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Communication et développement durable :
des relations ambiguës
Les relations entre la thématique du développement durable et celle de la
communication n’ont jamais été simples. Défini en 1987 par le rapport
Brundtland comme le développement qui « répond aux besoins du présent
sans compromettre ceux des générations futures de répondre aux leurs »,
le concept de développement durable émergea réellement lors du sommet
de la Terre en 2002 avant de se généraliser durant la seconde moitié des
années 1990. Il fut rapidement suspecté d’être un artefact de
communication notamment en raison de son utilisation par le monde des
entreprises. Suivant en cela les problématiques de la citoyenneté
d’entreprise posées durant les années 1980 puis de la montée du thème
de la communication environnementale
1
, le développement durable par
son objectif de relier les sphères économique, sociale et
environnementale, de redéfinir les modalités de l’entreprise avec son
environnement, s’est retrouvé au cœur des préoccupations du
communicant. Parce qu’il redessine les modalités relationnelles de
l’entreprise, redéfinit son rôle et sa responsabilité, le développement
durable s’inscrit naturellement dans un processus de communication. Le
terme de « parties prenantes », central dans la thématique du
développement durable, se situe clairement dans un système de relations
dépassant celui de « cibles » couramment employé dans la pratique
traditionnelle de la communication. En outre, l’utilisation du terme dans
les stratégies de communication institutionnelle s’est répandue dans la
sphère économique sans que la visualisation des actions ne s’opère en
parallèle
2
. En conséquence, le recours à la thématique fut fréquemment
assimilé à une marche de cupération
3
, celle-ci ne doit pourtant pas
masquer une complexité des relations non réductible à une contestation
sur l’usage communicationnel du terme.
UN DOMAINE CONTESTE
La communication a toujours été un domaine contesté. Dès l’émergence
de la publiciau milieu du 19ème siècle, les premières accusations sur ses
effets apparaissaient. La communication sur le développement durable ne
peut échapper à ce mouvement puisqu’elle est susceptible de cristalliser
ensemble une critique générale sur la communication et une attaque sur
la thématique environnementale considérée comme un domaine plus ou
moins réser des associations. L’entreprise s’expose particulièrement à
ces critiques de par l’ampleur de ses discours sur ce thème et surtout des
failles de sa communication.
1
: Thierry Libaert, La communication verte, Editions Liaisons, 1992,
Michel Ogrizek, Environnement et communication, Apogée, 1993,
Jacques Vigneron et Laurence Francisco, La communication environnementale, Economica, 1996
2
: Voir notamment Michel Capron et Françoise Quairel-Lanoizelée, Mythes et réalités de l’entreprise
responsable, La Découverte, 2004
3
: Voir en ce sens, Eveline Lubbers (sous la direction de), La grande mascarade, Parangon, 2003
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Des dérives incontestables
Il est nécessaire de souligner, à la décharge de l’entreprise, que la
communication sur le développement durable est un secteur relativement
nouveau, qu’aucune férence incontestée n’existe, en termes
dexpériences modèles, ni en matière de guides pour l’action : au
contraire, une profusion de recommandations a germé, non sans entraîner
parfois certaines confusions dans l’élaboration d’une stratégie de
positionnement. Il existe certes un certain nombre de normes qui
définissent un cadre pour l’action et la communication
4
; malgré tout,
celles-ci n’évitent pas que l’entreprise puisse être quelque peu désorientée
lorsqu’il s’agit de réfléchir à une communication sur le sujet.
Dans ce contexte, les politiques d’entreprises font l’objet d’un el
mouvement de dénonciation, qu’on peut nommer « l’attaque
communicationnelle ». Elle s’est focalisée sur deux approches
complémentaires.
Dabord une contestation liée aux modalités de mise en œuvre.
Productions a priori les mieux balisées, les rapports annuels font l’objet de
nombreuses critiques. On leur reproche l’absence d’indicateurs chiffrés
(deux fois inrieurs en nombre comparativement aux autres rapports
européens), labsence de mise en perspective des résultats et plus
globalement l’extrême faiblesse de la qualité de linformation. Seul un
tiers des 150 premières entreprises françaises ferait l’effort d’apporter une
information de qualité, mais souvent très en deçà des exigences non
sanctionnables gales. Il faut ajouter qu’aux yeux des observateurs
critiques, l’information fournie est rarement mise en perspective avec des
éments de comparaison historique, géographique ou concurrentielle.
