Anesthésie locorégionale 153
ASPECTS MEDICO-LEGAUX DES COMPLICATIONS
DE L’ANESTHESIE LOCOREGIONALE
J-M. Desmonts, Département d’Anesthésie-Réanimation, CHU Bichat-Claude Bernard,
46 rue Henri-Huchard, 75877 Paris Cedex 18.
INTRODUCTION
La spécificité des complications liées à l’anesthésie locorégionale (A.L.R.) réside, à
la différence des complications liées à lanesthésie générale, dans les séquelles
neurologiques pour lesquelles le patient demandera réparation du préjudice si une faute
dans la réalisation du geste peut être mise en évidence au cours de la procédure.
1. FREQUENCE DES COMPLICATIONS LIEES A L’A.L.R.
Une enquête nationale alisée dans les hôpitaux suédois et publiée en 1997 [1],
rapportait que lanesthésie rachidienne épidurale ou rachianesthésie, était utilie pour
20 à 40 % des interventions chirurgicales. La rachianesthésie était la technique utilisée la
plus fréquemment pour la chirurgie orthopédique du membre inférieur, la césarienne
programmée et la résection trans-urétrale de la prostate. L’anesthésie péridurale était
plutôt utilisée pour la chirurgie orthopédique et vasculaire périphérique. Sur environ 10 000
anesthésies rachidiennes pratiquées, 19 complications neurologiques étaient rapportées
dont 7 après une anesthésie péridurale et 12 après une rachianesthésie. Parmi ces
19 complications, deux étaient liées à la survenue d’un hématome sous-dural après
rachianesthésie et 1 lié à un hématome épidural après analgésie péridurale continue. Aucun
détail n’était donné sur les autres complications neurologiques observées.
L’analyse rétrospective des complications neurologiques, après 18 000 anesthésies
rachidiennes, pratiquées sur une période de trois ans dans un hôpital universitaire suédois
[2] a mis en évidence, sur un total de 17 733 anesthésies rachidiennes, 8 500 rachianes-
thésies et 9 232 péridurales, 19 complications neurologiques étaient rapportées dont 13
avaient des séquelles définitives. Trois complications après anesthésie péridurale étaient
caractérisées par une paraplégie liée à un hématome péridural chez des patients ayant des
troubles de lhémostase. Les autres complications se répartissaient ainsi : neuropathies
radiculaires en rapport avec une technique inappropriée dans 2 cas ; dans 7 cas la relation
entre l’anesthésie péridurale et la lésion neurologique était très probable mais le mécanisme
exact des lésions ne pouvait être identifié avec certitude. Dans 5 cas une neuropathie pré-
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existante pouvait être discutée comme facteur favorisant les troubles neurologiques
observés après l’anesthésie péridurale.
Plus récemment, l’analyse des résultats d’un sondage auprès de médecins anesthésistes-
réanimateurs en France sur les complications liées à l’A.L.R. [3], observées dans leur
pratique, a mis en évidence que sur 103 730 anesthésies locorégionales pratiquées, 40 640
étaient des rachianesthésies, 30 413 des anesthésies péridurales, 21 278 des blocs nerveux
riphériques et 11 999 des anesthésies régionales intraveineuses. 98 complications
sérieuses étaient recensées. Dans 89 cas, la complication était attribuée totalement ou
partiellement à l’A.L.R. 32 arrêts cardiaques, dont 7 étaient mortels, étaient recensés.
Parmi ces 32 arrêts cardiaques, 26 survenaient durant une rachianesthésie et 6 n’étaient
pas réversibles, 3 survenaient durant une anesthésie péridurale et 3 durant un bloc nerveux
périphérique. Parmi les 34 complications neurologiques (radiculopathie, syndrome de la
queue de cheval, paraplégie), 21 étaient associées soit à des paresthésies durant la ponction
(n = 19) ou à une douleur durant l’injection (n = 2) suggérant un traumatisme de la racine
nerveuse ou une injection intraneurale. Cependant, 12 patients qui avaient des
complications neurologiques après rachianesthésie, n’avaient ressenti aucune paresthésie
durant la ponction et aucune douleur lors de l’injection. Parmi ces 12 patients, 7 avaient
une radiculopathie et 5 avaient un syndrome de la queue de cheval, 9 recevaient de la
Xylocaïne à 5 % par voie intrathécale Ainsi, la fréquence des complications neurologiques
était significativement plus grande après rachianesthésie, 6 + 1 pour 10 000 cas et 1,6 +
0,5 pour 10 000 cas pour les autres techniques d’A.L.R. Il faut rappeler que cette étude a
été menée à partir d’un sondage effectué auprès de 4 927 anesthésistes-réanimateurs.
