DES ANOMALIES DE COMPORTEMENT À L’INVESTISSEMENT À FAIBLE VOLATILITÉ JULY 2012 YUSUKE KHAN, CONSULTANT PRINCIPAL Les investisseurs trouvent régulièrement dans leur boîte aux lettres une abondance de documents de diverses sources leur offrant de nouvelles preuves que l’hypothèse du marché efficient comportemental nous permet de saisir intuitivement que les (Efficient Market Hypothesis - EMH) est révolue et que la théorie des cas, mais pas toujours, en raison de l’évolution du comporte- moderne des portefeuilles (Modern Portfolio Theory - MPT) est ment humain. Pour donner un exemple de ces concepts, j’aimerais désuète. Pourtant, les applications de ces théories demeurent, brièvement évoquer une catégorie de stratégies de placement qui d’une manière ou d’une autre, la pierre de touche de nombreuses a retenu une certaine attention au cours de la dernière année, politiques d’investissement, probablement en grande partie parce celle des stratégies d’actions à faible volatilité. qu’il est effectivement très difficile de battre régulièrement le marché à long terme dans le contexte de contraintes institutionnelles pratiques. Dans le cadre de cet article, commençons par supposer que les arguments tant en faveur que contre le EMH et la MPT sont exacts. Un article récent d’Andrew Lo intitulé Adaptive Markets and the New World Order a retenu mon attention et pourrait être riche en informations. Paru dans l’édition de mars/avril 2012 de Financial Analysts Journal, il reprend le cadre d’analyse de l’hypothèse des marchés adaptatifs (Adaptive Markets Hypothesis - AMH), exposée pour la première fois en 2004, qui pourrait être utile pour expliquer ces points de vue apparemment contradictoires. marchés peuvent être efficients et que les politiques traditionnelles de répartition des actifs peuvent être valides dans la plupart Alors qu’on entend souvent parler en ce moment d’un environnement du marché qui passe alternativement du goût du risque à l’aversion pour le risque (risk on / risk off) – ce dont des gestionnaires de hedge funds astucieux peuvent bien profiter –, la plupart des fiduciaires de régimes de retraites sont actuellement plutôt enclins à éviter le risque. Avoir moins de volatilité dans un portefeuille grâce à une répartition privilégiant les actions ou indices à faible volatilité peut par conséquent être intéressant en soi, même si cela se traduit par des rendements prévus inférieurs à long terme, comme le veut la MPT. Mais des études qui atterrissent régulièrement sur nos bureaux semblent suggérer qu’il n’est pas nécessaire de sacrifier des rendements et qu’il est peut-être C’est un article pertinent dans lequel Lo souligne que dans la même possible de dégager des rendements supérieurs aux pratique l’équilibre entre risques et rendements n’est pas stable indices classiques si les investisseurs savent exploiter les anomalies dans le temps ou selon les circonstances, mais qu’il varie en que présentent des titres à faible coefficient bêta. fonction de la population des participants du marché et de la conjoncture dans laquelle ils sont immergés. Cet article et beaucoup d’autres études qui visent à aider les investisseurs à trouver de meilleures stratégies de placement expliquent par des considérations comportementales l’apparition d’anomalies apparemment répandues. Bien que les modèles et théorèmes économiques qui fonctionnent dans tous les cas de figure sont le plus intéressants, un cadre de référence Il n’est pas possible, dans les colonnes de ce bulletin, d’expliquer pleinement les stratégies à faible volatilité, mais Pim van Vliet en résume bien les principales caractéristiques dans Ten Things You Should Know About Low Volatility Investing paru dans l’édition d’hiver 2011 du Journal of Investing. Pour notre propos, c’est le point 4 de van Vliet qu’il faut connaître, à savoir que l’alpha des portefeuilles à faible volatilité n’est pas le résultat d’une formule magique, mais est plutôt déterminé par des effets comportementaux DES ANOMALIES DE COMPORTEMENT – JUILLET 2012 2 DES ANOMALIES DE COMPORTEMENT persistants qui rendent les marchés inefficaces. Il dresse la liste suivante des explications possibles de l’alpha structurel des titres à faible volatilité : 1. La concentration sur l’erreur de réplication (Tracking Error) comme mesure du risque par de nombreux investisseurs plutôt que sur la volatilité globale. Les portefeuilles en actions à faible volatilité produisent donc des Tracking Error importants qui semblent risqués pour les gestionnaires essayant de construire des portefeuilles ayant un faible risque relatif à leur indice de référence. 