Comme le note Frédéric Tiberghien, lancien président de lORSE
(Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises), ce travail
d’évaluation comparée reporting ») est rarement utilisé dans le cadre
du dialogue avec les parties prenantes
56
. Entre les entreprises qui
informent peu et celles qui noient le lecteur sous une avalanche de
données (procédure nommée métaphoriquement, en référence aux
opérations militaires massives, « carpet bombing »), la marge pour une
information précise et compréhensible est souvent étroite. Plus de cinq
années après sa promulgation, force est de constater que la loi sur la
4
: Il s’agit par exemple des normes ISO14001 ou SA-8000, du projet de norme étudié au sein de la Commission
des Droits de l’homme de l’ONU ou de celle élaborée par l’ISO sur la responsabilité sociale de l’entreprise
ISO26000 qui devrait être opérationnelle en 2008, des principes du WBCSD, des recommandations édictées par
l’ONU (le Global Compact). Plusieurs guides ont été publiés, celui de l’AFNOR, celui de l’Ademe, ceux qu’ont
élaborés certains acteurs associatifs comme OREE. En outre, certaines balises sont posées par le droit de la
communication et des recommandations du Bureau de rification de la Publicité en date du 17 décembre 2003,
sans oublier les textes spécifiques, comme celui, incontournable de la loi NRE du 15 mai 2001.
6
: Béatrice Delamotte, « Le développement durable progresse lentement », La Tribune, 8 juin 2005
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responsabilité des entreprises na pas eu leffet escompté dans
l’amélioration du dialogue. D’autres facteurs participent en outre à une
certaine perte de crédibilité : ainsi, lorsqu’on constate que les discours
institutionnels ne sont pas relayés au niveau de la communication produit,
par exemple chez certains constructeurs automobiles, lorsque les divers
supports mettent en évidence des messages contradictoires, ainsi du
traitement du développement durable au sein des rubriques « finance » ou
« e n v i r o n n e m e n t » s u r l e s s i t e s I n t e r n e t d ’ e n t r e p r i s e .
Mais l’une des sources majeures de discrédit tient au fait que sont parfois
révélées des données qui avaient été soigneusement dissimulées et qui
devinrent manifestement contraires aux arguments développés. L’exemple
type est fourni par Shell. Cette entreprise avait été encensée, s’il en est,
par l’ensemble des ouvrages sur le développement durable comme
parangon de toutes les vertus environnementales, de transparence et de
dialogue avec les ONG. Cela, jusqu’à ce qu’on découvre en avril 2004 que
le groupe avait surévalué des réserves pétrolières dans ses comptes et
que le président Philip Watts doive quitter le groupe
7
. On voit le type de
soupçon qu’une telle information engendre : si même l’entreprise qui
incarne l’engagement pour le développement durable dissimule sciemment
la réalité de ses activités, on peut concevoir que la défiance progresse.
Enfin, par-delà ces constats sur un respect insuffisant des engagements
tenus, il existe une critique qui prend pour cible l’objet et le sens mêmes
de cette communication.
Le public observe souvent une surenchère autour de la notion de
développement durable sans percevoir la réalité des distinctions dans la
relation directe avec la marque. Entre les campagnes de Monoprix, de
Leclerc, d’Auchan ou de Carrefour, il n’est pas certain que le
consommateur puisse distinguer autre chose que des arguments
publicitaires qui se neutralisent entre distributeurs. Pire, la communication
s'apparente fréquemment à une volonté de « green washing », c’est-à-
dire de verdissement de la marque sans autre fin que de soigner l’image
globale. Le résultat final est que le grand public n’y croit pas et que les
ONG se sentent flouées.
Le spectre de l’illusion
La communication sur le développement durable semble obéir à une
contrainte et repose souvent sur une croyance erronée.
La contrainte vient du constat que le développement durable est devenu le
plus petit nominateur commun des interlocuteurs de l’entreprise. En
raison de l’explosion des nouveaux dias et de l’évolution sociologique,
les cibles ne sont plus sépaes par un cloisonnement plus ou moins
7
: Ian Cummins et John Beasent, Shell Shock, Mainstream pub Co, 2005
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étanche, comme elles pouvaient l’être par le passé. Aujourd’hui, chacun
peut avoir accès à tout type d’information et de messages, que ce soit sur
les chaînes télévisées thématiques ou sur Internet. L’entreprise ne peut
plus avoir de messages spécifiquement adaptés à un type d’interlocuteur,
elle se doit d’avoir un message unique, valable, pour l’ensemble de ses
parties prenantes.
