Pour comprendre le film Katyn

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et Andrzej Wajda.
Une histoire subjective de la Pologne.
Projection du film et rencontre des élèves du
Lycée Français de Varsovie avec le réalisateur.
Lundi 7 avril 2008.
Enseignants : A. LEONARD, F. MAGNONE, A. & B. SUBKO
Partenaires :
6 dates pour comprendre
On désigne sous le nom de « massacre de Katyń » l’exécution durant la Seconde guerre mondiale de 21857
Polonais. Si ce massacre s’est révélé être si atroce, ce n’est pas tant par le nombre lui-même de victimes
(faible comparé à d’autres crimes de la période), que par le statut des fusillés (des prisonniers de guerre à
majorité réservistes) et le fait qu’il ait fallu attendre 1992 pour connaître avec certitude les principaux
coupables.
17 septembre 1939 : l’URSS envahit à son tour la Pologne
Du côté allemand
Du côté soviétique
Un pacte de non-agression est signé entre Hitler et Staline (et leurs ministres Ribbentrop et Molotov) le 23
août 1939 pour une durée de 10 ans, prévoyant le partage de l’Europe en deux sphères d’influence et la
division du territoire polonais en deux
Dès le 1er septembre, Hitler lance ses Après avoir préparé la version officielle à dicter aux dirigeants
troupes contre la Pologne, sans déclaration des partis communistes occidentaux, acquis jusque là au soutien
de guerre. Cracovie est prise le 6, tandis des pays agressés par les forces fascistes, les Soviétiques
que le gouvernement s’enfuit vers l’est, lancent l’attaque sur la Pologne le 17 septembre, sans
puis le sud-est.
déclaration de guerre, officiellement pour défendre les
territoires de l’est du pays face à l’avancée allemande. Pour les
Polonais, il s’agit d’un quatrième partage du pays. Le président
polonais Mościcki, le maréchal Rydz-Śmigły et tout le
gouvernement se réfugient en Roumanie et ordonnent par radio
aux troupes de passer en Roumanie ou en Hongrie pour gagner
la France, ce qui est perçu par nombre de Polonais comme une
trahison.
Le nord et l’ouest du pays sont annexés au
Reich, tandis que le reste de la Pologne,
incluant Varsovie et Cracovie, devient le
« Gouvernement Général ».
Entre la fin d’octobre et le début de
novembre 1939, les alliés allemands et
soviétiques échangent des prisonniers de
guerre polonais : 43 000 soldats (mais pas
les officiers et sous-officiers) qui résidaient
dans la partie allemande de la Pologne sont
livrés aux Allemands alors que ces derniers
livrent aux Soviétiques environ 14 000
militaires fait prisonniers dans les
territoires orientaux.
En se préparant à l’invasion de la Pologne, les 7 membres du
Politburo du Comité Central du Parti Communiste d’Union
Soviétique (Staline, Molotov, Beria, Kaganovitch, Kalinine,
Mikoyan et Vorochilov) avaient déjà envisagé le problème des
prisonniers de guerre. Deux jours après l’agression du pays, une
« Direction du NKVD pour les affaires des prisonniers de
guerre » fut créée. Elle était chargée de superviser directement
tant l'organisation des camps que le déplacement, la
surveillance, les interrogatoires et l'utilisation des prisonniers
pour le travail. Le commandant Piotr Soprounenko, employé au
secrétariat de Lavrenti Beria, fut nommé pour la diriger ; le
commissaire Semen Nekhorochev, un des chefs du système des
goulags, fut nommé chef du Département politique.
Moscou, qui n’a pas signé la convention de Genève qui accorde
des droits aux prisonniers, libère les soldats polonais de
Pologne orientale et relâche ceux que l’Allemagne lui livre.
Mais officiers et sous-officiers sont gardés en captivité.
Les sous-officiers, bien qu’assimilés aux officiers, étaient pour
la plupart des réservistes (avocats, journalistes, scientifiques,
médecins, pharmaciens, professeurs, artistes, ingénieurs…) qui
avaient été mobilisés en catastrophe à la suite des invasions non
déclarées. Il en va de même pour la plupart des agents de
police, gendarmes et gardien de prison, que l’on a assigné à ces
tâches au début de la guerre car ils étaient des ouvriers et des
paysans inaptes à servir dans l’armée.
novembre 1939 : occupation allemande à l’ouest et soviétique à l’est
Du côté allemand
L'Office central de sécurité du Reich, le RSHA,
décide le 17 octobre 1939 la « liquidation
physique de tous les éléments polonais a) qui par
le passé ont occupé une quelconque
responsabilité en Pologne, b) qui pourraient
prendre la tête d'une résistance polonaise ». Sont
en particulier visés les enseignants, les prêtres,
les médecins, les dentistes, les vétérinaires, les
officiers, les commerçants importants, les grands
propriétaires fonciers, les journalistes, les
écrivains et toutes les personnes ayant fait des
études. Les nazis ferment les établissements
d’enseignement supérieur et secondaire et, dans
les territoires incorporés au Reich, toutes les
écoles polonaises. Ainsi, le 6 novembre 1939,
lors de la « Sonderaktion Krakau », 183
professeurs, assistants et chargés de cours de
l'université de Cracovie, rassemblés pour écouter
une
prétendue
conférence
du
Obersturmbannführer Doktor Bruno Müller, sont
arrêtés par les SS et déportés dans les camps de
concentration de Sachsenhausen et de Dachau
(où 15 périssent). L’Université Jagellonne et sa
bibliothèque sont fermées par la Gestapo. Dans
le Gouvernement Général, Gestapo et SS
opèrent en toute impunité, hors des lois du Reich
et de l’influence de la Wehrmacht.