2. Les gestionnaires ont tendance à préférer les actions plus risquées pour obtenir un taux de rendement espéré plus élevé puisque la plupart des investisseurs ne peuvent pas utiliser de levier directement sur un portefeuille d’actifs moins risqués. (L’argument en faveur des stratégies de « parité du risque » est lié à cette observation, mais nous réserverons cette discussion pour une autre fois.) 3. La stratégie d’enrichissement rapide comme avec un billet de loterie gagnant pousse les investisseurs à faire monter les prix d’actions très volatiles qui promettent des gains énormes, mais improbables. 4. L’effet de publicité qui pousse les investisseurs à faire monter de manière injustifiable les actions de sociétés en vogue est source de volatilité. 5. La malédiction du gagnant : l’acheteur qui offre le plus paie souvent une action plus cher que sa valeur intrinsèque réelle, ce qui est source de volatilité. Si on considère les trois dernières explications (3, 4 et 5) pour savoir pourquoi on ferait mieux de s’intéresser à des actions qui sont moins des valeurs vedettes et présentent une plus faible volatilité, il ne faut chercher plus loin que l’ascension et la chute du cours de l’action de Facebook pendant sa récente introduction en bourse. Les stratégies explicites reposant sur une faible volatilité se fondent habituellement sur des ordinateurs rationnels pour sélectionner des positions et peuvent par conséquent être moins exposées à des erreurs irrationnelles. Cependant, il faut suite du la page 1 se rappeler une citation souvent attribuée à Keynes selon laquelle les marchés restent irrationnels plus longtemps que vous ne réussirez à rester solvable. Et, selon l’explication numéro 1 ci-dessus, la solvabilité peut être mesurée en termes de rendement par rapport à un indice de référence traditionnel. Il est aussi important de noter que, en bout du compte, les stratégies reposant sur une faible volatilité peuvent ne pas échapper aux « lois » de la théorie financière traditionnelle. Les anomalies finissent souvent par entraîner une « saturation du marché » puisqu’une plus grande attention des investisseurs et une plus grande demande se dirigent vers ces stratégies intéressantes au point où l’alpha offert par l’anomalie disparaît entièrement, rétablissant ainsi l’efficience du marché. Il faut aussi garder à l’esprit que les stratégies reposant sur la faible volatilité n’excluent pas les concepts tirés de la MPT puisque ces stratégies reposent souvent sur des techniques d’optimisation fondées sur la moyenne et la variance dans leur processus de constitution de portefeuilles. Ainsi, et peut-être par ironie, la MPT est souvent utilisée pour paramétrer un portefeuille sous-optimal dont on attend alors qu’il offre des rendements supérieurs grâce à une anomalie comportementale. Nous espérons tous qu’à un certain point les marchés se normalisent et que les stratégies de placement plus classiques motivées par le bêta des actions rapportent à nouveau les taux de rendements attendus. Dans un tel environnement, les investisseurs qui souhaitent investir dans un portefeuille à volatilité moindre pourraient assez rationnellement accepter de renoncer à une part de bénéfice en cas de hausse afin d’obtenir une meilleure protection en cas de baisse. Nous aimerions tous savoir ce qui se passera à l’avenir. En attendant, il faut garder à l’esprit que l’anomalie de faible volatilité, ainsi que les théories que nous pensons que cette anomalie réfute, peuvent toutes porter fruit d’une certaine manière, mais pas tout le temps. Les commentaires ou questions concernant cet article peuvent être adressés à: Yusuke Khan, Consultant principal [email protected] DES ANOMALIES DE COMPORTEMENT – JUILLET 2012