736 ont répondu, indiquant un taux de participation de 14,9 %. Il est donc difficile, à
partir de cette étude, d’établir une fréquence précise des complications de l’A.L.R.
Cependant, l’analyse des facteurs favorisants les complications apporte nombre
d’informations ts intéressantes pour l’évaluation de la responsabilité du médecin
anesthésiste-réanimateur lors d’un litige médico-légal provoqpar une complication en
rapport avec l’A.L.R.
2. FREQUENCE DES LITIGES MEDICO-LEGAUX ET A.L.R.
L’analyse des rapports du Conseil Médical du Groupe des Assurances Mutuelles
Médicales (GAMM) qui regroupe le Sou Médical et la MACSF, permet d’avoir une idée
sur la fréquence des dossiers médico-légaux concernant l’A.L.R.
En 1994, les 4 552 adhérents médecins anesthésistes du GAMM ont adressé 202
déclarations. Parmi ces 202 déclarations, 18 concernaient des anesthésies locorégionales :
7 péridurales dont une paraplégie et un syndrome de la queue de cheval à la suite d’un
cathéter laissé en place pour analgésie postopératoire ; 6 blocs plexiques ; rachianesthésies
(5 dont 1 décès au cours d’une césarienne).
En 1995, les 4 684 adhérents du GAMM ont adressé 225 déclarations c’est-à-dire
+ 11 % par rapport à 1994. 26 accidents concernaient l’A.L.R. : 14 péridurales dont 7
lors d’accouchement ou de césarienne (3 arrêts cardiaques ou états de chocs responsables
de 1 cès maternel et 3 séquelles neurologiques graves chez l’enfant ; 2 phalées
persistantes ; 1 plainte pour inéfficacité de l’analgésie ridurale) et 7 en dehors de
l’obstétrique (1 décès par arrêt cardiaque lors d’une réinjection faite par un infirmier
pour bloc péridural cervical en raison du déplacement du cathéter, 3 paraplégies dont une
par hématome après non signalement par un malade d’un traitement par antivitamine K ;
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2 céphaes persistantes). 2 ridurale + rachianesthésie, après accouchement ou
césarienne : 1 décès par complication neurologique complexe et 1 syndrome de la queue
de cheval. 4 Rachianesthésies : un syndrome de la queue de cheval, un déficit neurologique
du membre inférieur droit, une méningite. 3 Anesthésies ribulbaires : perforation
oculaire. 1 Bloc du nerf médian au poignet (paralysie partielle de l’éminence thénar.
1 A.L.R. avec garrot : paralysie à prédominance radiale.
En 1996, les 4 723 adhérents du GAMM ont adressé 220 déclarations (- 2 % par
rapport à 1995). 20 accidents concernaient lA.L.R. 10 Péridurale dont 7 lors
d’accouchements : 3 arrêts cardiaques ou états de choc responsables de 2 décès maternels
et de 1 décès chez l’enfant, 2 syndrome de la queue de cheval, 1 sciatique, 1 céphalée
persistante. Les 3 autres péridurales à l’origine d’accidents ont été pratiquées en dehors
de l’obstétrique provoquant un syndrome partiel de la queue de cheval. 4 Rachianesthésies
dont 1 paraplégie, 1 paralysie sciatique, 1 sciatalgie. 1 Bloc plexique. 4 Anesthésies
péribulbaires dont 2 perforations oculaires.
3. RESPONSABILITE DE L’ANESTHESISTE-REANIMATEUR
Les principales procédures qui mettent en jeu la responsabili des praticiens
anesthésistes-réanimateurs, sont :
- La procédure civile ou administrative ;
- la procédure pénale.