Du côté soviétique
Les prisonniers polonais sont rassemblés dans trois
monastères orthodoxes désaffectés transformés en camps.
Kozelsk se trouve dans la province de Smolensk ; c'est là
qu'est emprisonné le capitaine Edward Herbert, grandoncle de Zbigniew Herbert, qui lui dédiera le poème
Guziki, auquel Wajda fait allusion dans son film.
Starobilsk est situé dans l'est de l'Ukraine, dans la
province de Vorochilovgrad ; c'est là qu'est enfermé le
père de Andrzej Wajda. Le dernier camp est localisé dans
une île du lac Seliger, près d'Ostashkov (dans la province
de Kalinine). D’autres se trouvent dans les prisons
d'Ukraine et de Biélorussie occidentales.
Dans les zones occupées par l’Armée rouge, la
propagande soviétique tente de faire passer son invasion
pour une action de défense des territoires de l’est face à
l’avancée
allemande.
Les
Polonais
reçoivent
automatiquement la citoyenneté soviétique.
*
24 décembre 1939 : le premier Noël de la guerre
Du côté soviétique
Décemment traités - sauf ceux d'Ostashkov – les prisonniers restent en « observation » (on cherche à repérer
les plus dangereux ennemis du régime soviétique mais aussi de potentiels collaborateurs) et sont même
soumis à une campagne de « rééducation » (projection de films de propagande…). Mais les autorités leur
laissent célébrer Noël. Ce qui rend un certain nombre d’entre eux optimistes, persuadés que la France et
l’Angleterre ne peuvent pas se priver de 20 000 officiers et feront donc tout pour les récupérer. D'autres
préfèrent tenir secrètement le journal des événements, au cas où il leur arriverait malheur ; on a ainsi retrouvé
le journal qu'Adam Solski gardait sur lui.
La décision d’éliminer ces officiers mûrit vers la fin de février 1940 au sein des dirigeants soviétiques.
L'URSS est en train d'envahir plus de la moitié de la Pologne et les dirigeants soviétiques sont déterminés à
éliminer ces membres de la nation qui, dans le futur, pourraient mener la lutte pour la résurrection de leur
patrie. Cette conviction est renforcée par le fait que la plupart des prisonniers ne sont pas des officiers de
carrière, mais des réservistes ; ils sont donc des représentants d'une intelligentsia polonaise, considérée
comme un vivier potentiel de chefs de la résistance. Le 2 mars, le Politburo approuve la proposition présentée
par Beria et par le premier secrétaire du Parti communiste ukrainien, Nikita Khrouchtchev, d'« effectuer la
déportation de toutes les familles de prisonniers de guerre ».
Les membres de ces familles (en priorité les épouses) ont été repérés par le courrier envoyé et sont déportés
au Kazakhstan pour une période de 10 ans (ce qui équivaut souvent à une condamnation à mort).
L'invraisemblable cruauté de la punition laisse présager ce que sera la nature de la sentence frappant les
officiers eux-mêmes.
Printemps 1940 : l’extermination concertée des élites polonaises
Du côté allemand
L'Allemagne nazie envahit la Norvège afin de
sécuriser le transport du fer suédois. Les 5 600
soldats allemands réfugiés dans les montagnes
enneigées qui bordent Narvik résistent aux 24 500
soldats alliés jusqu'au départ de ceux-ci,
réquisitionnés pour la bataille de France.
De janvier à mars 1940 ont lieu plusieurs
rencontres entre les représentants du NKVD et de
la Gestapo pour décider des mesures visant à
supprimer « la propagande polonaise ». Les
résultats des conférences communes qui se
tiennent en mars 1940 à Cracovie sont d'un intérêt
particulier. On a posé à cette occasion le
problème du traitement de l'élite politique et
culturelle sur les territoires polonais désormais
sous contrôle allemand ou soviétique. L'opération
AB vise à éliminer la classe dirigeante et
l'intelligentsia polonaise, parallèlement aux
opérations soviétiques : environ 15 000 prêtres,
enseignants et chefs politiques sont déportés à
Dachau ou fusillés dans la forêt de Palmiry. Les
nazis décident de construire à Auschwitz un camp
de concentration pour l'élite polonaise - qui sera
ensuite utilisé pour l'extermination des juifs.
Les listes de membres des familles des officiers
polonais dans les camps soviétiques comprennent
également les familles qui habitent sur les
territoires sous occupation allemande et ne
peuvent être arrêtées par les Soviétiques. Les
deux régimes totalitaires travaillent donc avec une
égale rigueur à réduire les Polonais au rang de
nation sans chefs et sans amis.
Du côté soviétique
Face aux ordres de « désengorger » les camps, Beria, le
chef du NKVD, propose à Staline le 5 mars 1940
l’extermination massive des prisonniers de guerre
polonais. Sur quatre feuillets dactylographiés, il énumère
les « ennemis jurés du pouvoir soviétique » polonais
détenus par le NKVD qui « méritent la peine capitale par fusillade ».
A la suite de ce rapport, le Politburo dicte le 5 mars 1940
l'ordre au NKVD d' « examiner » le cas des prisonniers de
guerre polonais « sans faire comparaître en jugement les
détenus et sans formuler d'accusation, sans étayer par
aucun document ni la conclusion de l'instruction ni l'acte
d'accusation », appliquant à leur égard « la plus haute
mesure punitive : l'exécution [par fusillade] ». L'ordre
donne aux officiers de rang moyen du NKVD une
certaine liberté de transférer certains prisonniers «
présentant un intérêt opérationnel », autrement dit qui
sont d'une certaine utilité pour les Soviétiques, dans les
autres camps. 448 prisonniers sont ainsi épargnés, c'est-àdire 3 % de la population entière des camps.
