Chapitre 2
Fonctions élémentaires
Une fois donnée l’existence des nombres réels, l’objet premier d’étude de l’analyse est la fonction, notion qui nest pas
très dicile à définir : une fonction fassocie à certains nombres xune (et une seule) valeur f(x). Par opposition, il est
plus subtil de sélectionner les «bonnes» fonctions avec lesquelles faire de l’analyse. Ces «bonnes» fonctions seront continues
puis dérivables, dans un sens à définir précisément. Nous ne pouvons pas encore présenter ces notions, qui seront l’enjeu du
second semestre. Une première étape pour s’acheminer vers cette étude générale sera le Chapitre 5, portant sur les fonctions
usuelles, prolongement direct du présent chapitre.
Vocabulaire.
1. La fonction est fmais peut aussi s’écrire f:x7→ f(x), ou plus simplement x7→ f(x).
2. Le nombre f(x)s’appelle l’image de x.
3. Le nombre xest l’antécédent de f(x).
4. Lensemble des nombres xpour lesquels la valeur f(x)a été assignée s’appelle l’ensemble de définition et se note en général
Df.
Il est interdit d’utiliser l’expression « la fonction f(x)».
À la rigueur, on peut le dire oralement, mais on ne peut pas l’écrire. C’est mal.
Exemple 2.1. Tu n’écriras pas « Dérivons la fonction x2+ 3 » mais plutôt « Dérivons la fonction x7→ x2+ 3 ».
Commençons donc par le commencement, en révisant les « blocs élémentaires » qui serviront –comme dans un jeu de
Lego– à construire les « fonctions usuelles », exemples-type de « fonctions réelles ».
2.1 Droite réelle complétée et formes indéterminées
Il ma toujours paru étrange d’écrire Rcomme le segment ouvert ]−∞ ,+[: pourquoi introduire deux nouveaux sym-
boles pour décrire un ensemble dont ils ne font pas partie ? D’autant que la notion d’infini nest pas la plus aisée à concevoir
et manipuler. La réponse qu’on peut apporter dans ce cas est finalement assez naturelle : ces symboles désignent les « ex-
trémités » de la « droite » des réels. Ils revêtent l’habit de l’infini car on veut comprendre +(resp.−∞) comme plus grand
(resp. plus petit) que chaque réel donné. Cette notion est intimement liée à celle de limite (Chapitre 6), dont la vraie défini-
tion sera vue au second semestre. Afin d’éviter de tourner en rond, nous allons placer le propos de l’analyse non pas sur la
droite des réels, mais sur le segment réel (appelé droite complétée)
R:= [−∞ ,+]
=R{−∞ ,+},
c’est-à-dire l’ensemble des réels auquel on a simplement rajouté un plus grand élément et un plus petit élément.
Proposition 2.2. Pour tout xRon a :
(xR)(−∞ < x < +).
Démonstration. C’est une reformulation à peine voilée de la définition.
10
CHAPITRE 2. FONCTIONS ÉLÉMENTAIRES 11
Bien qu’il soit impossible d’étendre les opérations arithmétiques de Rà toute la droite complétée R(à cause des fameuses
formes indéterminées, notées 4ci-dessous), on utilisera néanmoins les conventions suivantes.
Définition 2.3. Dans les tables suivantes, on définit comme invalides les opérations donnant le résultat « 4». Les autres
sont considérées valides.
+−∞ xR+
−∞ −∞ −∞ 4
yR−∞ x+yR+
+4++
× −∞ x < 00x > 0 +
−∞ ++4−∞ −∞
y < 0 +xy > 00xy < 0−∞
040 0 0 4
y > 0−∞ xy < 00xy > 0 +
+∞ −∞ −∞ 4++
En outre, on posera
1
−∞ := 0 et 1
+:= 0 .
Attention, l’opération 1
0reste interdite puisque son résultat pourrait être −∞ ou +!
Définition 2.4. Plus généralement, voici la liste des formes indéterminées, c’est-à-dire des «opérations interdites» pour
lesquelles on décide de ne pas attribuer de résultat dans R.
