,2 % 5 - 29,4 % 2 - 11,7 % 1 - 5,8 % 6 -35,2 % 7 - 41,1 % 7 - 41,2 % 7 - 41,1 % 1 - 6,0 % 6 - 35,2 % 7 - 41,1 % Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (4) Tumeur de l’adulte (adénocarcinome) Tumeur du bassinet 10 - 58,8 % 10 - 58,8 % 10 - 58,8 % 7 - 41,1 % 3 - 17,6 % 10 - 58,8 % 8 - 47,2 % 2 - 11,7 % 4 - 23,5 % 6 - 35,3 % 1 - 6,0 % 9 - 52,9 % 10 - 58,8 % 3 - 17,7 % 7 - 41,1 % Total 17 - 100 % 10 - 58,8 % 7 - 41,2 % 17 - 100 % 12 - 70,5 % 5 - 29,5 1 - 5,8 % 16 - 94,2 % 15 - 88,3 % 2 - 11,7 % 11 - 64,7 % 6 - 35,3 % 1 - 6,0 % 16 - 94,0 % 1 - 6,0 % 16 - 94,0 % 3 - 17,7 % 14 - 82,3 % LES TUMEURS DU REIN… 255 Présentes chez tous les malades, douleur et fièvre sont l’expression clinique la plus constante. Seuls le cancer de l’adulte est hématurique ; 88,2 % des malades présentent une tumeur palpable ; 64,7 % des troubles digestifs au dépend surtout des enfants 41,1 %. Le varicocèle droit, signe de compression de la veine cave inférieure a été observé chez un malade adulte tandis qu’un cas de néphroblastome s’est au départ révélé par une volumineuse tumeur au niveau de la bourse - envahissement du cordon spermatique et du testicule. Trois malades adultes avaient des œdèmes du membre inférieur. Le rein a été considéré mobile dans 12 cas (70,5 %), dont 7 cas de cancer de l’adulte (41,1 %) et 5 cas de néphroblastome soit 29,4 % (Tableau IV). TABLEAU VI : Données radiologiques Critères Néphroblastome Cancer de l’adulte Total Rein urographiquement muet 2 - 11,7 % 3 - 17,6 % 5 - 29,3 % Rein fonctionnel 5 - 29,4 % 7 - 41,1 % 12 - 70,5 % Calcifications rénales au niveau de la tumeur 1 - 5,8 % 4 - 23,5 % 5 - 29,3 % Dans la majorité des cas le rein malade est urographiquement fonctionnel - 70,5 % des cas (Tableau VI). Des calcifications sont présentes au niveau du rein malade dans 29,4 % des cas. TRAITEMENT ET RESULTATS Disons d’emblée que le seul moyen thérapeutique à notre portée est la chirurgie. Une exérèse totale plus ou moins élargie du rein a pu être pratiquée dans 11 cas. Deux malades adultes n’ont pas été opérés à cause de leur très mauvais état général. Chez 4 malades on s’est contenté d’une laparotomie exploratrice plus biopsie. L’examen anatomopathologique des pièces a confirmé le caractère malin de la tumeur dans tous les cas. Trois décès ont été constatés avant la sortie - un enfant et les deux malades adultes non opérés. Nous sommes par ailleurs au courant du décès de deux adultes qui ont subi la néphrectomie avec 5 et 8 mois de recul après l’intervention. Un malade opéré il y a environ 2 ans présente une récidive au niveau du moignon urétéral avec émission d’urine sanglante par le méat urétéral du même côté. Ce malade au niveau du poumon présente également une volumineuse métastase. Les autres malades sont perdus de vue car ayant rejoint leur domicile en dehors de la capitale. COMMENTAIRE De notre étude il ressort que les tumeurs malignes du rein sont bien une des facettes de la pathologie urologique au Mali. Cependant avec 17 cas en 2 ans nous pouvons les considérer rares. En Indre et Loire CHAUTARD (2) en 3 ans a dénombré 92 cas. SUGANDI (8) rapporte qu’en 10 ans sur 202.111 malades, 211 soit 0,1 % avait une tumeur maligne de l’appareil urogénital dont 18 % de tumeurs rénales. La rareté du cancer du rein est mentionnée dans la littérature médicale, environ 3 % (6) des tumeurs de l’homme. Dans notre série de tumeurs du rein, le néphroblastome et le cancer du rein de l’adulte sont presque à part égale, respectivement 41,2 % et 58,8 %. Une étude sur l’incidence de chacune des formes permettra de mieux les comparer.Le néphroblastome est plus fréquent dans la série de SUGANDI (8). 21 cas sur 39 soit 53,9 % contre 46,1 % pour le cancer de l’adulte. Il représente 20 % de 109 tumeurs abdominales chez QUENU (5). Dans notre série le sex-ratio est de 4 hommes pour 1 femme contre 2 hommes pour 1 femme pour la série de CHAUTARD (2). La bilatéralité de la tumeur, 2 à 3 % (4) n’est pas confirmée dans notre étude. Le néphroblasme semble saigner dans 10 à 15 % des cas (4). Aucun de nos malades ne présente une hématurie. Ce symptôme qui est classique pour le cancer de l’adulte peut être absent, 63 % des observations de GIBBONS (3). La douleur abdominale présente chez tous nos malades est confirmée dans la série de ROSENFELD (7), 1/3 des 38 malades porteurs de néphroblastome. Evoquant enfin le problème du diagnostic et traitement quelques réflexions nous confortent - l’UIV et l’échographie semblent essentielles dans le diagnostic et la seule thérapeutique pour le cancer de l’adulte est l’exérèse (1). Parlant de pronostic dans notre contexte il faut le considérer mauvais car la plupart des cas sont chirurgicalement dépassés. Grâce à la chimiothérapie le pronostic des tumeurs de Wilms de l’enfant semble avoir passé de 20 % en 1940 à 80 % de nos jours (1). Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (4) OUATTARA K., DAFFE S., TEMBELY A. 256 BIBLIOGRAPHIE 1 - BLANDY J.P. Tumeur du haut appareil urinaire. J. d’Urol. 1981, 87, (3), pp. 139-145. 2 - CHAUTARD D., YBERT G., BESANCENEZ A., CHAILLY J., PELLETIER G., LAUSON Y. Epidémiologie des cancers du rein de l’adulte. Cas particuliers de l’Indre et Loire. J. Urol., 1984, 90, (l0), pp. 674-675. 3 - GIBBONS R.P., MONTIE J.I., CORREA R., MASON J. T. Manifestations of renal cell carcinoma. Urology, 1976, 8, 201-206. 4 - ODILE S. Le néphroblastome de l’enfant. La revue du praticien, 1962, XII, (10), pp. 1081-1088. Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (4) 5 - QUENU V . A. Les tumeurs solides abdominales de l’enfant. Thèse Médecine Dakar, 1981, (35), p.6. 6 - ROUX, CHAPELIER, JANIER, LAGANE L. Conférences médico-chirurgicales en urologie . (non édité). 7 - ROSENFELD M., RODGERS B.M., TALBERT J.L . Wilm’s tumor with acute abdominal pain. Arch. Surg., 1977, 112, 1080-1082. 8. SUGANDI S. Referal pattern of Urological Malignancy in Indonesia. British Journal of Urology, (1989), 63, 1-3.