Les militaires polonais emprisonnés ont cessé depuis avril
1940 (le 23 au plus tard), d’échanger des lettres avec
leurs familles. Les lettres adressées à ces officiers sont
retournées aux expéditeurs avec un tampon marqué «
retour, destinataire parti ».
C’est en mars-avril 1940 qu’une commission spéciale
examine le cas de tous les prisonniers. Des groupes de
100-150 prisonniers sont confiés aux commandants des
régions du NKVD de Smolensk, de Charkiv et de
Kalinin. Sans explication aucune, les prisonniers
commencent à être évacués vers une destination
inconnue. Chaque matin, la liste nominative des partants
est téléphonée de Moscou, après quoi une demi-heure est
laissée à chacun pour rassembler ses effets avant de
s'engouffrer dans des fourgons cellulaires.
Les militaires polonais du camp de Kozelsk sont
acheminés en gare de Gnezdovo puis emmenés en
fourgon au bois de Katyń, où ils sont abattus au bord et à
l’intérieur des fosses communes.
Les détenus du camp d'Ostashkov sont quant à eux
exécutés au siège du NKVD à Kalinine ; 250 prisonniers
sont abattus de nuit, un par un, d'une seule balle dans la
nuque par un trio de tueurs. On connaît le nom de tous les
exécuteurs du NKVD car le 26 octobre 1940 Beria leur a
remis une prime pour les récompenser.
CAMP DE
DETENTION
Kozelsk
Starobilsk
Ostashkov
PRISON
LIEU
LIEU
D’EXECUTION D’INHUMATION
Katyn
Katyn
Smolensk ?
Charkiv
Piatykhatky*
Tver (Kalinin)
Mednoye*
LIEU
LIEU
D’EXECUTION D’INHUMATION
Prisons de
Biélorussie
Minsk ?
Kurapaty ?
Prisons
d’Ukraine
Kiev ?
Cherson ?
Bykivnia*
NOMBRE DE
VICTIMES
STATUT DES VICTIMES***
Généraux, colonels et lieutenants-colonels : 2 %
Commandants et capitaines : 14 %
Lieutenants, sous-lieutenants et aspirants : 41 %
Officiers et sous-officiers de la police, des gardes
frontières et de la gendarmerie : 7 %
Agents de police, gendarmes, gardiens de prison et
agents de renseignement : 35 %
Fonctionnaires, propriétaires terriens, prêtres et colons
des régions frontalières : 1 %
4 421
3 820
6 311
NOMBRE DE
VICTIMES
STATUT DES VICTIMES***
7 305**
Anciens officiers : 6 %
Anciens agents de renseignement, de la police et de
la gendarmerie : 28 %
Espions et saboteurs : 2 %
Anciens propriétaires terriens, propriétaires d’usine et
fonctionnaires : 2 %
Membres d’organisations contre-révolutionnaires de
résistance et éléments divers : 29 %
Transfuges : 33 %
* Ces lieux n’ont été découverts qu’à partir de 1990
** Parmi les documents transmis par les autorités russes à la Pologne figure un document daté du 3 mars 1959 dans lequel Khrouchtchev
accepte la proposition du chef du KGB, Chelepine, de détruire les fiches individuelles des 21 857 prisonniers polonais exécutés en 1940.
Ce chiffre, croisé avec ceux de 1940, permet de connaître le nombre d’exécutions dans les prisons.
*** D’après les documents secrets établis par les Soviétiques en 1940
Tylko guziki nieugięte
przetrwały śmierć świadkowie zbrodni
z głębin wychodzą na powierzchnię
jedyny pomnik na ich grobie
przeleciał ptak przepływa obłok
upada liść kiełkuje ślaz
i cisza jest na wysokościach
i dymi mgłą katyński las
są aby świadczyć Bóg policzy
i ulituje się nad nimi
lecz jak zmartwychstać mają ciałem
kiedy są lepką cząstką ziemi
tylko guziki nieugięte
potężny głos zamilkłych chórów
tylko guziki nieugięte
guziki z płaszczy i mundurów
Zbigniew Herbert, Guziki
13 avril 1943 : les Allemands annoncent la découverte des corps
Du côté allemand
Du côté soviétique
Un tournant se produit en juin 1941, lorsque Hitler lance son armée à travers tout le territoire polonais pour
attaquer l’URSS. Après une entrevue à Londres entre Sikorski et un représentant soviétique, un traité est signé
le 30 juillet 1941 qui prévoit l’amnistie des prisonniers de guerre et la formation d'une armée polonaise sur le
territoire soviétique.
Mais lorsque le général Anders, libéré peu après d'une
prison moscovite, entreprend de mettre sur pied l’armée
polonaise, il éprouve les plus grandes peines à
rassembler les personnes internées en septembre 1939.
Le gouvernement et l’opinion publique polonaise
soupçonnent de plus en plus les Soviétiques d’avoir
assassiné les prisonniers. Les 448 personnes qui avaient
été transférées au printemps 1940 rejoignent le général
Anders mais ignorent le sort de leurs compagnons de
captivité. Parmi les rescapés, figurent le comte Józef
Czapski (voir ses livres Souvenirs de Starobielsk,
Proust contre la déchéance et Terre inhumaine) et
Gustaw Herling-Grudziński (Un Monde à part), qui
s’installeront en 1945 en France où il deviendront des
figures de l'intelligentsia polonaise en exil.