Opération + × ÷ •
(−∞)+(+) (−∞)(−∞)0×(−∞)
000
(+)(+)0×(+) (−∞)−∞
(−∞)+
Exemple 2.5. On écrira donc ab Rpour signifier que la multiplication de aRpar bRnest pas une forme indéterminée.
Les seuls cas pour lesquels ab est une forme indéterminée sont (a,b)=(0,±∞)et (a, b)=(±∞,0). Alors armer ab Rpermet
d’exclure tous ces cas.
2.2 Fonction constante
Il s’agit des fonctions les plus simples : elles prennent
toujours la même valeur !
Définition 2.6. Soit cR. On dit que x7→ cest la fonction
constante égale à c.x
y
0
{y=c}
2.3 Fonction ane
Il s’agit des fonctions dont les graphes sont des droites du plan euclidien.
Définition 2.7. Soient a, b R. La fonction f:x7→ ax +best la fonction ane de pente (ou coecient directeur)aet
d’ordonnée à l’origine b.
Remarque 2.8.Si a= 0 alors la fonction ane correspondante est constante à la valeur b. Nous écartons ce cas dans la suite.
CHAPITRE 2. FONCTIONS ÉLÉMENTAIRES 12
x
y
0
{y=ax +b}
b
b/a
Proposition 2.9. Prenons a, b Ret supposons a,0. La fonc-
tion ane f:x7→ ax +best définie sur Ret satisfait
f(−∞)=
−∞ si a > 0
+si a < 0
et
f(+)=
+si a > 0
−∞ si a < 0
Démonstration. Le fait que R⊂ Dfest clair : il est toujours possible de calculer a×x+bpour xR. Pour calculer f(−∞)on
eectue les opérations a×(−∞)+b. Comme a,0 il ne s’agit pas d’une forme indéterminée. Le reste est une conséquence
immédiate de la Définition 2.3. Le cas f(+)est entièrement similaire.
2.4 Fonction puissance entière
Définition 2.10. Soit tR.
1. Soit nN>0. Nous introduisons de proche en proche la
notation tn(lire « tà la puissance n») comme :
(a)
t1: = t ,
(b) et si n > 1
tn: = t×tn1.
2. Lorsque t<{−∞,0,+}, nous posons pour n= 0
t0:= 1 .
3. Lorsque t,0, nous étendons cette définition à tous les
entiers en posant pour nZ<0
tn: = 1
tn.
Définition 2.11. Soit nZ. On définit la fonction puissance
nième comme
f:t7−tn.
Remarque 2.12.Lorsque n= 0 on obtient la fonction
constante égale à 1. Nous écartons ce cas dans la suite.
Proposition 2.13. Soient nZ,0et fla fonction puissance
nième.
1. Si n > 0alors Df=R. De plus
f(−∞)=
−∞ si nest impair
+si nest pair
et
f(+)=+
2. Si n < 0alors Df=R\{0}=[−∞,0[]0,+]. De plus
f(±∞)= 0.
Démonstration. La seule opération interdite est 1
0, c’est-à-
dire 0navec n0. Le reste est clair.
t
y
0
1
1
n < 0 impair
t
y
0
1
1
n < 0 pair
t
y
0
1
1
n > 0 impair
t
y
0
1
1
n > 0 pair
CHAPITRE 2. FONCTIONS ÉLÉMENTAIRES 13
2.5 Fonctions exponentielle et logarithme
2.5.1 Exponentielle réelle
On reprend sans plus d’explication la «définition» de l’exponentielle vue au lycée. Il s’agit en fait d’un théorème dicile,
découlant de l’étude menée tout au long de la 1ère année.
Théorème (admis).Il existe une et une seule fonction exp dé-
rivable sur Rtelle que :
exp0= exp,
exp(0)= 1.
Cette fonction, appelée exponentielle réelle, est strictement po-
sitive sur R. Elle se prolonge naturellement à Ren posant
exp(−∞):= 0
exp(+):= +.
u
v
0
{v= exp(u)}
e
1
1
Remarque 2.14.Le prolongement de l’exponentielle à ±∞ est naturel. On verra au second semestre que cette fonction ainsi
étendue est continue sur R, c’est-à-dire que
lim
x→−∞exp(x)= 0
lim
x+exp(x)= +.