3.1. PROCEDURE CIVILE OU ADMINISTRATIVE
Les praticiens travaillant dans le secteur public et ceux qui travaillent dans le secteur
libéral ne sont pas soumis au même régime de responsabilité civile.Dans le secteur public,
la responsabilité du médecin sera examinée à travers l’administration hospitalière qui
l’emploie. Le Tribunal Administratif est sollicité par la victime. En cas d’appel vis-à-vis
de la décision du Tribunal Administratif, le dossier est examiné par la Cour d’Appel du
Tribunal Administratif. Le Conseil d’Etat peut être saisi afin d’examiner le bien fondé
juridique de la décision du Tribunal Administratif. Pour engager la responsabilité de
l’Administration hospitalière, la jurisprudence opère une distinction entre l’acte médical
pour lequel le Conseil d’Etat exigeait, pour l’incriminer, une faute lourde, et l’acte de
soins ou acte non médical, pour lequel, en revanche, la jurisprudence se contentera d’une
faute simple, comme par exemple le fonctionnement non qualif du service public.
Cependant, l’évolution jurisprudentielle a éparticulièrement importante concernant les
juridictions administratives lors de ces dernières années. En effet, après avoir abandon,
par un art du 10 avril 1992, la notion de faute lourde, le Conseil d’Etat a retenu ensuite
la présomption de faute. Cette notion de présomption de faute suppose que soient réunies
trois conditions :
- absence de moyens de preuve d’une faute médicale ;
- un dommage important consécutif à un acte médical ;
- conviction du juge que le service public s’est montré défaillant.
La présomption de faute entraîne le renversement de charge de la preuve. Ce n’est
plus au malade de prouver la faute mais à l’hôpital d’établir qu’il n’a pas commis de
faute dans l’organisation du service.
Cette évolution s’est accentuée en 1993 par l’arrêt Bianchi du 9 avril 1993 dans
lequel le Conseil dEtat a retenu la possibilipour le malade d’obtenir une réparation
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fondée sur le risque encouru en l’absence de toute faute. Ainsi, larrêt Bianchi a confirmé
cette notion de responsabilité sans faute tout en l’assortissant néanmoins de conditions
très précises afin d’en limiter l’application.
Pour un médecin en pratique libérale, sa responsabilité civile sera examinée sur des
règles communes par le Tribunal Civil. Elle sera examinée en recherchant :
- l’existence d’une faute prouvée responsable d’un préjudice ;
- l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice ;
- la charge de la preuve.
L’obligation d’information du patient a fait l’objet d’un arrêt récent de la Cour de
Cassation, du 25 février 1997, dans lequel celle-ci affirme, en visant l’article 1 315 du
Code Civil, que celui qui légalement et contractuellement, est tenu d’une obligation
d’information, doit rapporter la preuve d’une éxécution de cette obligation. Désormais,
c’est au médecin de prouver que le malade a été informé des risques. C’est un revirement
de la jurisprudence.
3.2. PROCEDURE PENALE
Le principe d’identité, faute civile-faute pénale, et ses incidences impliquant la faute
du médecin telle qu’elle a été identifiée, peut expliquer que la faute peut également faire
l’objet d’une procédure devant une juridiction répressive. Il s’agit le plus souvent d’un
manquement à une obligation incombant au médecin et celui-ci présente alors le caractère
d’une imprudence ou d’une négligence. A la différence de la procédure civile qui ne
concerne que les médecins exerçant dans le secteur libéral, la procédure pénale peut
concerner tous les médecins, quel que soit leur lieu d’exercice.
4. A.L.R. ET DOSSIERS MEDICO-LEGAUX : EXEMPLES
4.1. DOSSIER N° 1
Grossesse triple chez une femme de 34 ans. Proposition d’une anesthésie ridurale
pour la sarienne programmée par l’anesthésiste-réanimateur. Réticence de la patiente
vis-à-vis de cette technique. Cette technique est imposée par le médecin anesthésiste-
réanimateur sur l’argument d’une morbidité moindre de l’anesthésie péridurale par rapport
à l’anesthésienérale. Douleur radiculaire lors de la ponction. Retrait de l’aiguille de
quelques mm et injection de la solution anesthésique. Hypotension brutale et perte de
connaissance obligeant à intuber la patiente quelques minutes plus tard. Injection
intrathécale probable. Récupération neurologique postopératoire incomplète.
Image suspecte au scanner rachidien. Intervention neurochirurgicale. Pas d’hématome
péridural. Syndrome de la queue de cheval persistant et déficit moteur gauche.