Dans la nuit du 12 au 13 avril 1943, la radio
allemande annonce la découverte, dans la forêt de
Katyń, d'un charnier contenant les corps de plusieurs
milliers d'officiers polonais : « Il a été trouvé un
fossé de 28 mètres sur 16 dans lequel étaient
empilés en douze couches les cadavres de 3000
officiers polonais. […] Il n'y aura aucune difficulté à
identifier ces cadavres, car, grâce à la nature du
terrain, ils sont complètement momifiés et les
Russes ont laissé sur eux tous leurs papiers
personnels. »
Le 15 avril, les journaux Goniec Krakowski et
Kurier Warszawski publient à la Une la découverte
des corps d’officiers polonais, tandis que la radio
diffuse la liste des disparus. Aniela Wajda, la mère
de Andrzej Wajda (qui vient d'avoir 17 ans),
apprend qu'on a retrouvé le corps d'un dénommé
Wajda, né en 1900 comme son mari mais prénommé
Karol et non Jakub. Pour elle c'est un signe : elle se
nourrie d'illusions jusqu'à sa mort en 1950, écrivant
à la Croix-Rouge, en Suisse, à Londres.
Après deux jours de silence, le 15 avril, Radio-Moscou
repousse les accusations en dénonçant les
« monstrueuses calomnies » de la propagande
allemande et donne sa propre version des faits : ce sont
les « bandits germano-fascistes » qui auraient assassiné
les officiers polonais, tombés entre leurs mains en 1941,
alors qu'ils étaient « affectés à des travaux de
construction dans la région de Smolensk ».
Les nazis, dont la situation militaire se détériore
progressivement, cherchent pourtant à exploiter au
maximum leur « découverte » à des fins de
propagande. Ils amènent à Katyń des prisonniers de
guerre anglais et américains, font venir des
journalistes et un haut représentant français (Mr de
Brinon) et surtout y invitent une commission
internationale d'experts en médecine légale ainsi que
des délégués de la Croix-Rouge polonaise. Le tout
est filmé dans un documentaire de 16 minutes « Im
Wald von Katyn » (distribué à toutes les chaînes
occidentales) et photographié dans un album appelé
« Amtliches Material zum Massenmord von
Katyn ». Mis à part les délégués de la Croix-Rouge
polonaise (qui travaillent de manière autonome et ne
publient pas leurs conclusions), seul un professeur
(le Suisse François Naville) est ressortissant d'un
pays non allié à l'Allemagne. Une autre ombre
figure au tableau de la propagande nazie : les
cartouches et les balles retrouvées sur place sont
d'origine allemande. Les Allemands tentent de
dissimuler ce fait ou admettent avec embarras que
l'Allemagne a, après le traité de Versailles, exporté
de grandes quantités de ces munitions vers l’URSS,
la Pologne et les pays baltes. Autre motif
d'inquiétude pour les Allemands, malgré la poursuite
des fouilles, le nombre de cadavres polonais
retrouvés plafonne obstinément à 4 500. Or la
propagande allemande, informée du nombre total
d'officiers disparus, avait très vite relevé à 10 00012 000 ses estimations initiales. L'écart paraît
suspect. Les Allemands se mettent donc à
rechercher fiévreusement de nouvelles fosses
communes ; mais les travaux de fouille sont
interrompus début juin par l'arrivée des grandes
chaleurs et le rapprochement du front. Les objets
sont ramenés en Pologne pour être étudiés et rendus
aux familles. Les services de la Propaganda
Abteilung leur demandent en échange d’enregistrer
des déclarations préécrites accusant les Soviétiques
du crime. Dans le Gouvernement Général, le
mouvement de résistance de l’Armia Krajowa
multiplie les actions d’envergure : déboulonnage des
voies ferrées, sabotage de ponts et d’avions,
libération de prisonniers, attaque de banques,
assassinats de dignitaires nazis…
Le lent mais inéluctable retour de l’Armée rouge
vers l’ouest pousse l’AK à redoubler d’efforts pour
affirmer l’autorité exclusive de ses structures aux
yeux des Soviétiques.
Dès septembre 1943, après la libération de Smolensk
par l'Armée rouge, Moscou dépêche à Katyń une
« commission spéciale » d'enquête, où ne figurent que
des Soviétiques.
Parallèlement, Moscou constitue, avec les Polonais
restés en URSS, une force militaire ; la division
Kościuszko sous le commandement du général
Zygmunt Berling devient le 1er corps militaire polonais
en URSS. Les rapports avec les maquis forestiers de
l’AK deviennent de plus en plus conflictuels ; une fois
les territoires orientaux libérés, les résistants noncommunistes sont soit incorporés de force dans l’armée
de Berling, soit déportés vers la Sibérie. Parallèlement,
les maquis communistes se fédèrent le 1er janvier 1944
en une armée indépendante du gouvernement polonais
légal : l’Armée Populaire (Armia Ludowa) qui ne
compte que 20 000 hommes au printemps 1944, épaulés
cependant par les 100 000 soldats de Berling.
Le 15 janvier 1944, un groupe de journalistes
occidentaux est invité à Katyń, parmi lesquels se trouve
la fille de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, qui
déclare à son retour que la version soviétique est
convaincante. Un nouveau film est tourné, et des
officiers du 1er corps militaire polonais en URSS sont
invités à participer à de nouvelles cérémonies. A l'issue
de l'audition d'une centaine de témoins, la commission,
dirigée par le chirurgien de renom Nikolaï Burdenko,
confirme le 24 janvier 1944 la version initialement
donnée : les autorités soviétiques, surprises par l'avance
de la Wehrmacht, n'avaient pas eu le temps d'évacuer
les prisonniers polonais détenus dans trois camps, à
quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de Smolensk.
