LA CONJECTURE DE POINCAR´
E
JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
Pr´
eambule. Ces notes ont ´et´e r´edig´ees `a l’occasion d’un expos´e donn´e `a la
Brussels Summer School of Mathematics en aoˆut 2014. Le but de ce texte
est de donner au lecteur un premier aper¸cu de la conjecture de Poincae qui
eanmoins soit accessible `a quiconque poss´edant une formation de base en
math´ematique.
Table des mati`
eres
Introduction 2
Chapitre 1. 3
1. La topologie `a l’´epoque de Poincar´e 3
2. Au del`a de la dimension 2 7
3. L’homologie et le groupe fondamental 9
4. La sph`ere d’homologie de Poincar´e 13
Chapitre 2. 20
5. Plan de la preuve 20
6. G´eom´etrie 21
7. Liens entre g´eom´etrie et topologie 27
8. Le flot de la chaleur 28
9. Le flot de Ricci 32
R´ef´erences 36
1
Introduction
En 1904, Henri Poincar´e formulait l’une des conjectures des plus importantes
du vingti`eme si`ecle. Durant plus de cent ans, des math´ematiciens de premier rang
tent`erent de la d´emontrer. Ils d´evelopp`erent en cours de route de puissants outils
math´ematiques qui devinrent rapidement la base de nouvelles branches et th´eo-
ries ind´ependantes. Mais ce n’est qu’en 2006 que le math´ematicien russe Grigori
Perelman r´eussit `a prouver la conjecture, en achevant un programme propos´e par
Richard Hamilton dans les ann´ees ’80. Cet article a pour but d’expliquer ce chemi-
nement.
Dans le premier chapitre, nous pla¸cons la conjecture dans son contexte historique
et expliquons ce qui ´etait connu `a l’´epoque de Poincar´e. Nous ´evoquons le cas des
surfaces et le passage aux vari´et´es de dimensions sup´erieures, et introduisons deux
outils importants utilis´es par Poincar´e pour l’´etude de ces vari´et´es : l’homologie et le
groupe fondamental. Nous d´ecrivons finalement l’exemple de la sph`ere d’homologie
de Poincar´e, qui montre que l’homologie n’est pas un invariant suffisamment fort
pour caract´eriser la 3-sph`ere.
Le second chapitre d´ecrit les outils g´eom´etriques menant `a la preuve de la conjec-
ture. Nous introduisons le concept de courbure sur une vari´et´e riemannienne et
expliquons comment relier g´eom´etrie et topologie. Nous ´evoquons ´egalement le flot
de Ricci, une ´equation d’´evolution introduite par Hamilton qui vise `a homog´en´eiser
des m´etriques sur une vari´et´e. Afin de familiariser le lecteur avec le flot de Ricci,
nous analysons d’abord le probl`eme plus simple de diffusion de la chaleur, qui laisse
deviner de nombreuses propri´et´es du flot de Ricci.
Remerciements. Nous remercions chaleureusement Julie Distexhe pour sa relec-
ture attentive. Une partie des figures 7, 13 ainsi que les figures 22, 25, 27 et 29 sont
issues de Wikipedia. Le premier auteur est financ´e par une bourse AFR du Fonds
National de la Recherche du Luxembourg. Le second auteur est financ´e par une
bourse d’aspirant du Fond National de la Recherche Scientifique de Belgique.
2
CHAPITRE 1
1. La topologie `
a l´
epoque de Poincar´
e
1.1. Surfaces et vari´et´es. Chacun d’entre nous a probablement une id´ee intuitive
de ce qu’est une surface. On pense `a la sph`ere, `a l’ellipse, ou encore au tore. Comme
l’intuition est tr`es importante en topologie, nous garderons toujours ces exemples
en tˆete. Mais pour bien comprendre les choses, soyons un peu plus pr´ecis.
Pour d´efinir une surface, nous avons tout d’abord besoin d’un ensemble muni
d’une structure suppl´ementaire appel´ee une topologie. Celle-ci prescrit une collec-
tion de sous-ensembles qu’on appelle les ouverts et qui doivent satisfaire certains
axiomes. C’est cette structure additionnelle qui fournit un cadre g´en´eral pour d´e-
finir des concepts tels que la connexit´e, la continuit´e, la compacit´e ou encore les
limites. Un ensemble muni d’une topologie est alors appel´e un espace topologique.
L’exemple le plus standard d’un tel espace est probablement l’espace euclidien Rn
o`u les ouverts sont les r´eunions de boules. N´eanmoins, la donn´ee d’une topologie
n’est pas encore suffisante pour d´efinir une surface. Il manque une propri´et´e cruciale
qui peut ˆetre comprise intuitivement par l’exp´erience de pens´ee suivante. Pendant
des milliers d’ann´ees, les gens ont pens´e que la Terre avait plus ou moins la forme
d’un disque et qu’en se rapprochant du bord de ce disque, on courrait le risque de
tomber dans l’´eternit´e obscure de l’espace 1. Une hypoth`ese assez naturelle... Pour-
tant, si l’on change de point de vue et qu’on s’´eloigne suffisamment de la Terre, on
se rend compte que celle-ci ne ressemble pas du tout `a un disque mais plutˆot `a une
sph`ere 2. Le point essentiel de cette observation est que la Terre ressemble locale-
ment `a un disque, mˆeme si globalement ce n’est pas le cas. C’est cette propri´et´e de
localement ressembler `a un disque qui caract´erise les surfaces. Formalisons `a pr´esent
cette id´ee.
efinition 1. Soient Xet Ydeux espaces topologiques. Un hom´eomorphisme est
une bijection continue entre Xet Ydont l’inverse est ´egalement continue. On dit
alors que Xet Ysont hom´eomorphes.
efinition 2. Une surface topologique Sest un espace topologique connexe 3ayant
la propri´et´e que pour chaque point xde S, il existe un voisinage ouvert de xho-
m´eomorphe `a la boule unit´e de R2.