Nous avons déjà expliqué que nous ne souhaitons pas utiliser cette notion de limite, nous voulons simplement souligner
que le choix des valeurs de exp(±∞)nest pas un hasard.
Théorème 2.15 (équation fonctionnelle de l’exponentielle).Pour tous x, y Rtels que x+yRon a :
exp(x+y)=(expx)×(expy).
Démonstration. Distinguons trois cas.
1. Si y= +, l’hypothèse x+yRentraîne x,−∞. Alors exp(x),0 et x+y= +, de sorte que exp(x+y)= +et
(exp(x)) ×(exp(y)) = +. C’est ce qu’il fallait prouver.
2. Si y=−∞ le raisonnement précédent s’adapte facilement.
3. Quitte à échanger le rôle de xet y, on s’aperçoit que tous les cas pour lesquels xou yest infini ont été traités. Il nous
reste donc seulement à montrer la propriété pour xet yréels.
Fixons-donc yRet étudions la fonction f:x7→ exp(x+y)
exp(y). Cette fonction est dérivable sur R, et f0=f. De plus
f(0)= 1. D’après le théorème précédent on doit avoir f(x)= exp(x)pour tout xR, comme attendu.
Corollaire 2.16. Pour tout x],+]on a
1
exp(x)= exp(x).
Démonstration. Se déduit de 1 = exp(0)= exp(x+(x)) = exp(x)×exp(x).
Définition 2.17. On définit le nombre d’Euler comme
e := exp(1).
Remarque 2.18.On rencontre souvent la présentation
xRexp(x)= ex,
qui sera justifiée au Chapitre 5. On peut l’utiliser.
CHAPITRE 2. FONCTIONS ÉLÉMENTAIRES 14
2.5.2 Logarithme népérien
Comme exp >0 la fonction exponentielle est strictement
croissante (en eet, exp0= exp), on peut donc tracer le ta-
bleau de variations de l’exponentielle. Celui-ci indique qu’on
peut inverser cette fonction. Le théorème suivant sera précisé
au Chapitre 5et finalement prouvé au second semestre.
Théorème (admis).Il existe une unique fonction, appelée loga-
rithme népérien et notée ln : [0,+]R, telle que pour tous
x, y on a la propriété
(y= exp(x)) (x= ln(y)) .
x
exp0(x)
exp(x)
−∞ +
0++
00 +
+
y
x
0
{x= ln(y)}
{y=x}
e
1
1
(attention aux libellés des axes !)
On obtient le graphe du logarithme népérien en prenant
la réflexion du graphe de l’exponentielle par rapport à la
droite {y=x}. Cela revient eectivement à tracer xen fonc-
tion de y, ce qui est bien ce qu’on veut pour la fonction
y7→ ln(y).
y0 1 e +
ln(y)−∞ 0 1 +
Léquation fonctionnelle de l’exponentielle a une contre-
partie pour le logarithme.
Proposition 2.19. Soient x, y [0,+]tels que xy [0,+].
Alors
ln(xy)= ln(x)+ ln(y).
En particulier si x > 0
ln1
x=ln(x).
Démonstration. On pose a:= ln(x)et b:= ln(y). Ce sont les éléments de Rtels que exp(a)=xet exp(b)=y. Puisque
xy [0,+]cela signifie que a+bR(c’est-a-dire, il n’y a pas de forme indéterminée pour calculer xy ou a+b). Alors
exp(a+b)=xy d’après le Théorème 2.15. En prenant le logarithme de chaque membre de cette égalité, on obtient comme
espéré a+b= ln(xy).
Supposons maintenant x > 0 et distinguons le cas x= +du cas xR>0.
Si x= +alors ln(x)=−∞ et ln1
x= ln0 = −∞. Légalité est satisfaite.
Si xR>0alors x×1
x= 1. Ainsi 0 = ln(1)= ln(x)+ ln1
x.
2.6 Fonction valeur absolue et fonction signe
t
s
0
{s=|t|}
1
1
t
s
0
{s= signe(t)}
Définition 2.20. On appelle valeur absolue la fonction
||:R[0,+]
t7−|t|:=
tsi t0
tsi t0.
Définition 2.21. On appelle signe la fonction
signe : R\{0}{1,1}
t7−t
|t|.
Cette fonction nest pas définie en 0.
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