Les Allemands les avaient exécutés fin 1941 puis, deux
ans plus tard, devant le retournement de la situation
militaire, avaient imaginé une « provocation » pour
imputer à l'Union soviétique la responsabilité du
massacre : ils avaient ainsi fait exhumer les corps par
des prisonniers russes, retirer des documents postérieurs
à avril 1940 puis les avaient fait réensevelir par un
groupe de 500 prisonniers de guerre russes. Les balles
allemandes étaient la preuve ultime de la culpabilité des
nazis. Les Soviétiques insistent donc sur le fait que ces
exhumations sont les troisièmes. Jouant de l'erreur
initiale de la propagande allemande, les Soviétiques
affirment que la forêt de Katyń contient la totalité des
corps de Polonais disparus, se dispensant de la sorte de
répondre sur le sort des autres disparus. Mais nombre de
Polonais continuent de s’interroger : que sont devenus
les quelque 10 500 prisonniers des camps de Starobilsk
et Ostashkov ? Les rumeurs les plus folles circulent
alors : les détenus auraient été embarqués à bord de
barges coulées dans les eaux glacées de la mer Blanche.
17-18 janvier 1945 : les Soviétiques « libèrent » la Pologne
L’Armée rouge pénètre dans tout le territoire polonais, tandis que
Moscou forme en toute hâte les cadres dont le régime a un besoin
urgent. Des ouvriers et des domestiques sont brusquement promus à des
responsabilités locales. Le gouvernement de Londres préfère dissoudre
l’AK pour éviter une guerre fratricide. Les résistants de l’AK sont
officiellement amnistiés mais la propagande les dénonce comme des
éléments « réactionnaires » et vante au contraire les prouesses de
l’Armia Ludowa. Les membres de l’AK, qui avaient dévoilé leur
identité, sont humiliés, arrêtés, exécutés ou déportés en Sibérie. Les
membres des services polonais de sécurité (UB) traquent les opposants
au nouveau régime. Le film tourné par les Soviétiques à Katyń en
janvier 1944 est projeté dans les villes polonaises. C’est à ce moment
que s’opposent dans le pays ceux qui veulent oublier et ceux qui
attendent que la vérité triomphe, ceux pour qui la vie doit continuer et
ceux pour qui elle s’est brisée avec la guerre, ceux qui espèrent une
nouvelle Pologne et ceux pour qui il n’y aura jamais de Pologne libre.
Lexique :
Viatcheslav MOLOTOV (1890-1986) : homme politique et diplomate de l'URSS, considéré comme le bras
droit de Joseph Staline.À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il devient ministre des Affaires étrangères,
tout en gardant son poste au Politburo.
Władysław ANDERS (1892-1970) : général de l’armée polonaise, capturé par les Soviétiques et emprisonné
par la NKVD à Moscou. Libéré après l’invasion allemande de l’URSS, il devient le commandant de Forces
armées polonaises en URSS (Armia Andersa). Après l’évacuation de cette armée durant l’été 1942 vers
l’Iran, il devient commandant du 2e Corps d’armée polonaise durant la bataille de Mont Cassin. Il reste en
Angleterre après la fin de la guerre.
Edward RYDZ-ŚMIGLY (1886-1941) : officier de l'armée polonaise, il succède à Józef Piłsudski comme
Maréchal de Pologne et occupe le poste de commandant en chef des forces polonaises pendant l'invasion de
la Pologne en septembre 1939. Conscient du fait que toute défense contre ses deux voisins est impossible, il
ordonne aux forces polonaises de reculer vers la Roumanie. Sa fuite en Roumanie suscite certaines
polémiques.
Armia Krajowa (AK) : l’Armée de l’Intérieur, subordonnée au gouvernement polonais en exil à Londres,
chargée de résister aux occupants nazis et soviétiques par des actions de renseignement, de propagande, de
sabotage… De 150 000 hommes en 1942, elle passe à 350 000 à l’été 1944.
Armia Ludowa (AL) : l’Armée Populaire, subordonnée aux dirigeants soviétiques, chargée de combattre les
nazis à partir de 1943. De 100 000 hommes à l’hiver 1943, elle passe à 400 000 à l’été 1944.
Gouvernement Général : En 1939, de nombreux territoires polonais sont annexés au Reich (corridor de
Dantzig, Prusse occidentale, Haute Silésie, ville de Łódź...). Les territoires restants sont regroupés sous une
administration allemande appelée Gouvernement Général (en allemand Generalgouvernement für die
besetzten polnischen Gebiete), dont la capitale est Cracovie. Le Gouvernement Général est subdivisé en
quatre districts, Varsovie, Lublin, Radom et Cracovie.
NKVD : Commissariat du peuple aux affaires intérieures, police politique de l'URSS, qui gère les camps de
prisonniers.
Réserviste : civil susceptible de remplir des fonctions militaires pour renforcer les forces armées en cas de
conflit.
, le film
Considéré comme l'un des cinéastes européens majeurs dans les années 1970, Andrzej Wajda confiait lors de
ses séjours à Paris ne pas vouloir mourir sans avoir tourné un film sur Katyń. Ce film, le cinéaste polonais
l'appréhendait autant qu'il le désirait.
Synopsis et personnages :
Le film est puissamment articulé autour de trois dates qui jalonnent clairement l'itinéraire du massacre au
mensonge : 1939-1940, avec la double occupation et la capture des officiers par les Soviétiques. 1943, où des
haut-parleurs et des journaux diffusent les noms des tués : c'est ainsi que les Polonais apprennent le massacre
de Katyn, découvert et dénoncé par les Allemands, et aussitôt retourné par les Soviétiques en « crime nazi ».
1945, quand l'imposture atteint la nouvelle génération : comme le dit A. Wajda, « l’action se passe
majoritairement en 1945, lorsque certains rentrent à la maison et d’autres pas. » C’est à ce moment que
s’opposent ceux qui veulent oublier et ceux qui attendent que la vérité triomphe, ceux pour qui la vie doit
continuer et ceux pour qui elle s’est brisée avec la guerre, ceux qui espèrent une nouvelle Pologne et ceux
pour qui il n’y aura plus jamais de Pologne libre.