1. voir par exemple le film Ast´erix chez les Indiens.
2. voir le 17e album de Tintin : On a march´e sur la lune.
3. Cette hypoth`ese est parfois omise. Pourtant on suppose souvent que l’espace est Hausdorff
et `a base d´enombrable mais nous n’entrerons pas dans ces d´etails ici.
3
4 JULIEN MEYER AND PATRICK WEBER
Figure 1. Une surface topologique est localement hom´eomorphe `a R2
Figure 2. Deux exemples classiques de surfaces : la sph`ere et le tore.
Notons que cette d´efinition de surface se g´en´eralise facilement aux dimensions
sup´erieures. En rempla¸cant simplement 2 par n, on d´efinit ainsi les vari´et´es topolo-
giques de dimension n. Pr´ecisons qu’il est ´egalement possible de d´efinir les vari´et´es
`a bord de fa¸con similaire.
Comme souvent en math´ematique, on ne consid`ere les objets qu’`a isomorphisme
pr`es, et la notion d’isomorphisme en topologie est l’hom´eomorphisme. D`es lors,
deux vari´et´es topologiques seront consid´er´ees comme ´etant les mˆemes s’il existe un
hom´eomorphisme entre elles. Ce qui compte, c’est la forme de la surface, `a d´e-
formation continue pr`es. Les notions telles que les longueurs, les distances et les
volumes ne sont pas prises en consid´eration. Ainsi, deux sph`eres de rayons diff´erents
sont topologiquement ´equivalentes, et toutes deux sont ´egalement ´equivalentes `a un
ellipso¨
ıde. Pour cette raison, la topologie est parfois appel´ee la science du caou-
tchouc, au sens o`u l’on peut ´etirer et d´eformer les vari´et´es comme du caoutchouc
sans en modifier la nature topologique. On n’a par contre pas le droit de les casser
et d’introduire des trous, car cela correspondrait `a des d´eformations qui ne sont pas
continues.
Remarquons qu’il y a diff´erentes notions de vari´et´es. Les vari´et´es topologiques
peuvent par exemple avoir des coins, ce qui n’est pas souhaitable si on veut utiliser
les techniques du calcul diff´erentiel pour les analyser. On introduit alors une notion
plus forte pour laquelle ce ph´enom`ene ne se produit pas, `a savoir les vari´et´es lisses.
efinition 3. Soit Xun espace topologique. Une carte en un point xXest
un couple (U, φ), o`u Uest un ouvert contenant xet φ:UB0(r)Rnest un
hom´eomorphisme. Ici B0(r) d´enote la boule de rayon rcentr´ee en 0.
En utilisant ce langage, on peut d´efinir une vari´et´e topologique comme ´etant un
espace topologique qui admet une carte en chacun de ses points.
5
Figure 3. Trois r´ealisations topologiquement ´equivalentes de la sph`ere.
U
1
U
2
φ
1
φ
2
φ ( )
1
U
1
U
2
φ ( )
2
U
1
U
2
U
1
U
2
Figure 4. L’application de changement de cartes est repr´esent´ee
par la fl`eche en pointill´e.
efinition 4. Une vari´et´e lisse Mde dimension nest une vari´et´e topologique qui
admet une collection de cartes {(Ui, φi)iI}, telle que les Uirecouvrent Met que
les applications de changement de cartes
ϕjϕ1
i;ϕi(UiUj)ϕj(UiUj)
sont C.
Une remarque importante pour le deuxi`eme chapitre de cet article est que toutes
les surfaces et vari´et´es topologiques de dimension 3 admettent une unique structure
de vari´et´e lisse. On peut donc les lisser. Ce fait n’est plus vrai en dimension sup´e-
rieure. Donaldson a par exemple montr´e qu’en dimension 4, la plupart des vari´et´es
topologiques n’admettent pas de structure lisse, un r´esultat tr`es profond pour lequel
il a obtenu la m´edaille Fields !
1.2. La classification des surfaces. Nous avons ´evoqu´e pr´ec´edemment l’exemple
du tore. Intuitivement, il se distingue de la sph`ere par la pr´esence d’un trou. De la
mˆeme mani`ere, on peut imaginer des surfaces `a deux, trois, et plus g´en´eralement
gtrous. Une fa¸con int´eressante de penser `a ces exemples repose sur une op´eration
qui porte le nom de somme connexe. A partir de deux surfaces S1et S2, on peut
construire la somme connexe S1#S2en enlevant un petit disque de chaque surface
et en collant ensuite S1et S2le long des bords de ces disques. Ainsi, une surface
`a plusieurs trous peut ˆetre obtenue par somme connexe d’un certain nombre de
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