Or, le développement durable présente la caractéristique attractive pour la
communication, d’être une des rares valeurs qui puisse s’adapter aussi
bien au public des clients qu’à celui de l’opinion publique, des actionnaires,
des ONG, des pouvoirs publics. Il représente un terme consensuel
chacun puise une part de signification. Mais cet avantage se double d’un
risque, qui tient à l’extrême diffusion de la notion, qui peut en venir à
inclure des idées extrêmement variées. Il est possible que ce caractère de
nébuleuse ait constitué la condition majeure de son succès. Les syndicats
y voient un moyen de rapprocher l’économique et le social, les écologistes
de faire prévaloir les impératifs de protection de l’environnement et
l’entreprise la légitimation de son propre développement. Le
développement durable y apparaît comme une réelle idéologie
managériale
8
dans sa dimension de recherche du consensus global et de
sa volonté d’apparaître indiscutable dans ses objectifs et fondements. En
somme, il n’est pas exclu qu’on ait affaire à une vaste illusion de
réconciliation.
A ce risque de dilution des discours dans un horizon de consensualité sans
limites, s’ajoute une surévaluation de l’idée même de développement
durable. Celle-ci encourage chez certains une croyance erronée dans l’idée
que le développement durable déterminerait à lui seul l’image de
l’entreprise alors qu’il serait aussi important de considérer qu’il est l’une
des conséquences de cette dernière. Lorsqu’en 1995 EDF inaugura la
garantie de services, ensemble de neuf engagements pour rapprocher
l’entreprise de ses clients, elle accrut sa valeur d’image environnementale
d’une dizaine de points alors même que ce dispositif ne contenait que des
améliorations de services pour la clientèle.
Il en fut de même en 1998 lorsque La Lyonnaise des Eaux dut faire face à
une crise causée par le dépassement des normes de nitrates en Bretagne.
Sa communication de crise habilement gérée lui permit de contre-attaquer
et d’entrer dans le « Top 5 » des entreprises les plus soucieuses de
l’environnement.
Il est rare de trouver une entreprise ayant une bonne image
environnementale sans avoir une bonne image globale. C’est d’ailleurs
une dynamique comparable qui marque la vie politique. C’est parce que
nous avons confiance dans une entreprise que nous considérons que celle-
8
: Voir notamment Jean-Pierre Le Goff, Le mythe de l’entreprise. Critique de l’idéologie managériale,
La Découverte, 1992
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ci a effectué un bon travail pour l’environnement. L’image
environnementale découle de l’image globale. On comprend alors que
toute communication massive sur le développement durable risque de
générer un effet boomerang et d’accroître l’attention de l’opinion publique
sur un thème considéré comme indispensable et donc non susceptible de
communication par l’entreprise. La mise en parallèle de la perte de
confiance envers les entreprises avec l’accroissement du thème du
développement durable dans leur communication n’est donc peut-être pas
une simple coïncidence.
Cette croyance absolue en l’irréductible nécessité de la communication sur
le développement durable s’effectue par l’intermédiaire de l’ensemble des
instruments de la communication d’entreprise, ce qui amène quelques
interrogations : « Cette débauche de moyens de communication, toutes
cibles confondues, ne serait-elle pas la conséquence de la conscience
qu’ont les directions des grandes entreprises de jouer leur existence sur le
terrain de la responsabilité sociale et environnementale ? »
9
. L’entreprise
se protégerait des contestations, se garantirait contre le risque de
réputation, fédérerait ses parties prenantes autour d’un objectif
indiscutable commun, améliorerait son image. L’utopie du développement
durable rejoindrait ainsi l’utopie communicationnelle
10
.
POUR UNE COMMUNICATION AGISSANTE
Accusée exemplaire, bouc émissaire idéal, la communication, souvent
réduite à quelques dérives, n’en reste pas moins profondément méconnue
dans ses objectifs et ses capacités agissantes.
Une communication prédictive
Le reproche essentiel adressé à la communication sur le développement
durable serait d’induire le public en erreur sur la réalité des actions
opérées par l’entreprise. Le Bureau de Vérification de la Publicité, lui-
même, retient cette critique en recommandant que toute communication
respecte les trois principes de légitimité, d’objectivité et de véracité.
11
Les
ONG relayent avec force cette attaque en observant que « la
communication a une longue tradition de surexploiter les éléments
favorables et de masquer ceux qui le sont moins »
12
.
Qu’en est-il vraiment ? Si la communication, qui prolonge
incontestablement l’action de la rhétorique, a des effets argumentatifs, la
9
: Gabriel Saint-Lambert, « Quand l’entreprise s’affiche « responsable » , Education permanente, 167,
juin 2006, p. 109
10
: Philippe Breton, L’utopie de la communication, La Découverte, 1992
11
: Jean-Pierre Teyssier, Frapper sans heurter. Quelle éthique pour la publicité ? Armand Colin, 2004, p. 263 à
291
12
: Jacques-Noël Leclerq, « Le développement durable ou le risque d’une grande illusion, in Maud Tixier,
Communiquer sur le développement durable, Editions d’organisation, 2005, p. 232
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