Au niveau narratif, Wajda prend le parti d'éclater quelque peu son récit entre, principalement, huit
personnages principaux : une jeune femme dont le mari officier est prisonnier des Soviétiques en 1939, sa
mère dont le mari universitaire est fait prisonnier par les Allemands, un lieutenant et un général également
regroupés dans un camp de l'URSS et dont les femmes après la guerre vont se battre pour leur mémoire - en
d'autres mots pour que les occupants reconnaissent qu'ils sont les instigateurs du massacre de Katyn alors
qu'ils tentent de masquer la vérité. Certains personnages ne font leur apparition que dans la deuxième heure
du film, comme la femme du lieutenant ou encore le neveu de la première jeune femme dont on suit
brièvement le destin.
Une première
Cette œuvre est une première. La Pologne aura attendu soixante-sept ans pour voir le massacre de Katyn
porté à l'écran. Aucun metteur en scène polonais n'avait réussi à porter ce chapitre sombre de l'histoire à
l'écran. « Ce film n'aurait pas pu voir le jour avant. Ni en Pologne communiste, soumise à la censure, ni à
l'étranger, qui s'est désintéressé du sujet. Aucun cinéaste saint d'esprit n'aurait pu le tourner à l'époque
communiste, sinon, il aurait dû présenter la version officielle », a précisé le réalisateur. Avec Andrzej Wajda,
Katyn vient enfin de prendre place dans le septième art. « Ce n'est que le premier. D'autres films suivront », a
prédit le metteur en scène.
La recherche du bon scénario a pris des années. Wajda a écarté plusieurs textes, a changé d’idées. Il a même
rejeté le roman écrit spécialement pour lui par Wlodzimierz Odojewski. La nouvelle de Andrzej Mularczyk,
Post mortem, qui a finalement servi de base du scénario, a également été considérablement modifiée par le
réalisateur. Wajda a voulu donner au spectateur un panorama : des histoires particulières de femmes, une
vérité historique sur le massacre, le mensonge soutenu contre vents et marées, le mal de la nation polonaise.
Finalement, le film est composé de scènes choisies et de dialogues trouvés dans les journaux intimes, dans les
mémoires et les correspondances que les officiers assassinés menèrent avec leurs femmes, dont certains
découverts lors de l’exhumation des restes (notamment le journal d'Adam Solski). Le cinéaste a également
utilisé des images d’archives tournées par les Allemands lors de l’exhumation des corps en 1943, puis celles
tournées par la propagande soviétique.
Le film se termine par le massacre raconté dans les moindres détails sur un mode documentaire. « Je me suis
demandé s'il fallait ou non montrer ces images, dit Andrzej Wajda. Et cela m'a paru nécessaire, dans le
premier film sur ce sujet. Il ne suffit pas de savoir que cela a eu lieu. Il faut voir, sentir et comprendre
comment la tragédie s'est déroulée pour faire son deuil et arrêter la douleur. Parce que cela a été interdit
pendant des années, et qu'on a besoin de la vérité ». « Les gens attendaient ce film. Ce film n’avait jamais été
réalisé auparavant. Il traite d’une très grande blessure polonaise qui est ressentie par la nation toute entière.
Il n’y pas d’autre moyen pour cicatriser cette blessure. Certaines images resteront dans la conscience
collective ».
Une histoire personnelle
A 82 ans, A. Wajda vient enfin d'accomplir ce qu'il appelle « un devoir » : porter à l'écran l'histoire de sa vie
et un pan de la mémoire polonaise contemporaine. Wajda, qui s'est montré dans toute son œuvre un grand
historiographe de son pays, avait, en effet, une raison toute personnelle de vouloir traiter cette tragédie
longtemps occultée : son père compte parmi les officiers victimes du crime soviétique. Andrzej Wajda a
dédié Katyn à ses parents. A son père, Jakub, capitaine au 72e régiment d'infanterie, combattant de la Grande
Guerre, de la guerre polono-bolchévique, de l'insurrection silésienne et de la campagne de septembre 1939,
mort en Ukraine près de Charkiv. A sa mère, Aniela, qui « s'est nourrie d'illusions jusqu'à sa mort en 1950,
car le nom de mon père figurait avec un autre prénom sur la liste des officiers massacrés. Elle écrivait à la
Croix-Rouge, en Suisse, à Londres...». Dans le film, le personnage d’Anna espère aussi pendant longtemps et
une erreur dans le prénom prolonge cet espoir.
Cette attente désespérée du père a laissé une trace ineffaçable chez le réalisateur. Ce n'est qu’après plusieurs
années de préparation, qu'il est parvenu en 2007 à s'exprimer sur ce sujet et à le traduire en langage
cinématographique. Pourtant, ce long métrage n'est « ni une quête personnelle de la vérité ni une bougie
funéraire posée sur la tombe du capitaine Jakub Wajda », se défend le cinéaste.
Le sujet était absolument tabou au temps du communisme, au point que le seul fait d'être apparenté à une
victime de Katyn pouvait entraîner l'interdiction de faire des études. « Sur le mensonge de Katyn reposait
toute la soumission de la Pologne à Moscou », a dit le cinéaste, qui ne s'exempte pas de ce mensonge imposé,
lors de la première de son film à Varsovie, le 17 septembre dernier.