Les juges ont retenu, à l’encontre du médecin anesthésiste-animateur, l’absence de
consentement de la patiente et un non respect des règles de sécurité lors de la réalisation
de l’anesthésie péridurale.
4.2. DOSSIER N° 2
Prothèse totale de hanche droite chez une patiente de 71 ans ayant des antécédents de
varices des membres inférieurs traitées par cryochirurgie. Consultation pré-anesthésique
par un anesthésiste-animateur qui propose une rachianesthésie à la patiente et prescrit
une prophylaxie thrombo-embolique par héparine de bas poids moléculaire commencée
la veille de l’intervention. La rachianesthésie est effectuée par un deuxième decin
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anesthésiste-réanimateur avec difficulté puisque plusieurs ponctions seront nécessaires,
avant de ponctionner l’espace sous-arachnoïdien. Le traitement anticoagulant est repris
le soir de l’intervention. Dans la nuit, la patiente ressent des douleurs rachidiennes très
intenses, difficilement calmées par la morphine et le paracétamol. Elle présente un malaise
au premier lever, le deuxième jour, avec sensation de dérobement des jambes. Le déficit
moteur est évident, au troisième jour, associé à des troubles sphinctériens. Un scanner du
rachis met en évidence un hématome sous-dural rachidien. L’intervention neurochirurgicale
est pratiquée mais les signes neurologiques ne régresseront pas. Les séquelles
neurologiques sont majeures. Il est apparu, à la lecture du dossier, qu’un traitement par
automédication comprenant de laspirine, avait été poursuivi jusquà la veille de
l’intervention à l’insu des médecins.
La responsabilité du médecin qui a pratiqla rachianesthésie a é retenue par les
juges. Il est apparu que la patiente n’avait pas été informée sur les risques éventuels de la
rachianesthésie dans le cadre d’un traitement anticoagulant associé. Des ponctions pétées,
pour réaliser la rachianesthésie, ont favorisé la survenue de l’hématome et il est
recommandé d’éviter ses ponctions multiples chez ces patients. Enfin, les signes
neurologiques en rapport avec l’hématome péridural n’ont été détectés que tardivement,
engageant de façon irréversible le pronostic neurologique.
4.3. DOSSIER N° 3
Hémicolectomie gauche chez une patiente de 67 ans pour sigmoïdite. Antécédents
d’artérite traitée par Ticlid, stoppé avant l’intervention avec un intervalle non précisé.
Bilan d’hémostase préoratoire normal. Lors de la consultation pré-anestsique,
proposition à la patiente d’une technique d’anesthésie générale combinée à une anesthésie
péridurale pour l’analgésie postopératoire. Un traitement par uneparine de bas poids
moléculaire est commencé 8 heures après l’intervention. Détresse respiratoire majeure
48 heures après l’intervention faisant évoquer le diagnostic d’embolie pulmonaire massive.
Retrait du cathéter ridural 12 heures après la dernière injection d’héparine de bas poids
moléculaire et institution immédiate, après retrait du cathéter, d’uneparinothérapie à
la dose curative, par voie intraveineuse. Début des troubles neurologiques, au niveau des
membres inférieurs, à la 72e heure. Arrêt de l’héparine à la 96e heure. Tableau de paraplégie
évident. Myélographie à la 120e heure, mettant en évidence un matome péridural.
Décompression chirurgicale. Séquelles neurologiques finitives à type de paraplégie
flasque.
La responsabilité de lanesthésiste-réanimateur a été retenue par les juges sur les
éléments suivants :
- absence d’information de la patiente sur les risques de la technique anesthésique
employée et en particulier sur l’interrence des traitements anticoagulants avec
l’analgésie péridurale ;
- mise en route à haute dose de l’héparine immédiatement après le retrait du cathéter
péridural contrairement aux recommandations préconisées dans la littérature ;
- non reconnaissance des premiers signes neurologiques aboutissant à un diagnostic
tardif d’hématome péridural avec des conséquences neurologiques irréversibles.
4.4. DOSSIER N° 4
Patellectomie partielle avec trochéoplastie à la suite d’un traumatisme de la face antéro-
interne du genou chez un homme de 30 ans. Trois mois plus tard, il existe un genou très
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