On reconnaît peut-être le jeune Wajda dans le personnage de Tadzio, un jeune résistant, passionné de
peinture, qui, à la fin de la guerre, vient à Cracovie pour étudier aux Beaux-Arts. Comme le père de Wajda,
celui du jeune résistant est mort à Katyn mais il refuse, lui, de le renier dans son curriculum vitae comme
beaucoup d’autres l’ont fait pour éviter les ennuis sous l’occupation soviétique. Le jeune homme meurt. « Un
remords de conscience ? », s’est interrogé un spectateur lors d’une avant-première : « Avec Katyn, vous
laissez entendre que si vous n’aviez pas menti sur la mort de votre père, vous n’auriez pas pu étudier aux
Beaux-Arts, à l’école de cinéma et que l’école polonaise du film n’aurait jamais vu le jour ? » Le cinéaste n’a
eu d’autre réponse : « Je confesserai mes propres péchés devant un autre auditoire et ce sera certainement
dans peu de temps. » Et de conclure : « Chacun militait à sa manière contre ce régime. »
Des drames individuels
Dès les premiers plans, Andrzej Wajda donne le ton en cadrant une femme paniquée, à la recherche de son
mari, un officier de l'armée polonaise.
Le film cherche avant tout à retracer des aventures humaines individuelles. « Les faits sont connus et
indéniables, dit Andrzej Wajda. Ils appartiennent à l'Histoire. En 1992, Eltsine a apporté des documents
aussi irréfutables que l'ordre de Staline à Beria d'assassiner les officiers capturés. Et des historiens sérieux
avaient déjà établi la culpabilité soviétique. Mon propos n'était donc pas d'établir les faits, mais de leur
donner chair et vie, de montrer la dimension humaine des événements, la souffrance de ceux qui les ont
traversés.»
Wajda ne souhaitait pas que le film prenne la forme d'une confession intime et personnelle. Tout en
s'inspirant de sa propre histoire, le cinéaste a voulu réaliser une œuvre universelle et montrer l'histoire à
travers un « personnage collectif » : les femmes qui attendaient leurs maris, frères, pères, fils. « Je vois ce
film comme l’histoire d'une famille séparée pour toujours, des grandes illusions et de la vérité brutale sur le
massacre de Katyn. Bref, je le vois comme l’histoire d'une souffrance d’individus dont les images ont une
capacité émotionnelle plus grande que les faits historiques » a souligné le réalisateur en commençant le
tournage.
A la surprise générale, Katyn n'est pas un film sur les officiers. Les personnages centraux ne sont pas à
chercher parmi les gradés en uniforme, mais chez leurs femmes, à travers le drame qu'elles vivent dans leur
foyer de Cracovie. D'ailleurs, Wajda n'a pas attribué de nom de famille à ses officiers. Le capitaine de
cavalerie Andrzej, le lieutenant Jerzy, le lieutenant « Pilot » ne sont au final que des archétypes. À partir de
lettres et de journaux intimes authentiques, Wajda a créé divers personnages d'officiers, leurs femmes qui les
attendent, sans nouvelles, leurs enfants qui auront en héritage le silence et le mensonge. Les personnages du
film sont, en grande majorité, des personnages authentiques – comme la femme du général Smorawinska ou
le professeur de l'Université de Cracovie, ainsi que sa femme. Les autres personnages sont des mélanges
entre personnes réelles et fictives, comme le commandant soviétique Popov, dont le nom et l'histoire
présentés sont véridiques.
Le film est pétri de métaphores, qui portent la griffe d'Andrzej Wajda, celles qui l'ont fait connaître dès Kanal
(1957) ou Cendres et diamants (1958) : un christ baroque couché à terre, parmi les blessés de guerre, et caché
sous la cape d'un officier (comme un écho de l'image impressionnante du Christ tête en bas dans Cendres et
Diamants) ; deux soldats de l'Armée rouge qui déchirent le drapeau national polonais bicolore et se servent
de la moitié rouge en guise de fanion soviétique (on se rappelle les tâches sanglantes sur un drap blanc dans
Cendres et Diamants toujours) ; une plaque funéraire brisée pour avoir affiché l'indicible sous le régime
communiste : « Tué à Katyn en avril 1940. » Il y aussi cette très belle scène après guerre du neveu qui défie
les Russes et qui s'échappe en montant un escalier (Dans Génération, il s'en jetait) avant de trouver ici une
échappatoire par le toit - s'il s'en sort son répit sera de courte durée.
Il y a surtout cette scène finale, une apothéose de réalisme, détaillée sans jamais virer au pathos. On y voit
l'exécution méthodique, à la chaîne, minutieusement orchestrée par le NKVD, des officiers de l'armée
polonaise. Des agents soviétiques leur tirent machinalement, à une cadence soutenue, une balle de revolver
Walther dans la tête. Les victimes s'effondrent, leurs corps jetés dans les fosses communes. Puis vient le
ballet des bulldozers qui défoncent le sol et recouvrent les cadavres.
Un film politique ?
Le film est sorti en avant-première le 17 septembre, date toute symbolique - celle du début de l'invasion de la
Pologne en 1939 par les troupes soviétiques, seize jours après la Wehrmacht.
« On aurait pu faire un documentaire, un film politique, mais ce n’est pas cela qu’attendent les spectateurs,
la société polonaise : il leur faut une interprétation artistique des faits qui ne fausserait pas la vérité
historique » a déclaré A. Wajda. Le réalisateur se défend toutefois de toute reprise de son oeuvre sur la scène
politique. « C'est une élégie, un film sur le deuil, sur la souffrance individuelle », sur ces femmes qui
attendaient le retour d'un mari, d'un père, d'un frère, « mais pas un film politique ». « Toute reprise politique
de ce film serait trop tragique. Mon intention n’a jamais été de faire un film qui puisse attaquer la Russie.
D'ailleurs, dans la forêt de Katyn, à côté des fosses des officiers polonais, il y a aussi des milliers de Russes,
de Biélorusses, d'Ukrainiens, assassinés dès 1937, dont on parle peu ». Un des rôles principaux du film est
d'ailleurs celui d'un officier soviétique qui sauve la femme d’un Polonais fusillé à Katyn. Il la cache alors
qu’elle doit être arrêtée après l’exécution de son mari. Andrzej Wajda avait écrit une lettre destinée aux
organisateurs du festival de Hrodna en Biélorussie qui projetait le film, en expliquant que « le film ne laisse
apparaître aucune haine ou idée de revanche. Il s’agit de condamner le régime de Staline qui fut inhumain à
l’égard de milliers de personnes, à la fois pour les Polonais comme pour les Biélorusses. La vérité devait
être connue si on désire l’unité des peuples. Hrodna est une ville dont je me souviens au travers de mon
enfance, lorsque je vivais à Suwalki avec mes parents, et où mon père fut un officier du 41ème régiment
d’infanterie. Ce film montre le destin tragique de ce régiment ainsi que l’histoire de ma mère. ».
S’il dénonce la censure de l’Histoire par le régime communiste, le film n’est pourtant pas à l’abri de la
récupération et de l’instrumentalisation, dans un contexte doublement sensible : les tensions avec le voisin et
ex-grand-frère russe, et la campagne interne de lustration, chasse aux dernières sorcières communistes… Le
réalisateur avait déjà protesté par lettre auprès du président polonais contre la tenue de cérémonies du
souvenir du massacre de Katyn en pleine campagne pour les législatives du 21 octobre, disant craindre une
« exploitation » politique.
Un film pour les jeunes générations
« Il y a quelques années encore, les gens ne s’intéressaient pas au passé, les jeunes ne voulaient regarder
que l’avenir. Les jeunes acteurs aussi. Mais petit à petit, ils ont pris conscience que sans le passé, il n’y a pas
d’avenir. Je voudrais qu’ils voient aussi le film sur Katyn. Ma tâche consiste à raconter la vérité. Il existe des
phénomènes sinistrement emblématiques pour le XXe siècle. Il faut les comprendre et les ressentir, pour
éviter que cela fasse l’objet de spéculations. »
« Les familles dont l’histoire est liée à Katyn connaissent bien la vérité. J'adresse donc mon film au jeune
public polonais pour qui ce sujet est étranger, méconnu. Je l'adresse également au public plus âgé qui, à
l'époque de la République Populaire de Pologne, n'entendait que des mensonges à ce sujet. » À la table de la
conférence de presse de Berlin, les acteurs, pour qui la guerre est un passé lointain, et même le communisme,
appuient le cinéaste avec ensemble : « Nous sommes ces enfants à qui on a menti, et qui étaient incapables de
comprendre notre histoire, la destruction des élites, la tragédie vécue par nos aînés. Wajda nous a ouvert le
cœur et la conscience. »
Histoire nationale ou histoire universelle ?
Ambassadeur autant que visionnaire, Wajda s'est posé en représentant officiel d'un pays qui a été réduit tant
de fois au néant diplomatique que sa priorité est de scander des preuves de son identité. Il pense qu'un artiste
polonais est plus qu'un auteur : un mage, un guide, un gardien de la « polonité », la mémoire et le porteparole d'une nation. Il s'est fixé une mission : élaborer l'épopée de la survie d'un peuple, adapter les
romanciers qui témoignent de l'âme du pays. Une tâche à la hauteur des peintres d’histoire polonais du XIXe
s. (Matejko, Grottger…).
Wajda a, malgré la censure, mis en scène de nombreux épisodes de l’histoire de la Pologne du XXe siècle.
Mais pensant destiner ses films à un public national, il a été considéré comme plus polonais encore que
Bergman pouvait être suédois, Fellini italien, Bunuel espagnol. Nombre de spectateurs ont jugé que visionner
ses oeuvres était peine perdue si l'on ne possédait pas les clés de l'histoire de la Pologne. « Mes films, a-t-il
dit, sont avant tout des films polonais, faits par un Polonais, pour des Polonais. »
Le réalisateur a assuré que Katyn était le dernier film de sa série historique. « J'en ai fait assez comme ça. Je
veux clore ce chapitre », a dit le réalisateur, dont nombre de films sont hantés par ses souvenirs de la guerre.
Wajda veut maintenant « faire un film moderne, contemporain ». « Il y a des évolutions dans la société
polonaise, deux millions de Polonais ont quitté leur pays pour aller tenter leur chance ailleurs. C'est, dit-il,
un aspect tout aussi intéressant » que la guerre.
Sources :
Ioulia Kantor, „Sans le passé, il n’y a pas d’avenir”, Rossiïskaïa gazeta, 20 juillet 2007.
Jean-Luc Douin, „Le cinéaste porte-parole d'une nation”, Le Monde, 15 septembre 2007.
Célia Chauffour, „Andrzej Wajda, un film pour mémoire”, Le Monde, 15 septembre 2007.
Maja Zoltowska, „La Pologne revit le drame de Katyn”, Libération, 18 septembre 2007.
Dorota Hartwich, „Pour le jeune public. Interview de A. Wajda”, Cineuropa, 2 février 2008.
Dorota Hartwich, „Film Focus. Katyn”, Cineuropa, 11 février 2008.
Marie-Noëlle Tranchant, „Katyn, du massacre à l'imposture soviétique”, Le Figaro, 15 février 2008.
Audrey Kauffmann, „Wajda s'inquiète d'une politisation de son film Katyn”, AFP, 15 février 2008.
Didier Péron et Nathalie Versieux, „Andrzej Wajda dans la forêt de Katyn”, Libération, 16 février 2008.
„Le succès du film Katyń en Pologne et à l’international”, Święta Polska News, 18 février 2008.
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